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24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 08:45
Chair ou Ombre ?

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

 

Existiez-vous au moins avant

 que je ne vous imagine ?

Vous surgissez comme

d’une nuit lointaine,

aussi irréelle

qu’imprécise.

D’une nuit de chair,

d’une pulpe soyeuse,

d’une nacre solaire.

C’est ceci qui a retenu

mon attention : nullement

Vous au premier regard,

 nullement Vous en une

première intention.

Le VOUS était

 barré, occlus,

privé de quelque

signification.

Le VOUS exultait en Soi

mais y demeurait, pareil au

limaçon dans sa

 conque d’écaille.

 Le VOUS ressemblait

à cette touche d’Infini,

 un Bleu indéterminé,

sans contours,

sans origine ni fin.

Le BLEU pour le BLEU

 et nulle autre explication

qui l’eût porté à une

possible connaissance.

Le fond sur lequel

vous apparaissez et cependant

ne VOUS donnez nullement

est tout à la fois ce Retrait,

à la fois cet Appel dont les signes

 voguent et poudrent l’espace

d’un bien curieux frimas.

Une intime pulsation, un flux,

une oscillation, un rythme

identiques à celui, merveilleux

 entre tous, du nycthémère.

Un jour, une nuit ;

une nuit, un jour.

  

   Le fond qui vous produit, vous porte à la naissance, le fond dont vous êtes une simple émanation, un détachement, un étoilement, le fond est l’hymne secret par lequel vous venez au Monde. Nul n’en peut percevoir la pure irisation qu’à transcender le massif plein de son corps, à le rendre diaphane, éthéré,

 

à peine un souffle exsudant

d’une illisible matière,

à peine une floculation

au large des yeux,

à peine le liseré

 du Printemps

sur le froid boréal.

 

   D’emblée, il me faut en faire l’aveu, j’ai plongé dans cette fibre colorée, je m’y suis immergé comme la flamme monte du bois dans l’invisibilité de son être propre, j’ai troqué le coutre de ma conscience contre

 

cette pure affabulation

d’un réel évanescent,

une pluie, un nuage,

 une brume.

  

   Avant même que mon regard ne vous découvrît, Née-du-Bleu, j’étais déjà ballon captif, aliéné à votre cruelle Présence (oui, « cruelle » d’être trop présente, « cruelle » de jeter en moi les motifs de ma propre absence, de ma dissolution, sans doute de ma proche disparition), je n’étais plus qu’un invisible trait dans un dessin sans consistance. N’allez nullement croire que ma parole soit une plainte, qu’une perte divise nom corps et ne l’éparpille aux quatre horizons de l’insignifiance. Je ne suis en Moi qu’à être en Vous-même si votre apparition tarde à venir, victime des ellipses au sein desquelles vous êtes censée produire la possibilité de qui-Vous-êtes.

 

Chair ou Ombre ?

Ombre ou Chair ?

Chair ou Ombre ?

 

   Cette litanie m’habite bien plus que Vous ne m’habitez, bien plus que Vous ne peuplez la coursive de mon imaginaire. Pour autant, je ne renonce nullement à Vous porter au jour, à esquisser les scansions de votre Temps, à tracer le galbe de l’Espace qui Vous accueille, à faire de Vous plus qu’une cendre se diluant dans les marges d’un clair-obscur. Savez-Vous combien il est rassurant pour une âme fragile, inquiète de Soi, de vous porter dans l’approximation, le tremblement d’un Signe ? Ainsi, de cette irisation, de ce reflet, de cette opalescence vous sortez grandie, multipliée,

 

mille images en une,

mille femmes reflétées,

 mille songes

 

   naissant à même le vertige que Vous instillez dans le doute qui m’étreint et me définit, dans l’instant, bien mieux que ne saurait le faire un croquis, un lavis d’encre, une aquarelle ou même une pâte lourde, dense, chargée d’une multitude de sèmes. Mais qu’ai-je donc de Vous qui brasille en moi et éclaire ma peau du luxe de l’indéfini, de l’inaccessible, de l’étranger, de l’insondable, sans doute du paradoxe le plus vif qui se puisse imaginer ? Vous n’êtes qu’Ombre et Clarté assourdie, une manière de lave refroidie, de basalte non encore venu à son être.

 

Vous êtes Question dont nulle Réponse

ne vient adoucir l’ardeur.

Vous êtes pur Mystère dont nul réel

ne vient révéler l’intime dimension.

  

  Le massif de vos cheveux est nocturne de même que les lisières en lesquelles votre corps s’enclot. Le triangle de votre visage, bien plutôt que de dessiner les frontières d’une humaine présence, est une simple figure géométrique, une abstraction, une énigme pour tout dire. Du Bleu, lequel eût pu appeler une fraîcheur, se diffuser une sagesse, se déployer une sérénité, du Bleu ne monte qu’une profonde mélancolie comme ces êtres qui traversent les rêves et ne laissent, au réveil, qu’une large empreinte de vide. On essaie d’agripper un copeau du songe, une simple pellicule, mais ne demeurent jamais que d’étiques scories, de minces ruines dont on ne peut rien faire, sinon la fosse en laquelle s’abîmer sans possibilité aucune de retour.

   Votre buste est plat, sans relief et vos seins sont un si mince monticule que la fugitive tache de vos aréoles est pareille à ces points de suspension qui, après quelques mots, n’indiquent rien, se fondent à même le vierge du papier. Que puis-je dire de vos bras, ces tiges frêles qui ne pourraient embrasser que l’inconsistance, le peu, le rien ? Que puis-je dire de vos jambes croisées, de l’abritement de votre sexe, du refuge de Vous en lequel vous semblez vous perdre, telle une Petite Fille que la simple clarté effraierait ?

   Comment, à partir de Vous, pourrais-je m’extraire de mon silence ? Et ces mules étranges qui vêtent vos pieds, quelle est leur valeur, quelle est l’inquiète teneur que vous leur attribuez ? Avancez-Vous dans le Monde à pas feutrés, comptés, dissimulés ?

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair 

 

  voyez-vous, je ne peux vous évoquer qu’au gré de cette constante hésitation, de ce frisson, de cette longue convulsion, de ce vibrato infini qui est celui-là même par lequel je demeure dans le puits de mon corps, ébranlé par la vastitude du Monde, par son rythme fou, sa vibratile trémulation. Sans doute, pour Moi, serez-vous dans l’étonnement infini du Temps, ce sémaphore flou agitant son signal dans le songe d’une brume.

 

Le songe ! De lui j’attends

qu’il vienne me délivrer

de Vous, me délivrer de moi.

Vivre est aliénation.

Qu’une extinction,

qu’un silence infini viennent

nous dire ce que, pour nous,

a été ce curieux cheminement

sur des sentiers dont encore,

au seuil de notre perte,

nous n’avons exploré

que la poussière.

Les racines sont loin,

les racines sont blanches

qui réclament une

pluie de signes.

Les Signes, seuls

nous les Hommes,

vous les Femmes,

 le pouvons.

Mais, au moins

le savons-nous ?

 Il fait parfois

si ombreux

dans la meute de

 la chair humaine !

Si ombreux que

la lumière efface !

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair

 

 

 

 

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