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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:37

 

Honnies soient qui mâles y pensent (20)   

 

  Les retrouvailles à Paris furent célébrées au Pied de Cochon où s’étaient réunis, Ninon, Symphorien Lavergnolle, son épouse, le Cocher qui avait reconnu Monsieur le Comte lors de sa première sortie aux Halles - il avait été adopté, enfant, par la famille Beautrillac demeurant à Labastide Sainte-Engrâce, y avait passé sa jeunesse, admirant le Domaine de La Marline où il n’avait jamais pénétré, ne l’apercevant que du chemin conduisant à La Devinière, était ensuite « monté » à Paris pour y exercer la fonction de cocher, et avait juré au Pensionnaire du Grand Hôtel, sa parole valant de l’or, de ne jamais dévoiler à quiconque le penchant de son illustre passager pour les quartiers populaires - ; quelques auvergnats de passage à la Capitale complétaient la joyeuse troupe qui festoya jusqu’à l’aube autour de coupes de champagne et de galettes bretonnes que Segondine Lavergnolle avait confectionnées, fidèle en cela à son origine celtique.

  La petite chambre de la Rue du Pélican accueillit de nouveau les ébats du couple - on se reportera en arrière aux diverses figures de style, auxquelles, du reste, ils apportèrent quelques innovations - , accueillit aussi confidences et projets dont le contenu essentiel se résuma à constater la cruauté du Principe de réalité qui, s’il ne réduisait pas à néant le Principe de plaisir, le restreignait de façon importante, et ceci pour cinq années consécutives, durée du « bail » entre la Locataire de l’Hôtel du Midi, la Mère maquerelle et son Souteneur.

  « Faisant contre mauvaise fortune non cœur », les deux amants - car c’était bien de cela dont il s’agissait en effet, malgré, et peut être à cause des nombreuses contrariétés dont ils étaient l’objet - , résolurent de ne se rencontrer qu’épisodiquement; rarement Rue du Pélican afin de ne pas attirer l’attention sur une liaison qui, du fait du statut social du client attitré (bien qu’il le dissimulât), eût tôt fait d’attirer les soupçons de Grâce Nantercierre, « l’employeuse » habituelle de Ninon et de plusieurs autres des péripatéticiennes qui arpentaient les trottoirs des Halles, préférant plutôt l’arrière-cuisine du Pied de Cochon où la discrétion et l’amitié de l’Auvergnat se traduisirent par l’aménagement d’une alcôve munie d’un rideau, qui permettait au couple de recréer son intimité, tout entouré de l’odeur des choux, de la cochonnaille et de fûts de vin dont la pièce était encombrée. Les bruits de la salle où étaient servis les repas leur parvenaient, légèrement étouffés, et bien qu’ils ne pussent en percevoir les paroles et le contenu, le rythme, l’accent, l’ambiance, participaient au bonheur de leur retrouvaille, comme si l’assemblée des Auvergnats, ne le sachant pas, mais communiant intuitivement à leur union, l’eussent renforcée et protégée des menaces de la ville.

  Ainsi coulèrent une suite de jours heureux où les séparations, toujours trop longues, étaient ponctuées d’une correspondance assidue à laquelle le Postillon, tout acquis à la cause du couple « illégitime », bien qu’il ne connût pas celle qui s’adonnait régulièrement à ses talents d’épistolière, adhérait pleinement, allant même jusqu’à dissimuler les enveloppes au jasmin dans le trou d’un vénérable chêne situé à la croisée des chemins, lorsque le Comte, pour une raison quelconque, tardait à venir récupérer ses missives, le même trou servant d’ailleurs à accueillir les lettres que Monsieur le Comte y déposait, lorsque, pour une raison quelconque, le Postillon, malgré sa bonne volonté, ne pouvait conduire sa voiture de Poste à l’heure convenue pour la collecte du courrier à destination de la Sologne ou de contrées plus lointaines.

  La santé de Fénelon s’améliora sensiblement, son emphysème semblait au repos, tapi au fin fond de secrets alvéoles, cette accalmie témoignant de façon évidente de l’état de repos de celui qui abritait la sournoise maladie, de l’absence d’émotions - ou, du moins, ces dernières furent-elles contenues - et de projets optimistes utiles à soutenir son énergie, bien que leur réalisation dans le temps fût reportée aux calendes grecques.

  Occupé à inscrire de nouveaux adages sur les poutres de sa Librairie, à lire et à relire des livres dont il ne se séparait plus guère, ayant une inclination particulière, depuis sa rencontre avec Ninon, pour une littérature « légère » mais non moins érudite, dont les titres s’égrenaient parfois, au cours des longues nuits. Ainsi lut-il, identifiant souvent les héroïnes des romans à son amante, de grands classiques de la littérature érotique du XVIII° Siècle, dont il connaissait par cœur certains passages et qui  avaient pour noms : « Fanny Hill, la Fille de joie » de John Cleland; « Thérèse Philosophe » du Marquis Boyer d’Argens; « Point de lendemain » de Vivant Denon, Diplomate de son état; « Le doctorat impromptu » d’Andréa de Nerciat; « Vénus dans le cloître » de l’Abbé du Prat.

  Outre que ces œuvres lui plussent, débarrassant le libertinage des fausses pudeurs bourgeoises, les qualités de leurs auteurs, leur réputation, ne faisaient que confirmer la justesse de ses choix et finissaient même par donner une sorte d’absolution à sa vie extraconjugale et à l’infidélité qui en était la conséquence. Honorant peu son épouse, il s’étonnait parfois que celle-ci ne se plaignît point d’un manque d’égards à son endroit, semblant se satisfaire des rares plaisirs dont il la gratifiait, de plus en plus rarement, ses effusions en arrivant même, comme les rivières au plus fort de l’été, à un point d’étiage qui, parfois ne laissait pas de l’inquiéter.

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:33

 

Honnies soient qui mâles y pensent (19)  

 

  On le comprendra aisément, à la lecture de cette dernière missive, la dilatation des alvéoles de Monsieur le Comte fut à son comble et malgré la prise d’une thérapeutique renforcée, le Docteur Charles d’Yvetot fut convoqué au chevet du patient auquel il administra une série de piqûres d’Aconit ferox et de Stannum, renforcée d’extraits actifs de Pulmine. Pendant plusieurs jours, l’hôte de La Marline dut accepter une assistance respiratoire sous la forme d’une pompe à piston, actionnée, tour à tour, par Yvette-Charline, par le fidèle Anselme Gindron, les trois gardes-chasses, les bûcherons de La Devinière et les scieurs de la succession d’Eustache Grandin. Monsieur le Comte retrouvant ses esprits et son souffle, le Docteur d’Yvetot prit la responsabilité de stopper la machine, la laissant toutefois à portée de toute main secourable au cas où l’emphysème s’emballerait sous la forme d’une crise aiguë. Fort heureusement celui-ci capitula bientôt et laissa Monsieur le Comte au repos.

  Il ne quittait guère sa chambre et son fauteuil que pour gagner sa Librairie, s’asseyant sur le divan près de la fenêtre qui donnait sur les communs, l’écurie et la pièce d’eau, se distrayant seulement grâce aux visiteurs qui venaient à La Marline, lui apporter soutien et réconfort. Cependant Ninon s’étonna de ne plus recevoir de nouvelles malgré les nombreuses lettres adressées à Fénelon.  Ayant été informé de ses problèmes de santé, Le Postillon, homme de tact et de bonne éducation, attentif à ne pas soulever de brouilles familiales, avait réservé  au courrier de Monsieur le Comte, une place discrète dans un des coffres dissimulé sous le siège de la voiture postale. Dès que Fénelon fut autorisé par son Médecin à faire quelques tours dans le parc, il ne put se retenir d’en franchir les limites, au prix d’un essoufflement dont il consentait à payer le prix, réconforté à l’idée de serrer prochainement dans ses doigts les lettres porteuses de jasmin.

