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17 août 2013 6 17 /08 /août /2013 09:27

 

  

  Aujourd'hui, Jules vous offre une petite incursion dans l'onto-métaphysique sartrienne, soit tout simplement le pur bonheur "d'exister", de "sortir du néant" et de dresser dans l'espace anthropologique la concrétion du projet et de la liberté. Bien évidemment ceci ne se fait pas dans une manière de déambulation hédoniste et il faudra, provisoirement (?), renoncer à l'arche polychrome de la roue des plaisirs. Seulement se placer dans la situation périlleuse, inconfortable de ce "garçon sans importance collective", dans le Jardin Public de Bouville, parmi les errances des bourgeois et les inconséquences de tous ordres, les contingences, les discours mondains et se disposer, dans une manière de quête de soi, de l'homme, de l'être, à faire face à la sombre et noueuse et complexe racine de marronnier qui, en une habile thèse métaphorique, en dit long sur les chausse-trapes de l'aventure humaine.

  L'absurde est là, monstrueusement soudé à sa compacité, à sa sourde reptation parmi les humeurs de l'humus alors que le monde, étréci à la dimension de "peau de chagrin" (à prendre au pied de la lettre), engoncé dans les mailles d'une matérialité étroite vous conduit dans la confondante aporie. Car "vivre" serait supportable, respirer, boire, manger, aimer, à la manière d'un simple métabolisme, du déploiement d'une crosse de fougère qui, sa vie durant, ne s'occuperait que de photosynthèse et de jeter les spores de la généalogie sur le sol de mousse et de bruyère.

  Seulement "exister" prend une autre dimension et la silhouette humaine, de simplement mobile et distraite, devient pensée affairée d'elle-même, conscience de ce qu'il y a à formuler comme question de l'ordre de la responsabilité, de la relation à l'autre, du rapport à l'être. L'homme-existentiel succédant à l'homme-contingent; l'homme-levé à l'homme-statique. Ceci, cette ouverture des significations essentielles ne se fait nullement à l'économie, il y faut de la participation, de l'engagement, de l'immersion jusque dans les replis de glaise, là où se devinent les fondements, les lignes de force, les rhizomes multiples disant le monde en sa luxuriante complexité.

  C'est racine soi-même qu'il faut consentir à devenir, c'est de l'intérieur des choses, de l'intérieur du banc, de la terre, du corps propres que doivent affluer les réflexions, les longues méditations. Alors le temps change de nature. Il n'est plus cette abstraction traversant l'espace de sa superbe, cette pure évanescence pareille à la fuite de l'éther, il est "une petite mare noire" faisant ses remous putrides, ses confluences étriquées. Des mailles enserrant l'individu, le prenant au gosier, en même temps que la souche s'amarre au corps, avec toute sa pesanteur, son inévitable évidence. Alors la respiration est à la peine, alors les rameaux, les efflorescences, les lianes de l'existentialisme s'invaginent en vous, colonisent votre esprit, cadenassent votre âme, ressortent par la fenêtre étroite de votre fontanelle langagière. Car il n'y a plus que cela qui vous assure d'une "relative" liberté, le langage, l'écriture dont l'essence est seule à même de s'opposer aux touffeurs de la matière noire, boueuse, à la fange qui, partout surgil et vous donne La Nausée. Ce dégoût, lorsqu'il a été expérimenté, dès l'instant où il s'annonce comme coalescent à votre condition, qu'il s'enracine dans la cage de votre thorax, vous coupe le souffle, il faut lui trouver un exutoire, une issue. La philosophie sera l'une des voies par lesquelles faire résurgence au plein jour, faire avancer dans le monde sa tremblante effigie de carton, se libérer du huis-clos de l'angoisse. La racine vous regardaitdepuis sa confondante excroissance et vous aliénait. "L'enfer, c'est les autres" proclamait Sartre. Sans doute en est-il ainsi puisqu'aussi bien ils limitent, parfois entravent notre liberté. L'enfer c'est, aussi, d'une manière plus générale toute altérité - la racine est une chose de cette sorte -, laquelle introduit en vous le dard du doute. Tant que l'on se perçoit un, autarcique, seulement lié à son propre événement, toute vie s'écoule à la façon "d'un long fleuve tranquille". Mais la racine - l'altérité- est là afin de vous faire percevoir la différence en vous. La finitude n'est que cela, la mise en œuvre de cette différence, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

  Les branquignoles de la Place du Marché, sous leurs faux airs de bonhommie et d'épicurisme immédiat, peuvent faire leur cette phrase du philosophe : "Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire "exister". Leur Place en forme de conque amniotique, en forme d'île où se pose, d'une façon impérative la question de l'Autre, en raison du face à face qu'elle implique, tout ceci amènera ses protagonistes à se poser des questions dont, eux-mêmes, n'auraient jamais pu soupçonner l'insondable profondeur.

