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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 09:20
Du cosmopoétique au chaotique

« sea scape »

©️jidb

november2023

 

***

 

   « Paysage marin » nous dit le sous-titre de cette photographie. Certes le paysage est présent mais combien cerné de près, réduit à une dimension de carte postale. Certes le caractère « marin » apparaît mais sous ses plus sombres convulsions. Entre ces deux natures, du « paysage » et du « marin » s’instaure une tension si réelle qu’elle en devient palpable immédiatement. Y aurait-il antinomie entre ces deux notions ?

 

Le Paysage opposé au Marin,

le Marin s’imposant au Paysage ?

 

   Sans doute faut-il le croire pour la simple raison que le Paysage, dans sa dimension d’archétype, nous semble recevoir une dignité particulière, une grandeur s’y applique, l’adjectif « sublime » venant aussitôt s’y accoler comme son plus naturel prédicat. Volontiers nous l’associons à des valeurs telles que « site », « panorama », « tableau », « vue » et alors, sans aucune volonté de jouer sur la proximité lexicale, notre « vue » se dirige tout naturellement (nous en faisons l’hypothèse) vers cette dimension romantique telle qu’exprimée dans le tableau « Le Voyageur contemplant une mer de nuages », de   Caspar David Friedrich.   

   Ici, l’on s’aperçoit que le paysage ouvre des horizons, que le « Voyageur », sa silhouette fût-elle vigoureusement présente, se place sous la domination d’une Nature vaste et universelle. Et cette vastitude de la perspective s’accroît de manière évidente si nous faisons appel à la morphologie de ce mot [p e i z a Z e], trois syllabes que l’ouverture vocalique du [a] vient porter à son acmé signifiante. Mise en relation, la morphologie du terme [m a R e~] contraste fortement au motif que ce que la première syllabe ouvre [ma], la seconde syllabe [R e~] le referme. Ici, loin d’être une coquetterie d’interprétation, cet affrontement des positions morphologiques respectives, devient amplement significative. Qu’à l’évidence il n’y ait nul isomorphisme de la valeur phonétique d’un mot et du signifié dont il est le support, il n’en demeure pas moins que le « chant » du langage, sa modulation imprègnent la psyché humaine, y imprimant ces sensations inaperçues qui sont fondatrices d’une perception particulière et, partant, d’un sens, dont, la plupart du temps nous ignorons la réalité. Ce sont, pourrait-on dire les « insus » du langage. 

 

Du cosmopoétique au chaotique

Le Voyageur contemplant une mer de nuages

Source : Wikipédia

 

 

   Et de leur opposition morphologique [p e i z a Z e] / [m a R e~], il convient maintenant de montrer leur opposition sémantique. Si la pure venue à nous du Paysage se fait d’une manière toute cohérente, dans le genre d’une nette évidence, nous voulons parler du fond de la photographie de Judith in den Bosch, ce Ciel certes grisé, parcouru de fins nuages sépia, ce Ciel qui tient lieu de Paysage en sa facture unitaire, comme s’il nous requérait en tant que Voyeurs de l’immense parcours qui est le sien, d’un Ciel l’Autre, se ressourçant à même l’infinitude de son voyage, manière de dimension essentielle qu’il nous adresserait depuis la mesure de son Cosmos. « Cosmos » renvoyant tout simplement à une harmonisation de l’élémental, lequel ici se donne sous les espèces de l’Eau sous sa forme de nuage, de l’Air sous sa forme de vapeur. Eau/Air unis comme pour adresser aux humains que nous sommes un chant hauturier immémorial, pour déplier devant nos yeux avides quelque chose de l’ordre d’un poème venu de l’entier mystère de l’Espace/Temps. Et cette parole secrète, cette comptine à peine devinée, il nous plaît de lui attribuer le prédicat de « cosmopoétique », cette fable issue des Origines dont un écho vient jusqu’à nous dans la diaphanéité d’éléments unis à seulement requérir notre attention, la disposer au point focal de ce qui est doué d’un temps long, sinon d’une éternité, car la plénitude Air/Eau semble camper dans un Immuable s’étendant bien au-delà du temps humain.

   Et quel est donc l’élément perturbateur qui vient s’intercaler dans notre champ de vision, semant le trouble de cette dimension fondamentalement cosmopoétique pour lui substituer le désordre apparent, devenu quasi matière solide, de ces vagues écumantes, rugissantes, suragissantes, cette rumeur infiniment chaotique, cet écho des sombres abysses, ces plis et replis qui paraissent manifester les convulsions premières de la Nature, ses borborygmes intimes, son énergie indomptée, sa puissance destructrice, la violence de ses affects (oui, nous la mesurons à l’ordre de l’humain, comment pourrions-nous faire autrement ?),  Nous, les Voyageurs qui contemplons sommes totalement désemparés face à ces ardeurs maléfiques, à ces bouillonnements de geysers, à ces éruptions marines volcaniques, à ces torrents de lave dévastateurs. Totalement médusés, pareils à des enfants solitaires placés sous les fureurs de métal de l’orage, c’est notre soubassement même d’humains qui tremble au plus profond de sa chair. Si le Paysage/Nature/Ciel pouvait nous rasséréner au titre de sa course mesurée d’un horizon à l’autre, du Poème céleste qu’il nous adressait, Harmonie subtile des Sphères, comment cette soudaine fureur, cette Eau devenue Terre, devenue rocher,  ne nous précipiterait-elle dans les mors d’une prose mondaine, heurtée, tellurique, sismique, l’élément-Eau se métamorphosant sous nos yeux incrédules en cette matière aveugle, obstinée à détruire tout sur son passage, à tout araser, à tout disperser dans la confusion avant-courrière de la Présence ?   

    La force interne de cette image, est celle-ci même que nous pourrions attribuer à quelque Démiurge secret qui, selon les caprices de sa volonté, convierait d’abord, à une sorte de Cène Primitive, des convives soucieux de respecter les usages et la bienséance qui président à toute union d’âme en quête d’un ordre nécessaire  à un bon rapport des choses entre elles, puis dans l’immédiat instant qui suit détruirait d’une main ce qu’il a créé de l’autre, semant là la confusion où régnaient clarté et netteté, imposant l’irrationnel en lieu et place d’un nécessaire sens commun plaçant au foyer de ses exigences la réassurance narcissique d’un ordre du Monde.

   Cette belle photographie, cette syntaxe impétueuse, nous replacent au sein même de notre condition Humaine : celle du risque permanent. Nos certitudes d’un jour ne sont que nos angoisses, nos hantises de demain, et c’est en ceci que la vie mérite respect et inspire « crainte et tremblement » pour reprendre la belle formule Kierkegaardienne.

 

Merci Judith de nous placer

de si belle manière

 entre Poème et Prose,

entre Cosmos et Chaos.

 

Ceci est la scansion même

de qui nous sommes, nous Voyageurs

aux parcours si peu assurés d’eux-mêmes !

Toujours un calme précède la Tempête,

toujours la Tempête succède au calme.

 

 

 

 

 

 

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