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27 juin 2013 4 27 /06 /juin /2013 07:37

 

  Où  vous verrez que la nomination d'un simple petit greffier, ça peut poser, comme qui dirait, des problèmes métaphysiques. En effet l'adorable petit chaton récupéré un soir de pluie et refilé gentiment à Voisine, comment donc le nommer : "Noiraud" ou bien "Moïse" ? Où vous verrez aussi que le recours à la botanique en tant que référent métaphorique, ça permet de comprendre bien des choses de l'ordre de la complexité langagière. Comme quoi tout se tient et quand on nomme son chat, eh bien, en même temps on accomplit un geste verbal identique à la germination des graines dans le profond de l'humus. Pas banal, tout de même !

 

 

 

Variations sur la nomination

 

 

  Et y a alors un truc qui me turlupine et le truc c'est pas les besoins du chat, c'est pas le paillasson qu'Henriette me charge régulièrement de nettoyer, le problème c'est "NOIRAUD", je trouve que ça lui va pas du tout à ce chaton. D'ailleurs, dans le quartier, y en a au moins une dizaine de "Noiraud", même je me demande comment ils font tous pour s'y retrouver avec ces appellations en forme de miroir. Parce que, vous voyez, "Noiraud", pour moi, c'est pas vraiment un nom. C'est juste des sons mais avec rien dedans. C'est juste des bruits qu'on fait avec la bouche et qui retombent dès qu'on a fini de les prononcer. Ils n'atteignent pas leur cible et leurs destinataires n'en sont pas plus affectés que par un aimable ris de vent qui ne froisse même pas la face de l'eau, pour dire comme les "Futés".

  Et, d'ailleurs, maintenant, on va essayer de faire dans le sérieux. Vous verrez, ça en vaut la peine ! "Noiraud", c'est à proprement parler, "in-existant", ça veut dire que ça n'arrive pas à s'exhausser du "rien", que ça ne se manifeste pas, que ça a donc le caractère du "néant" pur et simple. Vous allez penser que j'exagère, eh bien j'exagère en effet, et c'est de cette façon, et seulement de cette façon qu'on peut rendre visible des différences qui sont parfois accolées à la manière de sœurs siamoises, de pseudo-analogies qui ne sont, en réalité, que des faux-semblants. Si, à première vue, "Noiraud" et "Moïse" peuvent apparaître comme deux simples noms équivalents, leur prétendue similitude ne résiste pas une seconde à l'analyse.

  C'est comme ça, les mots, c'est comme les choses, il faut remonter à leur fondement et alors on voit qu'ils ne reposent pas sur le même sol, qu'ils ne poussent pas dans le même humus, que leurs racines ne s'abreuvent pas aux mêmes sucs. A ce stade de mon exposé, vous pensez,

"Jules Labesse il dégoise, il cherche du poil aux œufs et puis, après tout on en a rien à faire de sa prétendue origine des noms et on est pas des spécialistes de l'onomastique et s'il fallait mesurer chaque mot qu'on prononce à l'aune de la raison, s'il fallait tourner trente six fois sa langue dans sa bouche, questionner l'étymologie, la lexicographie, la sémantique et tout le bataclan avant de faire état de ce qu'on pense, eh bien y aurait plus de langage et la pensée ferait dans nos têtes des sortes de concrétions et l'on redeviendrait purement minéral, entièrement géologique et nous non plus on n'existerait plus et même ça nous ferait tout drôle de ne pas être allés jusqu'au bout du chemin, juste pour quelques grains de poussière qui se baladaient au-dessus et qu'on aurait voulu regarder de trop près".

  Oh mais là, Jules il sent que vous vous égarez, que vous essayez de noyer le poisson, que vous faites profil bas, que vous cherchez à contourner l'obstacle. Pour sûr, vous êtes pas obligé de penser comme Jules, vous êtes même prié de faire plutôt dans l'opposé, sinon vous n'allez pas tarder à vous transformer en mouton de Panurge. Mais Jules, il vous demande seulement de lui accorder quelques minutes d'attention et, après, quand vous appellerez "Black" ou "Noiraud", quand vous direz à votre dulcinée "viens ici, ma Brunette", eh bien vous le direz en toute connaissance de cause, en toute lucidité et ça vous empêchera même pas de dormir, de mettre votre asticot au bout de l'hameçon, de bourrer vos cartouches avant de faire des cartons sur le gibier à poils et à plumes qui vous passera devant le nez. Ce sera juste un chouïa de doute semé dans votre esprit, un peu de poil à gratter entre vos omoplates et vous direz, grattant et méditant, "il est pas un rien con ce Jules avec ses idées tordues, ferait mieux de nous raconter des histoires grivoises au moins ça nous fouetterait un peu le sang alors que ses divagations ça nous file juste envie de roupiller".

