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20 août 2013 2 20 /08 /août /2013 08:39

 

  Petit à petit, les choses se précisent, la Place devient ce microcosme, cette minuscule graine qui résonne en écho avec le Grand Univers, comme un reflet, et ce singulier prédicat attaché à la compréhension du Tout, confère à la modestie de la Place un lieu éminent, à savoir celui de l'instauration d'une Philosophie - certes concrète, certes modeste -, mais ouvrant de majestueux horizons. Sans doute y aura-t-il des dialectiques musclées mettant en opposition le matérialisme étroit d'un Garcin ou la concrétude confondante d'un Sarias par rapport à quelque hauteur de vue du Président Simonet ou bien l'inclination aphoristique de l'ancien spécialiste es sciences humains dont Martial Vergelin constitue l'incontournable figure de proue. Et, voyez-vous, sous des dehors anodins, sous l'apparente banalité, percent quantité de savoirs pleins comme des œufs, d'où l'intérêt de faire un bout de chemin avec Les Copains !

 

 

La Maison des Gendarmes.

 

 

   Ici, à Ouche, on dit pas "Gendarmerie", ça fait trop dans le sérieux, "Gendarmerie", ça fait trop dans le militaire, le guindé, la force publique, le maintien de l'ordre et on préfère "Maison" et comme ça, l'immeuble des gendarmes il se fond dans la masse et il fait comme s'il était simplement une boutique où on vend des procès-verbaux, des mains courantes, des plaintes, des sifflets à roulettes et même des voitures bleues avec une ampoule qui clignote sur le toit. D'ailleurs, les gendarmes on était avec eux à la Communale, alors ils ont qu'à bien se tenir parce que, avec toutes les conneries qu'ils ont faites, si on voulait cafter, ils feraient pas les flambards et, comme la réciproque est vraie, on vit tous en bonne intelligence sauf qu'eux, dans ce domaine, il sont "un peu bas de plafond" comme dit Garcin en plaisantant, lui qu'a jamais pu endosser l'uniforme et le képi qui va avec. Et même Simonet, il dit que c'est "l'infirmerie qui se fout de l'hosto" et on lui donne pas vraiment tort, parce que Garcin...oui, mais j'allais oublier, il existe entre nous un code d'honneur et on a pas le droit de débiner les copains, d'autant plus que nous, pour les Autres, on est aussi les "Autres" et, en plus, on est des copains, alors...

 

 La Mairie.

 

 

 Si vous êtes pas trop fatigué par l'observation, on va finir la visite. Derrière le Crédit d'Ouche, encadrée par la Rue de la gare, la Rue de l'Eyze et la Rue de l'école, il y a la Mairie, oh, bien modeste, bien "ouchienne", toute gentille, à la façon des dessins de Peynet avec ses amoureux qui s'aiment vraiment d'un vrai amour, c'est si rare de nos jours, et de le voir, notre naïf hôtel de ville (avec des minuscules, vous l'aurez remarqué), ça donne bien envie d'y entrer et même de l'embrasser, Yvettela Secrétaire qu'a des moustaches comme un phoque, mais ça l'empêche pas d'être brave et de taper sur sa Remington, et souvent on lui demande à Yvette la permission d'entrer dans la salle du Conseil Municipal, là où y a une Marianne en plâtre avec de la poussière qui date d'avant la guerre, et on lui suggère à l'Yvette de nous ouvrir son vieux registre d'état civil tout recouvert de toile noire et, dedans, y a plein d'actes de naissance, de mariages, de décès aussi et ce qui est bien, c'est de voir les noms tracés à l'encre violette avec des pleins et des déliés, on dirait des fois que les lettres elles ont mis leurs habits de soirée et qu'elles vont pas tarder à partir et puis, à Yvette, on lui demande aussi de nous montrer le cadastre en toile verte qui est posé sur une table d'écolier et quand elle a détaché la lie noire qui tient la couverture, quand elle a tourné les premières pages, on peut voir toute la Commune depuis le haut du ciel, comme si on était des pinsons ou des merles, et on s'amuse à reconnaître les fermes, les champs, les haies, le dessin paresseux de la Leyze et y a même le Cimetière avec plein de petites croix noires, et la Place du Marché et tout ce qu'il y a autour et il manque plus que notre bande de branquignols pour que le tableau soit complet. Et alors, quand la nostalgie nous prend avec les copains, on reste un long moment à regarder notre petit univers et Yvette parfois elle s'impatiente parce qu'elle voudrait bien refermer le cadastre vert, mais on est tellement agglutinés qu'elle ose pas trop nous bousculer.

 

 Simonet et le microcosme.

 

 

  Et Simonet qu'a des lettres, nous dit parfois, Ouche c'est une sorte de microcosme, de monde en modèle réduit qui reflète le Grand Univers, le macrocosme. Y a tout, dans Ouche, y a la Place du Marché, et la Place du Marché c'est à nouveau un microcosme qui refléterait le macrocosme du village, de la commune. La Place, c'est le cœur et la tête et tout ce qui est vital; la Place, c'est un petit monde clos et y a pas besoin de beaucoup voyager, c'est comme autrefois dans les bastides du Moyen Âge enceintes de hauts murs de briques, le soir on fermait les portes et les villageois pouvaient dormir tranquilles sur leurs paillasses, et pour dire comment c'était, y a pas mieux que l'image de l'œuf.

 

 Martial Vergelin.

 

  Les moyenâgeux ils étaient, au moins pendant la nuit, comme enveloppés d'une coquille protectrice et c'est pas Martial Vergelin qui arrive entre les platanes, avec l'Huma à la main, qui va me contredire, ça je vous assure, Martial il sera d'accord avec moi. Alors, là, je vous sens interrogatif, et c'est bien normal après tout et vous vous demandez ce que ce Vergelin vient foutre au milieu du groupe. "On était bien peinards", vous vous dites, "et voilà que se pointe un empêcheur de tourner en rond, un genre de cheveu sur la soupe, de courant d'air au milieu d'une assemblée de brodeuses occupées à décoconner des kilomètres de fil à soie".

 

 Les phoques de la Baltique.

 

 

  Oui, vous avez pas tort, c'est toujours difficile pour un groupe de faire un peu de place aux nouveaux arrivants et, d'ailleurs, c'est comme chez les phoques de la Baltique quand ils se bronzent au soleil sur une dalle de granit rose souple et moelleuse comme la cambrure des reins, eh bien, la première chose qu'ils font quand leurs congénères leur demandent gentiment une petite place sur le caillou tout chaud et accueillant, c'est de leur filer des grands coups de queue ou de museau pour les remettre à la flotte qu'est à peine plus chaude qu'un glaçon en hiver et les pauvres malheureux continuent à grelotter et les bienheureux continuent à bronzer. C'est une des lois de la nature et il faut faire avec, sauf qu'avecVergelin, vous avez aucune raison de pas pousser vos fesses pour lui faire une petite assise confortable. Du reste, pour Martial, c'est juste l'intention qui compte, je veux dire le signal que donnent vos fessiers en se déplaçant sur le banc peint en vert, parce que, d'un geste d'entente, il vous fait comprendre qu'il est seulement de passage, comme les oiseaux migrateurs, et qu'il pourra rester debout pour vous dire deux ou trois mots ou juste quelques phrases, parce que, Martial il fait dans l'elliptique et l'essentiel, et c'est sans doute la Philosophie et les Sciences Humaines qu'il a cultivées tout au long de son existence qui lui donnent cette espèce de sombre majesté qui ressort au travers des citations et aphorismes qu'il prodigue à l'envi.

 

 

 

  

 

 

 

 

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