Gruissan…le sel…
Photographie : Hervé Baïs
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[Incise – Parfois, il y a loin du Verbe à l’Image. Parfois le commentaire semble tutoyer un autre domaine que celui du visible. Cette poésie, comme bien d’autres, est « Poésie Métaphysique », c’est-à-dire qu’elle ne pose que des problèmes qui paraissent si loin des préoccupations quotidiennes. Et pourtant, si le Noir et le Blanc, loin d’être seulement des teintes que nous rencontrons dans l’horizon de notre regard, s’ourlent de mystérieuses connotations, rien ne vient ni du Noir, ni du Blanc en leur foncière innocence, tout vient de nous, Êtres-de-question dont seule la Mort vient clore le registre itératif.
Alors, penser en « Métaphysicien », est-ce si grave ? Chacun en ceci, suit sa propre pente, son inclination naturelle. Cependant nul n’est plus aveugle que celui qui se voile les yeux. La conception ancienne de la Vérité chez les Philosophes antiques, se donnait sous les espèces du « Dévoilement ». En effet, cette conception paraît la plus juste pour déterminer le domaine du Vrai, au moins tâcher d’y parvenir.
Lorsque nous regardons cette régulière et étonnante pyramide de sel, nous en voyons l’endroit, mais ne pouvons ignorer son envers. Il en est ainsi des choses, elles ne nous révèlent jamais qu’une partie de leurs multiples esquisses et il nous faut en faire le tour de manière à en posséder une visée la plus exacte possible. Bien évidemment, au sens strict, le Noir est le Noir ; le Blanc est le Blanc et beaucoup se contenteront de cette rassurante tautologie. Cependant, à énoncer ceci, le débat n’est nullement clos car, toujours le doute existe et la crainte de n’avoir perçu que d’une manière erronée, approximative.
Sans doute les Choses nous questionnent-elles à notre insu. Alors, autant prendre les devants, la surprise est moins grande dès l’instant où elle est anticipée. Regarder, lire, écrire, penser, tous ces gestes du quotidien ne sauraient se circonscrire à leur propre énoncé, toujours des échos, des réverbérations, des sédiments qui remontent à la surface avec leur charge de mystère. La surface n’est jamais sans la profondeur. Mais nul n’est censé souscrire à cette vision. Il faut faire confiance à son propre « daïmôn » lui seul nous souffle la conduite à suivre. Belle lecture si vous lisez. JP.]
“Lorsque votre démon est en charge,
n’essayez pas de penser consciemment.
Laissez-vous aller, attendez et obéissez.”
Rudyard Kipling
Le Blanc fait fond
sur le Noir.
Le Noir fait fond
sur le Blanc.
Parfois le Noir se
diffuse dans le Blanc.
Jamais le Blanc
n’altère le Noir.
Règle infrangible
de l’Exister.
Le Noir est le
domaine de la Mort,
le site du Rien,
l’aire du Néant.
Le Blanc est le
lieu de la Vie,
le surgissement
du Tout,
l’espace
du Réel.
Le Ciel est Noir,
la Terre est Noire.
Ils sont le Ténébreux,
l’Impénétrable
par où l’Absurde
vient à nous
et nous cloue à
notre propre stupeur.
La pyramide de sel
est Blanche.
Elle est la sublime Clarté
par où nous venons à nous
le temps d’une Éclaircie.
Le Blanc est Pureté.
Le Blanc est Cristal.
Il rayonne en nous
au plus profond
de notre être.
Il nous dit la Beauté
de ce qui est sous tous
les horizons du monde.
Il nous dit le Refuge, le Pli,
mais aussi le Dépli.
Il nous dit le Verbe qui,
un jour, troua le Noir,
donna Signe et Sens
à tout ce qui devait
croître et essaimer.
Le Verbe humain,
non le Verbe divin,
il est trop loin,
il est trop tissé de songe,
peut-être de mensonge.
Le Blanc fait fond
sur le Noir.
Le Noir fait fond
sur le Blanc.
Le Verbe humain
brille au cœur
de la sublime Poésie.
Le Verbe humain est l’éclat
de la précieuse Philosophie.
Le Verbe humain, c’est lui
qui porte l’Art au paraître.
Le Sel de la Vie
est Sel du Langage.
Le Sel est l’Esprit
qui se lève,
féconde la
divine Raison.
Le Sel est céleste,
il est le mercure
des Grands Penseurs.
Le Sel est le médiateur
alchimique entre
l’Âme et la Pensée.
Le Sel est sacré, il purifie,
il protège des mauvais esprits.
Le Sel est Sel pour autant
qu’il se donne en tant
que rare, essentiel.
Il a la teneur
d’une Essence,
l’éclat de l’Idée.
Le Blanc fait fond
sur le Noir.
Le Noir fait fond
sur le Blanc.
L’Image qui nous
raconte ceci est belle.
Elle est Essentielle,
elle est Fondement.
Ici, une Réduction a eu lieu,
Une condensation s’est opérée.
Tous les prédicats obsolètes
ont été gommés.
Il ne demeure que
cette haute dialectique
du Blanc et du Noir.
Il ne subsiste que
cette tension élémentaire
de la Vie, de la Mort.
Les fins Nuages disent
la Vie en sa fuite continuelle.
La Terre Noire dit
l’accueil final des Corps.
La pyramide de Sel
tient le milieu,
s’arcboute sous la
taie Noire du Ciel,
ses flancs sont la lisière,
la limite extrême au-delà
de laquelle le Verbe s’éteint,
s’annonce le Silence de l’Infini.
Le Blanc de la Vie a
rejoint le Blanc du Silence.
Le Blanc de la Vie
connaît le Noir comme
ultime étape de son voyage.
Du Blanc nous sommes assurés,
tout comme nous sommes
conscients d’exister,
de parler, d’aimer.
Le Blanc fait fond
sur le Noir.
Le Noir fait fond
sur le Blanc.
Du Noir nous ne
connaissons rien,
supputons seulement,
imaginons et c’est pareil
à un mot qui,
depuis une éternité,
n’attendait que
d’être biffé,
de retourner au lieu
de son Origine,
dans cet Invisible qui
nous questionne et nous met
au défi de le comprendre.
Mais que comprenons-nous
vraiment ?
Le Ciel en son immensité ?
La Terre en sa fermeture ?
Le Nuage en son
éphémère voilement ?
La beauté en son énigme ?
Le Verbe en son
inépuisable ressource ?
Que comprenons-nous
vraiment ?
Telle cette blanche pyramide
qui monte à l’assaut du Ciel
et sans doute ne sait
guère pourquoi
nous tendons nos mains
vers l’Immense.
Elles sont Blanches,
uniquement Blanches
qu’un suaire Noir, au loin,
pourrait bien recouvrir un jour
si nous n’y prenons garde.
Car, toujours le Noir
veut phagocyter le Blanc.
Là est la loi de l’Exister.
Le Sel est soluble
dans l’eau.
L’eau est l’autre
nom du Noir.