"...entouré de prêtres..."
"N'as-tu pas compris que cette noble assemblée de prêtres dispendieux - ils n'oublieront pas de réclamer leur obole afin de réparer la tuile absente au toit de leur église, laquelle donne accès au ciel bien plus sûrement que ne le saurait faire la plus éprouvée des prières qui fût -, ces gueux en robe noire et surplis blanc, comme s'ils voulaient métaphoriser le passage de vie à trépas, cette meute discrète mais non moins inquiète de son propre sort plutôt que du tien est là, dans ta mansarde - mais ne te gêne donc point, prends donc ma place un instant sur mon confortable pucier, lequel me sert de lit de mort -, donc, les Prêtres veillant sur ton dernier souffle, t'aspergeant d'eau bénite puante comme l'égout, faisant leurs signes de croix méticuleux, récitant, parmi les remugles d'hosties leurs cantiques d'effroi, - mais ne lisent-ils quelque ouvrage licencieux en sourdine ? -, se livrant à toutes sortes de simagrées dans la ferme intention de te distraire du Néant, lequel pourrait t'apparaître comme l'ultime Vérité, ils ont bien trop peur de perdre leur fond de commerce et puis, sois-en assuré, à force de réciter leurs litanies bancales, ils ont fini par y croire à leur écheveau gonflé comme une outre vide de sens. Qu'ils gardent donc leurs illusions, nous garderons les nôtres, reconnaissant cependant une primauté de sens à ce Néant dont nous sommes issus et auquel nous retournerons, tâchant, parmi les bruits divers du monde de percevoir quelque linéament d'une parole originelle si tant est qu'elle pût, un jour, trouver son site, ce qui est donc hautement indémontrable, ceci nous reconduisant, en dernier lieu, à percevoir avec d'autant plus de rigueur le sans-fond dont, un jour, nous fûmes exhumés."
"Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempétueuse,"
"Moi, toi, nous, les hommes commis à nous éveiller, de gré ou de force, nous voulons ardemment mourir mais nous dissimulons à nos propres yeux le ravissement dont, soudain, joignant le geste à la parole, buvant le bol de ciguë salvatrice, nous serions saisis avec un infini contentement. Si, renoncer à son dernier souffle est, on peut le supputer, un impensable sacrifice physiologique, passer le cap, s'extraire de la pointe extrême du vivant est une obole à nulle autre pareille. Et, sans doute, Lecteur de peu de bienveillance, toi qui, à mon chevet, l'œil aux aguets, surveilles l'intime moment de ma disparition, avec une gourmandise certes amplement justifiée, ne sois saisi d'aucune crainte me concernant, je suis déjà, par la pensée, bien au-delà des contingences matérielles, dans un monde d'apesanteur où les choses inclinent à une autre volonté qu'à dresser devant nous les monticules de leur insuffisance plénière. Bien au contraire, les choses s'ouvrent afin que, disposés à les recevoir, nous pussions nous immerger en elles comme le visiteur des grottes plonge avec splendeur dans la multiple connaissance des lieux révélés. Alors, sans effort, sans volonté farouchement tendue vers un toujours dense impossible - tu reconnaîtras là les habituelles déconvenues qui font ton ordinaire ainsi que celui de tes Co-existants -, nous sommes dans le sein de ce qui se dévoile et habitons sans partage, sans ligne qui établirait une quelconque frontière, une possible division, nous investissons le plein de notre contrée dimensionnelle.
Car nous ne sommes plus des êtres de chair et de sang penchés sur leur prochaine chute mortelle, nous vivons à être seulement des dimensions, mais ouvertes, mais volubiles, mais immensément libres d'établir leur aire où bon leur semble, ici ou bien là, dans la contrée infinie d'un temps illimité. Oui, je sais, Youri Nevedimyj devrait être plus prudent avec toi, t'annoncer ces bien surprenantes hypothèses après t'avoir prévenu, t'avoir inoculé une manière de vaccin, l'épidémie qui envahit ton horizon est si soudainement mortelle, effrayante. Car, en effet, comment renoncer au temps ordinaire, lequel fait tourner ses rouages avec un cliquetis rassurant et se retrouver, d'emblée, comme échoué sur un rivage où flux et reflux s'annulent, laissant à l'immense étendue liquide le soin d'édifier un temps parfaitement abstrait, impalpable, non conscient lui-même de ses propres limites ? Car, comment renoncer aux quadratures spatiales, aux boussoles, aux cartes et se retrouver au lieu des lieux d'où tout découle, l'horizon comme la marche courbe des étoiles ?"
"Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempétueuse..."
"C'est bien cela que tu énonces depuis tes lèvres avaricieuses, gonflées de désir mais non moins mortelles, infiniment mortelles. Certes, tu ne fais que l'énoncer par ma bouche ou, mieux, par la bouche de la hyène maldororienne. Mais quelle différence ? Y aurait-il une ligne de partage selon laquelle se répartiraient les hommes doués de savoir et ceux visités, seulement, par du non-savoir ? Mais quelle plaisanterie ! Mais les hommes sont parfaitement identiques. Certains en avance sur d'autres ou saisis d'un regard sans doute plus éclairant, ce qui veut dire, non que certains d'entre eux seraient pourvus d'une quelconque supériorité. D'une inquiétude plus grande, seulement. Au centre, l'Homme, et sur le pourtour, des centaines, des milliers, des millions, des milliards de facettes qui reflètent à l'infini, dans une manière de symphonie parfaite, l'Un parvenu, par une simple illusion d'optique, au Multiple, à l'illimité, à l'innombrable. Lecteur, sache-le une fois pour toutes. Aussi bien pour Toi, que pour Maldoror, que pour Moi Nevidimyj, il n'y aura jamais que nous-même reflété à l'infini par une myriade d'illusoires facettes. Nul univers n'est réel qu'à être ramené à sa simplicité première. Voir la dune unique, réunie, rassemblée autour de son axe plutôt que l'empilement des grains de sable qui en tissent le relief.
Alors, en toute sérénité, tu demandes à la vague de procéder à ta propre disparition. Est-ce simple lâcheté ? - celles-ci, la lâcheté, la tentation de l'esquive, pourraient aisément se concevoir -, est-ce par inconscience ? - celle-ci ne t'honore guère, toi que la Nature a pourvu d'un entendement afin que tu puisses, en toute quiétude, te détacher d'elle, la Nature -, mais, posant cette loi farouche comme l'airain, laquelle demande à l'autre-que-toi, la vague, de procéder à ta chute finale, tu ne fais qu'entériner ta propre solitude, te confronter au vide qui, depuis toujours, te fait face. Par cela, qui "te fait face", il faut, bien évidemment entendre, "qui te procure "face", "visage", donc qui réalise ton épiphanie, afin qu'issu du Rien tu puisses surgir sur la scène du monde, le temps d'y faire tes petites circonvolutions de marionnette à fil et, ainsi, jusqu'à ta dernière pirouette.
Mais n'as-tu donc point perçu que la vague que tu convoques n'est, en toute hypothèse, que toi-même, vague parmi les vagues vibrant à l'identique le long du ventre de la même mer ? Toi, seule et immense vague issue des abysses de l'être-en-devenir, de cette mer bleu-marine à partir de laquelle naît tout rayonnement possible, toute clarté dont ton front se ceint, toi vague ourlée d'écume, avant que tu ne t'effondres, t'engendrant selon quantité de fragments épars, lesquels, à leur tour, procéderont à leur infinie division cellulaire avant que de retourner dans l'enceinte nourricière qui leur a donné le jour, à la mesure de ton simple et unique déploiement. Donc, vague présomptueuse, Toi te croyant douée d'un pouvoir de décision, lequel pourrait décréter ta mort par l'entremise d'une mystérieuse vague venue d'on ne sait où, c'est en réalité à toi-même que tu dois t'en remettre, dans le plus naturel des cycles qui soit, ta disparition n'étant que l'ultime élévation que tu consens avant de te retirer au sein de celle par qui tu fus, "la mer tempétueuse", qui n'est autre que ton propre être livré aux tumultes de l'exister, flux et reflux si intimement liés à tes propres mouvements que tu finis par ne plus en percevoir les eaux originelles."