 

Une journée sur la Place : petite anthologie du quotidien.

  

  Somme toute, moi, Jules Labesse, humble porte-parole de la Confrérie, je vais essayer de vous décrire une journée ordinaire de notre association, et vous vous apercevrez bientôt qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat, que la banalité fait toujours dans le banal, et le routinier dans la routine et que notre petit groupe pourrait faire sa devise de la phrase de Céline que Sartre avait mise en exergue de"La Nausée", et qu'elle s'appliquerait à chacun de nous, sans exception aucune, qu'elle nous irait même comme un gant : "C'est un garçon sans importance collective, c'est tout juste un individu". C'est vrai, notre importance est plus que relative et SariasCalestrel, même Simonet qui vole au-dessus du lot, on est tout juste des "INDIVIDUS", et c'est pour ça d'ailleurs qu'on revendique un nom, c'est seulement pour exister un peu.

 

La Nausée.

  

Et après tout c'est bien ce que Sartre avait dans la tête quand il a écrit "La Nausée", et tous les types dont il parle, toutes les choses que ses protagonistes rencontrent sont saisis de vertige tellement la vie leur paraît revêtir la figure de l'absurde. Roquentin, l'intellectuel qui n'éprouve de goût pour rien; la bourgeoisie de Bouville se conformant à des rites étriqués et à de pures conventions sociales; les corps humains qui apparaissent comme de dérisoires outres vides agitées de pulsions élémentaires et contradictoires; le Musée de la Ville qui n'est qu'une prétentieuse caricature de la civilisation; la célèbre racine  de marronnier qui surgit, dans le Jardin Public, entre les pieds de Roquentin, comme la concrétion du Néant, laquelle ouvre en lui la dimension de l'incontournable angoisse existentielle. Sauf que Sartre, de toutes ces constatations en forme de finitude, en a fait un chef-d'œuvre et le livre emblématique du mouvement existentialiste. Alors, après tout, même si on est pas l'écrivain du Flore lui-même, on peut bien en tricoter quelques unes de nos histoires ordinaires, peut être même que quelques lecteurs s'y reconnaîtront et si ça leur donne juste envie de lire ou de relire "La Nausée", alors, pour nous, le "Club des 7", pour moi, surtout, Jules Labesse, ce sera une grande satisfaction et si certains hésitent à se jeter à l'eau avec Jean-Paul, alors je vous fais cadeau d'une des plus belles pages de la littérature et de la philosophie du XX° siècle, et après qu'on a lu de telles phrases, on commence juste à comprendre ce qu'exister veut dire.

 


 La Racine.

 

Et c'est comme si la racine qui semble défier Roquentin, elle vous grimpait dans tout le corps et qu'elle s'épanouissait en rameaux noirs et persistants dans votre tête et vous n'aurez alors de cesse de veiller à sa croissance contenue, de mesurer son inéluctable progression, et vous sentez en vous cette incroyable force sylvestre qui, à tout instant, menace de sortir de vous par une simple brisure de votre fontanelle imaginaire et, alors, vous serez à la fois enserrés de l'extérieur, contraints de l'intérieur et votre existence ne sera plus que ce qu'elle a toujours été, l'immense métaphore métabolique d'une seule et unique poussée, celle du dedans confrontée à celle du dehors, et vous aurez conscience que pour endiguer cette mystérieuse force, vous n'aurez que la fragile paroi de votre peau anatomique et mentale, qu'à tout moment les choses peuvent s'inverser, que le monde peut subitement s'immiscer dans votre enveloppe corporelle, que votre sang, votre lymphe, vos muscles, vos viscères peuvent jaillir en plein jour avec la puissance d'une marée d'équinoxe et le sentiment de l'exister sera celui de ce subtil et fragile équilibre, de cette tension qui ne reçoit le nom de "vie" qu'à la mesure de sa permanence et que, pour apaiser cet invisible mais constant tumulte, vous ne disposez que de votre langage, seule réelle médiation entre cet inconnu que vous pressentez et qui vous oppresse comme une noire racine surgie des profondeurs de l'inconscient et menace constamment l'horizon de votre compréhension et de vos projets.

 

 

Roquentin.

 

  Pour fuir la "Racine-Néant"Roquentin ne s'y prend pas autrement. L'écriture, la création s'imposent alors à lui comme les voies incontournables pour échapper, momentanément, à l'absurde, ce qui revient à dire que le langage lui échoit comme une des formes possibles de la LIBERTE, sinon l'unique.

  Mais, avant de vous livrer le passage promis, je vous rassure, les deux bancs du "Club" sont solidement fixés sur les dalles de pierre et nul d'entre nous n'a encore vu la moindre racine jouer les périscopes et nous menacer de son invasion tentaculaire.

 

 

 

   

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

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