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21 septembre 2020 1 21 /09 /septembre /2020 10:10
Chercheur d’or.

« L’or des sables »

Photographie : Sophie Rousseau

En incipit de cet article un résumé du magnifique « Chercheur d’or » de Le Clézio. Rarement un auteur a su écrire avec autant de bonheur l’itinéraire d’une quête. Moins celle de l’or que celle d’une trace, d’une empreinte que laisse dans l’imaginaire le passage d’un aïeul, ce mystérieux et aventureux grand-père inscrit dans une légende dont il est tentant de retracer le parcours. Dans « Voyage à Rodrigues » l’écrivain revenant sur les lieux où se sont déroulés les événements du « Chercheur », c’est un état d’âme qui resurgit, une inclination à retrouver, par delà le temps, cette ombre fugitive qui rôde à la manière d’une obsession :

«Ai-je vraiment cherché quelque chose ? J'ai bien sûr soulevé quelques pierres, sondé la base de la falaise ouest, à l'aplomb des cavernes que j'ai repérées à mon arrivée dans l'Anse aux Anglais. Dans la tourelle ruinée de la Vigie du Commandeur (peut-être une ancienne balise construite par le Corsaire), dans les étranges balcons de pierres sèches, vestiges des anciens boucaniers, j'ai cherché plutôt des symboles, les signes qui établiraient le commencement d'un langage. Quand je suis entré pour la première fois dans le ravin, j'ai compris que ce n'était pas l'or que je cherchais, mais une ombre, quelque chose comme un souvenir, comme un désir (4° de couverture. « Voyage à Rodrigues ». JMG Le Clézio.)

Puis le résumé du « Chercheur d’or » - 4° page de couverture :

« Le narrateur Alexis a huit ans quand il assiste avec sa sœur Laure à la faillite de son père et à la folle édification d'un rêve : retrouver l'or du Corsaire, caché à Rodrigues. Adolescent, il quitte l'île Maurice à bord du schooner Zeta et part à la recherche du trésor. Quête chimérique, désespérée. Seul l'amour silencieux de la jeune «manaf» Ouma arrache Alexis à la solitude. Puis c'est la guerre, qu'il passe en France (dans l'armée anglaise). De retour en 1922 à l'île Maurice, il rejoint Laure et assiste à la mort de Mam. Il se replie à Mananava. Mais Ouma lui échappe, disparaît. Alexis aura mis trente ans à comprendre qu'il n'y a de trésor qu'au fond de soi, dans l'amour et l'amour de la vie, dans la beauté du monde. » (4° de couverture - Le chercheur d’or- JMG Le Clézio.)

Enfin la liaison entre les deux œuvres (dans JMG Le Clézio, « Le chercheur d’or » - Diane Barbier) :

« Du réel à sa transposition fictionnelle – Le passage de Voyage à Rodrigues, œuvre de l’identité généalogique, à la fiction du Chercheur d’or où s’exprime le personnage Alexis L’Etang, manifeste une fascination pour le miroitement identitaire. En effet, bien que s’établissent des correspondances claires entre le réel biographique et la fiction, une savante stratégie de brouillage vient compliquer les catégories et estomper les frontières.

La première correspondance concerne le lieu. Au domaine de l’Enfoncement du Boucan correspond le domaine réel d’Euréka. Ensuite dans Voyage à Rodrigues, le grand-père Léon Le Clézio, chercheur d’or, consacre une trentaine d’années de son existence à cette recherche dans l’île de Rodrigues, tandis que sa famille réside à Maurice. Parallèlement dans Le Chercheur d’or, ce statut de prospecteur échoit au narrateur Alexis L’Etang. Ainsi, ce lien entre l’aïeul et le personnage fictif est conforté par la dédicace du roman : « pour mon grand-père Léon ».

Ecriture en forme de parabole qui, du réel à la fiction et de la fiction au réel, (le vrai lieu de l’écrivain) s’essaie à dire le trésor « au fond de soi », pour évoquer aussi la voie conduisant aux « symboles », aux « signes », au « souvenir », au « désir ». Tout un itinéraire qui, partant d’une esthétique (beauté et pureté de l’écriture, limpidité originelle des paysages), s’achemine lentement vers une éthique(c’est à la rencontre d’un personnage aimé que le narrateur destine sa recherche) avec le constat que le seul or à considérer se trouve « dans l'amour et l'amour de la vie, dans la beauté du monde ».

Le bref article qui suit voudrait témoigner, à sa manière, de ce voyage en direction de valeurs existentielles, les seules par lesquelles connaître son être singulier, celui des autres aussi, avec un coefficient de vérité suffisant pour que la tentative en vaille la peine et s’affirme comme la poursuite d’une entreprise éthique, la seule qui soit douée d’un sens. La belle photographie de Sophie Rousseau en constituera le tremplin esthétique.

