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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 09:54
Face à Face

« Histoire brève »

 

Barbara Kroll

 

***

 

[Mon écriture : une histoire toujours à recommencer

 

Exister, c’est toujours exister la même histoire

Aimer, c’est toujours aimer une unique Amante

Écrire, c’est toujours écrire les mêmes mots

 

   Ma postulation est-elle au moins exacte, fondée en vérité ? Ou bien est-elle, au contraire, pure fantaisie ? Nombreux Ceux, Celles qui se ruent avec délice sur la première expérience venue, en épuisent le sujet et meureut à eux, à elles, afin que, rénovés, ressourcés, ils puissent expérimenter à nouveau, mais sous d’autres latitudes, sous d’autres horizons, privilégiant la surprise, le changement, l’innovation, la fraicheur, enfin tout ce qui présente visage inconnu et sature jusqu’à l’excès leur désir d’emplissement de Soi. Toujours une nouvelle épiphanie, toujours un nouveau continent qu’ils n’auront de cesse de défricher jusqu’à la prochaine et excitante exploration. Question de tempérament sans doute, question de ressenti, de vitesse de Soi par rapport au rythme du Monde. Car à vouloir posséder le tout du Monde, l’altérité en son visage pluriforme, on ne parvient qu’à dessiner le cadre d’une utopie, on s’oublie soi-même, on s’annule en quelque sorte à même la multiplicité, la dispersion, à même une scintillation qui nous conduit bien plutôt à la cécité qu’à l’exercice de la lucidité.

   Notre Monde contemporain est trop pressé, trop fasciné par les fragments polychromes d’un kaléidoscope fou. Le très bel Écrivain qu’est Milan Kundera, faisant « L’éloge de la lenteur » dans le roman-essai éponyme, ne trace-t-il la voie d’une certaine sagesse qui se donne sur le mode de la retenue, du silence, d’un recueil en Soi, d’une nécessaire modestie qui, faisant le choix de tracer toujours le même chemin, nous invitent à la profondeur, à l’intime exploration de Soi (cette joie sans pareille), rejetant l’éparpillement qui, correctement analysé, n’est que le symptôme d’une fuite éperdue devant le tragique de notre Finitude. Une citation, extraite de son livre, situera la mesure exacte d’un mérite qui, aujourd’hui, se trouve enseveli sous les strates d’intérêts multiples, de rituels nombreux, pléthoriques dont notre civilisation est le miroir, mais un miroir sans tain qui ne parvient plus à refléter sa propre image. Sous sa phrase :

 

« la discrétion qui, de toutes les vertus, est la vertu suprême »,

 

   entendons l’écho d’une manière d’exister qui, loin de s’abreuver à mille sources, n’en privilégie qu’une seule, préférant une eau pure et simple à une boisson frelatée au motif que les mille usages que l’on en fait lui ôtent l’essence dont elle bénéficiait originellement. Bien plutôt que de s’éparpiller dans la fascination de mille sillons, en tracer un seul et l’approfondir afin qu’une vérité se révélant, celle-ci pût nous convoquer aux purs délices d’un creusement de Soi, du Monde, de l’Autre. Sans doute existe-t-il une ivresse de l’éparpillement, de l’éclat scintillant, de la multitude. Sans doute existe-t-il une profonde joie à tracer son propre sillon dans l’Unique, à en parcourir mille fois la glèbe lisse, lumineuse, à faire fructifier le grain que nous logeons en son sein, la belle moisson est au bout qui nous dit le lieu intime de notre être. Bien plutôt dans le sobre de l’unité que dans l’excès de l’éparpillement.

   Mais ici, il convient de reprendre le titre de ce paragraphe : « Mon écriture : une histoire toujours à recommencer ». Oui, je crois profondément que nous, Hommes, Femmes, ne faisons que tracer inlassablement la même ornière, tout comme notre respiration, notre alimentation réitèrent leur trajet physiologique.  Toujours nous enfonçons le coutre de notre conscience dans le derme têtu du réel, tâchant d’en extraire, sinon une vérité définitive, du moins quelque nourriture pour le corps et l’esprit, du moins quelque certitude qui rougeoiera tout au bout de notre vision, qui sera un fanal brasillant à l’extrémité du tunnel ténébreux dont, parfois, souvent, notre existence est le cruel symbole. Car avancer sur le chemin de l’exister, bien loin de s’émietter sur mille voies multiples, nécessite, je crois, la manifestation d’un unique Orient selon lequel diriger l’hésitation de nos pas.

