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24 juillet 2018 2 24 /07 /juillet /2018 10:45
Fille de nulle part

 

             Mélancolie d'été...

         Œuvre : André Maynet

 

 

***

 

 

 

   Vous que je vous vis si floue dans le jour qui vibrait. Voici ce temps d’hier qui fait sa mince palpitation au pays des lointains. Que demeure-t-il que je puisse ici consigner ? Un paysage ? Une figure humaine ? Ou bien, plutôt, un incurable état d’âme pareil à la langueur des Romantiques qui ne sait son début ni sa fin ? Combien il est étrange, toujours, d’apercevoir son rêve flotter au devant de soi dans une telle marge d’incertitude qu’il semblerait devenir réel. Paradoxe pour un songe tissé d’écume qui fuit dans le dédale du cortex avec sa fumée grise.

   Mais il faut dire ce temps d’étrange connotation - il fait penser à l’inconsistance d’une ouate -, ce temps qui, sans doute n’en était pas un. Du reste son être est si ténu qu’il semblerait n’être que miroir aux alouettes, scintillement de poussière quelque part dans une lointaine galaxie. Cependant cet instant était le mien tout comme il était le tien. Permets donc ce tutoiement soudain, Fille de nulle part, il t’arrime à mon être à la mesure de la bienséance qui sied aux  éloignés qui usent de cette proximité du langage à défaut de celle des corps. Une vision est-elle douée d’une substance qui en tracerait les contours ? Une image égarée dans le pur espace possède-t-elle quelque attache à la manière d’un ballon captif dont on pourrait serrer le lien au creux de ses paumes ?

   Mais aller plus loin sans m’attacher à tracer ton portrait serait inconvenant. Ce que, de toi, j’apercevais dans l’heure qui faisait sa bulle irisée : tes cheveux en douce cascade, un peu raides cependant, genre de taillis à l’orée d’une clairière ; ton visage si blanc, on aurait cru celui d’un mime grimé pour quelque représentation, d’un acteur triste, je dois le reconnaître ; et les prunelles de tes yeux, ce murmure logé au creux d’une doline, ce ravissement inversé qui, sans doute, disait la lumière d’une joie ancienne ; et l’invisible brindille de ton nez qui devait humer l’air à infimes goulées ; et l’arc de tes lèvres sous lesquelles paraissait gonfler le dôme d’un continu silence. Ta vêture était semblable à une aube ou bien à une étole de lin grossier qui contrastait avec l’empreinte d’une naturelle fragilité. 

   Ce matin, vois-tu, sur la colline parsemée de graminées que le vent agite doucement, je marche sur les pas de ton absence. Oui, je te vois, toi ma mélancolie d’été, toi qui adhères à ma peau comme le fait un insecte auprès du halo d’une lampe, toi l’introuvable présence, le signe absent de toute dette. Oui, car la mélancolie est libre de quelque mouvement, libre d’un espace habité, d’un temps de concrétude. Elle ne fait que s’alimenter à sa propre flamme, ce qui indique sa durée tout le temps d’une existence. Elle est l’ombre portée d’un éternel ennui, l’orbe d’une insignifiance flottant entre les rives de la naissance - on n’en connaît plus l’événement -, les rives de la mort - elle n’est pas encore venue à nous, sauf par intermittences, par clignotements successifs, ces sortes de pointillés qui disent la vanité d’une destinée, ses abîmes, ses points de chute, ses milliers de pièges où rôde l’avant-goût d’un désert en sa terrible solitude.

   Aurais-je eu le loisir de te questionner, tu m’aurais dit la teinte améthyste de la mélancolie, sa temporalité automnale identique à un tapis de feuilles mortes, son étalement de lagune sous une rare lumière, cette manière de rampement au ras des tourbières avec, pour unique socle, l’entrelacement des coussins de sphaignes, ces complexités dont jamais on ne vient à bout, étrange allégorie de la vie en son scellement primitif. Certes tu aurais eu raison, du moins en théorie. La pratique est plus abrupte qui délite la peau en milliers de fragments, attaque le cœur au sein même de ses pulsations, sculpte l’âme comme elle le ferait d’une racine de bruyère échouée en pleine forêt.

   L’été, cette saison des amours sauvages et des plénitudes rapidement acquises, voici qu’il traçait en toi les stigmates d’une infinie douleur. Vague, imprescriptible, dont personne ne fût capable de dresser l’invincible figure. Soudain, pour toi, se levait cette tension entre la liberté, l’effusion estivales et ce spleen baudelairien qui t’invitait sur l’étrave d’une verticale affliction. Certes, à cette sorte de lande sur laquelle tu déambulais sans bien savoir où tes pas te conduisaient, tu aurais pu préférer les mouvements bariolés d’une plage, les vives voix d’une terrasse de café. Visiblement, ton cheminement s’était réalisé à ton insu et tu ne semblais avoir de but que ton propre rivage qui s’éloignait toujours plus de toi, te fuyait afin que ta mélancolie t’accompagnât à son terme. Autrement dit au seuil de ta propre mort. Mais sais-tu, Fille de nulle part, l’étrange aimantation de toute mélancolie pour un cœur solitaire comme celui qui m’a été remis le jour de ma première clarté ? Nous progressons ensemble sur ces mêmes routes qui ne conduisent nulle part. Puisse être longue notre nomade gémellité ! La mélancolie nous quittât-elle, nous serions démunis, orphelins, les mains battant le vide.

« La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste », disait Victor Hugo dans Les Travailleurs de la mer. Vois-tu, toi l’Etrangère, nous ne connaîtrons jamais qu’un « bonheur triste ». Le bonheur fût-il complet d’emblée, nous ne l’aurions cherché. La tristesse nous habitât sans cesse nous n’eussions nullement visé son éclipse. La mélancolie nait de cette contradiction, aussi sommes-nous plus affectés de sa survivance dans l’été qui flamboie et nous convoque à la fête ! La plus exacte nostalgie se pare d’habits de lumière.

 

 

 

  

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