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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 15:35

 

   Où il est question, encore et toujours, du problème de la nomination. Mais, pourquoi nous a-t-on affublé de ce nom que nous portons devant nous à la manière d'un étendard ? Mais ce nom nous détermine bien plus que nous pouvons le penser. Et, pour ce qui est de l'adorable chaton Noiraud-Moïse, ce dernier aura à assumer ce nom biblique avec toutes ses implications historiques et aussi, à n'en pas douter, morales et philosophiques. Quant à Madame Wazy, avec son foulard planté sur ses bigoudis et ses charentaises à trous, il lui suffira, chaque jour, de vaquer à ses menues occupations sans se douter qu'en la "personne" de son adorable compagnon à quatre pattes, se dissimule une richesse de sens incomparable !

 

 

 

Moïse

 

 

  Par contre, imaginez, vous êtes Madame Wazysmicokiewicz elle-même en personne, vous sortez dans la rue avec votre foulard boudiné sur la tête et vos pantoufles à trous pour faire aérer vos oignons et, de votre voix flûtée et aiguë qui sent pas forcément la rose, vous gueulez juste ce qu'il faut pour que votre félin vous entende : "Moïse, Moïse, viens ici mon petit Moïse à sa Mami"...et après vous fermez votre gueule pour que je puisse expliquer la suite à mon Lecteur. Et maintenant, imaginez le Type qui est passé tout à l'heure dans la rue et qui repasse à nouveau, comme si on avait rembobiné le film. Entendant "Moïse", le Type il va d'abord ralentir cause au fait qu'il y a pas beaucoup de types qui s'appellent Moïse dans le coin d'Ouche et aux alentours.

