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22 octobre 2022 6 22 /10 /octobre /2022 09:55

   Souvent, au plein de mes multiples errances, ai-je trouvé, avec un frisson de plaisir, Une parmi Celles dont j’attendais qu’elle comblât, au moins provisoirement, mon existence nomade. C’est alors une vraie félicité que de parcourir le Monde selon toutes ses latitudes, d’y espérer, ici, une Fille à la peau soyeuse, là-bas une Jouvencelle penchée sur le bord de quelque fontaine. Pouvez-vous imaginer combien l’on se place toujours sous la férule de ses propres inclinations ? Jamais l’on n’échappe à qui-l’on-est. Parfois une brusque sortie dans la lumière des choses, parfois un soudain éblouissement et l’on revient aussitôt en sa propre demeure, là où cela murmure, là où cela chante et invite au repos. Sachez-le, afin que votre étonnement soit circonscrit à son cercle le plus étroit, je suis un Romantique qui ne vit que de ses propres rêves, un dormeur debout, si bien que Vous, dont je vais parler, n’êtes peut-être qu’une image, le vers d’une poésie, un fragment d’anthologie surgie d’un des maroquins de ma bibliothèque.

   Mais puisque, en réalité, vous ne savez vraiment qui vous êtes, quel est votre profil, quel est le style de votre silhouette, quelles tendances vous disposent dans le maquis de l’exister, laissez-moi vous dire selon le penchant de ma fantaisie. Je vous imagine sur le bord d’un rivage radieux, habité d’une haute lumière, Vous, la recevant au plein du visage, comme si vous souhaitiez la mieux connaître, la mieux posséder en quelque façon et je conçois sans peine que cette clarté ne vous illumine de l’intérieur, ne tapisse la tunique diaphane de votre corps, n’en fasse une lanterne magique qui, jamais ne s’effacerait, pour quiconque en aurait rencontré la fabuleuse image. Observant l’aura qui vous détoure et vous rend presque transparente, une manière de luxueuse naïveté, de juste innocence, vous m’apparaissez telle cette Petite Sirène du port de Copenhague, son corps de bronze poli éclaire jusqu’au mystère de la nuit.

   Et puisque nous voici en terres danoises, poursuivons donc notre périple jusque sur ces beaux rivages des Møns Klint, ces merveilleuses hautes falaises blanches, on les dirait le jeu de quelque Dieu occupé à sculpter des rêves de talc et d’écume. Combien de fois, ramené au plus près de qui-je-suis, ai-je parcouru leur estran semé de galets gris lustrés par les vagues, en-moi-hors-de-moi, en partance pour un ailleurs qui n’était jamais que ma proche périphérie, que la projection de mes songes sur ces murs vertigineux que je parais des plus purs prodiges. Nulle promenade qui ne s’ornât des jeux subtils d’une poésie, nul pas qui ne s’accomplît sous la conduite de ces Romantiques Allemands qui, chaque heure qui passe, marquent d’une pierre lumineuse les bornes de mon Destin. Les citer tous serait un ineffable bonheur, mais il me faut retenir quelque secret pour la suite. Déjà je vois vos lèvres gourmandes s’entrouvrir sur les friandises du jour. Et la lumière, cette lumière si pure, si haute, vous transfigure, faisant de Vous, à n’en pas douter, la Déesse que toujours vous avez été, qui ne connaîtra ni les limites du temps, ni les contraintes de l’espace. Le lieu que vous occupez est si singulier qu’il fait reculer dans l’ombre tout ce qui pourrait venir en contrarier la naturelle exposition.

   Mais que je vous dévoile enfin telle que vous êtes. Je reconnais l’étrangeté de mon projet, vous dire, Vous, plus réelle que vous n’êtes à vous-même, vous dire en votre exception. Se connaît-on jamais ? Quel miroir nous dira donc notre vérité ? Notre conscience est-elle la mieux armée pour déchiffrer le continent obscur que nous sommes à nous-mêmes ? J’entreprends sur-le-champ l’audacieuse mission de vous livrer votre essence la plus accomplie à partir de mon regard qui, certes est éloigné, mais s’agrandit précisément de cette distance. Trop près, les choses nous aveuglent, trop loin elles échappent à notre vision. J’espère la juste distance qui me situe près de vous, cependant en vue de qui-je-suis. Car il faut cette double vue, laquelle partant de moi, puisse vous rejoindre sans délai, vous atteignant au creux même de votre mystère.

