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21 août 2015 5 21 /08 /août /2015 07:33

 

Là où le vent demeure.

 

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                                                          Photographie : Blanc-Seing. 

 

 

  C'est à l'heure de la lumière levante que se révèle le mieux à nous l'essence de la garrigue. Faite de silence, de recueillement, d'absence. Comme si tout allait commencer, aussi bien la clarté dans le ciel que la longue dérive des hommes. Là-bas, au loin, près des quais de lave brune, se soulèvent à peine les poitrines oblongues. La lassitude est grande qui fait ses remous jusqu'au creux des ombilics. Dans le port claquent les haubans alors que les barques bleues et blanches flottent au gré d'un éternel clapotis.

  C'est à peine si les bruits des Existants, de leurs villes, de leurs affairement parviennent ici, au milieu de la grande aire minérale. La nature est si pleine, entière, gonflée. Telle une baudruche sur laquelle viendraient ricocher les rumeurs du monde. Juste un effleurement à la tête des pins, seulement une mince cantilène parmi les grappes des genets scorpions, une ride affectant cistes et euphorbes dont les calices semblent flotter au-dessus de la terre.

  Ici, le temps est géologique, de l'ordre de la moraine et du glacier, de l'écoulement du calcaire, de la longue dérive sédimentaire. Tout paraît si immobile, éternel, une manière de décor inaltérable en même temps qu'inatteignable. Hors de portée. Car la dimension outrepasse amplement l'effigie humaine, rendant également imperceptible le glissement de la couleuvre, la fuite syncopée du lézard à la gorge palpitante, la cendre grise du faucon pèlerin. Quant à la mante, profitant de son mimétisme, elle se dissimule sous le premier buisson venu. C'est ainsi, les paysages immémoriaux dissimulent leur lente avancée sous les auspices d'une fresque austère, presque illisible aux yeux de ceux qui s'y aventurent comme par mégarde. Il faut être observateur humble et attentif, sentir sous ses pieds le glissement des tapis d'aiguilles, frayer son chemin au milieu des genévriers cades et, surtout, être disponibles aux odeurs, aux frémissements de la roche, aux effluves iodés de la mer si proche, si lointaine. On n'en perçoit que le gonflement liquide, à l'horizon, la dalle immobile réverbérant le soleil, dans l'attente d'une hypothétique marée. Car l'eau ne saurait s'opposer au minéral dans une manière de polémique. Sauf l'hiver où, parfois, lors des marées d'équinoxe, le déchaînement est la seule profération possible alors que la garrigue disparaît dans des nappes de brume.  Mais, toujours, l'exception confirme la règle. En temps ordinaires, le massif de pierres et de végétaux joue en contrepoint de l'immensité bleue. Sans doute une façon de dire l'équilibre des éléments, leur jeu alterné, la belle symphonie à laquelle se livrent leurs forces antagonistes et complémentaires. Jamais  la garrigue ne trouverait son efflorescence sans la présence proche de l'eau, jamais l'eau ne recevrait son assise sans la proximité des concrétions minérales apparaissant comme un écrin, une conque incontournable, nécessaire.

  Et par-dessus l'eau et la roche, le jeu long et subtil de l'air qui s'immisce à la manière d'un médiateur. Sans le vent qui, continuellement, appuie sur les pins d'Alep, les inclinant vers le sol, sans le vent qui insinue sa langue froide entre les murs de pierres sèches, agite la tête ébouriffée du serpolet, il n'y aurait  ni odeur marine, ni effluves, ni bois éoliens pareils à des os de cétacé échoués au pied des genévriers et des buis odorants. Il n'y aurait pas de garrigue. Car ce jeu à trois, de l'eau, de la terre, de l'air constitue l'indispensable triptyque à partir duquel un tel paysage peut exister et faire sens.

  Parfois le feu vient mêler sa langue abrasive à ce sublime concert et, alors, tout s'éteint dans le charbon et la cendre et il faudra une longue patience avant que chênes pubescents, iris nains, aigles et faucons ne viennent reprendre possession de leur habituel domaine. Bien sûr, de cette désolation, tout renaîtra et s'éploiera de nouveau sous le ciel.

  Depuis les meurtrières de leurs logis, sur leurs balcons de bois, dans l'embrasure de leurs fenêtres, les hommes, un verre à la main,  palabreront sans cesse, mêlant leurs voix au souffle puissant de la Tramontane. Très haut, au milieu des nuages, planeront scories et cendres qui retomberont au loin, peut-être sur des terrasses ombragées au bord d'un canal. Là aussi, des hommes, un verre à la main, s'étonneront sans doute de la chute de ces flocons à peine gris, si légers, pareils à un poème qu'aurait écrit le vent. Ils n'en sauront pas l'origine, mais seront saisis, l'espace d'un instant, d'une hésitation, assiégés d'un doute.

  Le langage des éléments est toujours vivant, sensible, disponible. Souvent nous ne savons le décrypter. Nous sommes devenus, malgré nous, des hommes de culture aux yeux cernés de gemmes, alors que la vérité est si proche. Mais cela, jamais nous le savons. Seule la nature en prend acte qui toujours, en silence, recommence son cycle.  

 

 

 

                                                                                          

 

 

   

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