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5 septembre 2013 4 05 /09 /septembre /2013 09:12

 

pays-du-sourire-jpg [1024x768]

 

Source : La Fille d'Aujourd'hui.

 

 

 Seul.

 

... Il savait qu'il était seul, abandonné de tous et que même son visage, si familier, ne reflétait plus ni l'apparence ni le souvenir d'une hypothétique altérité. En même temps que sa propre image, celle de l'Autre avait disparu, celle du monde aussi, donc de tout ce qui était différent de son destin en forme de sombre finitude. Mais, je laisse à l'Auteur, le soin de conclure sur des paroles d'un pessimisme qui creuse l'abîme jusqu'en ses plus inconcevables dimensions :

 

"Il avait l'impression maintenant d'avoir une figure en bois, un masque immobile, figé ... [ le temps semble s'être arrêté ] ... dans une expression maussade. A force de réfléchir, il finit par comprendre ce qui lui arrivait. C'était parce qu'il était seul. Depuis trop longtemps ... [ Encore l'usure et la contrainte temporelle ] ... il n'avait personne à qui sourire, et il ne savait plus; quand il voulait sourire ses muscles ne lui obéissaient pas ... [ Comme si son corps était séparé de sa volonté et retrouvait le morcellement initial de la petite enfance, avant que le "stade du miroir" n'assemble les fragments en une synthèse douée de sens ] ... Et il continuait à se regarder d'un air dur et sévère ...             [ jugement moral ] ... dans la glace, et son cœur se serrait de tristesse. Ainsi il avait tout ce qu'il lui fallait sur cette île ... [ impression d'apparente complétude ] ..., de quoi boire et manger ...  [ besoins élémentaires d'un métabolisme basal ] ..., une maison, un lit pour dormir ... [ l'habitat en tant que grotte et abri primitif ] ... mais pour sourire ... [ ce fait éminemment humain ] ...personne ... [ ce qui referme à jamais la possibilité de toute expression, de toute communication, en ramenant le visage à une simple icône de glace, à l'immobilité du règne minéral ].

 

... La constatation finale de l'Auteur donne, à proprement parler, des frissons, ceux-là même que l'homme de l'âge de pierre devait éprouver dans un climat hostile. L'épiphanie humaine s'est tout simplement hypostasiée dans une posture bestiale, primitive, le prochain stade ne pouvant être que de l'ordre d'une matière si peu douée de raison qu'elle confinerait aux premiers balbutiements du monde, au chaos originel où toute chose est en attente de forme et de mouvement, semblable en cela à la "Chôra" dont nous nous sommes entretenus un instant. Mais, avant de conclure, il faut faire une incise pour évoquer la dimension simplement stupéfiante de la perte du sourire. D'après le psychanalyste américain René Spitz, le sourire est l'un des principaux organisateurs du psychisme humain qui intervient, chez l'enfant, d'une façon précoce, vers le troisième mois de la vie. Il constitue la réponse à la présence du visage humain, notamment celui de la mère, et marque un tournant décisif dans la façon d'être de l'enfant en le socialisant et en lui apprenant les premières marques distinctives de l'aire relationnelle. Or le sourire n'appartenant en propre qu'à l'être humain, sa perte est synonyme d'un retrait de la dimension anthropologique et entraîne donc une régression à l'état de nature, à la stricte condition sauvage et primitive qui, sans doute, ne peut guère mieux se symboliser que par l'enracinement dans la matrice primordiale maternelle, laquelle n'est autre, au terme d'une ultime genèse, que la "Terra Mater", la grotte, la conque où se dissimule la première virtualité, l'ébauche de ce qui, un jour, constituera les assises de l'homme.