   Je n’aperçois guère que la plaine de votre dos. Elle est dans l’ombre. Vous êtes assise à même la plage de galets, tout à la vision de ce qui vous fait face : la lisse rumeur du vaste Océan, la neuve courbure de la lumière, un rien qui pourrait se lever à l’horizon et vous dire un secret jusqu’ici dérobé à votre longue patience. La lumière, la belle lumière fécondante glisse sur la diagonale de votre visage, glisse le long de votre bras droit et éclaire les interstices entre les galets. Vous êtes immobile, contemplative, comme fascinée par ce qui vient à vous avec douceur, discrétion. En quelque manière, en ce jour nouveau, vous naissez à vous-même, vous inaugurez ce Monde lointain et proche à la fois.

 

Ce Monde au-delà de vous qui est question

Ce Monde au-dedans de vous, qui est question

Car exister est questionner

 

   Sur la nuée anthracite des galets, un livre est posé. Un livre ouvert. Ses feuillets en éventail que la clarté rend immensément présents, le regard s’y accroche, le regard s’y abîme dans la pliure de la joie. Bien évidemment, je ne peux savoir quel est leur contenu, je ne peux prendre acte des milliers de signes minuscules qui y courent avec toute la charge de sens dont ils sont investis. Je peux imaginer seulement, faire quelque hypothèse qui me posera en personne, mon ego, en quelque manière effaçant le vôtre.  C’est toujours une douleur en même temps qu’une réalité, notre cruel solipsisme efface tout ce qui n’est nullement lui et que reste-t-il après cette biffure ? Existerez-vous encore au moins ? M’adresserez-vous un geste qui témoignera de qui-vous-êtes ? Quand bien même ma propre réalité se superposerait à la vôtre, il me faut témoigner à la hauteur de qui-je-suis, vous prêter quelques unes de mes affinités, vous créer selon moi, car comment pourrait-il en être autrement ?

   Ce livre posé sur les galets, dont sans doute vous avez parcouru les pages, nécessité se fait pour moi d’y projeter quelques mots de ces Romantiques (vous êtes bien Romantique, n’est-ce pas ? Toute votre attitude en témoigne), qui ainsi vous détermineront à mes yeux bien plus que vos actes ne pourraient le faire. Savez-vous combien nos lectures nous reflètent, parfois même nous trahissent ? Mais je ne vous distrairai plus longtemps de ce que je brûle de vous faire connaître. Ceci, cette connaissance, sera la surface qui vous réfléchira, votre image spéculaire si vous préférez. Certes, sans doute consonera-t-elle avec la mienne, mais comment éviter ceci puisque, dans l’instant même de mon écriture, nous sommes Deux au Monde, rien que Deux et c’est le mouvement de Moi à Vous (conscient), de Vous à Moi (inconscient) qui inscrira sa légende en tant que la seule vérité possible. Je vous offre donc quelques fragments d’une Anthologie des Romantiques Allemands, ils seront le miroir commun dans lequel confondre nos images doubles.

   

   « C’est à peine si je sais encore quel fut, et où, le commencement de mon rêve ; pareil au Chaos, le monde invisible voulait enfanter toutes choses ensemble, les figures naissaient sans cesse, les fleurs devenaient arbres, puis se transformaient en colonnes de nuages, et à leurs faîtes poussaient des fleurs et des visages. Puis je vis une vaste mer déserte, où nageait seulement le monde, petit œuf gris et tacheté que les flots ballotaient. »  

 

Jean-Paul - « Rêve de Walt »

 

   Est-ce bien vous, cette Forme Rêveuse qui scrute l’horizon, y projette la résille dense de ses désirs ? et ce « petit œuf gris et tacheté que les flots ballotaient », n’est-il le symbole de cette  nouvelle naissance à laquelle je faisais allusion il y a peu ? Êtes-vous, comme moi, un Phénix qui souhaite ardemment renaître de ses cendres ?

