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24 février 2015 2 24 /02 /février /2015 09:38

Les yeux : gardiens du temple

 

regard2 

              Sur une page et un poème de Marie P Zimmer – Facebook.

 ***

"Sur ce bitume,

Sur cette route noircie de tes pas,

Glisse un talon, se tord une cheville,

Celle qui te quitte cette nuit s’est trahie.

 Sur ces pavés,

J’hurlerai la colère des meurtris,

Les regards d’errances des chiens perdus.

Décharnée, Délarmée,

Je complice mon fantôme en plein ciel."

 Marie P Zimmer – 5 Mai

***

  Les yeux sont toujours un mystère pour qui les regarde. Mais trop les regarder revient à s’y perdre sans possibilité aucune de retour à soi. Quelle est donc la nature de ces planètes qui semblent issues d’un autre monde ? Comme si, soudain, alors que nous prenons conscience d’elles nous ne parvenions plus à les discerner, à proférer quoi que ce soit à leur sujet. L’indicible est alors là qui nous fait face avec sa charge confondante, sa pesanteur et puis ce serait le néant. Rien d’autre.

  La sclérotique blanche à la consistance de porcelaine nous renvoie simplement notre reflet de chercheur d’impossible. L’iris mordoré, nous nous y perdons comme au centre du tournoiement infini des étoiles. La pupille quant à elle, sa dureté de jais et d’obsidienne, son puits d’ombre, jamais nous ne pouvons l’approcher sauf à nous immoler en elle. C’est de l’ordre des amulettes sacrées, des objets sacrificiels, des offrandes rituelles. C’est de l’ordre de l’énigme. Il y a un tel vertige à s’en saisir que nous préférons demeurer dans le cloître étroit de nos propres yeux, pensant trouver dans notre secret la dimension qui nous sauvera d’une brûlure dont nous avons failli être atteints. Car les yeux sont des flammes, des étendards qui claquent dans le vent, des tourbillons de phosphènes aveuglants. L’Autre, jamais nous ne pourrons le regarder dans les yeux, jamais nous ne pourrons nous inclure dans son regard, nous immiscer dans ce qui est tout au bord de la conscience. A la rigueur nous pouvons en faire le tour, en esquisser l’espace, l’effleurer du bout des doigts afin qu’il signale sa présence, devienne visible, s’incarne en quelque sorte.

  Mais jamais nous ne pourrons mieux percevoir la nature des yeux, leur essence, qu’à procéder par analogie. C’est aux mains qu’il faut les opposer de façon à ce que, de leur mutuelle dialectique, puisse surgir un sens qui, jusque là, était passé inaperçu. Mais c’est aussi par la métaphore du Temple que, progressivement les choses s’éclaireront.

L’Autre, ce fameux continent que, parfois, souvent, nous considérons hors de portée, au moins pouvons-nous lui destiner quelque gestualité, au moins pouvons-nous l’approcher dans une manière de corps à corps, de « mano a mano ». Le toucher pour le rendre réel, le porter dans la proximité. Par le geste, nous élaborons une parole matérielle, tangible, par le geste nous sculptons l’Autre de l’extérieur, comme si nous l’élevions dans de la glaise et le soumettions à une manière de volonté irréductible. Les mains façonnent, rendent visible ce qui, encore, gît dans l’ombre mais commence à prendre forme. Certes, nous demeurons ainsi au seuil du Temple, nous en dévisageons les colonnes, le péristyle, le fronton. Le Temple nous donne à voir ce qui s’oriente vers l’espace profane, s’ouvre sur la mondanéité, le phénomène, le percept à l’état pur. S’inscrivant dans le factuel directement observable, le geste rend palpable, offre visibilité et immédiateté. Mais, jamais, il ne remonte aux fondements, à l’origine. Les mains sont trop reliées à leur massif de chair pour qu’elles puissent oublier ce lourd tribut au roc biologique. Les mains, en quelque sorte, sont aliénées par leur nature même. Elles sont semblables aux colonnes de pierre, gangues jamais éloignées de la concrétion dont elles sont le naturel prolongement, genre de signes avant-coureurs de ce qui pourrait advenir si elles pouvaient s’absenter de leur propre pesanteur.

  Mais, déjà, nous sentons combien il en est tout autrement avec le « geste » de la vision, par lequel l’Autre apparaît en même temps qu’il se soustrait à nous. Car, il faut le redire, les yeux sont des braises vives, des matières ignées, de pures effusions que, jamais, nous ne pouvons tenir devant nous, les regardant à loisir. L’épiphanie humaine est tellement rare, tellement proche d’une transcendance (il faut entendre : sortie du néant, puis existence dans un libre projet), qu’aucune esquisse durable ne peut en être dressée dans l’empan d’un regard. Car ce qui se dresse et dont nous prenons acte aussitôt, c’est la  pure événementialité, le surgissement dans l’enceinte de la conscience, le rapport à ce qui, indicible, invisible ne saurait prendre forme et étendue. Ce que nous livre la vision, c’est la sculpture quintessenciée, celle qui n’a nullement besoin d’une traduction physique pour assurer sa présence, qui fait l’économie du geste aussi bien que de l’énonciation verbale. C’est bien là le sort d’une essence que de se dépouiller de tout ce qui pourrait l’amener à apparaître selon telle ou telle esquisse. Si, avec le geste, la main, nous dressions les premières marches du Temple, avec la médiation visuelle nous sommes d’emblée convoqués près de l’image de pierre sacrée qui appelle les dieux.

    L’aire située en avant du regard, qui nous est directement accessible, que nous pouvons toucher et éprouver à loisir est celle dédiée aux fora, aux explications de toutes sortes, aux agoras où s’agite la grande diaspora humaine. L’aire de visibilité intérieure, elle, s’empare de l’intime, du sacré, afin de porter témoignage de ce qui s’inscrit dans les linéaments de toute conscience.

  Du geste à la vision, il y a le même décalage, la même amplitude qu’entre l’existentiel et l’ontologique. D’un côté le geste profane qui perdure dans l’acte, l’apparitionnel ; de l’autre le sentiment du sacré, de l’indicible de ce que veut dire être-au-monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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