   Ceux, Celles qui parcourent les lignes de mon écriture y retrouveront, dans le silence de la glaise, le plus souvent, d’identiques ferments. Des thèmes y reviennent. Des obsessions s’y déploient. Des manies s’y illustrent. Car l’écriture, si elle possède bien quelques vertus a ceci de précieux, qu’elle trace la voie de notre Être, pose, au hasard des chemins, mille cailloux blancs qui disent notre aventure, si peu étrangère aux  pas que fait, dans l’exister, le Petit Poucet. Par définition, nous sommes des êtres de la multitude, du morcellement, aussi cherchons-nous la voie qui nous recentrerait sur une unique tâche, nous connaître nous-même en tant que possible unité.

   Alors, que faire d’autre, pour rassembler les tessons épars de la poterie que, métaphoriquement, nous sommes, si ce n’est de s’abreuver continûment à la même source, de manière à ce que notre être, enfin rassemblé, puisse connaître sa propre logique interne et progresser sur un unique chemin. J’ai la conscience aiguë, mais nullement désespérée cependant, que mon écriture, pareille à une eau de pluie, ruisselle toujours dans les mêmes gorges étroites, s’épuise à poursuive d’identiques chemins de poussière. Qu’en reste-t-il au final, si ce n'est une résurgence, ici et là, au hasard des consciences qui s’y arrêtent un instant, y papillonnent, y butinent, ici et là, une phrase, un mot, puis volent vers d’autres nectars, les sources auxquelles s’abreuver sont tellement multiples, tellement chatoyantes. Nul ne s’arrête jamais longtemps sur une provende, il y a profusion et La Vie bat la chamade qui n’aime ni les haltes, ni les visions trop prolongées, l’aiguillon est là qui fore la chair et demande son dû d’autres nourritures terrestres, il y a tant de fruits à cueillir à portée de la main, à portée de l’acuité du désir.

   Aussi, tout Lecteur, toute Lectrice qui s’aventureront dans la lecture du texte qui suit, fouleront certainement des terres connues, reconnaîtront des paysages déjà rencontrés, peut-être des êtres familiers. Pour ce qui est de la tâche d’écrire, laquelle est de nature quasiment obsessionnelle, le soc fouille et retourne constamment la même glaise, parfois selon des images qui ne se renouvellent qu’à évoquer d’identiques sources. Une même eau de fontaine coule à laquelle s’abreuve Celui, Celle qui consentant à la tâche de lire. Oui, car lire est une tâche, une épreuve et c’est bien en raison de ce motif que la plupart des textes disparaissent sous les images qui les annoncent puisqu’en notre contemporaine « culture », nul écrit ne saurait s’exonérer du « spectacle » qui le porte et le justifie, ce dont les Réseaux Sociaux sont friands à l’excès. L’image se donne comme la pointe avancé de la création, le texte ne venant à sa suite qu’à titre de décoration. Aussi le Langage, le sublime Langage est-il en grand danger de ne plus reconnaître, dans le visage qu'il tend au Monde, que l’artefact déformé de son essence, donc un produit consommable et jetable comme tout autre objet de consommation.

   Bien évidemment cette vision étroite du Langage, en pervertit la fonction, en travestit la nature même qui est du ressort de l’Être, nullement d’un produit qui trouverait, ici et là, au hasard des événements, les lois de sa manifestation, à savoir la réification d’une Idée, la cristallisation de ce qui ne saurait l’être, les motifs de la pensée ne pouvant jamais se réduire à l’objet qui en tiendrait lieu. Mais qu’attribuer en tant que prédicat à l’Écriture dans ce monde foisonnant qui défait chaque jour ce que le jour précédant avait élevé au mérite d’une vérité ? Les choses de la Pensée, de l’Art, de la Raison semblent n’avoir plus de centre et volent ici et là, tels des phalènes fous de n’être point reconnus. Paraphrasant le mot de Martin Heidegger, substituant au mot « Pensée » placé à l’initiale de la phrase, lui substituant le mot « Écrire », ne conviendrait-il pas de dire :

 

« Écrire, c'est se limiter

à une unique idée,

qui un jour demeurera comme

une étoile au ciel du monde. »

 

*

 

[De l’Écriture et d’elle seule,

 dépouillée de tous ses colifichets

libre de toute image

qui en soustrait le sens

bien plutôt que d’en augmenter

la ressource.]