  Ce ne furent pas moins de dix enveloppes que le Postillon offrit à Fénelon qui manifesta, à l’égard du messager, une immense gratitude, sous la forme d’un écu l’enveloppe. Les lettres, soigneusement enfouies dans la veste de chasse, ne furent décachetées que sous les vénérables poutres de la Librairie dont la porte avait été soigneusement fermée à clé. L’odeur de jasmin transporta d’aise le Maître des lieux qui jouissait plus des bienfaits des missives que de la pompe à air du bon Docteur d’Yvetot. La grande tendresse dont Ninon faisait preuve, son témoignage d’une sincère amitié, son impatience à le revoir, firent de la lecture du  Comte, un véritable enchantement, comparable à la méditation des « Essais » de Montaigne, et parfois même plus. Quoique fatigué par sa longue convalescence, Fénelon s’empressa de répondre au courrier de Ninon - comment devait-il la qualifier maintenant, après toutes les révélations qui lui avaient été faites ?-, sa confidente, son Egérie, sa compagne des jours tristes, sa conseillère, son ancienne maîtresse, sa « Fille de joie » ? Dans l’instant il ne résolut pas cette question, laissant au Destin - qui lui avait toujours été favorable - , le soin de décider.

  Son optimisme naturel revenait peu à peu. Il irait le lendemain, dès le jour levé, à la rencontre de la voiture postale. Il ne doutait pas, qu’après les propositions contenues dans sa lettre, Ninon ne pourrait qu’obtempérer à ses désirs. Monsieur le Comte, doué d’un naturel d’une incorrigible ingénuité, eût pu assumer la devise de Candide lui-même : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».Cependant, endossant les vêtements du jeune protagoniste du conte de Voltaire, eût-il été capable d’en tirer les enseignements nécessaires, en éprouvant le réel dans sa dimension abrupte et parfois tragique ?

  A sa grande satisfaction, les événements qui suivirent penchèrent plutôt du bon côté, laissant dans l’ombre les désagréments qui eussent pu escorter la si fantaisiste liaison d’un Comte et d’une Fille de joie.  Après les émotions liées à son état de santé, aux nouvelles de Ninon décrivant sa dépendance vis-à-vis du « Milieu », le Comte se fit une raison, souhaitant mener une vie parallèle dont il s’accommoderait, le plus clair de son temps en Sologne, pour sauvegarder les apparences, se ménageant toutefois de nombreuses escapades à Paris où l’appelleraient, de plus en plus souvent, la gestion de ses affaires et le maintien de son patrimoine, quoiqu’il se trouvât dans l’impossibilité de léguer ce dernier à qui que ce fût, ce dont il s’était entretenu avec maître Aristide de Fontille-Meyrieux, ami de toujours, depuis les bancs de l’école communale. A ce sujet, un projet avait été conçu mais demeurait provisoire, Fénelon de Najac souhaitant prendre le temps de la réflexion avant de désigner son légataire universel.

  

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:28

 

Honnies soient qui mâles y pensent (18)   

   

  Nul doute que l’hôte de La Marline était pris au piège, à la façon dont Valmont s’était épris de Madame de Tourvel, et que le nom de son tourment se résumait aux cinq lettres du mot « AMOUR ».

  Ainsi dut-il se rendre à l’évidence que, depuis son retour de la Capitale, ce dernier, l'Amour, s’ingéniait à faire son siège. Amoureux il était, amoureux il s’assumerait et, fort de cette révélation, composa aussitôt une petite ritournelle qu’il ferait parvenir à Ninon.

  Prévoyant, Monsieur le Comte avait noté le numéro de la rue et de la chambrette où envoyer la missive, laquelle, à défaut de destinataire, pouvait toujours transiter par le « Pied de Cochon ». Fénelon se saisit de son bloc de papier à lettres aux armoiries des de Lamothe-Najac et traça, à l’aide de sa plume, tout en ronds, pleins et déliés, les quelques mots destinés à son amante, ému à l’idée que sa missive figurerait, bientôt, en bonne et due place au milieu des « soties du septième ciel ».

                                                                                                           

De Ninon

Que j’aime

Faisons

Le poème

 

A ses yeux

Pervenche

A ses yeux

Myosotis

 

Offrons

La revanche

Des jeux

De Daphnis

 

 

De l’emphysème

Refusons

L’anathème

 

De Ninon

Acceptons

La passion

 

De ses yeux

Amoureux

Faisons

Notre emblème

 

De Ninon

Que j’aime

Faisons

Le poème

 

 

  Dès lors nul jour ne passa qui ne vit la naissance d’un nouveau poème, d’une courte ballade, d’une cantilène, d’une complainte, d’une chansonnette, d’une épigramme, d’une ode, d’un sonnet, tous dédiés à vanter, de Ninon, la beauté, l’altruisme, l’ouverture du cœur, la délicatesse du corps. Une anthologie complète aurait pu donner la mesure, sinon du talent du Comte à flatter les rimes, du moins de sa dévotion à celle qui devenait - malgré les réticences de son éducation bourgeoise et le respect qu’il devait à son épouse - , sa bien-aimée, sa maîtresse, son amante.

  Dès potron-minet, de Lamothe-Najac, après un petit déjeuner frugal, généralement accompagné d’une mesure de poudre d’Acetic acid, d’Hyosciasmus et autres préparations magistrales, « filait à l’anglaise » sous les frondaisons vert tendre des bouleaux avec lesquelles son nouveau costume de chasse se confondait, dans un état de fébrilité semblable à l’affolement des jeunes feuilles sous la brise matinale. Marchant aussi vite que ses bottes de chasse le lui permettaient, Fénelon s’engageait sur le chemin qui menait à Labastide Sainte-Engrâce, avec la précision d’un métronome et d’une clepsydre à eau, rencontrant invariablement la voiture de la Poste au carrefour des routes menant à La Devinière et aux bâtiments de la Scierie d’Eustache-Grandin. Le courrier que lui remettait le Postillon, dégageant des effluves de jasmin, ne laissait aucun doute au brave homme de l’Administration sur la nature des missives que Monsieur le Comte s’empressait de saisir, le cœur en émoi, cherchant l’appui, dès que la voiture de la Poste avait disparu, d’un tronc secourable auquel confier surprise et gratitude, deux sentiments qui accompagnaient toujours les nouvelles de la Locataire de l’Hôtel du Midi, et qui, bien vite, furent suivis, sinon remplacés par une évidente jalousie naissant à l’idée que Ninon, sous les toits de zinc du de la Rue du Pélican, faisait commerce de ses charmes avec des inconnus, et cette prise de conscience - Monsieur le Comte était d’un naturel candide et plutôt  nonchalant - , loin de lui apporter du réconfort du fait de la générosité de son aimée envers le sexe fort, lui inspirait de vives inquiétudes, et son évocation quasi-permanente de la faune des Halles lui faisait craindre les pires situations pour celle qu’il voulait aimer, protéger et sauver, en définitive, d’un aussi triste destin..

