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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 09:26

 

Le subtil parfum de la mémoire.

 

 

psm.JPG

 Source non identifiée.

 

 

L'écriture en partage. Facebook paraissant avoir pour vocation essentielle de favoriser le partage, le texte ci-après voudrait répondre à cette exigence. Manière d'écriture à 4 mains, d'entrelacement du texte de Pierre-Henry Sander avec le mien. Ecriture que prolonge une autre écriture dont nous souhaiterions que le lecteur s'empare afin de continuer la tâche entreprise.

 

Le texte en graphies rouges est le texte originel de son Auteur. Celui en graphies noires est mon apport personnel dont je souhaiterais qu'il soit perçu dans un prolongement tissé d'affinités avec cela qui fait sens et autorise ainsi la poursuite d'une mince tâche herméneutique. ]

 

   "La journée fut divine, à marquer de jolis mots parfaitement tracés sur une page blanche.. J'ai retrouvé avec les yeux de la mémoire la vieille maison rose de mon enfance... les yeux écarquillés.. ravi.. c'est le domaine enchanté parmi les vignes et les boqueteaux de chênes.. Nul paysage où je me sente plus intimement proche.. accordé.. ici, quelque chose de transcendant plane au-dessus de ma tête, et le deviner un instant provoque un grand trouble.. un étrange apaisement... Le soir tombe splendide au couchant drapé de rose.. je regarde, triste, s'éloigner et disparaitre les paysages et les visages chers à mon cœur.. je me sens subitement très seul.."

                                                                                                     Pierre-Henry Sander.

                                                                                                      

 

 

 "La journée fut divine, à marquer de jolis mots parfaitement tracés sur une page blanche..

  Quelle ardeur je mettais à écrire, à imprimer sur la plaine vierge de la feuille les stigmates de la joie! Etonnante formulation que celle-ci !  "Stigmates de la joie". Signes habituellement voués à figurer la douleur, à inciser la peau de Celui qui en est le témoin, comme pour commémorer une très lointaine mémoire, bien au-delà du temps. Cicatrices, blessures, plaies ouvertes qui jamais ne se referment. Et pourtant à cet instant-là, dans la chute des feuilles d'automne, sous la lumière rare du jour, entouré de mes chers ouvrages au maroquin vieilli, c'étaient bien des stigmates qui me visitaient, mais heureux, rayonnants, appliqués à faire revivre la belle ambroisie de ce qui fut et me parlait encore en termes sans doute désuets, mais ô combien lénifiants. Parfois la langue a-t-elle de ces fantaisies qui vous transportent bien au-delà de vous-même en une terre semée de douce argile. Terre parcourue de sillons, d'entailles à vif, de coulures souples de versoir, autant de "stigmates" venus du sol afin qu'en lui nous pussions renaître. C'est de cela dont j'étais affecté, hors de toute tristesse, échappant à quelque mélancolie qui se fût introduite en moi à mon insu. Une joie "naturelle", bucolique, manière de gemme coulant des bourgeons du passé avec toute l'indulgence qui se pût imaginer. Dans la pénombre de la bibliothèque, la plume glissait avec aisance, en courbes et déliés et je m'étonnai de la facilité avec laquelle mon existence, celle de mes aïeux trouvait à s'épancher comme l'eau coule de la source en un filet si limpide que nous ne le remarquons à peine. Le temps était une écume, l'espace de la pièce un flottement dont nulle contrariété n'aurait pu détourner le cours harmonieux. Tout coulait en douces affinités, tout glissait vers l'aval des jours avec une sobre élégance. Cela faisait si longtemps qu'un tel sentiment de plénitude ne m'avait visité. "Tempérament ombrageux, humeur vagabonde", se plaisait à dire mon Précepteur en des temps qui, maintenant, paraissent bien éloignés. Parfois un doute m'assaille qui me laisse au bord de quelque questionnement. Tout cela a-t-il vraiment existé ? Mon imagination est tellement empressée à vagabonder, à créer de toutes pièces un monde qui convienne à mes fantasques inclinations ! Mais qu'importe, voici qu'en retrouvant ma vieille demeure, je me retrouve moi-même, comme je l'aurais fait d'un ancien Compagnon dont la trace aurait été recouverte de nuées de cendre. Vivre le temps présent !

   J'ai retrouvé avec les yeux de la mémoire la vieille maison rose de mon enfance...

