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27 avril 2015 1 27 /04 /avril /2015 09:05
« Toi ».

Œuvre : Eric Migom.

« Toi ».

Quelle émotion de seulement prononcer cette syllabe, ce jet en direction de l’autre, cet unique son détourant un être et le portant au-devant de lui dans l’unique qu’il est. « Toi », comme on dirait le poème du jour rassemblé en un seul mot. « Toi », comme on énoncerait le monde, son étrange sphéricité, sa perfection et l’impossibilité qu’il y a à le connaître autrement qu’à l’aune d’un simple effleurement. « Toi » dans la fuite éternelle. « Toi » que je ne pouvais saisir que dans la géométrie étroite de ce son. Irrémédiable. Inaccessible. Un simple gonflement de l’air dans la parenthèse rubescente des lèvres, puis plus rien qu’un souffle exténué d’avoir trop espéré. Rien ne dure jamais qu’à se mesurer à la dureté du réel, à sa confondante mutité.

« Toi ».

Et, pourtant, combien de fois avais-je roulé ton nom au creux de ma langue, « Toi », précisément - une étrange lubie de tes parents à ta naissance, sans doute -, « Toi », cette nomination qui n’en était pas une mais excédait cependant toutes les autres. Quel étonnement, parfois, quels jeux puérils il y avait lorsque, au milieu de la foule, criant ton nom, nous attendions de voir l’indécision des gens, leur interrogation quant à savoir si c’était eux qu’on avait apostrophés. Curieux phénomène, tout de même, que celui de se considérer le centre du monde et d’y demeurer toute une existence. « Toi » à peine prononcé parmi la foule d’une fête et c’étaient dix têtes qui pivotaient à la recherche de celui, celle dont, sans doute, ils se croyaient les élus. Alors, combien ton rire enfantin, carillonnant à la manière des grelots des attelages de Bavière, parcourait d’un frisson les nuques saisies d’une soudaine mutité. « Toi », comment mieux te décrire qu’en évoquant ton nom : spontanéité, joie simple d’exister, pareille à ce son parfait, à ses harmoniques cuivrés qui, longtemps, essaimaient à l’entour la farandole simple du bonheur.

« Toi ».

Et pourtant ce bonheur frais comme l’eau de la fontaine eut une fin. La petite comptine s’épuisa à proférer ce son unique qui vibrait dans l’air puis, un jour, retomba comme la goutte de pluie qu’une cendre ensevelit. Me levant à l’aube, mettant mes mains en porte-voix, lançant contre la face des rochers, un « Toi » aussi glorieux que possible, l’écho ne me renvoya jamais qu’une chute assourdie et ton nom éclaté en fragments, à peine un murmure qui disait ton départ à jamais. Vraiment, rien ne dure. Peut-être est-ce mieux ainsi. A trop vouloir prolonger les choses elles finissent toujours par s’exténuer de leur propre vacuité, de l’éternel retour du même qui nous pousse vers l’avant alors que nous nous exonérons de ce que nous avons été et ne sommes déjà plus.

« Toi ».

Ce qui me reste de « Toi », hormis cet appel qui résonne dans ma mémoire à la façon d’un sanglot, c’est cette peinture qu’un ami a réalisée de « Toi », précisément et qui éclate sur le mur de ma chambre, identique à l’écarlate de la muleta sur laquelle on aurait déposé un fin céladon teinté d’ivoire. Oui, combien cette posture de dos entretient ton mystère. Tu es bien « Toi », seulement « Toi » et nul ne saurait prétendre te dérober ce nom aussi énigmatique qu’elliptique. Parfois, regardant la toile, ton casque de cheveux noirs, le golfe de ton épaule, la ligne flexueuse de ta hanche, le cercle parfait de tes fesses, l’écoulement de ta jambe à la manière d’une eau de source, je murmure de tout petits « toi », de minuscules « toi », d’infinitésimaux « toi » et je te sens, là, tout près de moi, si discrète, si fragile qu’une larme à peine plus grosse que « toi » vient rouler sur ma joue et se dissipe aussitôt dans le bleu des souvenirs. « Toi » qui visites mes rêves avec la persistance d’une douleur, baisse un peu la lampe et viens mourir au creux de mon ombilic. Il y a toujours une place pour « Toi ». Uniquement pour « Toi ».

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Published by Blanc Seing - dans Microcosmos

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