  Sûr de ses sentiments et de la justesse de ses vues, il en fit part rapidement à Ninon sous la forme d’une lettre au ton à la fois de reproche et d’imploration qui ne manqua de surprendre et d’émouvoir sa destinataire, laquelle, par retour du courrier, l’informa d’une situation dont elle pensait que son protecteur solognot ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants. Elle se mit en devoir de lui expliquer les « lois du Milieu », lui fit comprendre qu’elle n’était pas aussi libre qu’elle l’eût souhaité, qu’elle dépendait d’une Mère maquerelle qui, elle-même, devait rendre des comptes à un certain Gaston Leglandu, proxénète de son état et, de ce fait, maître de quelques kilomètres de trottoirs parisiens, du côté de Pigalle, de Blanche, de la Rue Saint-Denis et de celle du Pélican, qu’elle, Ninon, n’était qu’un petit maillon de la chaîne, qu’elle avait contracté des engagements qui la liaient encore pour plusieurs années et qu’elle acceptait, qu’elle souhaitait même le revoir aussi souvent que possible, l’assurait de prestations « particulières » et fort peu dispendieuses, lui demandant de garder secrètes toutes ces confidences, souhaitant que, dorénavant, il lui adressât son courrier au Pied de Cochon, ayant peur des représailles si le dénommé Leglandu s’apercevait qu’elle entretenait avec un client, fût-il le plus distingué et le plus célèbre, des relations qui s’inscrivaient en faux par rapport à la « charte morale » qui l’unissait à son « patron », car, Leglandu - le Comte n’en croyait pas sa raison - , était bien le « protecteur » de Celle dont il prélevait les revenus, la privant de la liberté et d’une vie digne à laquelle Ninon, compte tenu de ses qualités, avait le droit d’aspirer.

 


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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:40

 

Honnies soient qui mâles y pensent (17) 

 

 Après son dernier séjour parisien, le Comte évita de trop s’isoler dans sa bibliothèque où son imaginaire s’enflammait, martyrisant son corps et son esprit. On le vit alors, ce qui chez lui n’était pas coutumier, manifester une permanente agitation dont les premiers symptômes apparaissaient tôt le matin, pour ne disparaître qu’à la fin de la nuit. Encore tout imprégné des ardeurs de son amante, il rejoignait parfois son épouse Yvette-Charline dans le grand lit à baldaquin - lequel n’en revenait pas des nouvelles manières du couple - , afin de célébrer jusqu’aux mâtines sonnantes de bien étranges cérémonies. Si la femme du Comte était, pour ainsi dire, à la fête, l’hôte de La Marline, pour sa part, ne se livrait guère qu’à un simulacre, le corps en Sologne, l’esprit à Paris, ne souhaitant honorer Cupidon dans le Manoir familial que pour mieux rejoindre en pensée, la petite lucarne de la Rue du Pélican.

  Dans la journée, Monsieur le Comte colportait une sorte d’ennui qui, parfois, confinait à la mélancolie, allant du Manoir aux écuries; des écuries au potager; du potager à la pièce d’eau de laquelle il ne percevait même plus le clapotis tombant des gargouilles; de la pièce d’eau au jardin à la française dont le méticuleux alignement des massifs lui paraissait bien trop rigide; du jardin à la française au jardin à l’anglaise où il se laissait aller, l’espace de quelques secondes, à regarder le vent coucher les herbes folles; du jardin à l’Anglaise à l’allée bordée de bouleaux, ne percevant plus le tremblement des feuilles qu’à la façon d’un écran de fumée; de l’allée au rendez-vous de chasse dont les réceptions nocturnes ne l’amusaient guère; du pavillon au territoire de chasse où il surprenait quelques cerfs ou sangliers en maraude, n’éprouvant à leur rencontre qu’une surprise de circonstance, non une réelle émotion: de la chasse à la forêt; de la forêt à la Scierie de son Grand-oncle Eustache- Grandin, seul lieu qui lui créât quelque intime sensation, surtout, lorsque s’approchant du petit secrétaire en merisier, effleurant de ses doigts le tiroir où avait séjourné le petit livre noir, son excitation était portée à l’extrême, comme si le secrétaire lui-même, son galbe, sa couleur, la douceur de son bois l’eussent mis en présence de Ninon, de sa chair si lisse, de sa peau de nacre, de la couleur si aérienne de ses yeux - étaient-ils pervenche ou myosotis  ? - Fénelon ne savait encore pour quelle teinte se décider, préférant le mystère profond des iris à la certitude de leur nuance colorée.

                 Etait-il vrai que la couleur des yeux changeait pendant l’amour, ainsi que la taille et le pigment des aréoles, lesquelles secrétaient un doux nectar semblable à du miel ? Etait-il vrai que le Mont de Vénus, soumis à une douce et régulière pression, s’exhaussait sous le désir ? Etait-il vrai que la peau s’irisait le long du dos, que la chair de poule naissait sur les courbures les plus intimes ? Etait-il vrai que les chevilles se cambraient, que les orteils s’arc-boutaient, que les doigts se creusaient dans un mouvement de supination, que le corps entier se métamorphosait pour célébrer Eros ?

  A défaut de le vérifier, le Comte le supposait et eut souhaité, ô, un instant seulement, pouvoir quitter son corps, devenir pur esprit, planer comme un ange au dessus de la scène, la vivre de l’extérieur, afin que l’expérience fût totale, devenant lui-même le miroir, la lucarne, la mansarde au sein de laquelle Ninon s’abandonnerait à des jeux fous et dionysiaques.

  Voulant percer au cœur, plus les secrets de l’amour que ceux du libertinage, de Najac s’enfermait à nouveau fréquemment dans sa Librairie, relisant « Les liaisons dangereuses », cherchant chez Valmont, chez son amante surtout, la Présidente de Tourvel, les linéaments de la passion, ses manifestations tangibles, priant Dieu et tous les Saints que la fin tragique imaginée par Choderlos de Laclos ne pût jamais s’appliquer à sa liaison avec Ninon. Les jours passant, Fénelon devait ruser avec les nombreux tourments qui l’assiégeaient, cherchant à les éviter, tout du moins à en réduire l’impact sur sa conscience, grâce à un emploi du temps industrieux qui incluait parties de pêche, de chasse, promenades à cheval - le galop, par son rythme soutenu, faisait comme un bruit de fond qui noyait un peu les obsessions - , visites auprès des bûcherons et des scieurs, et aussi, parfois, chez le Docteur Charles d’Yvetot qui l’auscultait régulièrement, surveillant la progression à bas bruit, d’un emphysème chronique, héritage de son grand-père paternel, Hugues-Richard-Artimon qui, pour cause d’insuffisance respiratoire, avait dû, à son grand dam, abandonner le Cadre Noir et restreindre ses activités équestres.

  Cependant, une consommation de tabac modérée, alliée à l’excellente thérapeutique de la Faculté, que le Comte emmenait toujours avec lui, y compris lors de ses voyages à Paris, et dont il connaissait par cœur la posologie quotidienne, le laissait en paix. Muni de ses tubes et fioles, il s’administrait, au réveil et au coucher : Une mesure de poudre Acétic acid; Aconit ferox et napelus; Antimon tartar; Grindelia; Hydrastis; Hyosciamus; Ipeca; Moschus; Rumex; Sambucus; Senega; Spongia; Stannum; Sticta â â 4, auquel il ajoutait, en cas de crise aiguë, 30 gouttes de Bourgeons de Corylus 1°X et un suppositoire de Pulmine 7 CH.

