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17 décembre 2022 6 17 /12 /décembre /2022 09:46

   Il est parfois des heures de grande perdition où l’on se rattacherait au premier écueil venu : une lointaine réminiscence, la face jaunie d’une ancienne photographie, un air de musique qui folâtrerait tout autour de soi avec sa neuve insistance. Toujours il est besoin d’un sémaphore, quelque part au monde, qui agite ses bras de métal et vous dise le lieu de votre être ou, tout au moins, ce qu’il pourrait être parmi les soubresauts du divers, les collisions du multiple. Car c’est de Soi dont il s’agit, de cette chair infiniment vacante qui ne sautait trouver le sens de son existence qu’à bivouaquer, ici au plein du désert, derrière la parenthèse des barkhanes à l’abri de l’harmattan ; là au revers de la colline semée d’une toison accueillante, un repos pour l’âme.  Mais le bucolique n’est le plus souvent qu’une vision de l’esprit et l’ouverture d’un paysage romantique, la survivance de quelque songe de jadis, il n’est plus qu’un fin cirrus se confondant avec la vaste plaine du ciel.

   Les choses du réel sont parfois, sinon toujours, si évidemment tranchantes qu’il ne servirait à rien de s’illusionner à leur sujet, autant faire face et prier les dieux que la fâcheuse, l’irrémédiable aporie se dissimule encore un instant et n’atteigne nullement la cible de notre conscience. Voyez-vous, vous dont encore je ne puis saisir l’être, c’est avec un cruel vague à l’âme que je progresse en direction de votre territoire sans le connaître vraiment pas plus que je ne saurais procéder à mon propre inventaire sous ce jour si gris qui confine à la blancheur du vide. Me sera-t-il jamais donné de dresser de vous plus qu’une esquisse se dissolvant dans les plis irrémédiables du temps ? Certes, ma plainte ne pourrait, aux yeux d’un Étranger, d’une Etrangère (c’est bien ceci que vous êtes jusqu’en votre plus troublante réalité), ne passer que pour risible, simple caprice d’enfant auquel un camarade indélicat viendrait de lui subtiliser son précieux jouet. Mais le voile de mon affliction, j’en pressens la noirceur, vous amputera de tout ce qui, de vous, aurait pu rayonner, s’exalter et dire la dimension de la joie. Votre aura, si vous en possédez une, rejoindra, sous le scalpel de mon regard, le massif ténébreux aussi bien qu’impénétrable de votre chair mortifiée, sa teinte d’argile grise en dit l’irrémédiable fermeture.

   Dès ici, je vais parler de vous et, sans doute, ne vous reconnaîtrez-vous nullement dans l’image qui en résultera. C’est égal, il faut qu’à mes yeux vous deveniez quelqu’un de vraisemblable, par exemple une personne que je pourrais croiser au hasard de mes erratiques voyages. Je crois, en définitive, qu’ils ne sont que périples tout autour de moi. Å la vérité nous sommes nos propres esclaves et si nos mains sont liées, c’est nous qui avons tenu le lacet, l’avons serré autour de nos poignets sans même savoir que nous étions les auteurs de ce cruel forfait. Mais assez disserté. Que je vous dise telle que je vous perçois.

   L’atmosphère qui vous entoure est toute de bleu-nuit, ce bleu indéfinissable qui ne connaissent que les yeux des étoiles. C’est un air de mystère sur lequel vous vous détachez un peu comme si votre âme, votre lieu intime avaient débordé de vous, teintant les choses alentour de vos pensées nocturnes. Car c’est bien nuitamment que vous pensez, c’est bien de l’obscur que naissent vos impressions. Vos pensées si discrètes, si dissimulées, voici que je me plais à les concevoir à la manière de ces beaux tissages des tissus africains, simple emmêlement de fils de chaîne et de fils de trame dont votre esprit est la navette qui en assemble les étranges nappes colorées. Métaphores si puissantes, si utiles à décrire votre écho.

 

Trame de votre destin.

Chaînes de vos relations,

peut-être de vos amours

anciennes ou actuelles.

Imaginez donc combien

le langage est précieux à peindre

 les caractères des individus.

Deux mots, deux simples mots

TRAME, CHAÎNE

et vous voici livrée corps et âme

à l’Inquisiteur que je suis,

lequel ne trouvera nul repos qu’il n’ait

 déchiffré votre rébus, trouvé la réponse

à votre charade existentielle.