 

*

 

Sur l’image de Barbara Kroll,

 s’il faut, parfois, céder aux Sirènes

des Réseaux Sociaux,

là où la fonction iconique

supplante le Langage

et en tient lieu le plus souvent.

Une « révolution Copernicienne »

dont sans doute il convient de penser

 qu’un pan entier de la Culture

s’effondre sous nos yeux,

tel un attristant « Château de cartes »

dont, bientôt, il ne subsistera plus

que des cendres. si cependant

une « renaissance »

est encore possible.

Quel  Phénix en renaîtra

en notre siècle

préoccupé bien plus

de Matière que d’Esprit ?

Ceci, cette « braderie

du Langage »

au profit de ce qui

n’est nul Langage,

qui en atténue le sens,

en pervertit la forme.

 Il faudrait le graver

en lettres de feu

à la cimaise du Monde

sur l’écorce des arbres

sur la peau encore disponible

des Enfants

eux qui tiennent l’avenir

au plein de leur Conscience

de leur CONSCIENCE :

 

Le Langage est une exception

Le lieu de la manifestation

D’une Pure Essence

Ou bien il n’est

RIEN

 

*

 

(Donc à partir de l’Image,

Non en tant qu’Image, seulement

Comme motif prétexte à écriture

Nullement en tant que fondement

Le Langage est à lui-même

Son seul et unique fondement.)

*

 

Que faut-il pour arriver à l’Être ?

Il faut une grande pièce blanche.

Mais blanche d’une pure Blancheur.

Aucune trace n’y doit être visible.

Une manière de Zone Boréale

 qui vivrait en Soi,

uniquement en Soi.

Pièce semblable

 à la cellule du Moine.

Rien n’y arrive qu’atténué.

Rien ne s’y montre qu’à l’aune

d’une mince persistance.

Rien n’y fait signe

qu’à s’absenter de Soi.

 Au travers de l’étroit guichet

 de la fenêtre (plutôt une meurtrière)

le tremblement inaperçu de fins bouleaux.

Ils se dissolvent dans la rigueur du blanc frimas.

La Grande Bâtisse est une falaise de craie.

Rien ne s’y imprime que la fuite du vent,

la course libre de la lumière.

On est au centre de la

minuscule pièce,

 immergé dans sa propre chair.

On est dans l’étroitesse du jour.

On est dans le pli immatériel de l’heure.

On est dans la faille intime de Soi.

On respire à peine, deux fuseaux blancs

partent de Soi, retournent à Soi.

Le sang est alangui, il dort

dans ses stases blanches.

 Les nerfs sont de fines

nervures blanches

Les ongles, dessin de

simples lunules blanches.

Tout est BLANC

qui dit le retrait

en son originelle nudité.

 On est assis sur une

simple planche de bois.

On est assis en Soi,

dans la position

native de l’œuf,

dans l’allure à peine tracée

d’une étroite matrice,

 on est Naissance

avant la Naissance.

On est venue à Soi

 dans une longue attente.

On est Soi hors-de-Soi,

dans l’attente d’Être.

D’Être au jour, à l’instant,

à la dérive

inaperçue du Temps.

On est le temps

du Sablier, écoulement blanc

 dans la gorge étroite de la seconde.

Que faut-il pour

arriver à l’Être ?

Il faut se maintenir sur

la lisière blanche du Néant.

Il faut longer les voiles blanches

du Langage avant qu’il ne s’élève.

Il faut se fondre dans

l’écume du Silence.

Il faut s’annuler et renoncer

à la tyrannie des Idées.

Il faut ne rien vouloir d’autre

 que ce frémissement

d’aube sur la rive blanche du lac.

 

Les Mots, les divins

Mots se taisent,

se dissimulent quelque part

dans l’étrave du corps.

 Leurs museaux fouissent

 la chair et la chair

se rebelle de ne pouvoir

 les porter au jour,

de ne pouvoir les

 métamorphoser

en feu de Bengale.

 On appuie sur le

corps des Mots,

on les flatte à l’encolure,

on les retient de piaffer,

de caracoler, de ruer dans

l’espace libre des agoras.

