« Souvenir illisible »
Œuvre : Dongni Hou
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Souvenir illisible disait-on de vous
Si bien que ma mémoire
N’en avait gardé nulle trace
Sauf cette vue paradoxale
D’un dos en partance
Pour je ne sais où
Etait-il au moins vrai
Je veux dire saisissable
Autrement que
Dans le voile du rêve
Avait-il une tenue
Une adresse
Un lieu où se montrer
Une peau qu’on eût dite
De pêche ou bien de nacre
*
J’inclinais pour la nacre
Son air de nuage
Sa consistance de brume
Ce genre de perdition
Que connaissent les amants
Du haut de leur vertige
Les poètes
Du fond de leur absinthe
*
Il est vrai j’étais un peu naïf
Sans doute attardé
Dans mes habits d’adolescent
Croyant à la force des mots
Aux pouvoirs des rêves
Aux séductions de l’esprit
Pour moi simplement
Prononcer votre nom
Vous n’en aviez pas
N’en auriez jamais
C’était convoquer le silence
Or je parais le silence
Des plus hautes vertus
Qui pouvaient échoir
A un gamin de mon âge
Faire surgir l’impossible
Guérir les lépreux
Mettre fin aux guerres
Multiplier les pains
Réduire la misère
Porter une femme
Plus haut que moi
Dans la beauté
Dans l’esprit
Dans le luxe
D’aimer
*
Voici j’ai bien vieilli
Mes tempes sont chenues
Des rides apparaissent
Ma marche est plus lente
Mon destin bien avancé
Et pourtant
En un recoin de mon âme
Ce mystère
Cet insondable
S’animent toujours
Les ondes qui parlent
De vous
Me ferez-vous face un jour
Enfin
Que je connaisse
Votre beau visage
Il ne peut être que celui
De la pure grâce
Comment pourrait-il
En être autrement
On n’a si joli dos
Qu’à fonder une énigme
L’ouvrir un jour
Aux chercheurs de beauté
Vous ne pouvez exister
À seulement offrir
Votre envers
Ce mutisme
Qui met à la torture
Vos voyeurs
Les mieux intentionnés
Ils meurent de vous connaître
Ne les laissez donc au supplice
Moi en premier dont la vie
N’a été que suspens
Longue parenthèse
Attente infinie
*
Mais peut-être est-il mieux ainsi
Demeurer
Sur le bord d’une joie
Inentamée elle peut encore
Fleurir
Epanouie elle est déjà
Un souvenir illisible
Ne croyez-vous pas à ceci
Jamais l’eau de la source
N’est meilleure
Qu’à être longuement attendue
Demeurant dans l’ombre
De la terre
*
Nous sommes déjà
Dans sa juvénile présence
Nubile elle se prépare
Aux noces qui feront
De deux chemins
Un unique sentier
Oui je me destine encore
À vous
Dans la pliure pensive du jour
Cette pliure comme titre
D’un ancien texte
Avant même
Que je ne vous connaisse
Je vous l’offre du fond même
De qui je suis
Qui attend la lumière
L’instant de sa révélation
Oui les destins s’ouvrent
À qui sait attendre
*