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2 mai 2023 2 02 /05 /mai /2023 07:49
Les chemins de poussière

« Route 66 »

 Remi Rébillard

Source : Susana Kowalski

 

***

 

Les Chemins de Poussière

Nous les portons en nous

Pareils à des Chemins de Croix

Nous ne sommes que Poussière

Sur les Chemins de Poussière

 

   Le ciel, au loin, est une bande blanc-gris-bleu, une simple indétermination, une manière de lac perdu aux confins de l’espace. Une colline, en pente douce, chute vers un horizon indistinct. Plus près, identique à une lame blanche qui servirait de frontière au paysage, une surface qui pourrait bien être une lagune semée de sel, une étendue d’eau à la couleur de soufre, un lieu étonnant de surréalité. Enfin, une énigme dont nulle résolution ne pourrait entamer le sourd mystère. De part et d’autre de la scène, deux portions de terre brune, couleur Terre de Sienne usée. Au centre, semblable à une large avenue parcourant les silencieuses agoras des villes, un chemin de poussière bise, à l’aspect de vieux carton bouilli. Sur ce chemin perdu en plein Désert, une Femme à l’allure plutôt jeune, mince, tête coiffée d’un foulard qui retombe en pointe sur le haut du dos. Les bras sont nus, deux frêles tiges qui pendent le long du corps. Au bout du bras droit, une valise de cuir. Une robe très près du corps, de teinte Vert-bouteille. Les jambes sont fines et hâlées. Escarpins noirs aux pieds qui martèlent le sol de sable ou d’argile légère. Å droite de la Passante, son ombre portée, fluette, qui se projette vers l’avant. On dirait l’aiguille d’un cadran solaire qui serait la projection symbolique de l’objet éclairé. 

 

Les Chemins de Poussière

Nous les portons en nous

Pareils à des Chemins de Croix

Nous ne sommes que Poussière

Sur les Chemins de Poussière

 

   Nous ne savons rien d’Elle qui ne sait rien de Nous. En réalité, deux Planètes perdues aux confins de l’Univers qui, jamais, ne se rencontreront, ne se connaîtront. Deux destins solitaires. Deux chemins progressant à l’aveugle dont chacun ignore l’autre. Qui est-elle Elle qui nous interroge ? Notre questionnement s’augmente de la perte qu’elle est pour notre corps, nos yeux, nos gestes, nos âmes. Nous voudrions en simplement détisser quelque fil et, ainsi, fil après fil, la conduire à sa nudité contre laquelle la nôtre propre pourrait jouer en écho.

 

Nudité contre nudité.

Dépouillement contre dépouillement.

 

   Entre Elle-qui-fuit et Nous-qui-demeurons-sur-place, nous aurions voulu installer l’intervalle le plus court, surgir à même son histoire sans même qu’elle en puisse deviner les prémisses, en pressentir le feu qui taraude notre âme et la cloue au pilori. Car oui, il est tragique, par rapport à cet Autre qui vous aimante à la hauteur de son obscurité, de n’en point éclairer la face inquiète, de ne nourrir son esprit que d’hypothèses vagues, de n’offrir à sa vision que ces mirages qui tremblent au-dessus des barkhanes et en rejoignent bien vite le pesant anonymat.

   Oui, la tristesse nous gagne car, parmi les plus hautes missions de notre humaine condition : connaître et posséder de manière à ce qu’enfin comblés, nous puissions étancher notre soif et nous considérer en tant qu’êtres complets, non en tant que cet éternel manque qui nous ampute de la moitié de qui-nous-sommes.

 

Car, tout le temps que ce ciel

en partance de lui-même,

tout le temps que cette colline illisible,

tout le temps que cette lame innommée,

tout le temps que ces terres étrangères,

tout le temps que ce chemin sans issue,

tout le temps que cette Femme muette,

tout le temps que les choses

demeureront inaccessibles,

 nous serons tels des textes antiques,

des palimpsestes aux chiffres effacés,

des hiéroglyphes dont nul Archéologue

ne pourra traduire le sens caché,

seulement un balbutiement

 à l’orée du Monde.

 

   Or nous ne pouvons nous souffrir muets, paralytiques, aveugles, cloués, comme cette Passante, sur un chemin de poussière,

 

il ne dit que notre éparpillement,

notre incomplétude,

 notre fragmentation,

notre poudroiement parmi

les vastes étendues mondaines

qui sont nos cénotaphes

ouverts à tous les vents de

 la plus sombre déréliction.

  

Ô combien nous voudrions

accompagner Passante

dans son étrange cheminement !

Combien nous voudrions

lui offrir notre bras.

Combien poser notre épaule

contre la sienne !

 

   Ouvrir, avec Elle, la valise de ses secrets, en faire le précieux inventaire, y rencontrer les gemmes les plus brillantes, y découvrir les lettres gravées dans la pulpe douce d’un Journal Intime, y dévoiler des Photographies d’autrefois qui nous diraient la belle et unique genèse de l’Inconnue, nous la rendant plus proche, peut-être inclinée à quelque subtile confession, prête à nous manifester un geste d’Amour longtemps contenu, gros d’avoir attendu le moment de la confidence, l’instant de l’éclosion, de l’épanchement. Un vase s’écoulant en l’autre, lui offrant cette ambroisie au gré de laquelle métamorphoser une vie banale en lumineuse existence ! Combien nous souhaiterions que ces prodiges pussent surgir, comme extraits d’une merveilleuse lampe d’Aladin et, alors, nous serions semblables à ces Princes d’Orient, à ces Purs Esprits flottant sur leurs tapis tissés de fils d’or et d’argent !

  

Mais ce que nous savons

depuis l’instant de notre naissance,

que les rêves sont poussière,

que l’espoir est poussière,

que l’imaginaire est poussière,

que la vie est poussière.

 

Une argile naît, croît, se multiplie,

puis se fendille, se lézarde

et retombe

Poussière sur le

Chemin de Poussière.

 

Les Chemins de Poussière

Nous les portons en nous

Pareils à des Chemins de Croix

Nous ne sommes que Poussière

Sur les Chemins de Poussière

 

 

 

 

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