« Gradiva »
André Masson
Source : Wiki Home
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Ô toi que j’ai cherchée
Parmi la pierre des musées
As-tu au moins deviné
L’étrange mélopée
Qui depuis mon obscurité
M’a longuement habité
*
Guère de jour
Sans que ton ombre
Ne rôde autour de moi
Comme ces nuées de mouches
Qui le soir
Dans l’or du couchant
Vibrionnent au plein
De leur funèbre chant
*
Tu es si belle
Toi que la pourpre envahit
Meute de sang qui fait ton siège
Tu sauras bien y résister
Ton sourire si altier
Y posera le sceau
De sa royauté
*
Sais-tu que tu hantes
Ma mémoire
Que mes heures
Sont longues à mourir
Que de toi je ne puis faire
Le deuil
Comment renoncer à te saisir
Sans trahir
Mon orgueil
Sans faire de mon corps
Un sombre tombeau
Sans faire de ma peau
Un livide linceul
*
Seul oui je suis seul
Et le demeurerai
Tant que mon tumulte de chair
N’aura rejoint le seuil
De ton antique cité
J’ai pensant à toi
Âge de pierre
J’ai pensant à toi
Fatigue de Mathusalem
Croulant sous le poids
De vils anathèmes
*
Puisses-tu un jour
Sortir de ton sépulcre de pierre
Donner à mon incestueux amour
Les armes de la guerre
Toi que Mars désigne
Comme son double insigne
Tu es tout à la fois
Ma Mère
Ma Fille
Celle par qui j’erre
Au hasard des chemins
Celle qui guide les pas
De mon amer destin
*
Quel mystère portes-tu
En toi Gradiva
Quel est donc ton secret
Cette marche en avant
Qui n’aurait de durée
Que le temps
D’une question
Sans doute
Du plus faible intérêt
Je ne suis qu’un affligé
Archéologue
Qu’un illuminé privé
De sa drogue
*
Tu n’auras pas le cœur
Moi qui viens à Pompéi
Au péril de ma vie
De m’abandonner
À cette fureur
De ne point te connaître
Seulement ton sosie
Qui au hasard des rues
Ouvre la fenêtre
D’une possible ardeur
Mais déjà entachée
D’oubli
*
N’auras-tu été
L’espace d’une visite
Que cette blancheur
De calcite
Que ce bas-relief
Inscrit au fronton
De ma sombre nef
Que ce bourdon
Sonnant à la cimaise
De mon front
Il est de braise
Comme un affront
Qui jamais ne sera lavé
*
Parle au moins parle Gradiva
Que le son de ta voix
Soit le suaire
Qui fera de moi
Ton scapulaire
Car à ton cou
Il ne saurait y avoir
D’autre camée
Que ce souci
Antiquaire
Que cette affliction
Reliquaire
*