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15 avril 2016 5 15 /04 /avril /2016 07:48
D’Elle qui ouvrait un Monde.

« Variation autour de
Miranda
».
Œuvre : André Maynet.

 

Qǐyuán, que parfois l’on désignait de son idéogramme chinois 起源, était une fille si proche d’une possible origine qu’elle se confondait aussi bien avec le bruit du vent, la fuite d’herbe de la steppe mongole, la couleur de l’ennui lorsque le temps de novembre se dissout dans un imperceptible brouillard. Elle était si inapparente que nul ne savait si elle existait vraiment et, à dire vrai, nul ne s’en souciait si ce n’est les poètes, les saltimbanques et les jongleurs de bulles. C’est ainsi, dans notre siècle attentif aux formes du négoce et aux facettes qui brillent, cette pure apparition semblait marcher, tel un huîtrier-pie, sur la glace de quelque lagune sans même que son image en offusquât le délicat épiderme. Ceci n’empêchait pas les hommes de vivre leur vie et les femmes de mener leur existence avec l’insouciance qui sied à ceux, celles dont l’équanimité d’âme est leur prédicat le plus visible. Car l’on peut être disposés à la vertu, incliner à la connaissance, combler l’outre de son savoir des délicatesses de l’art sans pour autant faire porter son attention sur tout ce qui se manifeste dans l’inapparent et l’éphémère. Souvent l’on côtoie la fourmi porteuse de brindilles, la luciole dans le foin d’été alors même que l’on ne s’accorde à contempler que le théâtre mondain sur lequel l’on perçoit multitude colorée, souples entrechats, figures chorégraphiques pour la simple raison que leur spectacle est une constante fascination, un gouffre auquel remettre le luxe de sa vision.

Qǐyuán , y compris pour un observateur inquiet, - autrement dit un de ces métaphysiciens à l’étrange silhouette - était aussi mystérieuse et inaccessible que peut l’être pour nous, occidentaux rationalistes baignés du principe des Lumières, ces genres d’hiéroglyphes chinois 起源 que l’on considère à la manière d’une simple image, oubliant en ceci la pluralité du sens qui y est contenue, en même temps que les symboles qui y vivent leur vie latente mais non moins riche de légendes et d’histoires entrelacées avec la singularité d’une civilisation ancienne. Cependant, ne pas connaître les parures incas qui sont « la sueur des Dieux», ignorer les masques funéraires mayas en mosaïque de jade ne porte pas à conséquence et l’horizon s’ouvre aussi bien aux curieux de choses rares qu’à ceux qui passent leur temps à longer les coursives des villes, à en saisir les vitrines gorgées, parfois, d’inatteignables biens.

Ce que faisait Qǐyuán, la plupart du temps, c’était de longer les lisières des villes, mais bien en retrait, de préférence dans les marges comprises entre les quartiers commerciaux et les zones portuaires, dans cette manière de no man’s land que ne visitaient guère que de rares oiseaux de passage, parfois des chiens en maraude, le plus souvent des lucanes cerfs-volants à la carapace luisante, corne au vent, à la recherche d’une improbable compagne. Autrement dit, les lieux de 起源 étaient, toujours, des sortes d’endroits mythiques, des couloirs de remise de peine, des zones improbables où rien ne poussait qu’un vent acide, ne croissaient que les étoiles des chardons, les grappes mauves des buddleias et les fines corolles des renouées. Souvent, au loin, l’architecture décharnée d’une friche industrielle, des croisements de poutres de métal sur la toile grise du ciel. Voilà, rien d’autre que cette désolation. Rien d’autre que cette perdition qui n’avait d’égale que l’entêtement des rameaux de lierre à coloniser leur hôte.

Sans doute s’étonnera-t-on qu’une Fille si gracieuse, au corps si fluet - la candeur d’un cristal -, s’ingéniât à fréquenter d’aussi austères contrées. Mais c’était mal la connaître, elle l’obstinée qui voulait faire de la laideur une beauté, métamorphoser l’indigent et le triste, en faire des tremplins pour la joie. Voici ce qui se passait : >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