Matin - La plage est immense qui court d’un bord à l’autre de l’horizon. On est seul sur la grande dalle de ciment avec la seule présence de la rumeur de l’aube. A peine la levée d’une parole dans l’air tissé de silence. L’heure est propice au recueillement dans le bleu qui lave le ciel, le dissout dans la pureté. L’âme est assagie qui ne demande rien que ceci : la contemplation de ce qui va venir et apporter aux hommes la paix d’un jour nouveau. Il y a beaucoup d’espoir dans la venue de l’heure. Les humeurs, poncées par la nuit encore proche, sont au repos. Les grands oiseaux sont à peine éveillés. Les rues sont calmes. Les places sont libres, seulement habitées par le rythme ajouré des bancs. C’est comme la parution sur une terre originelle, un genre de paradis encore accessible aux hommes. On pourrait imaginer, sans peine, au travers d’une brume diaphane, la présence de bouquets de palmiers agités par un vent léger, un lac impalpable qu’entoure une verte oasis. Ou bien l’on pourrait se trouver au centre du « Jardin des délices » d’un Jérôme Bosch avec ses montagnes bleues au loin, ses animaux pareils aux sages figurines d’une naïve arche de Noé, sa fontaine aérienne où se perchent des oiseaux, ses eaux aux reflets oniriques, Adam et Eve aux corps si proches d’un albâtre qu’on les croirait sur le seuil d’une existence, êtres de lumière si peu habités de chair, si peu enclins au péché. La réserve en soi avant que ne s’allume la folie des hommes. L’or est loin qui fait ses clignotements, ses feux délétères, lance ses étincelles d’envie.

Midi - L’étoile blanche est au zénith qui bouillonne, fait ses cataractes de feu. Le ciel est zébré d’éclairs verts, les montagnes sont décolorées et c’est tout juste si l’on aperçoit les habitations des hommes, vague lueur rouge et blanche dissimulée derrière l’épaule d’une colline. Devant est le champ de blé qui ondule dans un crépitement d’or. Le moissonneur est là avec sa faucille qui coupe les tiges, lie des gerbes. Ce qui est décrit ici est le tableau de Van Gogh, « Le moissonneur », cette ode à la lumière, à son ruissellement, l’exaltation qu’il y a à être vivant, là, au milieu de la fournaise. Certes l’or est là, immensément disponible. Il rutile. Il dit sa majesté. Il assoit son royaume. Mais le moissonneur (le grand-père Léon Le Clézio-Alexis L’Etang) ne saurait le saisir, l’or, par le simple fait d’en être débordé, submergé telle une luxueuse marée qui pourrait l’engloutir à tout moment. Puis l’intensité est trop forte, la clameur trop intense qui inonde les yeux de sueur et invite à la sieste, au repos. Il y a trop de lumière, trop d’énergie. Chercher de l’or suppose la cachette, le message crypté qui y conduit, la veine de limon noir où reposent les pépites dans une gangue d’obscurité. L’heure zénithale n’est qu’incidemment l’heure de l’or. Seulement une apparence. Seulement une illusion, le reflet de l’immense orgueil qui s’empare de l’homme lorsque son désir devient rubescent et s’écoule dans la manière d’une flamme. Cécité qui clôt les yeux avant même qu’ils ne se mettent en quête d’une richesse, se disposent à la gloire. Dans l’heure de midi la plage est déserte que les hommes délaissent. Ils sont au creux de leurs tanières pareils à des chiots pliés sur leurs corps douloureux, anesthésiés par une fureur de vivre qui les annihile, les terrasse, a raison d’eux, de leurs envies de possession, de leur volonté de domination. Être en quête de la richesse suppose le recul, la longue méditation qui conduit dans l’antre flamboyant des fantasmes, fouette les reins, stimule l’esprit qui n’a, dès lors, nul repos, nulle halte où faire silence et songer à la nature de ses actes. L’heure de midi est préparatoire. Il faut avoir longuement été privé de son désir pour qu’il réclame à nouveau, jette dans le sang ses scories, fasse ses lacs de plomb et de mercure, ses rutilances de lave. Or, le jour, le fleuve de feu qui s’écoule sur les flancs du volcan n’est pas visible. Il faut la nuit. Il faut l’encre. Il faut la suie dans laquelle l’or tracera son sillage de comète, inscrira son hiéroglyphe, poinçonnera l’âme de son ineffaçable empreinte. Un sceau pour l’homme assoiffé de richesse.

Soir - « Le ravin : le soir, lieu sombre, hostile. Le matin, encore froid, et sur les roches usées, schistes pourris par le temps comme à Pachacamac, l’humidité de la nuit perle goutte à goutte, fait un nuage invisible, une haleine. A midi, quand toute la vallée brille au soleil, le fond du ravin reste frais, mais d’une fraîcheur moite qui sourd de la terre et ne calme pas la brûlure du ciel. C’est surtout vers la fin de l’après-midi que le ravin est difficile. Alors je m’assois à l’ombre du grand tamarinier qui a poussé sur le côté droit du ravin, près de l’entrée, en attendant que le soleil se cache derrière les collines. La chaleur et la lumière entrent à ce moment jusqu’au fond du ravin, éclairent chaque pouce de terrain, chaque coin, saturent la roche noire. J’ai l’impression que par cette plaie le tourbillon de lumière pénètre à l’intérieur de la terre, se mêle au magma. Je reste immobile, la peau de mon visage et de mon corps brûle, malgré l’ombre du tamarinier.