   Je ne me souvenais même plus de cette teinte usée, pareille à un bouquet de roses-thé. Mais l'odeur, cette sourde fragrance comme issue du ventre chaud des meubles, des interstices du parquet, de la terre toute proche, cette odeur ne m'a jamais quitté. Les senteurs ont-elles, de droit, une précellence sur les autres perceptions de nos sens ? Peut-on jamais oublier l'effluve fruitée de la Mère, cette coulée suave mêlée de lilas et de mauve, comme si un lait nourricier continuait à nous entourer notre vie durant, tressant au-dessus de nos fontanelles éblouies la douceur de vivre ?  Peut-on davantage occulter le nuage de cuir et de tabac du Père, cette subtile volonté venue nous dire sa persistance à être parmi les mailles serrées de l'exister ? Les odeurs ont cette force de nous lier à Ceux, Celles qui nous ont situé au-devant de la scène et continuent de nous soutenir depuis leur mystérieux territoire d'outre-ciel. Nous ne les voyons plus mais nous les portons en nous comme la rose diffuse son parfum ancien, avec souplesse et témérité. Nous oublions beaucoup, mais les choses, elles, ne nous oublient pas. Elles continuent de nous hanter et font, autour de nos têtes distraites, une auréole dont nous supputons la présence à défaut de pouvoir la saisir.

   les yeux écarquillés.. ravi.. c'est le domaine enchanté parmi les vignes et les boqueteaux de chênes..

  Mais les yeux aussi, quelle fête, quelle divine amplitude ! La vision est un mystère en même temps qu'un miracle. Oui, j'en conviens, ce lexique religieux paraît déplacé, un peu emphatique. Mais comment dire la sublime vision, cette donation du monde à chaque instant que nous le regardons, que nous en approchons la confondante présence ? Serions-nous en traine de rêver ? Quelque hallucination nous visiterait-elle comme après avoir abusé de narcotiques ? Mais non, il faut s'accorder au réel et lui offrir quelque chance de nous rencontrer. Ce paysage qui se laisse deviner par la croisée, au travers du dépoli des vitres, c'est bien celui qui, toujours, m'a habité quand bien même ma conscience s'en serait volontairement affranchie. On ne renie pas si facilement ses racines. Elles progressent dans votre sol jusqu'à envahir votre fontanelle et ressortir comme une gerbe de lumière au-dessus de votre front distrait. Ces vignes que je distingue, avec leurs feuilles de rouille et leurs dentelures de feu, ce sont les mêmes qui tressaient autour de mon enfance les pampres de la joie. Combien de douces divagations parmi les rangs serrés des ceps alors que l'horizon fuyait avec la chute du jour ! Le crépuscule est un bonheur qui mêle en un même sentiment nos passions déclinantes et la venue proche de la nuit, avec ses partitions de rêves, ses harmoniques fantastiques. Et le massif sombre des boqueteaux, la dentelle régulière des feuilles, l'ascension des fûts dans l'air tendu comme un schiste. L'âme est si près d'une révélation, l'esprit s'échauffe et rien ne nous étonnerait alors que nous pussions disparaître à même la densité de la futaie. Le végétal en nous, c'est cette inclination des choses à nous reprendre dans le sein de cette nature avec laquelle nous sommes toujours en dialogue sans que la voix ne s'élève plus haut que le chant discret de la source. Regarder et encore regarder jusqu'à l'évanouissement total de soi.

   Nul paysage où je me sente plus intimement proche.. accordé..

  Être soi-même et être paysage à la fois. Être soi-même et s'être déjà quitté à la recherche d'une manière d'absolu. Force du paysage qui nous abstrait et nous reconduit au statut de l'idée, à l'effigie tremblante d'un début de pensée. Comme si notre corps, soudain devenu diaphane appelait cette transparence, cette couleur absente du cristal, laquelle nous plongerait dans un état d'avant la vie, dans cette souple indistinction seule à même de nous amener au seuil d'une possible compréhension. Vivant, nés au monde et à nous-mêmes, nous sommes déjà trop engagés dans l'existence pour percevoir le tremblement initial de la Nature, cette Mère si accueillante, cette arche de félicité que nous enjambons de nos pas d'Egarés alors que le monde tourne à notre insu avec l'intime  volonté de nous révéler à ce que nous sommes. Oui, le paysage est cette perspective où faire sens, cette ouverture toujours disponible à laquelle consentir avec bonheur. Jamais joie ne sera plus disponible qu'à être trouvée dans un accord avec la source, la courbure du ciel, le clignotement de l'étoile, le nuage gris, l'allée sous les frais ombrages, l'élévation de pierres, le coussin de mousse, l'arborescence naine du lichen. Nous sommes convoqués à être. Pleinement. L'offrande des choses à notre endroit se pare de la couleur des évidences.

  ici, quelque chose de transcendant plane au-dessus de ma tête, et le deviner un instant provoque un grand trouble.. un étrange apaisement...