  Au second "Moïse", il va rester un pied en l'air, à la façon d'un flamant rose, du fait que c'est "l'étonnement" qui va le saisir, vous savez, le fameux "taumazein" grec qui vous tient en suspens et, dans le suspens, c'est rien de moins que la Métaphysique et la Philosophie qui déboulent en jouant des coudes, juste pour savoir qui va gagner la partie même si, soit dit en passant, c'est du pareil au même la Philosophie et la Métaphysique, et le Type de la rue il va commencer à se poser rudement des questions, il va se demander si le Moïse de la Mère Wazy c'est quelqu'un qui crèche dans la rue, si des fois ce serait pas le boucher ou l'horloger ou celui qui distribue les prospectus et il verra, soudain, l'aimable chaton se faufiler entre les plis de la robe de chambre de Madame Wazy et au début il comprendra pas aussitôt que "Moïse" ça concerne l'insignifiante petite chose noire qui rapplique pour bouffer ses croquettes et puis Madame Wazy disant "viens Moïse, mon chaton, rentre que tu vas attraper froid", alors le Type il fait la relation entre "Moïse"  et le félin et le Type il repose sa patte de flamant rose et il continue à arpenter la rue et il se dit, "tiens, c'est pas courant comme nom Moïse pour un chat, c'est même plutôt marrant", et avant d'avoir atteint le square où y a des bancs peints en vert, il essaiera de comprendre pourquoi "Moïse" et pas "Noiraud" par exemple, et de fil en aiguille, quand il arrivera du côté de la Gare, il aura déjà pas mal gambergé et dans sa tête ça fera plein d'allées et venues cause au fait que le Quidam il a obtenu son Certificat d'Etudes avec les félicitations du Canton et qu'en plus il lui reste plein de remontées du temps du catéchisme et alors il fera des suppositions, il évaluera le bien-fondé de l'appellation, il bâtira des hypothèses, il se souviendra pas peut être que l'histoire du "vrai" Moïse était racontée dans le Pentateuque et plus particulièrement dans l'Exode, les Nombres et le Deutéronome; que les allusions à Moïse se trouvaient dans Josué, les Juges, Samuel, les Rois et les Chroniques, il s'en souviendra peut être pas, mais ce qu'il retrouvera c'est cette histoire si belle de l'enfance de Moïse, telle que l'Abbé Grindoirela racontait dans le petit presbytère attenant à l'église, où d'ailleurs on attrapait des engelures à cause du froid polaire et même l'onglée pour les plus fragiles et alors, peu à peu, comme un chant venu de très loin, qui aurait traversé des rideaux de roseaux, des voiles de brume, il entendrait la belle histoire de Moïse, venue du plus loin de son enfance, et petit à petit il tisserait à nouveau les fils de sa mémoire et, en arrière de son front, tout contre le jour et la lumière, il retrouverait l'image de Moïse, d'abord celle de la statue de Michel-Ange dans le mausolée de marbre du pape Jules II à l'église San Piétro in Vicoli, à Rome mais c'est pas cette image du Moïse adulte figé dans la pierre qui habiterait longtemps ses pensées et, alors qu'il arriverait près de la barrière du chemin de fer, c'est le vrai Moïse biblique, le petit enfant Moïse, si touchant et démuni face aux hostilités de la terre entière, c'est celui qui naît au moment le plus critique de la persécution des Hébreux en Egypte et le Quidam ralentit sa marche qui est un peu entravée par les souvenirs du temps du presbytère et il revoit sa propre révolte à lui, enfant, lorsqu'il apprit de la bouche du bon Abbé Grindoire que ledit Moïse était, par sa naissance, tout désigné comme prochaine victime des caprices du Pharaon qui faisait jeter dans le Nil les mâles nouveau-nés et il croit même se souvenir qu'il en avait souffert de cette barbarie qui faisait des puissants des sortes de démiurges, lesquels avaient droit de vie ou de mort sur de tous jeunes innocents que l'origine même de leur naissance condamnait par avance, et alors que le Quidam arrive près de l'Usine de briques et de tuiles, ça revient en lui au galop, ça s'éclaire et il entend, comme au travers d'une brume, la voix usée et aigrelette du bon vieux Curé qui parle de Yokebed, l'épouse du lévite Amram, la mère d'Aaron et de Myriam qui met au monde un garçon que l'on cache, dans une corbeille étanche, au milieu des roseaux qui bordent le Nil, puis la voix familière, un peu usée par le temps, lui parle de la fille du Pharaon qui découvre la corbeille, l'ouvre et y reconnaît un tout petit enfant hébreu, et comme la fille du Pharaon a le cœur plus ouvert et plus glorieux que celui de son père, elle décide d'élever l'enfant et Myriam, restée à côté du nouveau-né, indique à la fille du Roi, une nourrice en la personne de Yokebed et l'enfant sera sauvé et portera le nom de Moïse, qui vient d'un verbe hébreu signifiant "tirer des eaux", et il grandira au palais royal et le Quidam pense alors que le palais royal c'est la modeste maison de cette Madame Wazy dont il connaît vaguement le patronyme tronqué, et le modeste chaton lui semble alors paré d'une sorte de gloire divine et rien ne l'étonnerait plus, pas même que la haie de pyracantha - plus connue sous le nom de "buisson ardent" -, qui est dans l'angle du jardin ne se transforme subitement en une langue de feu, que l'espèce de tumulus de pierre et de terre où poussent des plantes de rocaille ne devienne, par la vertu du Ciel, le Mont Sinaï lui-même et Dieu apparaîtrait au milieu des nuées d'orage et remettrait à Moïse, les Tables de la Loi, et la mémoire du Type se perd et se dilue lors de l'ascension de l'escalier qui conduit à l'antique Prieuré d'Ouche et la voix de L 'Abbé se fait si douce, si fluette, si éloignée que le Quidam n'entendra, ni les quarante ans que Moïse passera au désert, ni sa condamnation à périr avant l'entrée de son peuple à Canaan, après avoir désobéi à un ordre divin, ni sa mort sur le Mont Nébo, tout près de la Terre Promise.

 

 

 

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