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10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 07:28

 

L'en-dedans du silence.

 

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                                                                                                Photographie : Antoine d'Agata.

 

    Cette photographie, nous pourrions la regarder et demeurer muets. Silence contre silence. Immobilité se fondant dans l'apparente vacuité qui s'ouvre à nous. Mais alors, nous resterions sur le bord du cadre, dans un en-deçà de l'image. Nous ne ferions qu'effleurer ce qui cherche à se dire. Ce qui, comme en une sournoise maladie, évolue à bas bruit. Car, ici, tout est proféré dans un flou qui n'est convoqué qu'à nous interroger, à nous faire poser une question existentielle.

  Bien évidemment, nous pourrions décrire ce qui s'offre à nous et, déjà, nous nous avancerions dans une manière de vérité. Nous dirions la lèpre des murs gris, le cadre noir privé de figuration, l'obsolescence du rideau, sa clôture sur le monde extérieur; nous dirions la porte salie, verrouillée, le tapis aux losanges usés; nous dirions surtout l'abandon, la lassitude, peut-être l'épuisement, l'ivresse, la drogue; nous dirions  la femme sur le rectangle exact du lit, les jambes ouvertes comme pour un sacrifice proche, la tache du pubis, humide, sombre, les ruelles chaudes et odorantes alentour, des visages cernés d'étrangeté, des billets maculés et froissés dans des mains harponnées de désir, nous dirions la prostitution, le trafic et bien d'autres choses encore, immanentes, ordinaires, immensément visibles.

  Et, pour autant, nous n'aurions encore rien dit, nous n'aurions fait que nous projeter dans une situation dont nous n'apercevrions que de minces épiphanies, quelques nervures, une si légère effraction. Mais les racines ? Les approcherions-nous d'un iota ? Notre vue ne serait-elle pas cernée de myopie ?  Ne nous satisferions-nous pas  d'inventorier un praticable, d'affecter aux objets, au décor de carton-pâte, des significations probables, de pourvoir l'unique Figurante d'un destin dont, en réalité, nous savons si peu. Si ce n'est cet abandon, cette vulnérabilité, cette vacance à ce qui pourrait survenir et dont nous augurons l'ombre mortifère, la métaphysique en forme de yatagan, la désespérance comme exil, la chute et puis l'effacement.

  Nous déplaçant vers un genre d'absolu, faisant émerger quelques abstractions, quelques idées, nous sentons combien notre parole devient plus précise, authentique en quelque sorte. Car rien ne sert de se voiler la face et de différer ce qui, fondamentalement, se dessine ici. Le silence, son impression, son flottement ne sont que de piètres mirages n'existant qu'à mieux dissimuler ce qui, depuis toujours, s'y origine.

  Silence, envers de toute parole, réverbération d'une voix humaine perdue, écho lointain d'un langage s'essayant à toujours énoncer mieux, à toujours se configurer selon quantité d'esquisses signifiantes.

  Silence, rappel du cri que chacun déglutit dès sa première apparition, alors même que la douce conque délaissée plantait en nous sa vibrante nostalgie. Comme une utopie à constamment revivre.

  Silence, retournement de tous les cris du monde, de toutes les clameurs serrées dans l'isthme étréci des gorges.

  Silence comme on le dirait, regardant le tableau d'Edward Munch, alors que la bouche déployée lance vers le ciel son insupportable imprécation et nous voudrions, d'un seul empan de la voix, ôter toute la désespérance de notre condition, celer la faille, refermer l'abîme.

  Silence et l'on dirait finitude.

  Silence et l'on dirait néant et plus rien après…

  Ainsi en est-il de toute chair qui ne s'ouvre jamais qu'à mieux se refermer. La photographie nous invite à en prendre acte. Il est encore temps. 

 


 

                                                            

 

 

 

 

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