   

   Je sais qu’à vous observer ainsi avec quelque curiosité avide, je dois l’avouer, constitue un geste de la plus grande impudeur. Cependant vous ne serez nullement atteinte en qui vous êtes puisque votre existence n’est que de papier. Mais enfin, une photographie témoigne bien d’un Modèle. D’un Modèle vivant « en chair et en os » pour employer la cruelle expression canonique. Mais je ne franchirai nullement le pas et demeurerai sur le seuil de l’Icone que vous me tendez, il est vrai dans une attitude bien sacrificielle. Votre visage, qui paraît boire l’air au-devant de lui, possède une curieuse coloration de Parme atténué dont l’on ne saurait pencher pour quelque interprétation que ce soit, reflet d’une profonde contemplation intérieure, jouissance à venir ou, bien plus tragique encore, dernier regard avant qu’un sommeil éternel ne vienne vous ravir aux yeux de vos coreligionnaires ?

 

Vos yeux sont clos.

Vos lèvres sont closes.

 

   Vous semblez bien au-delà de vous, peut-être dans un univers supra-céleste, une terre suressentielle qui vous ôterait au monde des Vivants, cette longue procession allant à sa perte, tout comme le gros du troupeau de Panurge se précipite dans l’abîme, chaque individu suivant le geste de celui qui le précède, vers cet irrémissible destin qui, toujours, se solde par une perte.

   Et vos cheveux de cuivre, cette longue flammèche qui vous poursuit comme si vous étiez une Damnée en proie à ses démons, condamnée aux plus vives flammes de l’Enfer. Est-ce ceci, ce feu qui vous ronge déjà, qui vous rend si énigmatique, si ambiguë aussi, cette figure que vous tendez au monde, faite d’une douloureuse jouissance. Être Pécheresse, ce que, possiblement vous avez été votre vie durant, un genre de Marie-Madeleine, peut-être repentie mais d’une repentance qui vient trop tard, au seuil même de votre condamnation, être cet événement singulier, cela, au moins vous a-t-il comblée alors même que votre gloire nimbait le visage de vos Adorateurs de cette auréole d’inimitable plaisir, de confession faite à eux-mêmes de vivre une extase hors du commun ?

   Oui, je crois avoir trouvé le bon vocable, le prédicat qui définit au plus près la tournure de votre âme. Vous êtes une Contemplative confinée à n’être qu’en vous-même. Sans doute êtes-vous, en votre plus effective intériorité, cette Déesse à laquelle vous vouez un culte dithyrambique dont nul autre ne pourrait partager l’exception. Vous êtes à vous-même votre interrogation et la réponse que vous y apportez avec cette certitude qu’ont les Explorateurs de découvrir le lieu absolu du Pôle qu’ils recherchent de toute éternité, en vérité cette étincelle qui les anime, les fait se tenir debout à même l’aiguille aimantée de leur boussole. Certes, la totalité de votre anatomie est une énigme, mais ce qui est le plus frappant, cette sorte de liane qui part de votre tête et ceinture petit à petit votre buste. Son point d’acmé, le point le plus haut de sa signification est cette tresse d’épines, résille qui enserre vos cheveux roux dans une bien étroite geôle. Il s’agit bien là, sans qu’une autre hypothèse soit possible, de la Couronne d’épines du Christ, cet instrument de la Passion avant l’épreuve de la Crucifixion. Tragique en sa plus terrifiante épiphanie.

   Ce qui, cependant, démure obscurité au plus haut point, ce voile de sérénité, de douce acceptation, tel Socrate devisant avec ses amis peu de temps avant de boire la cigüe qui va le conduire au Royaume des Morts. Est-ce votre vie de Pêcheresse, les sacrifices que votre corps et votre âme ont consentis dans les moments les plus cruels du don de votre personne qui vous ont porté au faîte de qui vous êtes dans une sorte de stoïcisme indépassable qui force le respect ? Ou bien, au contraire, s’agit-il de l’effet d’un renoncement à tout qui vous placerait dans l’attitude d’une inentamable quasi-sainteté ? Vous apercevez-vous au moins combien votre attitude héroïque me plonge dans l’embarras le plus profond ? Par le regard que je porte à votre sacrifice, me voici contaminé à mon tour et de manière que je crois irréversible. Que me reste-t-il à faire pour me racheter d’une vie que je crois pourtant bien ordinaire ? Me crever les yeux, tel Œdipe et errer dans les Rues de Colone ? Vos yeux clos, sont-ils de même nature que ceux de l’infortuné Œdipe ? Et pourrais-je vous regarder longtemps, vous qui ne voyez plus, c’est du moins ce qui m’apparaît au terme de votre sacrifice ? Je crains bien devoir vous rejoindre dans ce monde opaque. Le jour est si triste qui pleure des larmes blanches. Un sang qui n'est plus qu'une inutile lymphe !

 

 

 

 

  

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