Du plus profond de mes nuits,
du plus ténébreux de mon âme,
du plus dissimulé de mes désirs,
c’est Toi et rien que Toi,
seule ton image venait
jusqu’à moi et me hissait,
parfois, à la lisière du jour.
Il n’était pas rare alors, que mes songes ne fussent traversés de courtes illuminations. Au petit matin, elles me laissaient sans voix, au bord de quelque évanouissement. Au loin, j’entendais la Nature s’ouvrir, l’air déployer ses ailes, le soleil faire sa mince vibration. J’interrogeais le Temps. Je questionnais l’Espace et ma tête, envahie de courtes floculations, flottait à des hauteurs inimaginables, tanguait de-ci, de-là, pareille à ces archaïques aéronefs qui traversaient la vaste plaine du ciel en cahotant. On aurait dit de facétieux jouets animés par de naïves mains d’enfants. Je crois que cette poésie vacante, aérienne, à peine talquée de quelque rythme me soutenait, me portait au bord de qui-j’étais, me maintenait, en quelque manière, juste une coudée au-dessus du réel. Le réel, le dense, le compact, tout ceci j’en savais l’ultime faveur en même temps que l’évident danger. Il fallait demeurer en Soi,
jeter en direction de la terre ses dendrites,
déployer ses axones,
dérouler ses arborescences,
mais dans le genre d’un
à peine tutoiement,
un effleurement,
le contact trop vif signifiait la chute et le terme du rêve éveillé et le deuil qui ne manquerait de s’ensuivre. Il y avait trop de buissons écarlates semés au hasard des rues. Il y avait trop de feuilles acérées telles des dagues. Il y avait trop de couleuvrines qui guettaient et fomentaient de sombres desseins.
Là, dans la mince chambre
qui me tenait lieu de refuge,
là dans le doux rayonnement
blanc de la première clarté,
il me fallait cette indistinction,
cette approximation,
cet effeuillement du doute.
C’était un miel, un nectar qui faisaient,
à la nacelle de mon corps,
comme une longue bannière étoilée
flottant au hasard du large cosmos.
J’étais le Nouveau-Né issu d’une eau de source. J’étais le Tard-Venu d’une étrange fiction. J’étais la simple émanation d’une Flûte que je pensais Enchantée. Et tout ceci je ne l’étais qu’à la mesure de l’empreinte que Tu traçais en moi, je ne l’étais qu’à me dissimuler dans la portée ombreuse qui était comme la projection de Ton âme sur cet Esseulé dont je figurais la métaphore irrésolue, presque un léger cirrus emporté par les sombres humeurs du vent. Cependant, dans mon alcôve éthérée, je ne pouvais seulement vivre et me sustenter aux racines de l’esprit, elles étaient trop irréelles, trop tissées des grains corrosifs de la folie.
Il me fallait un lien.
Il me fallait une correspondance.
Il me fallait une pierre de touche.
Il me fallait mon errance
amarrée au roc de ta certitude.
Un roc malléable, une sorte de pierre ponce rongée à l’acide de mes sombres déterminations. Un roc, mais en douceur. Mais en effleurement. Mais en lianes allusives. Il me fallait une alliance qui, en même temps, était possibilité d’un retour car je ne pouvais supporter l’idée de pouvoir différer de-qui-j’étais, de me désunir, de m’éparpiller dans l’immense résille de l’Altérité. Juste une meurtrière. Juste un lacet se déroulant de Toi à moi puis une reprise de possession, puis la cellule blanche dont je différais à peine car je n’étais né à-qui-j’étais que dans la pure distraction, peut-être un balbutiement du Destin. C’était ceci qui, pour moi, se nommait « Vivre », t’apercevoir au loin, te porter jusqu’à moi, tout au bord du cercle libre de mes yeux, longuement t’observer, peut-être même te disséquer, puis te ramener à ton entièreté et t’y laisser demeurer jusqu’à ce qu’une nouvelle hallucination me dictât mon prochain geste en ta direction.
Le Sens, n’était que ce
clignotement de Toi à moi,
cette lente effusion qui, bientôt,
connaîtrait son irrémissible contraire,
une fuite, un jeu de cache-cache,
une partie de colin-Maillard
où nous deviendrions
invisibles l’Un à l’Autre,
simples délibérations silencieuses
d’un espace sans attache,
sans substance, sans parole.
Mais je dois te dire. Mais je dois te faire paraître avant que de t’effacer. La végétation est sombre, pareille à des caractères d’imprimerie sertis dans leur mutité de plomb. Des roches. Des dalles de rochers. Doucement inclinés vers la levée de l’aube. Leurs faces sont brillantes mais encore prises d’ombres. D’épaisses lanières de lichen en délimitent la sourde présence. Tout est minéral, immensément minéral sous le dais alangui d’une lumière grise. On pourrait presque en compter les grains, en dénombrer les particules, en isoler les beaux éléments. Mystère de la matière que le jour pénètre dans un effort à peine soutenu. Plutôt un échange du consistant et de l’inconsistant. Plutôt une poésie silencieuse.
Et Toi, oui Toi qui parais à peine,
toi l’Esseulée qui viens
rejoindre un autre Esseulé.
Ensemble nous tissons d’étonnants
et invisibles fils de la Vierge.
Ce qui nous unit est plus fort
que ce qui nous désunit.
Un regard bourgeonne à l’horizon qu’un autre regard veut visiter, vient ensemencer, fertiliser l’espace d’un pur instant. Certes, tu as abrité tes yeux derrières de vastes vitres noires, mais ces vitres te révèlent bien mieux que n’aurait pu le faire la claire visibilité de tes iris. C’est bien parce que Tu es mystérieuse que tu m’attires, que tu aimantes mon vol stationnaire semblable à celui du merveilleux colibri, une infinie vibration de l’âme qui s’alimente, se ressource à son propre feu.
Ton visage est blanc, ovale, régulier.
Un visage de Madone ?
Un visage de Fille nubile ?
Un visage de Communiante ?
Sais-Tu combien mon imaginaire t’installe en ces physionomies vagues, nébuleuses, diaphanes, presque l’indéfini d’un sentiment, presque la touche de l’Art lorsqu’il tutoie la grâce. Et, sans doute, s’il est accompli, la grâce est en lui comme l’eau à la fontaine. Ton cops, je ne le vois pas car il déborde du cadre de mon imaginaire. J’en sens la troublante présence. Je ne sais sa texture, sa nature exacte.
Onyx ou lisse obsidienne ?
Fougère aux spores inventifs ?
Féline au seuil de sa tanière ?
Ou bien dessin posé
sur la feuille de la roche,
telles les images
rupestres du Tassili ?
Voici Belle Étrangère comment tu viens à moi, en cette curieuse déclinaison dont le subit effacement me conduirait à ma perte. Au moins au sein d’une confusion qui serait in-envisageable !
Je veux dire qui n’aurait nul visage
et je me perdrais à moi-même
dans les convulsions
étroites d’un songe-creux.
D’un assembleur de nuées.
D’un alchimiste ivre
de ne point tirer de ses cornues
autre chose qu’une matière
vile, indéterminée.
Et grand serait le vide
où ne résonnerait
que l’écho du vide !