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7 juillet 2021 3 07 /07 /juillet /2021 08:06
En soi le monde sans débord

Narcisse

Mythologie Grecque

Source : Wikipédia

***

   Il y a le monde, le vaste monde en sa plurielle dimension. Ce vaste monde, pareil à un enfant devant sa friandise, nous voudrions le dévorer, le manduquer consciencieusement, le métaboliser au sein même de notre corps afin que, maîtrisé, il ne puisse nous échapper, qu’il devienne monde en nous, site d’inoubliable joie. Car notre désir de possession est immense, car nous sommes d’insatiables prédateurs dont nulle proie ne pourrait satisfaire les envies polychromes, les ‘multiples splendeurs’ dont nous sommes en quête. Notre forme humaine si singulière, notre esquisse à nulle autre pareille, nous voulons les parer des plus beaux atours qui se puissent imaginer. Ce que nous souhaiterions, au plein même de notre chair, la tapisser des mille merveilles particulières que nous avons élues en tant qu’indépassables, une sorte de feu dont nous voudrions nous saisir afin qu’il rougeoie sous la toile de notre peau et réchauffe la touche carminée de notre cœur qui n’est que le symbole de notre irrésistible passion. Oui car, nous les hommes, ne vivons que sur le mode de la passion.

Voyez cet Amant implorant la venue de son Aimée.

Voyez cet Esthète en pleurs devant cette œuvre d’art

qui vient à lui et le sauve de lui.

Voyez cet Archéologue porté à son propre ravissement,

il tient en ses mains terreuses, cette figurine en argile cuite,

cette pièce de monnaie frappée à l’effigie de quelque antique Empereur,

 il possède un peu de l’immense gloire de l’Univers.

  Nous vivons, chaque jour qui passe, au bord de l’abîme : la solitude et son bruit de rhombe, la maladie et ses griffes mortifères, la mort et sa blanche figure qui sourit à l’horizon, en attente de qui nous sommes, pauvres pêcheurs qui cherchons notre Eden à défaut de ne le trouver jamais. Notre Terre Promise, nous la voulons dans l’immédiateté de sa manifestation, nous la voulons sans distance, offerte à la manière d’un calice aux flancs duquel s’illustrerait une sublime ambroisie. Et nul refuge dans une attitude de retrait ou bien d’excessive pudeur. Que nous soyons des êtres de désir, ceci dépasse l’empan de notre simple volonté. Ceci est inscrit dans nos gènes depuis le premier matin du monde. Un peu comme si un facétieux Démiurge, depuis son invisible contrée, avait énoncé sur le ton de la prophétie :

« Toi, que j’ai fait à mon image,

tu seras l’officiant d’une liturgie désirante,

infiniment désirante.

Toi que j’ai nommé sur terre,

je t’ai désiré depuis l’impératif même

d’une verticale nécessité.

Ce désir dont j’ai été animé,

tu en es maintenant le récipiendaire.

A toi de l’assumer jusqu’en ta pointe extrême,

tout devra entrer en toi

 et y faire sens dans le luxe des choses.»

  Oui, cette mystérieuse voix, je l’entends, elle fait son étonnant vibrato tout contre la feuille souple de mon âme, elle y imprime une manière de Table de la Loi, elle y dépose un étonnant Décalogue dont les commandements sont les suivants :

« Fais aux autres ce qu’en toi-même tu ressens comme le beau.

En toutes choses, efforce-toi de ne pas te nuire.

Traite le monde comme tu te traiterais intimement.

Que la justice soit la tienne.

Vis ta vie dans la joie et l'émerveillement.

Cherche toujours à apprendre du nouveau qui te soit utile.

Que tes idées soient conformes à qui tu es en ton fond.

Que les autres soient en ton accord, voici qui est bien.

Que tes opinions soient celles que tu as choisies,

non celles qui te sont étrangères.

Remets tout en question,

à partir de ta propre sensibilité. »

 

   Disant ceci, cet étrange Zarathoustra, avait accentué tout ce qui confluait avec ce que je souhaitais entendre : « toi-même » ; « la tienne » ; « tes idées » ; « ton accord ». Le Prophète donc avait tracé, tout autour de moi, un cercle étroit dont j’étais le centre et la périphérie. C’était un peu comme si j’avais retrouvé un ‘Paradis perdu’ à la Milton, si j’avais été Adam en personne, en chair et en os, incarné jusqu’en son plus délicieux supplice, courtisé et fêté par une Eve déjà soumise aux pulsions de son inconscient et aux désirs polyphoniques de ce qui, en elle, était conscient plus que conscient. Comment, dès lors, pouvais-je me relever de ce rêve dont j’espérais bien, à la manière de Gérard de Nerval, qu’il s’épancherait « dans la vie réelle », y creuserait sa niche autonome, m’appellerait à célébrer, en sa présence, les noces de la joie.

Je voulais être joie en moi plus que moi.

   Cependant que je méditais ceci avec des lèvres gourmandes, pliée au sein de mon esprit, une nécessité me dévorait en même temps qu’elle me sublimait : il m’était intimé l’ordre intérieur

de faire de mon MOI un feu de Bengale,

de faire de mon JE, la transcendance

que nulle lumière, fût-elle scintillante,

jamais ne pourrait égaler.

 

   Hors cet étrange Zarathoustra et moi, il me paraissait évident que nul autre n’existait sur terre. Et ceci devint même une telle certitude que, poussant jusqu’à sa pointe la plus extrême le désir narcissique de figurer à la façon cartésienne « comme maître et possesseur de la nature », autrement dit comme le maître en toutes choses, y compris des destinées de ‘l’humaine condition’, je décidai sur-le-champ de sacrifier Zarathoustra et, corrélativement son idée de ‘Surhomme’.

   Mon naturel solipsisme ne tolérait guère quelque concurrence que ce soit. Me voici maintenant

seul sur cette terre

   sans que quiconque ne puisse contraindre ma liberté. Alors par voie de conséquence, si un Lecteur imprudent, une Lectrice téméraire, s’aventuraient à me lire, révélant en ceci une présence qui me ferait de l’ombre, ces Audacieux seraient en grand danger. Oui, en grand danger. D’abord au motif de leur propre existence. Ensuite pour la raison simple que ‘ce vice impuni, la lecture’, pour paraphraser le titre célèbre d’un livre de Valéry Larbaud, ne saurait demeurer plus longtemps sans le châtiment qu’il mérite.

 

On ne récolte jamais que ce que l’on a semé !

 

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