 On les enveloppe

 de sa ouate de chair,

on les tient à

distance du Monde.

Arriver à l’Être,

 c’est arriver au Langage.

Dans le retirement

même de son corps

 on écrit le sublime postulat :

 

ÊTRE = LANGAGE

LANGAGE = ÊTRE

 

En une mystérieuse formule

 en forme de chiasme

qui dit le Tout de ce que

nous pouvons Être,

il ne saurait y avoir

d’autre Vérité.

On est là, sur

 le banc de bois,

dans la pure

immobilité,

on est attente

d’une Venue,

d’une Parution.

Parution de Soi

 dans le poudroiement,

le nectar des Mots,

l’éblouissement

des Mots.

 

   Qui n’a jamais éprouvé l’impatience des Mots à se manifester, ce prurit qui ronge tel un acide, n’a rien vécu de l’urgence du Langage, ce pur motif qui nous façonne du-dedans et nous dit le Lieu même de notre présence parmi les Mers, les Plaines, les Déserts de vaste amplitude. Nous qui avons oublié la terre de notre provenance, nous ne sommes que des Êtres de blancheur qui naissent à eux-mêmes dans l’étonnement du paraître. Le blanc est comme traversé d’infimes mouvements, des manières d’invisibles points, de tirets, de parenthèses qui s’illustrent, au plus profond, de quelque chose qui pourrait ressembler à l’initiale d’un sourire sur les lèvres d’un Enfant se surprenant à vivre.

 

C’est ceci même l’Être,

l’impatience sereine de figurer

en quelque endroit

de pure faveur,

 d’y lire, comme sur la

face brillante du lac,

le reflet de la pure lumière,

d’y surprendre le vol

libre de l’Oiseau,

les étincelles du Soleil,

l’empreinte d’une brume

sur la dentelle du jour.

L’Être, c’est de

 nature invisible,

c’est caché au plus

 profond de nous,

cela fait son doux chant,

 un à peine ébruitement,

cela vit de Soi,

cela se sustente de solitude,

cela s’abreuve à la source

la plus limpide,

 cela brasille mais dans

la plus haute discrétion.

 

Ce sont les Mots,

les sublimes Mots

qui traduisent le mieux l’Être,

le portent à la manifestation,

étrange parousie de l’invisible

qui, un instant, s’éclaire,

puis retourne

à la blancheur

qui est leur fondement,

la matière dont ils tissent

les contours de leur présence.

 

Je dis « Vent » et je

donne acte au Vent

 qui fait son doux zéphir puis,

se retire en Soi au plus mystérieux

de son arachnéenne substance.

Å l’Être, au Mot,

il faut cette enveloppe,

cette peau qui les abritent

des trop vives lumières,

des gestes désordonnés,

des syncopes d’un Monde

trop occupé de Soi,

d’un Monde trop installé dans

 les manigances de tous ordres.

Les Mots, l’Être,

sitôt évoqués,

il faut les inviter

 à regagner sans délai

l’écrin de silence

dont, un instant,

ils se sont distraits

pour dire aux Hommes

la beauté que le plus

souvent ils ignorent,

la douceur de la pêche,

la profondeur d’un regard,

le velouté des lèvres

de l’Amante.

 

Oui, Mots, Être sont

des actes d’Amour

et c’est pour ce motif

qu’il faut prendre

 garde à ne pas les ignorer,

à assurer les conditions mêmes

de leur rayonnement,

 du merveilleux

déploiement du réel

qu’ils permettent.

Sans EUX, rien ne serait dit

des merveilles du Monde.

Sans Eux, rien n’arriverait

entre les Existants.

Sans Eux, rien

ne ferait signe

qu’une longue

et infinie désolation.

 

Que faut-il pour arriver à l’Être ?

Il faut une grande pièce blanche.

Mais blanche d’une pure Blancheur.

Aucune trace n’y doit être visible. 

On est là sur la traverse de bois,

bras croisés en signe

de recueillement.

Face à Soi dans le blanc

réduit monastique,

un fauteuil que n’habite

nulle présence.

Face à l’Être,

face aux Mots,

face à Soi.

La ronde est infinie,

la giration est belle

qui convoque,

tour à tour,

dans la justesse

du Silence,

l’Être,

le Mot,

le Soi.

 

 

 

 

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