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6 août 2018 1 06 /08 /août /2018 08:26
Image : hors du monde

                   Photographie : François Jorge

 

 

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   Nous regardons l’image, l’image vraie et, soudain, nous sommes hors du monde. Nous sommes en-nous-hors-de-nous. Nous nous exilons de notre être et pourtant nous en sentons la densité, la rutilance de mercure, la plénitude brillant telle une étoile dans la nuit. Mais comment peut-on, tout à la fois, être ici dans sa tunique de chair - cette geôle -, et sentir l’aérienne présence de l’esprit - cette sublime libération ? L’image vraie a ceci de surprenant - contrairement à celle d’Epinal -, qu’elle nous arrache à la pesanteur du monde et nous dote d’aptitudes cosmiques : la vitesse, la lumière, la profondeur inouïe des galaxies.

   Nous regardons le ciel, sa nappe corail, son absolue diaphanéité et nous sommes ce ciel avec l’infini voyage des comètes, leur sillage de feu dans le noir absolu de l’espace.

   Nous regardons l’oiseau, son signe d’encre, son empreinte si discrète et l’on vole à de hautes altitudes parmi les confluences de l’air, les poussées de l’harmattan, les colères du simoun, le souffle sec du Sirocco. Nulles contraintes cependant. Arabesques de félicité seulement.

   Nous regardons la ligne brisée des montagnes et nous sommes ces rochers qui disent la durée éternelle du temps, la lente érosion de l’âge, la beauté des pics lorsqu’ils toisent le domaine des hommes, cette minuscule fourmilière traversée du désordre des agitations mondaines.

   Nous regardons la nappe d’eau au loin, ses lignes de métal sombre, ses mouvances dans le genre d’un coup de fouet, ses pliures bleues, sa lame d’argent immobile au centre, ce secret, puis la longue réverbération du ciel comme pour signifier l’intangible continuité des choses lorsque la vision est adéquate à son objet.

   Nous regardons longuement, apaisés, rassurés de notre présence parmi ce monde si généreux, nous avions failli ne plus en lire le poème, en entendre la symphonie, en goûter la goutte de miel. Il faut dire nos yeux sont trop abreuvés d’images violentes, artificielles, fabriquées au seul risque de nous fasciner. Oui, la fascination est la pire des aliénations dont notre société sécrète la poix à longueur de journée, si bien que le poison fait son effet sans même que nous en percevions le vénéneux chemin. Ses flèches nous traversent pareilles à une eau de ruissellement. Nous nous y habituons. Puis nous en ressentons le manque, bientôt la douloureuse privation.

   Les images crépitent sur le globe des yeux, s’invaginent dans la complexité du chiasma, allument leurs feux dans la densité grise, font leurs éclairs cérébelleux, leurs lances ignées qui se plantent dans l’aire occipitale, dans la réserve à phosphènes, dans le grand barnum où s’agitent les esquilles de rêves, les phosphorescences des fantasmes, où tourne l’inconséquent barillet du désir. Oui, nous sommes au centre de la grande farandole et nous n’échapperons à nos tortionnaires. Ils sont les Géants, les Dissimulés, les Grands Ordonnateurs de la curée mondiale, ils veulent nettoyer jusqu’à l’os notre prétention à paraître, nous métamorphoser à la seule mesure de leur pouvoir de domination. Oui, Nietzsche avait raison, l’humain n’a qu’une seule chose en tête : la Volonté de Puissance. Ce qui, en termes de simple logique, veut dire qu’il y a des perdants, en masse, des gagnants si peu, mais ô combien assurés de leur domination, de leur gloire !

   Le jour a été une seule et unique ligne blanche, de longues effusions secouant la toile violentée du ciel, des balafres soufrées clouant choses et êtres au plus intime de leur chair. Il fallait se faire tout petits, se rouler en boule tels de jeunes chiots, respirer à peine, mouiller sa truffe de bulles de salive, se coller au sol de ciment, se disposer à la minceur. Les rues étaient désertes et la chaleur faisait entendre ses craquements, ses boursouflures, l’élongation de ses membranes de carton. Des oiseaux, parfois, cloués en plein vol, s’abattaient telle une grêle noire. Les feuilles assoiffées étaient de simples feux-follets, de rapides fumées se dissolvant dans une manière d’averse drue, d’air seulement. On ne connaissait plus la caresse de la pluie, l’onction souple de la brume, l’étincelle fraîche de la goutte de rosée. Tout était en suspens de soi. Tout était alloué au silence. Tout était muré dans un étrange labyrinthe et les respirations faisaient leur drôle de bruit de râpe, de soufflet de forge. On se jetait sur le tapis de braise du lit, on vouait son corps aux gémonies, on gigotait tel l’antique nouveau-né plié dans la tunique étroite de ses langes. On était des momies et le sarcophage serrait ses parois de bois, faisait grincer ses chevilles, tenait le corps au plus près de sa mutité. On était dans le plein inviolable de la condition humaine. On était mortel, infiniment mortels, le constatant au plus près d’une vérité.

   Matin. Aurore. Ou bien soir, Crépuscule. Peu importe le nom de l’Evénement. Il fait si beau après le cauchemar nocturne. Les bandelettes, on les a enlevées. Son corps, on l’a lavé à la lumière neuve ou bien décroissante, c’est indifférent. Aurore ou Crépuscule, heures de la bienfaisante palme qui oint l’épiderme de son baume lénifiant. Re-naissance, nouvelle origine, départ pour un chemin qui ouvre le futur, fait briller le destin à l’aune de l’espoir. La chaleur, la chape de plomb, l’étuve collée à la barbacane de peau, voici qu’elles se délitent, renoncent enfin à paraître. La chaleur n’était que l’image de la fausseté, l’image brouillée de nos cerveaux embrumés. Cette lumière est si belle qui tapisse l’air de ses étoiles vermeil. Le grand Goethe disait que le rouge était la couleur idéale. Peu importe sa teinte, pourpre, alizarine, carmin. Elle est là, devant nous, nous en nimbons nos fronts, nous en habillons nos mains, nous en ceignons nos chevilles, ce sont les pampres de la joie. Nous regardons l’image, l’image vraie et, soudain, nous sommes hors du monde. Oui, HORS DU MONDE !

 

 

 

 

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