  Cette médication régulière et une vie au grand air permettaient à Fénelon de Najac de mener une existence sensiblement normale, les complications ne devant normalement survenir qu’à un âge relativement avancé. Toutefois le Docteur d’Yvetot conseillait à son patient d’éviter les émotions, ces dernières pouvant être à l’origine d’une dilatation anormale des alvéoles pulmonaires qu’un traitement, fût-il énergique, avait parfois du mal à enrayer. Méditant l’argumentation du brave médecin, le Comte s’étonna de n’avoir eu, lors de sa rencontre avec Ninon, aucun symptôme de ce type, ce qui l’amena à penser que le souvenir prenait le pas sur le réel, la seule évocation de la « Belle de Nuit » lui occasionnant souvent, depuis son retour à La Marline, des sortes d’oppressions dont il sortait toujours avec un sentiment de profond malaise, lequel se dissipait au lever du jour. Dans son esprit il n’y eut qu’un pas de la cause à l’effet :

 

                                                    « Avec Ninon                                                          

                              Que j’aime                                  

                    Point de crise,                  

Sans Ninon

Emphysème

S’aiguise. »

                                

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:37

 

Honnies soient qui mâles y pensent (16)   

 

 Ne leur restait plus qu’à habiller leurs corps des habits de Cupidon. Ce qu’ils firent prestement, quittant la croisée, abandonnant le refuge du paravent. Sur le lit se retrouvèrent les amants pour célébrer, dans une fougue commune, leur amour de la « chose populaire », dont ils se dirent volontiers « qu’elle était la chose la mieux partagée du monde ».

  Et pour respecter la devise qui énonce que « tout vient à point à qui sait attendre », voici, donc, Lecteurs, Lectrices, le résumé des ébats d’un Comte et d’une Roturière, auxquels, je ne doute pas que votre imagination ajoutera force détails juteux, et ne feignez  pas votre manque d’intérêt pour la « choose » car, si tel était le cas, vous auriez depuis longtemps, déserté ma prose et sombré dans un sommeil réparateur.

  Donc, les amants se livrèrent aux jeux et aux joies d’Eros jusqu’aux environs de l’angélus de midi provenant des cloches de Saint-Eustache, sous des formes variées et diverses. Furent ainsi expérimentés :

   Le galop du Cosaque—La moulinette d’Anvers—Le toboggan de Saint-Pétersbourg—La grande roue de Pékin—Le trombone à coulisse de Senlis—La viole à quatre mains—La pirouette du Pérou—La sautée Auvergnate—La bourrée de Saint-Gildas—La gigue du Majeur—La zique du Major—La rampette du Commando—La pelote Basque—La cuvée du Joyeux Drille—La tournée du Ribaud—Le pourceau d’Epicure—La danse de Sein-Guy—Le grand huit de Mandchourie—La carmagnole de l’index—Le jeu de trou-Madame—Le va et vient de Zanzibar—Le pousse-pousse de Hanoï—Le jeu de Pile ou Fesse—Le chat perché—La queue du loup—Le bilboquet alsacien—Le pince-cochonnet—Le toton à Tonton—La main chaude—Colin-Paillard—Plante-Carottes—La cavale de Paroli—Le pousse-bandonéon—Le cornet à piston—La bielle russe—Le saute guimbarde—Le phonographe à manivelle—Le pétrin du Mitron—La quenouille du Boulanger—L’arrière-train bulgare—La cheville ouvrière—La capote impériale—Le vilebrequin du Camionneur—La cassolette de la Cuisinière—Le piston du Mécano—La cruche de la Cantinière—Les burettes du Bedeau—La calebasse sénégalaise—La gourde de Pensylvannie—La boîte à lait de la Savoyarde—Le godet de la Pucelle—Le fond du cul de la chopine—Le fusil du Boucher—La varlope du Charron …

  Ils rajoutèrent à cette longue liste quelques inventions de leur cru qui confirmèrent leur affinité et témoignèrent d’une imagination qui était à l’amour ce que les épices sont aux plats les plus fades.

  Deux heures sonnèrent à la cloche de Saint-Eustache lorsqu’ils en eurent terminé avec leurs lacets respectifs, jugeant, dans le grand miroir qui se trouvait face au lit, que leur tenue vestimentaire - quoique la crinoline fut un peu froissée et le plastron nullement empesé - , était apte à affronter la Rue du Pélican et les rues adjacentes, ne souhaitant aucunement apporter d’eau au moulin de l’adage qui prétendait que « l’amour fait perdre le repas et le repos », Ninon précédant Fénelon dans l’escalier qui descendait du septième ciel, les deux amants se retrouvèrent bientôt Rue Saint-Honoré, marchant côte à côte, nonchalamment, sans qu’aucun signe extérieur eût pu trahir, auprès des passants, le déchaînement dont, l’un et l’autre, venaient d’être l’objet, la mansarde en portant encore le témoignage, dans le relatif désordre qui l’habitait.

  Se mêlant à la foule qui, malgré l’heure tardive, cherchait une place pour déjeuner dans les nombreux bistrots entourant les Halles, Fénelon et Ninon, pensant de concert que « ventre affamé n’a point d’oreilles », firent leur entrée sous l’enseigne du  Pied de Cochon  où ils furent accueillis par les regards admiratifs des Filles de joie qui sirotaient leur café, par Symphorien Lavergnolle tout à la joie de retrouver de vieux amis - la veille était déjà un jour ancien - , Symphorien qui offrit, en guise d’apéritif, un solide vin de noix de sa fabrication, lequel fut suivi, pour le plus grand plaisir des deux convives, de la traditionnelle gratinée à l’oignon de l’épouse de l’Auverpin qui, ce jour, était en charge des fourneaux. Monsieur le Comte s’étonna que son  hôte ne s’émût point de sa rencontre avec Ninon. Sans doute avait-il déjà oublié que sa compagne était « dame de petite vertu » et se rendit aussi tôt compte de sa naïveté et de sa piètre expérience de la gent féminine. Il ne devait pas être le premier, pas plus que le dernier, à faire son entrée au Pied de Cochon, encore porteur de l’odeur de jasmin dont Ninon se parfumait avec discrétion et élégance. Le repas fut clôturé par une gniole auvergnate qui dissipa les derniers effluves de la potée au chou, en même temps qu’elle dispensait de l’usage d’un élixir dentifrice. La cloche de Saint-Eustache venait de frapper les quatre coups lorsqu’on se sépara sur des promesses de futures rencontres, dont le Comte pensa qu’elles émailleraient d’une saveur particulière ses futurs séjours à Paris : celle du Pied de Cochon, chez son nouvel ami Symphorien; celle du corsage de Ninon, parfumé au jasmin, dont le Comte garderait, toute sa vie durant, jusqu’au plus infime détail.

  Regagnant la Rue de Rivoli par la Rue des Lingères et la Rue des Bourdonnais, Monsieur le Comte, dont les narines frémirent d’aise au contact des derniers remugles du quartier des Halles, pensa :

 

« Séparation du matin

Attise le chagrin

Séparation du soir

Aiguise l’espoir ».

 

  Satisfait de l’invention de cet adage, il prit un coche et demanda au conducteur de le ramener Rue Meyerbeer en empruntant la rue de Castiglione, la Place Vendôme et la Rue de la Paix, persuadé que cet itinéraire « royal », succédant au paupérisme du quartier des Halles, serait de nature à conclure cette journée sans pareille d’élégante manière. Souhaitant sortir son mouchoir afin de s’éponger le front - les rayons de soleil pénétraient maintenant jusqu’au fond de la calèche - , il s’aperçut qu’il avait, par mégarde, emporté « La Vie Parisienne ». Il se tança lui-même pour tant d’étourderie et fit la constatation que le Petit Livre Rouge ne lui était plus d’aucun secours, Ninon, à elle seule, en valant des milliers, fussent-ils des incunables de La Mazarine.