  C'est ce sentiment aérien qui nous intime à nous élever dans l'ordre des sensations et à porter le perçu sur l'orbe largement éployé de la conscience. Alors, nous devenons terrestres comme par défaut, si près d'un rythme ouranien, et déjà nous entendons la voix des dieux résonnant dans l'empyrée. Comment témoigner de ce qui ne peut l'être ? Etreinte d'un sentiment religieux nous attachant à la totalité du cosmos, survenue de cette transcendance dont nous ne pouvons rien dire, sinon l'apercevoir à l'aune du néant. Ici, tout devient si imperceptible, si ténu et le langage se dissout dans une étrange vacuité et nous sommes saisis de vertige et nous sommes remis à l'absence de monde, à la ligne blanche, au flottement du vide. Nous sommes pris d'alcool, confiés à la part des anges, nous sommes essence diffusant dans l'éther son principe fluide, sa dérive hauturière. Peut-être le vent, que toujours l'on sent mais que jamais l'on ne peut étreindre, serait à même de métaphoriser avec assez d'exactitude ce qui vient à nous dans un genre de "multiple splendeur". Mais toutes ces considérations sont bien inutiles en raison même de l'indicible campant sur des positions altières, inatteignables. Mon regard, il faut le ramener dans le cercle des choses visibles et en faire le lieu d'une méditation.

  Le soir tombe splendide au couchant drapé de rose..

 Oui, ce sont de véritables draperies qui viennent mourir au pied du Manoir et touchent les rayonnages où vivent les livres dans leur poussière silencieuse. L'esprit du soir venant visiter l'esprit ombreux des milliers de signes courant au fil des pages. La mesure dernière du jour pareille à une finitude se confiant à la garde attentive de l'intelligence des hommes. C'est cela qui m'étreint parmi les milliers de feuillets semés de la belle conscience humaine, cette osmose des choses, l'ajointement de leurs signifiances. Lumière du jour, lumière de l'esprit, de l'intellection assemblées en un même lieu symbolique, là où confluent paroles des Existants et souffle éternel de la Culture. Il n'y a pas d'autre lieu possible où loger meilleure compréhension du monde. Pas de grimoires ésotériques, nulle alchimie complexe, aucune divination parmi les bâtonnets d'achillée, seulement une disposition à être parmi la multiple beauté. C'est ainsi que l'âme peut rayonner, à partir du Simple en direction de l'univers. Se sentir exister : par la feuille ourlée de givre, par le vol de la libellule,  la parole du poème, le trait gravant le cuivre, la cérémonie du thé, les estampes de l'ukiyo-e, le bord de lumière au sommet de la montage, le flux et le reflux de la mer.

  Ici, le paysage disparaît peu à peu, s'enfonce dans la nuit, les rangs de vigne perdent leurs subtiles feuillaisons, les boqueteaux rentrent dans les nappes d'humus, la lumière décline et les livres ne sont plus que les gardiens bienveillants d'un clair-obscur, de simples lignes claires au seuil d'une disparition. Tout semble soudain affecté d'une proche perdition.

  je regarde, triste, s'éloigner et disparaitre les paysages et les visages chers à mon cœur.. je me sens subitement très seul..

 Cette solitude qui m'affecte dès que ma mémoire prend congé des choses. Il n'y a plus lieu maintenant, attendant que le jour revienne, que pour une longue divagation, une errance sans fin. L'esprit est comme désorienté alors qu'il sait la vacuité des choses, mais aussi leur permanence. Car, existant, toujours nous sommes reliés à ce que nous avons connu et notre mémoire dégage un subtil parfum qu'il nous faut interroger. La bouche du puits orientée vers le passé s'illumine, en son fond, d'une étrange lumière. Cette lumière que nous apercevons comme au travers de voiles de brume, c'est seulement le reflet de visages aimés, aussi bien que du nôtre, figures  qui jouent l'infinie partition des rencontres. Déjà nous avons déserté ce paysage, déjà nous avons quitté notre propre rivage. Nous sommes toujours en partance vers l'infini. Le voyage est à peine commencé !

 

 

 

 

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