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11 juin 2019 2 11 /06 /juin /2019 10:02
Cette goutte d’eau

     Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

 

Cette goutte d’eau,

vois-tu, ce gonflement

du rien

sur le lisse de la feuille,

j’en éprouve la grise griffure

au sein même

de qui je suis.

Pourquoi, parfois,

les choses sont-elles muettes ?

Soudain le silence est grand,

l’espace infini et l’on a du mal

à cerner ses propres limites.

Car, alors, l’on ne s’appartient plus

et tout devient indistinct

et tout flotte dans un vide sidéral.

La saison est triste

qui vire du noir au blanc

et se fige dans le gris.

 

Tu sais, pourtant, mon amour

de cette teinte médiatrice,

de ce moyen terme

entre joie et douleur,

du merveilleux intervalle

entre deux mots,

de la douce tension

qui tient les amants

sur deux versants si proches,

leurs lèvres butinent l’effroi

de se perdre mais disent

l’instant béni

de leur rapprochement.

 

Comment te dire le jour

qui vient dans son floconneux,

son ténébreux couloir,

à peine un souffle

dans la gorge étroite du jour ?

 La lumière est une tremblante

goutte de suif

qui hésite

entre le retrait dans l’ombre

et le surgissement au-dessus

de la lourde fatigue

des hommes.

 

Hommes éreintés

qui ne savent plus le chemin

de leur futur,

hommes dont le destin

 les crucifie, ici,

en ce lieu de la terre

qui est comme

leur dernier reposoir.

Non, ne ris pas à mon lyrisme

teinté de mélancolie,

il est le seul amer

dont je dispose de manière

à ne point sombrer.

Chaque jour qui passe, ici,

sur cette illisible lande,

je lis, ou plutôt je feuillette

ces penseurs tragiques

qui m’ont toujours inspiré

la plus heureuse des félicités.

 

Je tutoie la métaphysique plénière

d’un Cioran,

je rêve et je doute de moi-même

en compagnie

du Senancour d’Oberman,

je médite sombrement

sur les rives enchantées

du lac de Bienne

avec Rousseau.

C’est ceci l’inclination des affinités,

la reconnaissance de l’état d’âme ami,

 la recherche de soi dans une dimension

qui ne l’effraie point,

la reconnaissance de l’altérité

 dans le miroir qui, en réalité,

ne reflète qu’une image,

la mienne,

puisque le monde n’est monde

qu’à reconnaître l’unicité

de ma présence.

 

Toi, à qui j’écris

ces lignes insensées,

ton existence n’a lieu

qu’à me servir

d’accusé de réception,

mais imaginaire,

mais si éloigné

que tu te confonds

avec le lointain cosmos,

tu n’en es qu’une vibration,

une sourde effervescence qui,

bientôt, s’éteindra.

Auras-tu vécu

en dehors de ma conscience ?

Tu ne me réponds pas.

Comment, du reste,

le pourrais-tu ?

Comment les autres hommes

le pourraient-ils,

ces buées,

ces rêves de brume

dans l’heure qui fuit ?

 

Jamais un mystère

n’a prononcé

le moindre mot.

Jamais un secret

ne s’est révélé

sauf à perdre l’essence même

de son être.

 

Je regarde cette image

en noir et blanc

punaisée aux solives

de ma soupente.

Derrière elle,

nul photographe

qui eût voulu immortaliser

une scène.

Devant elle, nul spectateur

soucieux d’en percer l’énigme

en clair-obscur.

Car, sais-tu,

toi l’invisible,

je n’existe qu’à même

ma parole.

A peine un mot s’évanouissant

et je n’ai plus

d’attache terrestre,

plus de corps où river

une probable amante

et mes nutriments ne sont

que des mirages

qui me traversent

et ressortent indemnes

de leur voyage

car ils n’ont rencontré

qu’une pensée

vide de sens.

 

La missive que je te destine

est pareille à une tresse

de gouttes claires

où rien ne s’imprimerait

que l’envers des choses,

leur coefficient

de nulle réalité,

leur brillance

sur l’arche vibratile

du temps.

Comme moi, vois-tu

les feuilles noires

où courent les questions

circulaires

de la rosée,

cette suspension,

ce passage entre la nuit du néant

et le jour de la présence ?

 

Ou bien suis-je le SEUL

à en éprouver la stridulation

dans ce gris qui meurt

et se désespère

de jamais connaître

l’ouverture, la clairière

par où initier le début

d’un événement,

 fût-il mince,

discret telle l’écume

à la crête de la vague ?

Pourquoi donc

cette sotte persistance

 à être ?

 Comprends-tu,

je devrais être doté

du seul courage

qui soit humainement possible,

m’abreuver à la ciguë socratique,

échapper ainsi à la vindicte

des sophistes

et connaître la seule chose

qui vaille :

LA VERITE.

 

Non, ne me réponds pas

puisque tu n’es

que la réverbération

de ma propre parole.

Si un pouvoir t’est accordé,

qu’il soit celui de saisir

cette coupe d’airain,

d’y verser quelques feuilles

létales,

d’en broyer la chair

nourricière,

de la mêler d’eau pure,

virginale, lustrale, 

de maintenir ma nuque

le temps d’un doux breuvage.

Après ceci,

après ce geste fondateur

de ma propre mortalité,

de ton soudain effacement,

nous pourrons dormir en paix

car ces feuilles

emplies de rosée

seront notre infini repos.

Oui,

INFINI !

 

 

 

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commentaires

N
Sublime...
Répondre
B
Merci Nathalie. Très belle fin d'année scolaire. Ensuite la totale liberté de créer : une ivresse. Amitiés. JP.

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