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11 février 2021 4 11 /02 /février /2021 17:52
Vous, dans le noir

(Laetitia, détail, huile sur toile)

 Œuvre : Assunta Genovesio

 

 

***

 

 

   De votre présence je ne possédais que les trois syllabes, ainsi, « Lae » - « Ti » - « Tia », pareilles à trois notes claires frappées sur les cordes d’un clavecin. Que peut-on faire avec de si minces indices, sinon divaguer en quelque endroit pas même connu de soi et attendre que la longue dérive s’arrête, délivrant de soi, précisément, cette utopie qui vole haut  dans le ciel de l’imaginaire ? J’avais beau m’arrêter sur la syllabe à l’initiale qu’aussitôt, j’étais déporté vers la finale, que la médiane reprenait en son sein sans apporter d’apaisement à mon inquiétude. Ainsi, ballotté, je risquais le pire des égarements. Ne plus me reconnaître que dans ces trois voix anonymes dont, bientôt, la décroissance me réduirait au silence.

   Savez-vous combien la solitude est pesante lorsque l’on se met en tête de résoudre une énigme qui toujours échappe, ne veut nullement déflorer le mystère de son être ? Avez-vous au moins connu de tels états qui, inévitablement, conduisent au vertige, puis à l’évanouissement ? Comme si, soudain, ce beau bouton de rose perlé de gouttes d’eau dans le jour qui éclot, s’épanouissait puis se fanait, ne laissant sur le sol que les figures exténuées de feuilles mortes. Alors on n’a plus la force de se baisser, de cueillir la manière de tristesse qui tache la poussière, de faire le deuil de ce vif amour que, déjà, on lui portait.

   Votre belle image, je l’ai aperçue dans une galerie au hasard d’une promenade à Sassari, petite ville de Sardaigne, Via Luigi Luzzatti - sur une place bordée de maisons au crépi ocre, aux palmiers en bouquets -, un peu en retrait, des reflets sur la vitrine en donnaient un aperçu plus troublant que ne l’aurait sans doute fait la réalité. Mais, rassurez-moi, vous n’êtes pas une illusion, un modèle fantasmé dans la tête d’un Artiste hors du temps ? La décision de quelque magicien fou qui aurait égaré la formule permettant de vous rendre à la vie ? Vous êtes bien réelle, n’est-ce pas ? Située quelque part dans la rue étroite d’une ville, ou bien au sommet d’une colline regardant la mer ou bien encore sur un large plateau calcaire que trouent grottes et avens, que vous parcourez chaussée de sandales légères, chemisier clair, les yeux ouverts sur le monde ? Je ne saurais vous envisager autrement !

   Je me suis approché, ai longuement regardé, mettant mes mains en visière afin d’atténuer les ombres et les lumières mouvantes qui animaient votre portrait. Dans le demi-jour de la boutique - ou la demi-nuit avec ses retraits, ses golfes d’obscurité -, vous étiez cette Fille solaire à la santé vigoureuse, sûre de son sillage dans l’existence, au casque de cheveux auburn, au front lissé de lumière, au teint soutenu - étiez-vous Sarde ? Montagnarde ? Maritime ? - je crois que les trois vous eussent convenu à égalité et mes yeux ne se lassaient de glisser le long de vos pommettes pareilles à la grenade, d’épouser la courbe de votre menton, de gagner l’enclave de votre gorge qu’un sérieux chandail soustrayait à mes yeux trop fertiles. Je crois que j’aurais pu demeurer des heures ainsi, à faire votre inventaire, à ne nullement différer du généreux paysage que vous m’offriez à l’insu de votre conscience. Le crépuscule me surprit qui m’obligea à rentrer à mon hôtel, bien seul, quelque peu désemparé.

   Matin. De ma chambre, Via Savona, j’aperçois « La Villa Mimosa », sa curieuse architecture baroque, le rythme enjoué de ses balustres, le faîtage ouvragé du toit, sa grande croisée aux multiples vantaux. Je vous imagine dans le clair-obscur du  grand salon, assise sur une bergère de velours, parmi le luxe des tapis et l’acajou des boiseries, sous les pendeloques de cristal de Bohème des grands lustres. La lumière y étincelle à la façon de vives bougies dans le sombre d’une crypte. Vous feuilletez un livre avec un air de méditation qui convient à votre humeur de Méridionale abritée des brumes solaires, trouvant un peu de repos et de fraîcheur, ici, dans ce palais à la mesure de qui vous êtes, simple manifestation dans l’ouverture du jour. Combien votre image est troublante ! Multiple. A la fois d’hier dans la petite galerie, à la fois d’aujourd’hui dans cette villa atteinte de démesure. Mon esprit ne cesse d’aller d’un lieu à l’autre dans la tentative de vous cerner, vous, la fuyante dont il ne demeure jamais qu’une belle climatique à défaut de traits précis qui auraient comblé mon attente.

   Mais, quel que soit l’espace de votre apparition, il existe une constante. Toujours vous êtes la résultante d’une triple confluence existentielle qui s’auréole des trois registres de la lumière, du rouge, du noir. Autrement dit votre image ne fait signe qu’en direction de la clarté d’une vérité, de la pourpre du désir, de la nuit de la mort. Mais de quoi donc êtes-vous la plus proche ? Cette peinture vous assigne une place qui n’est nullement paisible, malgré l’apparence de sérénité qui semble émaner de votre présence. La vitre par laquelle arrive la lueur de l’extérieur, le divan couvert de rouge, sont comme des fonds sur lesquels vous vous détachez. Indiquent-ils le passé de leur symbole ? Une perte d’évidence, l’atténuation d’une passion ? Alors, en définitive, il ne resterait que le spectre de la mort dont votre chandail inventerait la cynique réalité ? Pourtant vous paraissez si jeune, tellement pleine d’allant. Certes votre regard semble se détourner d’une vision exacte des choses. Mais, peut-être, n’est-ce qu’une naturelle pudeur qui fait baisser vos yeux, se tourner votre visage ? Votre teint de terre cuite, d’amphore ancienne est si beau qu’il ne saurait dissimuler quelque tristesse au long cours, quelque affliction dont votre âme serait atteinte.

   Mais combien toutes ces questions paraissent déplacées dont, sans doute, nulle n’atteint sa cible. Bientôt je m’éloignerai de Sassari, emportant avec moi la brûlure d’un souvenir qui n’aura été prétexte qu’à me torturer, à me faire vivre à côté de ma propre existence. Je vous fais un aveu, vous que je ne rencontrerai jamais, je suis empli d’images comme la vôtre et, parfois, au décours de nuits sans sommeil, je rencontre une galerie de visions emmêlées, une manière de palais des glaces où vibrent à l’unisson une infinité de simulacres dont je ne sais plus si j’en ai été l’auteur, s’ils sont attachés à quelque rencontre, s’ils se produisent eux-mêmes dans la brume drue de ma tête. Le parc de la « Villa Mimosa » commence à prendre des teintes de rouille en cet été qui agonise. Si j’étais  peintre, je ne doute un seul instant, que j’en aurais brossé les grands traits sur une toile dont vous auriez occupé le centre, dans ce salon d’apparat à la si belle lumière couleur d’ambre. Quelques touches de gris à peine appuyées. Un rouge cerise ou bien rubis. Un noir profond. Oui, un noir profond ! Le bonheur aurait eu cette tonalité-là !

 

 

  

 

 

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