C’est un matin de claire lumière parmi les brumes venues de la mer. La ville est loin qui s’éveille à peine. Il n’y a pas un bruit, pas la moindre rumeur qui indiqueraient la présence humaine ou bien la persistance discrète, au milieu d’une touffe d’herbe, d’un insecte à la tunique dorée. Tout est si illisible dans le jour qui vient. Tout incline au repos, comme si le monde, après sa traversée nocturne, s’apprêtait à renaître. C’est comme d’être seule au monde et d’en savoir le baume éternel. Plus rien qui assombrit. Plus rien qui contraint. Autour de soi l’univers est une immense conque blanche, un vaste calice pareil au reposoir d’un lotus. Tout est caresse. Tout est vacant, plié dans l’orbe d’un secret. Tant est si bien que, d’un moment à l’autre, peut surgir l’inattendu, le disponible, le toujours en voie d’éclosion. Mais on sent bien qu’il n’y a aucune menace, aucun danger, que la plénitude est à portée de main, à toucher de corps, là au creux de l’intime, genre de graine en attente de lever. Cela va arriver. Cela va venir. C’est un grésillement, un fourmillement et les doigts s’irisent de mille étoiles et la peau s’éclaire de l’intérieur sous la poussée d’un étrange photophore. Cela gonfle, cela se distend, cela fait lever la grand voile du corps, cela arque le bassin, cela décuple les hanches, cela chante depuis l’intérieur de la chair à la manière d’un désir venu de loin, outre emplie de miel, jarre profuse où bouillonne la lave incandescente de l’impatience. On veut savoir. On veut emplir la fente de ses oreilles du trille du clavecin. On veut ourler ses lèvres de l’ambroisie du poème. On veut faire de son épiderme la pellicule sur laquelle ricochera le tumulte du langage, où s’imprimeront les merveilleux phosphènes des dialectes, des sabirs, des mots précieux comme des gemmes. Car c’est raffiné le langage, ça fait son bruit de source, ses ricochets d’amour, ses incantations pareilles aux prières bleues dans l’aube du désert. Ça irradie jusqu’au centre de la vasque humaine, cela élève ses milliers de stalagmites, cela suspend, tels des glaives d’acier, les stalactites claires dans le silence de la grotte. Cela fait ses théories de bandelettes, ses mailles si souples qu’entre nous et lui, le langage, il n’y a pas la place pour l’épaisseur de la feuille. Puisque nous sommes langage. C’est cela, cette fusion intense qu’éprouve 起源 dans l’essence même de son être. Elle n’est plus à elle ni au monde. Elle est un simple lieu de passage de l’un à l’autre. Une infime vibration. Assise sur le sol, ce sol si blanc qu’on le croirait de neige, entièrement dévêtue, jambes sagement repliées dans l’attitude de quelqu’un qui contemple ou médite, l’ovale de son visage pareil à un masque de carnaval, anonyme, impénétrable. C’est fait de cela, une origine, la libre disposition à être dans le neutre, l’à peine esquissé, le soustrait à l’emprise du prédicat. Cela se retient, cela suspend son souffle, cela replie sa langue dans la cellule de la bouche afin que ce qui, bientôt, va surgir, le fasse dans la pureté même, la réserve, le recueil nécessaire à tout ce qui s’ouvre en monde et porte avec lui l’ensemble des significations. Alors, sur le miroir qu’accueille le sol, les bras largement dépliés comme pour une offrande, Qǐyuán fait se lever la beauté qu’elle portait en elle qui, depuis toujours, devait apparaître. Or la beauté c’est ceci : du rien, du silence, de l’illisible, voici que se lève le langage, voici que les mots se tissent sous la forme d’un livre, que des pages s’animent et tournent comme sous l’effet d’une brise légère venue d’on ne sait où, peut-être d’un esprit, peut-être d’une âme, voici que naît une fable, que se révèle une légende. Les pages s’ourlent, se meuvent sous l’effet d’un irrépressible flux. Voici qu’apparaissent des mats, des voiles qui cinglent vers le large, voici que nous embarquons à bord, voici que l’imaginaire déplie ses ailes, l’invention ses galeries aux mille facettes, l’évasion ses myriades d’images colorées.

Plus rien ne nous arrêtera sur l’eau au grand cours. Plus rien ne nous retiendra vers cet unique voyage que, toujours, nous faisons vers nous alors que nous pensions naviguer dans des eaux hauturières, découvrir de nouveaux pays. Nous supposions toujours être des Amerigo Vespucci, des Christophe Colomb, des Vasco de Gama. Mais nous ne cinglions jamais qu’en direction de notre propre territoire, de notre continent intime. C’est cela qu’en termes aussi élégants que discrets nous dit André Maynet, nous offrant cette belle œuvre allégorique car Qǐyuán est cette énigmatique figure dont la mission est de nous porter au-devant d’elle de façon à mieux cerner l’être que nous sommes. Notre effigie est à proprement parler ce visible que nous percevons comme notre réalité la plus palpable pour aller vers l’invisible qui nous accomplit et nous remet à nous afin que nous prenions acte de notre totalité. De notre liberté. Nous sommes toujours en chemin de ceci qui nous parle vers ceci qui demeure muet. Tout comme Qǐyuán illustrant cette métaphore, qui la fait transiter de son nom préhensible à cet autre non-préhensible qui nous fascine parce qu’il est pur mystère : 起源.Il n’y a rien d’autre à dire. Seulement regarder comme le Soleil regarde la Terre.

 
 
 
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