  De penser tout ça, c'est tout justement votre droit et ça empêche pas que Jules, son droit à lui c'est d'aller au bout de son raisonnement et de vous dire que les noms, eh bien y en a de deux sortes, c'est comme les graines, d'un côté y a les fertiles, de l'autre, les stériles. Vous allez, mettons, dans un champ avec, dans la main gauche, des "Graines-Moïse" et, dans la main droite, des "Graines-Noiraude". Vous faites deux sillons bien parallèles dans de la terre de qualité identique où, auparavant, vous aurez pris soin d'ajouter du compost, du bon; de l'humus, du vrai; même du fumier, de l'ancien, décomposé juste à point. Donc vous semez à la volée avec, bien sûr, le "geste auguste du semeur", un peu comme dans les tableaux de Millet, à l'heure de l'angélus, et à la fin vous recouvrez bien vos gentilles graines de terre fine, vous y mettez même au-dessus, un voile de protection qui ressemble à la traîne de la mariée, pour que les passereaux viennent pas déterrer votre semence.

  Vous laissez le temps passer, d'ailleurs vous vous mettriez en travers ce serait pareil, et puis, quand la végétation commence à pousser, que le printemps a accompli son œuvre, que les bourgeons bourgeonnent, que les rameaux avancent, que les feuilles commencent leur lente migration, vous y revenez, dans votre champ et, avec beaucoup de soin et de prudence, vous les découvrez vos sillons, vous soulevez avec pudeur et retenue la traîne de la Mariée. Et vous vous apercevez que, dans le panier de la Mariée, du côté gauche, y a des jeunes pousses vert-tendre, vigoureuses à souhait, qui vibrent sous le vent et, du côté droit, y a juste de la terre comme avant les semailles et y a rien d'autre qui dépasse.

  Vous vous dites alors, avec l'assurance qui est attachée aux évidences, "les "Graines-Moïse", elles étaient meilleures que les "Graines-Noiraud", un peu comme vous diriez, "les "Vilmorin" elles sont plus valables que les "Elite" qui, elles-mêmes sont meilleures que les "Clause" et vous vous creuserez pas davantage les méninges, vous achèterez plus que des "Moïse" et vous délaisserez les "Noiraud". Pourtant, vous auriez gratté la terre du bout de votre doigt, vous auriez trouvé la réponse à la devinette. Les "Noiraud", vous les auriez cherchées un moment, tout bonnement parce qu'elles ont la même couleur que la terre et alors, dites-moi, comment vous faites, la nuit, quand y a pas de lune et que les étoiles sont parties en vacances, comment vous faites pour les repérer les corbeaux, les corneilles, les boulets de charbon et les morceaux de crêpe qu'on se collait autrefois sur les manches en signe de deuil ? Comment vous faites ?

  Noir sur noir, ça fait quoi comme effet, ça parle comment à vos pupilles, comment vous les représentez sur une feuille de papier vos petites énigmes en forme de noire négritude, vos gentils Congolais qu'ont ciré leurs yeux et leurs dents en noir, comment vous faites pour les identifier ? Comment vous faites pour les distinguer ? Quelle ruse vous utilisez pour leur donner un nom ? "Macache Bonnot", comme dirait le Facteur, c'est quasiment innommable tout votre bastringue et y a même pas un seul indice qui dépasse de l'informe boule noire qui se tapit au fond du noir le plus profond que vous ayez jamais eu à confronter. Et pensez pas que je vous dis ça parce que j'aime pas le noir. Les Noirs, les Blacks par exemple, je les adore, de toutes les tribus et de toutes les ethnies; l'ébène est le bois que je préfère et si j'avais les moyens et la distinction qui va avec, je m'habillerais chez Jean-Paul Gauthier; même pour le design, je trouve que le noir c'est sobre et chic et ça fait pas clinquant, ça fait pas vulgaire, ça fait même plutôt "classe" et raffiné.

 

 

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