 

« Il vient le nouveau jour, descendu des hauteurs lointaines,

Le matin réveillé hors des lents crépuscules,

Et il rit à l’humanité, tout paré et fringant ;

De douce paix l’humanité est pénétrée.

 

L’avenir veut la dévoiler, la vie nouvelle :

On dirait que les fleurs, signe des jours joyeux,

Comblent le grand vallon de notre terre entière ;

Au loin, par contre, est au printemps la plainte. »

 

Friedrich Hölderlin - « Printemps »

 

      « Le matin réveillé hors des lents crépuscules », est-ce celui-ci dont vous attendez qu’il vous sourie, vous soustraie à « la plainte » qui, toujours, est le bruit de fond de l’humanité lorsque, portée au comble du désespoir, elle ne trouve plus de sens qu’à se précipiter, tête la première, dans le sang et la barbarie ?  Le vaste et luxurieux Monde est en proie à bien des agitations ces temps-ci ! Comment en dévier le cours, sinon à l’aune d’une profonde méditation dont le SENS sera l’amer sur lequel nous fixerons nos regards, souhaitant trouver au terme de notre réflexion une position plus éthique, plus humaine. D’un Nouvel Humanisme, nous avons grand besoin. Ceci est une urgence. Il y a des évidences qui devraient s’imposer sans qu’il ne soit besoin d’en énoncer le contenu. Vous, la Solitaire de la Fadaise, je sais que vous me comprenez. Toujours l’épreuve de la Solitude est ce qui précède les actes de haute valeur. Jamais l’Humanité n’a eu plus grand besoin de se livrer à sa propre introspection, de retourner sa calotte, de présenter une face riante qui gommerait toutes les apories. Certes, la tâche est immense. A chacun sa part !

 

   « Quel est, doué de sens, l’être vivant qui n’aime par-dessus tout, dans le miracle des apparitions de cet espace immense autour de lui, la lumière, la joie de toutes choses - ensemble ses couleurs, ses rayons et ses ondes, l’apaisante douceur de son omniprésence avec le jour et son éveil ? »                                               

Novalis - « Hymnes à la Nuit »

 

   Tout comme Novalis qui chante l’Hymne à la Nuit, mais célèbre aussi la Lumière, n’êtes-vous en quête d’une spiritualité qui vous transfigurera, dans l’instant, là, sur la plage de galets où viennent battre le gris de l’eau, ses taches d’écume ? Sans doute avez-vous besoin de cette « apaisante douceur » qui est le miel de la vie dont on ne pourrait se passer qu’à l’aune de quelque sombre mortification ? Toujours est-il temps de s’éveiller.

 

   Mais voici que se termine ma mission d’enquêteur et je vais me retirer sur la pointe des pieds, vous laissant à votre longue méditation, elle est le fil qui Vous relie à Vous, or sans ce lien intime à Soi, il n’est d’autre destin que d’errer inlassablement d’une rive à l’autre de l’exister sans faire halte à aucune, identique à ces fétus de paille qu’une crue soudaines a surpris, les emportant au loin. Au loin d’eux, des Autres et du Monde. L’errance sera alors infinie parmi les flux désordonnés des hasards et des lourdes contingences. Or Seul face à Soi, toujours nous manque l’écho de l’Autre, de Celui qui nous porte à l’être.

 

Mais je vois les signaux de l’altérité vous incliner à les rejoindre :

 

ce vaste plateau de la mer,

ce peuple de galets,

cette flaque de lumière à l’horizon,

ces pages du livre où se tiennent

les mots du langage,

ces indices de l’Autreté Humaine,

celle par laquelle nous sommes au Monde

dans le plus vif éclat qui soit.

 

Que Mon Rêve soit le Vôtre

Que Votre rêve soit le Mien

 

 

 

 

 

 

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