  Arrivé Rue Meyerbeer, il descendit du coche, s’acquitta de sa course et offrit le Précieux Viatique au maître d’attelage qui n’eut pas le temps de demander à son client ce qui lui valait l’honneur de cet inattendu présent. L’eût-il interrogé, Monsieur le Comte lui eût sans doute servi une sentence mais, à l’heure qu’il était, alors que la voiture à cheval arrivait à peine du côté de Saint-Lazare, l’hôte du Grand Hôtel s’activait à mettre ses derniers effets dans la malle en cuir de Russie, dont l’odeur particulière, pensa-t-il, cacherait de son amante l’odeur de jasmin, pour mieux la révéler dans l’intimité de sa Librairie où il pourrait à loisir s’enivrer du mouchoir que Ninon lui avait donné, ce dernier rythmant avec « espoir », devait être un gage de fidélité.

 


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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:34

 

Honnies soient qui mâles y pensent (15)   

 

  Sous la farandole, qui faisait au dessus du lit, comme une guirlande de pieux préceptes à l’usage de jeunes mariés, Ninon et Fénelon, dans de virginales tasses de porcelaine blanche, trinquèrent à leur passion commune pour les aphorismes, au milieu des volutes d’arabica et des senteurs multiples qui montaient de la Rue du Pélican, que les premiers rayons de soleil commençaient à décolorer.

Ninon pensa qu’il était grand temps de passer aux choses sérieuses.

Le Comte pensa qu’il était grand temps de passer aux choses sérieuses.

Issus d’une commune pensée, où chacune ressemblait à l’autre comme deux gouttes d’eau, leur désir ne pouvait guère être différé qu’au risque de sombrer avant même que d’être consommé.

  Redoutant, dans cette sorte de flottement, que le tragique ne se saisisse d’eux, sentant confusément peser la menace de Thanatos sur Eros, se munissant chacun d’un calame et de deux carrés de toile, ils calligraphièrent, parodiant « Le Cid », deux courtes répliques en forme de pied de nez, qui, ils en étaient sûrs, le Destin saurait comprendre :

 

  NINON :     A moi, Comte, deux mots

                     N’ai-je donc tant vécu

                     A l’Hôtel du Midi

                     Que pour voir perdu

                      En une seule nuit

                      Le Démon de midi

                      Qui de Fénelon

                      Fait le siège assidu ?

 

FENELON :     Ninon, ôte-moi d’un doute

                        De Fénelon as-tu choisi la route,

                        N’auras-tu pas, à la nuit tombée,

                        Des nuées de regrets

                        Qui escorteront ton âme

                        Des souffrances du blâme ?

                        Si tel est ton désir,

                        Pourquoi encor souffrir ?

                        Sur-le-champ, aimons-nous !

 

 

     Ce qui, par Fénelon fut dit, fut par Ninon accompli, et, du septième ciel, les portes ne tardèrent pas à s’ouvrir, derrière lesquelles, chers Lecteurs, chères Lectrices, nous nous dissimulerons un peu, non en tant que voyeurs habités d’intentions lubriques, mais simplement animés du noble sentiment de voir s’épanouir, entre deux êtres que le Destin s’était ingénié à réunir, l’inscription secrète de la passion.

  Les préludes amoureux, non que la loi en soit intangible pour autant, sont, dans la majorité des cas, précédés des préliminaires du déshabillage. Ils le furent, suivant en cela une tradition plus que millénaire, empreints d’une pudeur qui entraîna Monsieur le Comte derrière le paravent, Ninon se tournant vers la lucarne, offrant ainsi à Lamothe-Najac la vue d’une croupe des plus prometteuses. Le Comte s’empêtra un peu dans le déboutonnage de sa veste de velours. Ninon remonta, d’un geste souple ses gracieux avant-bras le long du laçage de son bustier qu’elle entreprit de dénouer avec mesure et application, libérant le bout du lacet qui, alternativement, se dégageait, tantôt de l’œillet de droite, tantôt de l’œillet de gauche, révélant par petites touches une peau veloutée et soyeuse, semblable à la nacre de certains coquillages des Tropiques. Fénelon, quant à lui, s’escrimait sur la fermeture récalcitrante de son haut-de-chausse qui, selon lui, se prêtait de mauvaise grâce à l’impatience de son désir.

  Ninon était parvenue à libérer son bustier qui, ayant chu sur le parquet, révélait à Monsieur le Comte, de profil mais de façon non moins évocatrice, une généreuse et ferme poitrine qui lui rappela, par sa forme, sa couleur, sa densité, sa tenue, les grains de muscat d’Italie, gorgés de soleil, tendus sous la brise, prêts à libérer leur suc à la moindre pression, à la façon des capsules des impatients qui éclatent dès qu’elles sont effleurées, libérant leurs semences par centaines.

  Encore sous le charme des charmilles de la Riviera où poussait la vigne généreuse dont les fruits évoquaient les rondeurs de Ninon, Fénelon entreprit de défaire la ceinture de son caleçon - il faisait encore frais à Paris en ce début de printemps - , laquelle entourait la taille du Solognot de plusieurs longueurs de flanelle. Une fois le caleçon ôté, il jeta à nouveau un coup d’œil discret en direction du « raisin » d’Italie qui, était-ce l’effet de la lumière ou celui d’un léger déplacement de Ninon, lui faisait face maintenant, dans une sorte de « sfumato » vénitien du plus bel effet, lequel livra au regard médusé du Comte, deux superbes mamelons, longs, couleur parme, semblables à la truffe du hérisson « museau de chien », alors que, chez son épouse, les timides mamelons roses évoquaient plutôt le faciès aplati du hérisson « museau de cochon ». L’anatomie comparée de sa future maîtresse et de sa chaste épouse en resta à ce stade, non sous l’effet d’une tension de la volonté mais en raison, simplement, du « chef-d’œuvre », digne de la Renaissance, qui offrait à ses yeux le spectacle le plus sublime qu’il eût jamais vu.

  Vint ensuite le tour de la chemise à plastron, alors que Ninon, relevant d’un côté son ample jupe plissée, révéla progressivement ses fines bottines noires à lacet qu’elle entreprit de dénouer, remonta le long de ses jambes longues et fuselées, recouvertes de bas résille dont la jarretière noire, tranchait sur l’écume de la peau dans un contraste que Monsieur le Comte jugea hautement érotique, plus érotique, en tout cas, que sa façon à lui de se débarrasser de l’ultime sous-vêtement qui faisait encore comme un léger rempart à sa nudité.

  La jupe, relevée maintenant jusqu’à la taille, laissait entrevoir le bouillonnement de la culotte sous l’échancrure généreuse du porte-jarretelles. Ninon fit glisser le long de ses cuisses les derniers petits attributs vestimentaires, de quelques mouvements de reins qui révélèrent un étonnant Mont de Vénus, semblable à une colline boisée s’ouvrant sous la profondeur d’une gorge secrète. A vrai dire, de ce savant déshabillage, dont il était l’unique destinataire, Monsieur le Comte ne dut jamais bien se remettre. La vue de « La Joconde », malgré son admiration sans bornes pour Léonard de Vinci, ne lui fit jamais autant d’effet. Ce qu’il s’avoua à lui-même, dans une sorte de désarroi, ne sachant plus exactement si ce dernier résultait d’une sous estimation de l’œuvre ou d’une surestimation de l’œuvre de chair à la si parfaite carnation, au modelé si exemplaire.

  Force leur fut de constater : Nue, Ninon, sans nuisette aucune.

                                            Nu, Fénelon, sans  chemisette aucune.