Alors je ressens bien la présence de mon grand-père, comme s’il était assis là, près de moi. Je suis sûr qu’il est assis ici, sur cette roche plate entre les racines du tamarinier ». (Voyage à Rodrigues).

C’est le soir, lorsque les ombres sont proches, que l’ardeur solaire retombe, que la terre repose dans son linceul de ténèbres que l’or se laisse apercevoir tel qu’en lui-même l’écrivain le recherche inconsciemment. Mais, on l’aura compris, il ne s’agit pas du trésor du Corsaire, du rêve de l’enfant qui court après les pépites d’or et construit par anticipation le fastueux palais dans lequel il assurera sa puissance et étendra la splendeur de son règne. Tout homme porte en lui cet étincelant archétype qui le nimbe de gloire et le fait resplendir bien plus haut que son essence ne l’y autorise. Amplitude de l’ego artisanal, matériel, orfèvre dont tirer l’assurance d’exister jusqu’à l’acmé de soi dans une manière d’éternel flamboiement. A vivre il y a toujours une ivresse qui fait feu de tout bois : la plongée dans l’extase du peyotl, la passion du jeu, les aventures de l’amour, les fascinations du pouvoir. Seulement tout ceci est si factice que la source tarit souvent dès les premières gouttes. Alors quelle autre ressource que celle du rêve, son espace de surréalité, sa dimension cathartique au travers de laquelle panser les plaies du jour, les insuffisances à être ou, à tout le moins, jugées telles.

C’est le soir et la lumière baisse. Le soleil est une grosse boule à l’horizon, un œil cyclopéen fatigué de prodiguer sa flamme, de semer ses rayons pareils à des filaments de safran incandescent. Quelques passants errent sur la grève, les mains en visière au-dessus de leurs fronts tachés de vermeil. Le regard a du mal à confronter cette débauche dorée qui court à ras du sol comme un miel trop riche, un nectar venu possiblement de quelque Olympe. C’est si intimidant de se trouver face à tant de beauté et d’être démuni comme un enfant surpris par un cadeau trop grand pour lui. La beauté a ceci de particulier qu’elle initie un bouleversement, produit un genre de renversement des choses. Le soleil venant à l’encontre, sublime donation de la Nature dont nous ne mesurons qu’imparfaitement combien ce phénomène est rare, précieux, quand bien même il se renouvellerait tous les soirs dans cette unique splendeur. Soudain il y a basculement qui n’est autre que celui de l’esthétique se métamorphosant en éthique. Le beau comme mesure de toutes choses qui nous reconduit à une juste observation de ce qui nous fait face avec sa charge de sens irremplaçable, son immense déclamation d’un bien dont, toujours, nous pouvons être porteurs : il s’agit d’une simple décision de l’âme de se confronter à sa propre essence. Les sirènes de l’envie, les tumultes d’une grandiloquence mondaine passent sous le seuil de l’horizon, rejoignant la densité illisible des ombres. Tout comme l’écrivain assis sur le bord du ravin qui ne perçoit plus les aventures de ses personnages comme de simples diversions mais à la façon d’une vérité à connaître dans l’instant, cette relation intime aux êtres, cette allégeance aux choses qui chantent et font naître la poésie. Le réel palpable a remplacé le lointain et superficiel picaresque, celui en quête d’un pouvoir sur le monde. Ici on est au cœur du sujet. Ou plutôt au cœur des Sujets. Du Regardant. Du Regardé. Du Regardant qui aperçoit, au loin, dans la dorure du jour, ce que depuis toujours il cherchait : sa façon d’apparaître en lui-même, sa perception de ceux qui lui sont chers dont il ne peut plus appréhender que l’impalpable souvenir, la silhouette ornée de légende, l’existence ourlée d’une si belle fiction qu’elle se substitue à toute autre réalité. Du Regardé. Alors à défaut de posséder Celui qui fut, on l’écrit, on le pose comme une précieuse pépite sur le bord du livre et l’on attend d’être soi, enfin rassemblé, jusqu’à la limite extrême de la lumière là où s’allument les clartés de l’art, là où meurent les feux parmi une infinité de ruisselets, de méandres qui nous disent le filon à explorer, en nous-mêmes, nulle part ailleurs.

Ce que la belle photographie de Sophie Rousseau nous dit en glacis dorés, en rutilances crépusculaires, en reflets couchés sous la lumière, Le Clézio nous le conte à sa manière dans cette si belle langue poético-évocatrice qui n’est jamais que la mise en mots de présences qui furent et demeurent au ciel de l’être, telles de lointaines comètes émettant depuis leur réserve stellaire cette lumière venue de l’infini.

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