« Une nuit s’éveille »
Collage papier
François-Xavier Delmeire
***
Il y a la nuit d’abord
La nuit aux rives sombres
Que nul ne visite
Sauf quelques Egarés
Parmi la confluence des rues
Il y a la nuit pareille à un lac noir
Avec ses battements d’écume
Ses lueurs d’étain
Ses sombres encoignures
Ses labyrinthes
Où dorment les rêves des Hommes
Ces confondantes boules de suie
À la limite de figurer
*
Il fait si ténébreux dans les plis céphaliques
Il fait si étrange dans les corps livrés
Aux tumultes pluriels du Souci
Dans le réseau des nerfs qu’électrise
L’impatience de venir à Soi
Alors qu’on n’est encore
Qu’une vague chrysalide
Dont le cœur ne bat
Qu’au rythme de la peur
*
Cela serre les tempes
Cela orne le plexus
D’une myriade d’étoiles
Cela s’invagine
Dans la rainure du sexe
Avec un bruit d’insigne faveur
Serait-ce ici le lieu à partir duquel paraître
La grotte dont surgir afin de connaître
Ce qui résiste
Ce qui fait silence
Ce qui glace le sang
Le transforme en un fleuve
Au cours impétueux
Qui peut-être
Jamais ne rejoindra l’estuaire
Cette nappe immense
Qui s’appelle Liberté
*
Jamais nul ne s’en empare
Liberté est toujours en fuite de nous
Et nous mourons de n’en pouvoir saisir
L’éblouissante résille
Alors nous nous accrochons
À la Ville
À son réseau de plaisirs
À ses bars aux néons rouges
A ses Filles Noires
Aux jupes haut fendues
Aux bottes d’Amazone
Qui nous donnent le frisson
A seulement en percevoir l’éclat
Dans l’antre igné de notre esprit
*
Mais qui es-tu toi Ville
Aux ténébreuses membrures
Qui es-tu pour être
Si muette
Si distante
Si énigmatique
Dans l’intense fourmillement
Qui parcourt tes reins
Incendie ton anatomie de pierre
Allume dans tes yeux les flammes
De la possession
Oui de la possession
La seule Volonté qui soit la tienne
Nous happer dans l’arc rubescent
De ta bouche
Nous tourner selon
Mille sens métaphysiques
Nous enduire
De ton miel vénéneux
Nous réduire à Néant
*
Oui ton stratagème est si apparent
Qu’il est un cristal qui vibre
Et nous vibrons à l’unisson
Car nous n’avons nullement
Le choix
Qu’adviendrait-il de nous
Si nous étions exclus
Du sein de ta Passion
Que deviendrions-nous si ce n’est
De furieuses esquisses
Déchirées au plein de leur condition
Ne sommes que des êtres de papier
Des fragments de palimpsestes brouillés
Sur lesquels ne s’inscrivent
Que les signes irrémédiables
D’une errance à jamais
*
Ville aux dentelles lapidaires
Ville aux mille sortilèges
Es-tu au moins consciente
De ton emprise
Nos yeux sont acquis à ta gloire
Nos bouches chantent les refrains
De tes rues
Les couplets
De tes larges places
Et pourquoi donc as-tu sorti
Ce masque de lumineuse porcelaine
Ce biscuit qu’avive l’incendie de l’aurore
Pourquoi ces yeux baissés
Dans la pose de la méditation
Pourquoi cette retenue
Ce nez si droit qui dit la Vérité
Ces lèvres carminées
Qui ne sont que les portes ouvertes
De Ton Désir
Du Nôtre
Ils sont coalescents
Ils vivent de la même provende
Ils exultent
A la seule idée d’une tension à résoudre
D’une expérience à tenter
Qui est celle de repousser la Mort
Un jour de plus
Une heure encore
Une minute
Alors que l’existence
Bat son plein
Et nous appelle
Au luxe d’exister
*
Et cette main de nacre
Et de corail
Cette efflorescence de la volupté
Cette griffe en attente
De notre propre chair
Mais aussi de la sienne
Armée de toutes les pulsions
Du Monde
Mais aussi ce dessein fou
Qui n’est que destruction
De Soi
De l’Autre
Qu’attend-elle donc
Pour lancer son mortel venin
Nous atteindre au plein
De cette étrange manifestation
Qui est la nôtre
Entre le point d’Origine
&
Celui du Festin Dernier
Qu’attend-elle donc
Nous sommes impatients
D’être Nous en l’Autre
D’être l’Autre en Nous
Rouge Désir
Désir Rouge
Tel est notre Nom Commun
Qui jamais ne se consume
Qu’à être proféré
Rouge Désir
Désir Rouge
Nous sommes à Toi
Tu es à Nous
*
En Nous une Nuit s’éveille
Accueillons-là à la façon
De la plus belle offrande
De ceci nous vivons
De ceci nous mourons