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:31

 

Honnies soient qui mâles y pensent (14)  

 

 Mais, Lecteur, Lectrice, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de faire l’état des lieux du modeste logis de la Rue du Pélican. Au quatrième étage d’un hôtel ordinaire, l’Hôtel du Midi, sous les toits de zinc, Ninon habitait une mansarde de dimensions réduite, suffisante tout de même pour exercer son art. Ce qui, au premier abord, étonna Monsieur le Comte, ce ne fut ni le lit recouvert d’un jeté blanc crocheté à la main, ni la commode aux cinq tiroirs, ni le lavabo de faïence blanche, ni le bidet dont il supposa l’usage intensif et quotidien, ni la table de bois blanc où il supputait que la « Belle de Nuit » prenait parfois ses repas ou un café, ni la fenêtre à petits carreaux dont la mansarde était pourvue et qui donnait sur d’autres toits et d’autres mansardes de la Rue du Pélican. Non, tout ceci était somme toute assez banal.

 Ce qui surprit le Comte et le ravit en même temps, ce furent une quantité de petites toiles blanches suspendues au plafond par un fil de coton, semblables aux drapeaux de prière des Tibétains, chaque petit carré de toile étant porteur d’inscriptions que l’hôte de la mansarde se mit en devoir de déchiffrer, avant même qu’Eros ne vînt le caresser de ses plumes de soie. Afin de ne pas contrevenir aux règles de la bienséance, Fénelon de Najac expliqua à Ninon qu’il était volontiers cryptomane et, qu’à la manière de Champollion, occupé à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens, il se passionnait pour les inscriptions et messages secrets et, qu’avant d’honorer la maîtresse des lieux, il souhaitait se livrer à un rapide inventaire des petits drapeaux afin d’en mieux connaître le contenu.

  Ninon, nullement choquée par la curiosité du Comte, l’encouragea à se plier à sa manie, pendant qu’elle préparait deux tasses de café. L’invité de l’Hôtel du Midi se livra sans retard à la lecture des petits feuillets qui, sous l’effet du vent venu de la mansarde ouverte, batifolaient à la façon de papillons surpris par la venue d’un printemps précoce. Chacun d’entre eux était calligraphié à la main, avec soin et élégance, en caractères semblables aux idéogrammes chinois, ce qui permit au distingué Solognot d’émettre l’hypothèse que chaque petit texte avait dû être tracé à l’encre noire, à l’aide d’un calame. Un premier inventaire rapide confirma ses impressions : les petits carrés de toile servaient de support à de courts énoncés, limités parfois à une seule phrase, parfois à plusieurs, sortes de petites ritournelles en vers, de chansons populaires avec couplets et refrains dont le contenu, c’était l’évidence même, avait l’allure de proverbes et dedictons, d’adages, de soties, d’aphorismes, petits sentiments populaires qui exprimaient souvent de profondes pensées.

  Monsieur le Comte comprit alors combien le Destin dépassait l’entendement des hommes et s’arrangeait, parfois, à faire se rencontrer des individus qui, pour être animés de la même passion, ne se fussent jamais connus sans sa mystérieuse entremise. Alors que l’odeur du café commençait à se répandre dans la petite chambre, Monsieur le Comte se livra avec frénésie à la lecture des  missives dont Ninon assura qu’il ne s’agissait que de bien modestes « pensées », destinées à remplir la vacuité des jours de repos. Il aborda les sentences qui, pêle-mêle, livraient leurs secrets, comme une noix ouverte dévoile ses cerneaux :

 

B1

B2

B3

B4

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:15

 

Honnies soient qui mâles y pensent (13)   

 

Sa tête provinciale s’emplit de mots et d’images, de noms de rues : Rue des Halles; Rue Courtalon ; Rue Sainte-Opportune; Rue de la Ferronnerie; Rue des Innocents; Rue de la Cossonnerie; Rue des Prêcheurs; Rue Rambuteau; Rue des Lingères; Rue des Déchargeurs; la plupart des noms le faisant sourire; s’emplit d’images de Femmes multiples, chacune unique, du moins le pensait-il, dans l’exercice du  « plus vieux métier du monde »; d’images d’hôtels aux façades sombres, aux couloirs souvent éclairés de rouge; d’images de bistrots, de cafés enfumés, de terrasses animées où l’on mangeait, où l’on buvait, au milieu d’odeurs de cuisines fortes et épicées, du relent des étals que l’on lavait à grande eau. Décidément, la vie du quartier était à la hauteur des pages prometteuses du Petit Livre Rouge, dans lequel figurait, en bonne place, l’estaminet de l’Auvergnat et néanmoins ami, que le futur dissipé solognot s’apprêtait à rejoindre, remontant la Rue de Rivoli, tournant à droite par la Rue du Pont Neuf, pour rejoindre la Rue Berger et l’enseigne du Pied de Cochon.

  La soirée étant fort avancée, il ne restait plus à Fénelon de Lamothe, s’il ne voulait pas mettre en péril sa réputation « proverbiale », qu’à rejoindre Symphorien Lavergnolle auprès duquel il prendrait conseil afin que la lecture du Petit Viatique Rouge ne restât pas lettre morte. Ainsi, il se surprit à accélérer le pas pour remonter la Rue Berger, en direction de l’enclave auvergnate. A peine commençait-il à apercevoir la modeste devanture du Tenancier, qu’une superbe créature, encadrée par les portes à battants pourvues de verre martelé, fit irruption dans la rue, sous l’éclairage des becs de gaz. La créature était, comment dire, plus qu’une créature, LA créature faite Femme, ce que le Comte constata avec amertume car, une silhouette si parfaite ne pouvait convenir au « commerce » habituel d’un quartier si populaire et il pensa aussitôt qu’il s’agissait d’une voyageuse égarée dans une ville qu’elle ne connaissait pas. Pour cette raison sans doute, et pour quelques autres qu’il serait trop long d’énumérer du fait de leur fondement dans le complexe arbre généalogique de Fénelon, le Comte n’entendit pas la proposition d’une incursion au septième ciel que lui fit la belle inconnue. C’est seulement à la troisième reprise, lorsque l’infortunée, derechef, fit l’éloge de ses charmes, que l’étourdi reprit contact avec la terre que, pour l’instant, il avait désertée. La « Belle de Nuit », se souvenait avoir croisé son distingué futur client, la veille, alors qu’elle entrait chez Symphorien pour y boire un café. Elle prétendait s’appeler Ninon et n’exercer ce métier que pour une noble cause, celle de repêcher les âmes en peine qui erraient, surtout la nuit venue, dans ce quartier interlope. Médusé autant que fasciné, de Najac navigua de concert avec son Egérie, dans les rues qui pâlissaient, l’aube étant proche.

  Ils remontèrent la Rue Berger, contournèrent, Rue de Viarmes, l’édifice circulaire de la Bourse de Commerce, traversèrent la Rue du Louvre, déserte à cette heure matinale, obliquèrent à gauche, rue Jean-Jacques Rousseau, tournèrent enfin à droite, dans une petite rue qui portait l’enseigne « Rue du Pélican ». Avant de se rendre à l’hôtel qui abriterait leurs aventures, Ninon demanda à Monsieur le Comte s’il connaissait l’origine du nom de la rue. A tout hasard, et sans que la justesse de son assertion ne vînt un instant le tourmenter, il prétendit que cette rue était autrefois destinées au commerce des volatiles au grand bec. La réponse parut si cocasse à sa compagne de l’aube que celle-ci éclata de rire, son rire cristallin résonnant encore dans la rue, après qu’ils avaient monté l’étage desservant le septième ciel. Ninon expliqua à Monsieur le Comte l’origine du nom de la rue. Cette dernière était peuplée, il y a longtemps déjà, d’une kyrielle de Filles de joie, lesquelles ne sacrifiant pas encore à la mode épilatoire de leur Mont de Vénus, étaient réputées pour leur toison pubienne, si bien que, dans la Capitale, cette rue était connue comme étant celle du « poil au con », nom qui, par altération successive, était devenue, aujourd’hui, la Rue du Pélican. (A l’attention de mes curieux et cultivés Lecteurs : cette anecdote, pour paraître invraisemblable, n’en est pas moins vraie !).

