« Everything will be alright
Œuvre : Dongni Hou
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« Tout ira bien », c’était ceci, cette phrase courte et simple que tu aimais à prononcer dans tes moments de confidence. Trois mots seulement qui résonnaient et faisaient leurs ronds à la manière de pierres qui auraient chuté dans l’eau. Longtemps ils prolongeaient leur mince clapotis et il n’en fallait pas plus pour que ma journée soit baignée d’une ineffable lumière. Vois-tu comme il est facile d’enluminer une page sombre où n’étaient présents que des signes noirs pareils à de funestes présages. Certes, tu avais saisi mon caractère inquiet que tu modelais à ta guise, renversant une affliction en pur bonheur. Souvent je t’appelais « Magicienne », « Fée », « Illusionniste » et tu riais de ces sobriquets comme tu l’aurais fait d’une fantaisie d’enfant posée à même le visage triste du monde. Oui, le monde est triste. Ce ne sont que les humeurs des hommes qui le tempèrent et l’amènent à la beauté. Une montagne n’est belle que regardée et fêtée comme il se doit dans le respect de son être.
« Tout ira bien », j’ai encore en moi, en quelque pli de l’âme, ces trois emblèmes de ta candeur. Souvent, lors des journées d’automne - quelques lambeaux d’été subsistent -, alors que décroît la lumière, ils vibrent en moi et c’est comme si une ruche joyeuse habitait le plein de ma chair. Marchant sur un sentier, il n’est pas rare que je m’arrête, ménageant une pause propice à leur accueil. Ne crois-tu pas qu’il faille, parfois, suspendre le temps afin que, isolés, quelques phénomènes émergent du tissage dense des manifestations ? Continuellement nous sommes distraits, facilement égarés par un mouvement, une couleur, un bruit et les choses coulent autour de nous et en nous sans que nous puissions arrêter leur flux incessant. Que reste-t-il au terme d’une journée, si ce n’est une impression confuse de moments emmêlés dont aucun n’émerge avec suffisamment d’autorité pour que nous nous attachions à en décrypter le sens ? Nous sommes des êtres du flux et du reflux incessants. Jamais de pause qui soit réparatrice. Seulement quelques haltes qui ressemblent plus à des syncopes qu’à des ressourcements.
« Tout ira bien », c’est ce que je me dis en ce moment même sur ce rivage de l’Océan qui, à marée basse, ressemble à un destin qui se regarderait passer. Tout est si calme et l’on penserait volontiers avoir trouvé un lieu où poser ses errances de nomade et bivouaquer longuement. Comprendras-tu que ce paysage de solitude me convoque auprès de toi, fasse revivre une image ternie par de si longues années ? Ces rides brunes dans le sable, ces pieux noirs fichés dans la vase, les touffes serrées de spartine, les ilots de salicornes, la ligne grise de l’horizon, le ciel si léger, tout ceci est tellement accolé à une figure de sérénité, celle-là même que tu m’offrais lorsque nos deux existences n’en faisaient qu’une. Deux voix qui proféraient un identique chant. Il est devenu sourdine mais combien elle habite mon corps, meuble mon esprit ! Parfois un long frisson parcourt mon échine, m’électrise et mon dos n’est alors qu’une longue plaine de souvenance semée des stigmates d’un enchantement qui ne saurait avoir de limite.
« Tout ira bien », et, parlant de mon dos parcouru de tes ondes, voici le tien qui sourd de la brume du passé. Il est d’un ton si singulier que je peine à en cerner la si noble matière. Il est à mi-chemin de la rose-thé et du champagne qui pétille dans sa flûte, une nacre si onctueuse, on dirait l’intérieur d’un fragile coquillage. « Tout ira bien » et voici la motte de tes cheveux, ce chignon aux reflets cendrés sur du brou de noix mâtiné de cachou. Quelques mèches s’éparpillent ici et là dans l’air teinté de bleu. « Tout ira bien » et cette robe si ample, ce calice dont tu émergeais à la façon d’une fleur de lotus, cette nymphe s’extrayant de sa chrysalide. Mais ta naissance n’était nullement douloureuse, une attente avant que la délicatesse n’éclose.
« Tout ira bien », cette formule magique tu ne la proférais jamais que dos face à moi, comme s’il y avait eu impudeur à en énoncer la venue. C’est vrai, afficher son ravissement dans ce monde d’afflictions paraît ressortir à une manière de défi. Jamais l’on ne peut montrer le visage de la jouissance, dévoiler les arcanes de la volupté. Ceci est tellement ambigu, si proche d’un état de souffrance. Toujours il faut demeurer sur son quant-à-soi (ce que tu réussissais à merveille), se réfugier derrière quelque prétexte, attendre que le trouble soit passé qui rosit les joues. Ce « Tout ira bien » s’accroissait de cette gêne, de cette réserve qui faisaient de ton dos le paravent de tes sentiments. Jamais tu n’étais plus expansive, hors de ta chair, qu’à proférer cette assertion à la face de ce qui, encore, se nommait inconnu puisque tu convoquais le futur et lui attribuais le prédicat d’heures lumineuses. Tout ceci résonne encore en moi avec la fascination dont est témoin celui qui regarde la pellicule d’argent au fond d’un puits, des gouttes claires se détachent de la margelle et chaque chute ressemble au marteau d’un clavecin frappant les cordes. Toujours on entend la dernière, toujours on attend la suivante comme celle qui portera à son comble le délice d’entendre.
Longtemps, après notre séparation, j’ai attendu une lettre de toi avec, en exergue, ces trois mots dont j’avais fait mon mantra. Il agissait dans le genre d’un rite initiatique et me portait au plus haut de la conscience que j’avais de ma propre condition. Que reste-t-il aujourd’hui de ce charme qui décupla mon désir de vivre ? Ta lettre n’est pas venue mais des feuilles d’automne tachées de rouille et semées de terre font leur étrange carrousel dans la coursive de mes rêves. L’une s’orne de « Tout », l’autre de « ira », la dernière de « bien ». C’est ceci qui sonne dans le massif de ma tête alors que la marée remonte, envahissant petit à petit la plaine de sable, les bosquets de graminées, les pliures de sable. Dans les premières flaques qui s’annoncent, lacs en miniature, est-ce ton portrait qui paraît avec tes yeux frangés de noir, tes pommettes saillantes, le rubis de tes lèvres ? Je ne crois pas. S’il en était ainsi, face à moi, tu n’articulerais nullement les mots que j’attends. Or ils ne peuvent que se montrer. Sinon quel sens aurait ma vie ? Un désert sous le ciel gris.