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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 10:03

 

L'autre côté du temps.

 

 

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 Œuvre de Marc Bourlier.

 

 

  Ces Intemporels, ces étranges personnages surgis du plus loin de la conscience, depuis toujours ils nous habitent. Tellement dans la discrétion que nous ne nous en apercevons même pas. Parfois, au centre de notre être en forme d'ombilic, nous en sentons quelque mouvement, quelque remuement qui nous émeuvent faute de pouvoir être interrogés. Alors, en notre intimité, cela fait un bruit pareil au passé, une rumeur de craie d'école répandant sa trace sur le tableau noir. Et, pensant à cela qui nous échappe, comme par une sorte de miracle, soudain nous basculons dans un monde autre, peuplé de songes, de plumiers de bois, de pupitres de chêne,  planches inclinées à connaître le monde. C'est comme une rumeur de feuilles et d'écorce, un genre de cohorte lente parmi les plis des secondes. Le temps suspendu, tellement semblable au balancement de l'essaim avec son grésillement d'abeilles.

  Les minces personnages de bois, d'abord on ne les voit pas ; d'abord on reste dans le temps d'ici, un temps aiguillonné par sa propre urgence à être. Un temps qui vrille, fore, fait son écoulement de bonde d'évier, sa chute mortifère dans quelque recoin de la terre. Un temps si peu conscient de ses propres fuites, un temps d'apories et de pertes sans fin. Et c'est pour cela que nous sommes au bord de l'étonnement, découvrant le petit peuple du boisles minuscules marionnettes de la vie ordinaire. Si discrets dans leur vêtures d'air et de vent, si impalpables qu'on les dirait tout droit sortis de l'imaginaire. Alors nous faisons une pause ; alors nous laissons choir notre havresac de fantassin pressé, nous libérons nos jambes des bandes molletières qui les assignent au réel, nous avisons une souche à partir de laquelle nous confier à une vision exacte de cet univers miniature. Et nos yeux sont les coupes offertes au spectacle d'une inimitable sérénité.

  C'est le temps, d'abord, son incroyable texture qui nous parle un langage inconnu. Un temps blanc, un temps pareil au tronc lisse du bouleau, un temps de mousse et de lichen, un temps s'ouvrant selon les harmoniques de la crosse de fougère. Long dépliement de la feuillaison qui porte en elle les spores de la beauté, les graines du déploiement ontologique. Car c'est avant tout de cela dont il s'agit, de découverture de l'être en sa simplicité. De dévoilement. De surgissement au plein du jour. Les significations qui étaient latentes, repliées sur leur germe initial, les voilà qui essaiment à tous vents les étamines du savoir, qui dispensent le seul langage accessible aux yeux des hommes, le lexique de la nature en son éternel ressourcement. C'est d'un baume dont nos yeux sont atteints, comme si la vue se libérait d'un carcan, si l'empan de la vision se dilatait à la mesure des sphères infiniment mobiles du caméléon, à leur disposition métaphorique à embrasser tous les phénomènes qui, ici et là, font leurs ébruitements colorés. Tout devient alors si évident face à cette merveilleuse armée pacifique, à cette longue procession d'idées boisées.

  Cela vient du ciel à la douce teinte d'argile, cela coule en cascades joyeuses, cela fait ses filaments le long du dos des collines, cela nous regarde avec toute l'attention commise aux choses secrètes. Cela ne dit rien, sauf le lexique de la fibre, le rugueux de l'écorce, la simplicité de l'usure aux confins du temps. Cela parle d'éternité, comme s'il s'agissait du vol de la libellule ou bien de la fuite du nuage sous la vitre polie du ciel. Cela se regroupe en cercle, pareillement à une disposition cérémonielle, à la dévotion à quelque icône qu'eux seuls, les Intemporels peuvent contempler. Ils ont cette latitude de la perception qui les maintient dans un présent continuel, aux rives infinies.   

  Cela vient jusqu'au devant de nous avec des corps lavés d'eau, avec des têtes que trouent trois orifices énigmatiques, avec, peut-être une inquiétude, comme si leur temps de paille pouvait, un jour, brûler, s'effacer dans les plaines libres de l'espace. Cela demande à durer, simplement, pour témoigner d'un autre séjour auprès des arbres, du nuage, du ciel ;  d'un autre écoulement des choses sur la scène des jours. Parfois, ils collent leurs oreilles à la peau du monde et ce qu'ils entendent des hommes les effraient. Alors, vite, ils retournent à leur sagesse sylvestre et continuent à toiser l'invisible. C'est celal'autre côté du temps, cette libre aventure de corps limités à n'être que branches usées, rameaux indistincts, bois domestiques anonymes, simples dérives à l'horizon des hommes. C'est toujours dans l'inaperçu que le rare exulte et fait ses milliers d'arabesques, alors que les Existants, fatigués d'être hommes, d'être femmes regagnent leurs logis la tête basse, dans un incompréhensible abattement.

  Ils sont là les minuscules génies qui veillent sur notre destin, les petites figurines que trop souvent l'on néglige de voir, tout à la hâte que l'on est de s'arrêter à la seule image de notre silhouette reflétée par l'azur. C'est tout près de la terre, au bord du ruisseau, peut être même dans l'ondoiement des herbes folles de quelque terrain vague, cela attend patiemment depuis le crépuscule du temps, cela questionne dans le rythme vide des yeux, dans  l'absence de bras, de mains - mais qu'auraient-ils besoin de ces artifices, eux qui embrassent le tout du monde seulement à être présents -, cela résonne de cris non proférés, cela surgit des trous de la bouche en direction des éternels Absents que nous sommes, marchant sur notre ombre sans même en percevoir l'inquiétante densité. Ces Intemporels, nous ne les regardons pas. Ce sont eux qui nous regardent à partir de ces postures hiératiques pareilles à celles des pierres levées. Petites effigies de la conscience, imperceptibles stèles de l'esprit, ils ne font que nous questionner sur le sens du monde dont, jusqu'à présent, nous n'avons longé que le cercle invisible, parcouru tous les méridiens, sondé tous les équateurs sans nous détourner un seul instant pour nous pencher sur ces hiéroglyphes qui n'attendent que d'être déchiffrés. Il n'est pas trop tard.  Le bois est toujours disponible qui attend la gouge !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

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