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9 mai 2015 6 09 /05 /mai /2015 07:58

 

Presqu'île ontologique.

 

PRESQ

                   Sur une page Facebook de

                     Dany Janton Benoist.

 

  Que connaît-on du réel, sinon deux ou trois collines; du symbolique, hors quelque langage extrait de l'immense Tour de Babel; de l'imaginaire en dehors de l'île d'Utopie dont nous oublions jusqu'à l'hypothétique existence dès l'instant où le rêve nous a repris dans ses mailles compactes ? Car c'est bien là une vérité d'expérience, toute chose ne nous apparaît qu'à l'aune du fragment, de la division, de la perte toujours déjà amorcée à l'aube de la moindre de nos perceptions, au crépuscule de nos sensations épidermiques et même des projections de l'intellect le plus exigeant qui se puisse imaginer. Nous fonctionnons, et ceci n'est nullement sujet à être remis en question, au rythme effréné et irréversible d'une entropie, laquelle nous dépossède à mesure qu'elle nous octroie quelque chose de son mystérieux et inaccessible domaine.

  HommesFemmes, nous devons prendre acte de cette corruption qui affecte toute chose dès son surgissement sur la scène mondaine. Le constat pourrait être terrifiant de cette prise de conscience, laquelle nous assigne, métamorphose après métamorphose au dernier lieu de notre affectation sur Terre. Cependant, lutter contre cette inévitable perte, cette inéluctable disparition de ce qui croît et se développe, lutter donc est toujours à notre portée. Pour cela il suffit de mettre en relation, d'opérer des osmoses signifiantes, de faire cheminer de concert le fragment de colline à l'horizon, le vol rapide de la huppe, la bouche de l'Amante, l'abstraction du tableau à la cimaise du musée.

  Bien évidemment, le monde, jamais nous ne l'apercevons en totalité. Seulement des esquisses fugitives, des saisies immédiates se fondant dans d'autres saisies tout aussi immédiates, des fuites, des perspectives s'emboîtant en abyme, en abyme, en abyme. Un perpétuel dévalement dont la succession rapide inscrit sur nos fronts soucieux les rides de l'évanescence, la rigueur de la temporalité, le caractère sournois de tout ce qui guette dans l'ombre et se tapit afin de mieux nous surprendre.

  De ce constat qui n'est autre que banalement existentiel, nous devons tirer une leçon et nous essayer à faire de l'entr'aperçu, de l'insaisissable, du toujours absent, une clé de compréhension à même de nous porter au-devant de notre propre effigie. Regardons : mais que connaîtrons-nous donc de cette belle jeune femme si nous en restons à un genre de constat limité à la vision première. Certes nous aurons embrassé un territoire, sans doute mystérieux, sans doute questionnant, et nous aurons poursuivi notre chemin avant même d'en avoir saisi les berges luxuriantes, les lignes de fuite, les capacités d'enchantement. Car, d'ordinaire, distraits par nature, nous abandonnons les choses dès qu'abordées, possiblement moins en raison d'une incurie foncière que d'un éparpillement des sens face à ce qui se montre toujours dans un genre de profusion.

Il y a tellement  à voirsentirtouchergoûterentendre. Nous y "perdons notre latin". Nous préférons renoncer.

  Et pourtant, cette mystérieuse résille quadrillant le visage, la courbure sombre du sourcil, le trait de khôl qui voile le regard, la pupille dissimulée au fond de son puits, la narine comme un orifice ouvert au secret, la douce éminence grise de la joue, l'écrin des cheveux pareil au délicat réseau de fils de la Vierge, l'arc de la lèvre relevé comme pour une révélation, le glacis à peine perceptible des dents, tout ceci nous en dit bien plus que nous ne pouvons le soupçonner.

  Tout ceci nous parle d'une aventure en voie de constitution, de projets portés au-devant de soi, de douces réminiscences, de poésie, d'esthétique, de géographie car tout corps est non seulement une anatomie dont on pourrait nommer chaque territoire, tracer les contours, établir une savante topologie. Cette figure féminine nous interroge sur ce qu'elle est, sur ce que nous sommes, nous, ici et maintenant, sur l'humain répandu sur la face de la Terre avec ses zones d'ombre et de lumière. Cette figure féminine est langage, fiction, ébauche romanesque, scène de théâtre. Nous en sommes les spectateurs privilégiés l'espace d'un regard et nous l'aurons déjà oubliée lorsque l'occupation ordinaire nous reprendra dans les rets de  la nécessité. Cependant, insérée dans la multitude des fragments du réel, bientôt de l'imaginaire, peut-être du symbolique, elle continuera à faire sa musique en sourdine, à bas bruit, sous la ligne de flottaison de la conscience. Elle sera une presqu'île ontologique dont notre propre géographie ne pourra faire l'économie; un iceberg flottant dans la grande dérive du monde alors que nous-mêmes, nous croyant pourvus d'autonomie, penserons l'avoir archivée au fond de quelque crypte hors du temps, de l'espace.

  Mais jamais les fragments ne cinglent vers l'horizon à la mesure de leur étroite solitude. Existants, nous sommes tous liés par un sort commun, un destin unique, un même périple à accomplir. Cette prise en compte des nécessaires confluences, des aimantations, des forces centrifuges nous conduit, tout naturellement, à rassembler dans un même creuset tout ce qui métamorphose les hasards multiples en un unique destin. A nous-mêmes nous sommes une éternelle énigme. Puissions-nous nous ouvrir, dans une manière d'étourdissement, à ce que l'Autre nous dit de ce qu'il est à seulement nous faire face dans son étrangeté. Le sentiment de l'étrange n'est jamais que cette sourde nécessité avec laquelle nous regardons le monde alors qu'en permanence nous sommes regardés par lui. Le reconnaître est sortir de cet autisme par lequel nous croyons exister, lequel, cependant nous parle en mode humain. Notre seule façon de nous y entendre afin de commencer à exister ! 

 

 

 

 

                

 

 

   

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