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27 décembre 2023 3 27 /12 /décembre /2023 09:43
L’étonnement esthétique

 

Peinture : Barbara Kroll

 

***

  

 

   Tout ce qui est, tout ce qui fait phénomène ici, dans l’aire de cette toile en gestation, tout ce qui se dirige vers la belle épiphanie humaine s’enfonce dans l’illisible marais d’une teinte Mastic dont la lourde densité, le constant anonymat semblent l’ôter pour toujours à la postulation de l’exister.  Ce qu’ici nous tutoyons,

 

le Non-Être,

le Rien d’Étant,

 le Néant

 

   en leur plus livide et confondante figure. Or, si nous réfléchissons au lieu même d’où vient cette curieuse toile, la réponse est aussi nette que saisissante :

 

du Pur Néant.

 Avant d’Être :

Non-Être et rien

d’autre que ceci,

 

autrement dit ce qui, pour nous, est franchement « in-envisageable », privé de visage.

 

    Si nous nous plaçons, en pure objectivité, face à ce qui, il faut bien l’avouer, nous provoque à exister, autrement dit à tirer du sens de toutes choses venant à notre encontre, alors nous nous apercevons d’emblée que le contenu est strictement sidérant,  

 

que c’est le Rien qui se donne

en tant que Tout,

 

   que ce que nous avons nommé « L’étonnement esthétique » correspond, point par point, à ce que nous pourrions désigner en tant « qu’Étonnement pré-ontologique », ce Vide Sidéral, Abyssal qui précèdent toute naissance, toute apparition et que, toujours nous sommes en peine de nommer, au motif que l’Être aussi bien que le Non-Être sont des catégories rebelles à la désignation, à la représentation, à la nomination

 

puisque la Métaphysique est,

par essence,

l’Innommable,

l’Indémontrable,

l’Ineffable,

l’Inconceptualisable,

seulement l’Intuitionnable

 

   si, toutefois cet habile vocable ne dissimule en son sein l’impossibilité en laquelle nous sommes de décrire d’une manière satisfaisante tout ce qui est

 

de l’ordre du « méta » :

méta-logique,

méta-rationnel,

méta-langagier,

 

   une sorte de non-lieu, une manière d’utopie dessinant l’espace flou de nos rêves, posant le sable mouvant de nos hypothèses dès l’instant où, nous exonérant du Réel, par définition et simple logique, nous occupons la vaste inexactitude de l’Irréel, cette fuite de ce qui est consistant, dans une manière d’ébauche permanente qui ne fait que saper ses propres fondements, genre de reflux qui efface le flux dans un éternel retour du même qui néantise ce qui pourrait surgir dans la forme de l’Être.

    Et si, après toutes ces précautions oratoires, après l’instauration de tous ces prolégomènes, armés d’une sorte de pré-raisonnement, de pré-compréhension, nous revenons à la peinture initiale, une simple description de l’événement pictural suffira à en tracer les nécessaires contours. En réalité une hypothèse est sous-jacente à toutes ces méditations : le supposé « Étonnement esthétique » ne résulte pas de la découverte du « quelque chose » de l’œuvre mais, de manière diamétralement opposée, de son envers,

 

à savoir de ce « Rien »

 

    qui perce sous la manifestation et menace, à tout instant, d’ôter à notre regard ce début d’émerveillement qui n’est, en toute approche authentique, que le prodige d’exister face à ce qui en confirme la nécessité. Dans l’instant étincelant du regard, nous ne sommes que par l’œuvre qui, elle-même, n’est que par nous, par le rayon de sens que nous lui attribuons afin de l’extraire des griffes du Néant. Pour ainsi dire, le travail, l’effectuation de notre vision néantise le Néant de l’œuvre afin que quelque chose de possible pour nous, une présence se mette à fulgurer et alors, tels des Funambules avançant l’un en direction de l’autre sur le mince fil de la venue à Soi, chaque Être, le Nôtre et aussi bien celui de la Peinture se fécondent mutuellement, sortant de leur silence, tressant les mots du Poème dont toute rencontre essentielle constitue l’étonnant déploiement. Nous n’existons, paradoxalement, qu’à aliéner notre Être en l’œuvre et, au terme d’un juste retour, l’œuvre n’est qu’au regard de notre conscience, c’est-à-dire, s’abîmant en Nous, pour Nous.

   Que voyons-nous sur cette toile ? D’une manière aussi évidente que semée de doute,

 

nous voyons le RIEN.

 

   Le Rien des murs dont la teinte « mondaine », ciel et eau réunis ne nous place guère en une situation de pur enthousiasme.

   Le Rien des cadres puisque, en leur enceinte, ne se donne à voir que le fond sur lequel ils sont posés, simples hasards d’une vie bien « domestique ».

   Le Rien du sol en son écume blanche qui semble ne rien tenir de ce qui lui est confié.

   Le Rien exultant de la Toile vide que tient l’Artiste, on dirait qu’elle scrute son propre Néant.    

   Le Rien de la mimique de la Silhouette rouge dont la main en herse condamne la bouche au silence.

   

Il y a donc comme une giration du Rien,

une germination du Néant

 

   qui viennent dire aux deux protagonistes de la Toile, aux Voyeurs que nous sommes, juste ce que dure l’éclair d’un regard, le saut du Silence et du Vide dont la concrétion est cet exister que nous ne tenons jamais dans le creux de nos mains, que nous piégeons dans le chiasme de nos yeux qu’à en halluciner la belle et fragile présence. En ceci et pour bien d’autres raisons encore, 

 

Vivre, Regarder, Aimer

sont de purs prodiges

dont le Rien, le Néant

sont les opérateurs

les plus remarquables.

 

   Ne serions-nous adossés à ces Entités fuyantes, notre passage sur Terre ne serait qu’un long et mortel ennui.

 

C’est toujours le risque,

 risque de vivre,

de regarder, d’aimer

qui façonnent en nous

les aiguilles du Désir.

Nous ne possédons jamais mieux

que ce qui, toujours, nous échappe.

 

 

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