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1 mai 2015 5 01 /05 /mai /2015 08:01
« J’échappe comme un animal en cage ».

"J’échappe comme un animal en cage"

Encre et tempera 120x85

Nuit du 27 Avril 2015

JM-Musial

***

"J’échappe comme un animal en cage"

  Partout sont les signes de la peur, partout sont les fosses vipérines et les goules hantent les cimetières de leurs dents-yatagan. Et la nuit fait ses gerbes d’étoiles qui moissonnent les têtes. Mais réveillez-vous donc, homme de peu d’inquiétude, mais ouvrez donc l’orifice de votre cochlée et enfoncez dans le limaçon labyrinthique le cri de l’hyène à l’échine basse, le hurlement du loup aux canines d’acier, la déchirure de la terre sous la poussée tellurique. Mais dilatez vos yeux jusqu’à la mydriase afin que la vérité blanche, éblouissante, inonde votre cortex, que le chiasma de vos yeux éclate sous les coups de silex du jour. Car le jour est là auquel vous n’échapperez pas. Vous vous étiez dissimulé dans la gangue épaisse, dans la nuit bitumeuse pensant vous exonérer de vivre mais le réel vous a rattrapé et ses dents de vampire vous broieront jusqu’à vous réduire au silence. A l’incongruité du ver se comparant à l’étoile.

"J’échappe comme un animal en cage"

  Oui, vous l’entendez la petite antienne, "J’échappe comme un animal en cage", qui fait ses vrilles coruscantes un pouce au-dessus de votre fontanelle, cette fente jamais refermée, cet abîme vacant qui vous rappelle dans l’en-deçà du temps, vous invite à la rétrocession afin de vous faire passer par la trappe du Néant, ce Néant qui vous conduisit sur les fonts baptismaux de l’exister mais possède le pouvoir de vous confronter à nouveau à votre propre nullité. Originelle. Sans doute définitive. Vous êtes en sursis, cela vous le savez mais feignez de vivre dans l’insouciance et abusez du peyotl afin qu’il vous libère des mâchoires mécaniques du monde. Mais vous n’échappez à rien, surtout pas à vous-même. Vous êtes si inconséquent, si imbu de votre propre forme humaine que vous ne percevez même plus, dans le menhir de votre corps, la densité de la pierre, dans la complexité de votre anatomie, la sauvagerie de l’animal. Et la chansonnette que vous croyez être une pure profération venue de nulle part, eh bien c’est vous et vous seul qui en êtes l’émetteur. Et comment pourrait-il en être autrement ? Vous êtes SEUL sur Terre et les autres vous les avez hallucinés, pensant qu’ils vous tireraient d’embarras, que votre déréliction serait un simple colifichet, que votre état mortel ne figurerait plus qu’à titre de plaisanterie.

"J’échappe comme un animal en cage"

  Mais regardez donc cette feuille sur laquelle vous vous débattez avec la plus pitoyable des pantomimes qui soit. Mais, voyez-vous, vous n’êtes même pas arrivé à un état de complétude dont vous auriez pu tirer, sinon quelque vanité, du moins la fierté d’être au monde et d’y faire quelques minuscules entrechats avant que de vous absenter du praticable qui vous y accueillit l’espace d’un balbutiement. Ô combien votre perception de vous-même doit être souffrance abrupte ! Tragédie ne trouvant jamais sa propre résolution. Votre épiphanie, celle qui est censée vous porter au-devant de vous afin de témoigner de votre présence, voici qu’elle se voile avant même que de s’être montrée sous une forme compréhensible. On vous eût souhaité un visage rayonnant, ordonnateur de plénitude. Celui-ci est absence et invisibilité. Vous êtes, au sens premier de l’expression, un être « dé-figuré », soit celui privé de toute apparition dans l’ordre des choses. Et votre singulière partition, un membre par-ci, un autre par-là, pareil à un territoire éclaté dans une vision archipélagique, identique à un peuple éparpillé sous la poussée d’une étrange diaspora. La schize, la division, sont les seules formes par lesquelles vous donnez le change et demeurez en dette de vous-même.

  « J’échappe », mais à quoi donc échappez-vous, vous qui êtes englué dans le réseau dense de la feuille sans pouvoir prétendre en sortir à l’aune de quelque possible humain ? « Comme un animal », oui, ce serait là une des seules assertions recevables, cependant l’animal, fût-il élémentaire possède un corps constitué, un terrier où habiter, une proie à saisir à partir du bond qu’il possède toujours comme sa propre nature. « En cage », oui, il était nécessaire d’arriver au terme de votre proposition afin que quelque chose émergeât à la manière d’une connaissance objective de votre monde étrange. Certes vous êtes un « encagé » et ceci détermine votre essence humaine. La Moïra, le cruel Destin, ceci qui vous porte au monde vous a fait basculer cul par-dessus tête dans les fosses carolines de l’impossibilité d’être autrement qu’à l’aune d’une aliénation. Et pourtant nous vous aimons tel que vous êtes, fragile, en partage, nul et non avenu. Vous êtes si beau dans cette recherche de vous qui vous accomplit et vous enjoint de paraître fût-ce au prix d’une étrange finitude. Est-ce cela, la finitude, être en-arrière de soi avant même le premier bond, être hors-de-soi après que le dernier aura sonné le glas ?

  Mais assez joué, maintenant. Assez déliré sur votre état si miséreux qu’on le croirait une simple pantomime jouée devant les enfants médusés que nous sommes. Ce qu’il faut dire, c’est ceci : l’art n’est que la mise en musique de la tragédie humaine - la vôtre, la mienne -, et la question qu’elle pose afin de nous amener à notre propre présence. S’il s’agissait du contraire, à savoir l’élévation et le maintien d’un esthétique heureuse faisant l’économie des fondements essentiels de l’humain, alors n’auraient eu lieu d’être ni « Les tournesols » de Van Gogh, ni « L’énigme d’un jour » de De Chirico, pas plus que « Femme nue couchée et tête » que Picasso retoucha encore la veille de sa mort, œuvre dans laquelle se lit, avec une nette évidence, la clôture d’une vie en même temps que le drame humain qui l’alimente en son essence. Aucun artiste ne saurait s’exonérer de cette dimension métaphysique qui, toujours, traverse l’œuvre mais n’est apparente qu’à ceux qui en cherchent la trace. Sans doute pour bien percevoir cette climatique spéciale de l’art traversé de métaphysique de part en part, faut-il se reporter à la vision de Nietzsche le concernant. L’œuvre, si elle est réalisée dans l’authenticité, loin d’être divertissement ou activité empreinte d’hédonisme est la forme idéale par laquelle l’homme s’approprie son destin en le questionnant jusqu’en ses fondements ultimes. Plus qu’une froide analyse conceptuelle, l’art est ce qui nous met en présence de nos propres angoisses, de notre incomplétude foncière, de la finitude qui en est l’accomplissement.

  "J’échappe comme un animal en cage" en est la subtile antienne, laquelle dit en éclaboussures d’encre, en ébauches corporelles identiques à de rapides lavis, en une géologie primitive traversée de failles diverses et d’illisibilités récurrentes, la difficulté d’être, sinon l’impossibilité. Il nous faut nous contenter d’exister ou peut-être même simplement de vivre « comme un animal en cage » ! Et nous crions d’effroi, tout comme le personnage en forme de Néant d’Edward Munch, qui n’est jamais que notre alter ego, celui par qui nous apparaissons au monde, attendant de tirer notre révérence. Chapeau, l’Artiste !

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Published by Blanc Seing - dans Mydriase

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