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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 08:46

 

Le crépuscule passionnel.

 

 

lcp.JPG 

 Œuvre : Barbara Kroll.

 

 

 

    La passion se fait JOUR et tout se met à rayonner dans la clarté. Les yeux ont la brillance des lacs, le front est une pure falaise d'albâtre, les lèvres disent la puissance du désir, les joues s'illuminent des flammes de l'exister. C'est une seule arche de lumière qui part de la peau et renvoie dans l'azur son empreinte de beauté. Les ongles lancent des feux, les dents ouvrent leur clairière d'ivoire, les cheveux sont une forêt lissée d'aube nouvelle. La voix est un chant qui se multiplie en écho sous le dôme du ciel et les rêves portent en creux la signifiance du jour, des heures claires. C'est, partout, un bruissement d'eau, c'est partout le glissement de l'air sur la glaçure des feuilles. Au loin sont les maisons pliées dans leur chaux blanche et leurs toits de sanguine. Comme pour dire le juste mystère des choses quand le soleil fait sa tache éblouissante au zénith.

  Le vol des oiseaux est immensément libre, géométrie d'ailes coupant les nuages en fragments de neige et de cendre. Tout en bas, le bruit de la rivière parmi la cascade des galets est une à peine respiration du monde et les songes s'élèvent comme des buées bleues. La crête des arbres fait sa dentelle irisée à contre-jour des yeux et les hommes se ceignent de vêtures légères et les femmes sont diaphanes comme le tulle. Long rire des corps exultant sous la poussée de l'air. C'est une levée de brume qui dit son nom en une suite de notes cristallines et les tympans sont éblouis à seulement s'ouvrir à cette pure fécondité, à cette remise des choses au simple, à l'évident murmure de ce qui paraît et se fait promesse d'abandon.

  Il n'est besoin de rien pour continuer à vivre, sauf ouvrir ses yeux aux nuées de phosphènes, dilater sa peau et la disposer au gonflement de la sève partout présente. Les gemmes sont là qui diffusent continûment leur lexique de joie. Dans les buissons, les trilles des merles sont une ode au temps qui s'installe à demeure dans l'horizon prolixe.  Car tout parle, depuis le grincement de la fourmi sur le chemin de poussière jusqu'à la stridulation de la pluie sur le lit de feuilles sèches. Tout est poème sous l'arcature de la passion, tout est langage jusqu'à la démesure. Tout coule depuis l'origine vers une heureuse confluence, tout fait signe vers le dépliement du destin hors de sa conque de nacre. Tout se déploie et s'attache au vivant avec la souplesse de l'imaginaire. Lèvres du monde toujours disponibles à une juste libation. Tout dans l'exactitude, tout dans la profusion, tout dans le surgissement de ce qui visite les sclérotiques de porcelaine et se dilue dans le jais des pupilles.

  Au-dedans, dans l'orbe intime des choses, c'est une douceur d'écume, c'est un vent andin, un étalement de lagune sous la pierre ponce du temps. Cela fait ses atermoiements en mode poétique, sa petite musique ombilicale, son battement d'écluse. Il n'y a que cela à observer : son affinité avec ce qui se présente et se loge au plein du corps avec son insouciance d'outre fécondée par la justesse de la survenue. Le sublime est si près avec ses attouchements de toile, ses empreintes libres, ses linéaments de soie. Il n'y a d'autre chose à faire que de laisser son réceptacle de chair s'adonner à la parution des significations et se confier à la nuit qui approche.

  La passion se fait NUIT et alors tout s'inverse, et alors tout se divise en ombres soudées à l'épiderme. Ce sont comme des picots de chair révulsée, de longs frissons qui s'étoilent et se divisent à l'infini, se glissent parmi les feuillets étonnés de la conscience. Soudain, ce qui était lumière, pure clarté, se métamorphose en traits fuligineux plongeant dans la suie et le goudron. Les mains se révulsent en crochets, la broussaille de la tête se colore d'obsidienne, se ploie sous la pesanteur de l'encre. Ce qui était clairière devient forêt pluviale sous des cataractes d'eau. Les grains de clarté s'agglomèrent en boules d'étoupe, le vent fait ses nœuds compliqués, les paroles se fondent en une glaise compacte, incompréhensible. La souple mouvance de la silhouette  se perd dans un réseau serré ne portant plus l'effigie humaine qu'à paraître dans l'absurde. Visage de cire lourde, impénétrable. Épaules chutant vers une fatalité aux contours flous. Croisement des bras semblables à des tiges mortes de graminées lacérées par le vent. Jambes ossuaires avec les boules des genoux gonflées de lassitude.

  Et l'Autre devenant si peu visible, rongé par le drame de la passion inversée, retournée comme un gant. Visage en lame de couteau, dont la minceur dit le constant désarroi. Griffes des mains sur lesquelles repose la saillie étroite du maxillaire. Doigts dans la position d'une imploration. Bouche occultée par l'insignifiance du monde. Plomb des bras, dissimulation des jambes dans les plis d'obscurité. A droite, comme une résurgence d'un passé heureux, une dalle de lumière, pareille à un ciment lissé par l'aile souple du temps. Des traces de charbon, des stigmates de la passion ancienne peut-être, des graffitis portant la donation de soi en direction de ce mystère de l'Autre, de sa constante turgescence dans l'ordre du monde alors que tout s'efface et se dilue dans la pâte de l'exister.

 

  Partout le noir colonisant le blanc. Et aucune trace de gris, aucune surface qui viendrait médiatiser l'impossible relation, la perte à jamais de soi dans l'abîme de l'Autre. Car il y a ceci, toujours l'Autre est cet abîme qui nous aliène et nous distrait de nous. Cela nous le savons depuis la densité de notre lucidité mais, toujours, nous voulons nous écarter de la vérité, laquelle est une lame à double tranchant. Qui blesse, quelle que soit la face par laquelle s'effectue la préhension. C'est cette troublante réalité que Barbara Kroll, au travers de ses différentes œuvres, essaie d'instiller dans la dimension ouverte de notre regard. Elle dit en taches, en noir et blanc, en jaune, en traits charbonneux ce que dit notre âme mais que jamais nous ne voulons porter à la clarté du paraître. Certaines lumières sont trop fortes pour nos yeux qui se voilent afin de ne pas sombrer dans une proche cécité. Laquelle n'est que le revers d'une insoutenable saillie des choses. Il faut regarder par des meurtrières le faisceau éblouissant de la lampe à arc. La passion est cette vive illumination qui, tantôt nous visite sous les auspices d'une bienveillance, tantôt retourne contre nous son venin de veuve noire. Jamais, cependant, l'on ne peut prendre l'une en s'exonérant de l'autre. Le corail de l'oursin est toujours avec sa bogue urticante !  

 

 

 

 

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