Dornröschen
Belle au Bois Dormant
Œuvre : Barbara Kroll
***
De Toi le manque absolu
C’était toujours de cette manière
Là au plein de la nuit
L’heure de ta visitation
Je ne dormais que par intermittences
Peut-être par procuration
N’être présent au rendez-vous
Eût mutilé mon âme
Au plus profond
De son illisible matière
J’étais ici j’étais ailleurs
Ne savais plus le lieu de mon être
Divaguais pareil à l’esquif
Balloté au gré des flots
*
De Toi ne savais rien
Si ce n’est ce curieux nom de
Belle Dormante
Dont je ne puisais jamais
Que l’onirique forme
Cette faille dans l’ombre
Qui s’ouvre et palpite
Il me plaisait de t’imaginer
Sous les traits étranges
D’une anémone de mer
Présence pulsatile
Dont je ceignais
La douve étroite
De mon front
*
Te scrutant j’entendais
Au creux de l’intime
La belle légende
D’un charme mortel
A toi destiné
Ce fuseau qui piqua ton doigt
Te rendit éternelle
Jamais on n’oublie la grâce
D’un conte
Jamais de la félicité du rêve
On ne fait son deuil
Présente tu l’étais plus
Qu’étincelle sur la crête des vagues
Qu’oiseau dans sa dérive céleste
Que libellule sur le miroir de l’eau
*
Il fallait à mon contentement
Cette fuite à jamais
Cette feuillure
Dans la perte du jour
Cette lumière qui s’éteignait
Dans le ressac du crépuscule
L’inverse d’un bourgeonnement
Le pli d’un recueil
*
De Toi le manque absolu
Ce qui se dessinait
A l’horizon de mes désirs
Etait toujours en fuite de soi
Des jambes d’ébène
Que la couleur épuisait
La chute d’une robe
Tel un blanc calice
Telle une écume
A la bordée du jour
Et tes bras ces lianes
Qui n’étaient effusives
Qu’à l’aune d’un impossible
Saisissement
Mais de quoi donc
D’une vérité verticale
D’un bonheur passager
D’une joie faisant son feu
Là au rivage de tes nuits
*
Quelle était donc la flèche
De ton destin
Quelle la poésie dont tu tressais
Ton énigmatique visage
Nulle épiphanie qui eût pu proférer
La goutte oblongue de tes yeux
La braise douce de tes pommettes
Tes lèvres que je projetais purpurines
Cette fossette au menton
Qui t’eût identifiée entre mille
*
De Toi le manque absolu
C’était bien ceci
Cette pièce anonyme
Où tu te dressais
La matité silencieuse des murs
Un plafond de verre
Qui te retenait captive
Et ce tourbillon rubescent
Ce volubilis de sang
Qui perlait ses gouttes amnésiques
Sans doute étais-tu sans mémoire
Perdue dans le corridor
De desseins inachevés
Ce flottement te rendait irréelle
Ces lignes baroques
Dont tu vêtais ton mystère
Emplissaient mon manque de toi
De la dague délicieuse du vertige
Puisses-tu demeurer sans demeure
Puisses-tu ne jamais prendre visage
Puisses-tu encore une fois
Piquer ton doigt au fuseau ténébreux
Alors je ne sais
Ce qui adviendra de toi
Ce que sera le cours
De mon existence
Flux et reflux sont si forts
Qui nous éloignent de nous
*
Où les chimériques rivages
Où nous pourrions habiter
Dans l’union passagère des cœurs
Il est si facile de s’égarer
En ces temps de confusion
Mais l’insu est un délice
Auquel toujours nous voulons
Nous abreuver
Nos lèvres sont sèches
Notre gorge en feu
Rebelles
Indociles
Nous voulons
L’Absolu
Nous voulons
Le Rien
Sans doute
Ne le savons-nous pas
*