  Monsieur le Comte, fort séduit par la culture de Ninon, souhaitait approcher, maintenant, une culture plus « manuelle ». Ce à quoi les deux occupants de la mansarde s’adonnèrent sans retard, sous les feux encore pudiques du jour qui commençait juste à déplier ses ailes.

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:11

 

Honnies soient qui mâles y pensent (12)  

 

  Le lendemain matin, Fénelon de Lamothe fut tiré de son sommeil par le garçon d’étage qui lui apportait son petit déjeuner, déposant son plateau sur la table ronde recouverte d’une nappe plissée, brodée au chiffre de l’Hôtel. Il poussa doucement les volets, sans les ouvrir totalement, afin que Monsieur le Comte fût réveillé en douceur. Ce dernier, à la lumière couleur d’ambre qui pénétrait dans la Suite, supposa que le jour était déjà bien avancé, supposition qui trouva confirmation dans la position des aiguilles de la pendulette Empire posée sur le marbre de la cheminée.

  Parvenu au terme de son séjour parisien, Monsieur le Comte décida, comme il est d’usage à la veille de grandes décisions, de faire une trêve, de remettre les affaires à plus tard, de se plonger dans une espèce de farniente que ne troubleraient, chaque heure, que les carillons de la pendulette, rythmant, d’une façon aussi précise que sobre, la vie intime de la Suite dont l’hôte se disposait, calé sur de confortables coussins de plume, à la lecture des Lettres de Madame de Sévigné, laquelle alternerait avec la consultation de Petit Viatique Rouge. Le sentimentalisme de Madame de Sévigné servant à tempérer, du moins Fénelon de Lamothe le supputait-il, les ardeurs du maroquin qui, depuis plusieurs jours, sommeillait au fond du cuir de Russie. Il fit prévenir la réception de l’hôtel qu’il ne prendrait point de déjeuner, pas plus que de collation, qu’on fût attentif à ne pas l’importuner en raison des affaires courantes qu’il avait à expédier avant de quitter la Capitale. Afin de donner du crédit à ses paroles, Monsieur le Comte dépêcha un garçon de courses porter un pli à Monsieur Symphorien Lavergnolle, supposé mandataire qui traitait pour son compte l’achat de denrées alimentaires auprès des courtiers des Halles. Comme il se doit, personne à l’hôtel ne crut à la vraisemblance des propos du solognot dont les négociations habituelles se situaient plutôt du côté du Parc Monceau que de celui des Pavillons Baltard, ces derniers fussent-ils des trésors d’architecture.   

  Le contenu de la missive était, on s’en sera douté, des plus prosaïques, quoique Monsieur le Comte fût parfaitement dégrisé à l’heure de sa rédaction, mais déjà fortement préoccupé par le célèbre bougnat et la faune qui s’y pressait quotidiennement. Ainsi y avait-il comme un projet dans l’air, le Fournisseur de traverses de chemin de fer ayant déjà tracé, si l’on peut dire, sa voie, car, pensait-il, et il l’écrivit en guise de conclusion à son nouvel ami Symphorien Lavergnolle :

 

 

 Comment trouver

Un bouge

Du Petit Livre Rouge,

Comment s’encanailler,

                                                           Sans bourse délier

Si ce n’est

Par une virée

De Fénelon

Au Pied

De Cochon ?

                          

 

 

  Le soir venu, souhaitant passer de la théorie à la pratique, Fénelon de Najac se vêtit d’un costume de velours, qu’il réservait habituellement aux parties de chasse, coiffa son chef d’une casquette Prince de Galles qui le faisait ressembler aux grands propriétaires écossais, enfila à ses pieds des bottines de cuir souple, car il était disposé à l’exercice physique et, ayant estimé, sur un plan, la distance à parcourir, somme toute raisonnable et propice à calmer son agitation, il descendit prestement le grand escalier de fer forgé, passa devant la réception où l’on s’inquiéta d’une calèche à prévenir, que l’hôte du Grand Hôtel, d’un geste ample de la main, décommanda avant qu’elle ne fût requise pour la course. Mais, cette fois, la canne à pommeau d’argent fit partie du voyage car Fénelon de Lamothe, ce soir-là, décida d’être fidèle au principe suivant, qu’il énonçait souvent en son for intérieur :

 

« Mieux vaut

Au vestiaire

Laisser

Son paletot

Et, plutôt

Que son bréviaire

Emporter

Son pommeau. »

 

  L’air tiède de la rue lui donna d’ailleurs raison, ce qui le rasséréna sur sa décision en même temps que se raffermit en lui la nécessité de poursuivre la pratique des sentences et proverbes à usage de prophylaxie mentale, ce que, derechef il énonça sous la forme : 

 

« Dictons

Et proverbes

À l’unisson

Font du verbe

L’invention.

Proverbes

Et dictons

À l’unisson

Font le verbe

Polisson. »

 

   Sortant de la Rue Meyerbeer, il traversa le Boulevard des   Capucines que des bourgeois arpentaient avant d’aller dîner, descendit la Rue de La Michodière, rejoignit l’Avenue de l’Opéra à l’angle de la Rue des Petits Champs où les réverbères commençaient à grésiller, dépassa, sur la gauche la Bibliothèque Nationale, sur sa droite la partie arrière du Jardin du Palais Royal d’où sortaient, par groupes épars, des promeneurs qui gagnaient les Galeries Vivienne et Colbert afin d’y trouver des rafraîchissements, il continua par la Rue Feuillade et la Place des Victoires, s’engagea Rue Etienne Marcel, qu’il laissa à la hauteur de la Rue Pierre Lescot. Les Halles étaient tout près maintenant, et le Comte retrouvait, avec un certain plaisir, devait-il l’avouer, la foule chamarrée et bruyante du quartier des poissardes, clochards et autres camelots. Il tourna à droite, Rue du Cygne, fit un détour par la Rue Mondétour, s’amusa du nom des rues, « Petite Truanderie », suivie de la « Grande Truanderie », passa Rue Saint-Denis où, sous des portes cochères, se tenaient en retrait, moultes péripatéticiennes qu’il n’eut aucun mal à identifier au vu de leurs accoutrements et de leurs bonnes manières, décochant aux badauds des œillades et des gestes qui n’avaient rien de séraphique.

  Fénelon de Lamothe, plus curieux qu’émoustillé, décida de remonter la rue jusqu’au Châtelet. Se succédèrent ainsi, au hasard des portes cochères, une Blonde décolorée aux lèvres rouges et pulpeuses; une Fille brune, à peine majeure, dont la jupe haut fendue s’ouvrait sur des jarretières rose bonbon; une Femme d’âge plus que mûr, lourde poitrine propulsée vers le haut par une gaine à lacets; des clins d’œil entreprenants; des lumières rouges dans les renfoncements des portes d’hôtel; des messieurs pressés qui suivaient des dames de petite vertu dans de sombres rues adjacentes; des bistrots violemment éclairés où des Femmes vulgaires et bruyantes apostrophaient les passants; une Femme âgée qui arpentait le trottoir en claudicant et en vantant ses mérites; une Femme aux lourdes créoles, à la jupe longue et plissée, qui ressemblait à une danseuse de flamenco; une Femme blond platine, aux yeux très bleus, aux cernes profonds, qui chantait; une Femme très mince dans des vêtements collants, noirs, comme ceux d’un toréador; plusieurs Femmes appuyées à des murs, qui fumaient en tenant des propos obscènes; des Femmes aux fesses rebondies, aux poitrines étroites ou généreuses, aux bouches minces ou élargies sur des sourires carmin, aux cheveux plaqués, frisés, teintés, couleur cuivre, flamboyants, ailes de corbeau; des Femmes souriantes, tristes, agressives, timides, effarouchées: des Femmes par dizaines, comme exposées sur un étal, livrées au commerce des hommes, de leurs yeux qui les dévoraient, anticipant leur proche plaisir, qui choisissaient, qui soupesaient les avantages apparents et peut être les surprises cachées, dont Monsieur le Comte se demandait si le solde en était positif, si le client était récompensé, floué parfois, médusé peut être.

 


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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:07

 

Honnies soient qui mâles y pensent (11) 

 

  Cette sotie lui fit comme un clin d’œil, lui, Comte de Lamothe, qui se retrouva dans une salle enfumée et bruyante, où l’on festoyait beaucoup, se sustentait fort, buvait sans retenue. Ayant esquissé un pas, ou plutôt une sorte d’entrechat, dans le but de tourner sur lui-même et de franchir à rebours la porte qu’il venait à peine de pousser, une main grasse et velue, celle de l’Auvergnat maître des lieux, s’abattit sur son épaule, le forçant à s’asseoir sur un tabouret en gros rondins de bois, lui proposant, sans autre forme de procès, une gratinée à l’oignon, spécialité de la Maison, un pied de cochon sauce gribiche, et, pour finir, une tourte auvergnate au fromage, le tout arrosé d’un vin rouge au caractère rugueux pour ne pas dire irascible, qui, le Comte s’en doutait, surprendrait son palais habitué à de plus fines libations. La proposition de l’Auvergnat, paraissant dénuée de toute arrière-pensée, teintée même d’un début de franche camaraderie, incita Fénelon de Najac à accepter le projet de Symphorien, car tel était le prénom de ce brave homme dont le teint franchement vineux n’avait d’égale que son évidente candeur. Si, dès le début des agapes, il eut été exagéré de dire que les deux convives se comportaient comme larrons en foire, l’on peut affirmer, sans risque d’abuser le Lecteur, qu’après le pied de cochon, la glace était totalement rompue, vertus de Bacchus aidant, et que la tourte auvergnate ne s’entoura plus d’aucune précaution oratoire, laissant plutôt la place à des propos de cabaret et d’auberge espagnole.

  La première dame-jeanne fut l’occasion de faire un peu mieux connaissance, la seconde de pénétrer les intimités réciproques, la troisième d’aborder les propos licencieux et grivois, comme il était d’usage chez les hussards après que les émotions du combat étaient passées. Leur amitié toute neuve s’enhardit même de quelques projets, sous la forme d’une visite que Symphorien promettait d’effectuer à Fénelon, en pays solognot, quand il fermerait pour quelques jours l’estaminet, alors que le Comte accédait au désir du bougnat qui projetait de faire se rencontrer, au Pied de Cochon, Segondine, sa femme, et madame la Comtesse. Sans doute l’Auvergnat comptait-il sur les vertus de sa cave pour abattre les barrières sociales et peut être même jeter les bases - utopiques, sans doute, mais sait-on jamais - d’un aimable phalanstère où se fréquenteraient, dans le plus grand bonheur, les Modestes des Halles et les Aristocratiques de Sologne.

  L’euphorie aidant, les deux hôtes du Pied de Cochon, auxquels se joignirent bientôt les autres auverpins, ne tardèrent pas à entamer, sous la forme tonique et égrillarde d’une chanson à boire, quelques joyeux couplets de leur invention :

 

 

A la cantine

Segondine

Cuisine

A la cantine

Charline

peaufine

Pour Symphorien

Trois p’tits riens

Qui font du bien

Pour Fénelon

Des rognons

Sans s’fair’ d’mouron

 

 

A la cantine

Segondine

Charline

Cuisinent

Cuisinent

Oh, les coquines

Les rognons

De Fénelon

Les trois p’tits riens

De Symphorien

 

 

   Fénelon de Najac, tout abandonné qu’il était aux « vertus » des Halles, au fumet subtil des pieds de cochon, aux vapeurs alcooliques du nectar auvergnat, flottait dans une sorte de douce béatitude, en oubliait même son aristocratie, son épouse Yvette-Charline, son Domaine de La Marline de Clairvaux, faisant l’expérience d’une sorte d’état de dénuement où s’étrécissait jusqu’à son arbre généalogique, lequel, dépouillé de ses nobles rameaux eût pu laisser le Comte dans une situation des plus roturières, l’amenant même à abandonner ses particules et ses patronymes multiples, les amputant de leur désinence, les conduisant au seuil d’une existence où il s’imaginait dépourvu des attributs de la noblesse - il aurait pu alors s’appeler  Fénelon Lamonaj, demeurer à Marlin - , goûter la poésie du quotidien des gens modestes, sans ambition aucune, qui ne possédaient dans leurs bourses que les quelques écus nécessaires à leur survie et, pour habitat, un appentis au toit de chaume ou de bruyère, comme on en trouve parfois, sur des abris de chasse, dans les profondeurs de la forêt solognote.

  Alors que Fénelon, en toute simplicité, se laissait aller à une sorte de déambulation sans but, on allait et venait au Pied de Cochon : poissonniers, bouchers, garçons de courses, dames de petite et de grande vertu, lesquelles étaient toutes des habituées, des amies de Symphorien qui, entre deux clients dans le quartier, venaient se réchauffer en buvant un café, perchées sur de hauts tabourets qui, généreusement, dévoilaient leur intimité, ne faisant aucunement mystère du commerce auquel elles se livraient.

  La soirée était fort avancée lorsque Fénelon  Lamothe, qui en avait même oublié sa particule, salua la noble compagnie du Pied de Cochon, prit congé de ses hôtes, dans des effusions qui allèrent jusqu’à l’accolade du Patron et de son épouse, leur promettant de franchir à nouveau le seuil dès que son emploi du temps le lui permettrait.

  Au moment de sortir dans la rue, retrouvant ses réflexes d’homme du monde, il tint l’un des battants de la porte aux vitres dépolies, s’effaçant pour laisser le passage à une jeune et belle inconnue qui, l’espace de quelques secondes, occupa l’étendue de son champ visuel. Ninon, une familière des lieux, s’installa sur un haut tabouret, sortit une cigarette de son étui, pendant que Symphorien lui préparait un café double et corsé : la longue nuit n’était pas encore arrivée à son terme. Revenu au Grand Hôtel, Monsieur le Comte demanda au garçon d’étage de lui faire couler un bain avec beaucoup de mousse. Souhaitait-il, de la sorte, se laver du Pied de Cochon, de son ambiance populaire et annuler, en toute conscience, les vertus « narcotiques » du lieu qu’il venait de quitter ? L’hôte de la Suite Alexandre Dumas, à l’issue de son bain, ne fut pas en mesure d’apporter une réponse à une question qui n’était que superfétatoire et s’endormit, le cœur heureux et l’âme tranquille dans les soies parfumées de lavande du Grand Hôtel de la Rue Meyerbeer.

 

 

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