... Donc, mon cher Jules, si tu as été bien attentif aux différentes étapes qui, successivement, ont affecté Robinson, tu y auras reconnu, en filigrane, le schéma global de l'altérité à différentes étapes de son évolution, ou, plutôt, en suivant chronologiquement le récit de Tournier, la régression du Naufragé qui s'accomplit progressivement vers une forme de plus en plus primitive, jusqu'à sa totale disparition. Pour résumer, "bouclage de l'espace", "régression dans l'Elément-Terre", "contrainte temporelle", tout aura joué pour Robinson à la façon d'emboîtements successifs, de tonneaux gigognes aux parois multiples que la lumière de la raison traverse de moins en moins, expériences au termes desquelles se posera la question même de sa survie. Après avoir franchi à rebours les étapes qui l'ont conduit du registre humain au registre végétal de la racine, en passant par la condition animale, Robinson ne peut plus être confronté qu'à un choix inévitablement binaire : ou celui de se perdre dans la nature ombreuse et chtonienne de la terre, ou celui de s'y régénérer et d'y renaître après y avoir reconnu et accepté la dimension matricielle et féconde de la "Chôra" maternelle, qui, alors, jouera pleinement son rôle de tremplin ontologique.

 

 

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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 08:47

 

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Tableau de Mary Cassatt -

Femme en body rouge et son enfant.

Source : Wikipédia.

 

 

 La contrainte temporelle.

 

"Il fut tout surpris un jour en sortant un miroir d'un des coffres de la Virginie de revoir son propre visage".

 

... Eh bien, Jules, à cette étape de la fiction, nous ne pouvons faire l'économie de la référence à la psychanalyse et, notamment, à Jacques Lacan qui a été à la base de la création d'une véritable école de pensée. Je ne sais si Tournier a eu cette intuition, ce sentiment que la situation de son héros s'approchait de si près de cette réalité que l'enfant connaît, vers l'âge de six mois, et qui a été qualifiée de "Stade du miroir". Bien sûr, il ne peut y avoir homologie parfaite entre l'aventure de Robinson et celle qui concerne le développement du tout jeune enfant, certains rapprochements symboliques sont cependant inévitables. Pour clarifier le débat, je t'expose brièvement en quoi consiste ce fameux "Stade du miroir".

  Vers la fin de la première année, lorsque l'enfant découvre pour la première fois son image dans un miroir, c'est pour lui, le surgissement de la "lumière"qui agit comme révélateur de son identité et concourt à cimenter la sorte d'éparpillement corporel dans lequel il se vivait jusqu'alors. Cette étape, aussi inattendue que décisive, constitue le fondement de la conscience de soi, de sa construction identitaire et il vit cette expérience unique à la façon d'un acte qui le transcende, ce dont il retire une vive satisfaction en même temps que le sentiment d'exister sous le règne d'un ego complet et autonome.

  Or, tu comprendras que, pour Robinson, la situation est diamétralement opposée et ne signe qu'une sorte de retour à la case départ. De construit qu'il était, corporellement, psychologiquement, symboliquement, en raison de son "âge d'homme", Robinson n'apercevant dans le miroir qu'une forme qui suscite la surprise, se sent tout à coup dépossédé de son propre sentiment unitaire et, de ce fait, retombe dans les limbes, dans l'indifférencié dont la souille, encore présente à son esprit, était l'exacte projection métaphorique. Si, pour l'enfant Lacanien, la perception de sa propre image dans le miroir induit en lui un sentiment proprement extatique et magique qui entraîne une "assomption jubilatoire", chez Robinsonle sentiment s'inverse et ne se réalise que sous les traits d'une "chute mortifère", constituant l'un des aspects de sa propre régression vers la terre, la "materia prima". Or, si cette expérience du miroir est bien liée au Temps, notamment à la période qui concourt à projeter l'enfant vers le futur; chez Robinson l'expérience du miroir prend une toute autre signification temporelle.

 

"En somme il n'avait pas tellement changé, si ce n'est peut être que sa barbe avait allongé et que de nombreuses rides sillonnaient son visage".

 

... Or nous verrons, par la suite, que cette nouvelle épiphanie du visage de Robinson sous les traits d'un vieillissement prématuré, en même temps qu'elle est constitutive d'une angoisse, le mine de l'intérieur, le pousse même irrémédiablement et d'une façon souterraine à souhaiter le retour vers l'innocence de la petite enfance, entraînant inévitablement la nostalgie de l'origine.

 

 

 La perte du sourire.

 

 

"Ce qui l'inquiétait tout de même, c'était l'air sérieux qu'il avait, une sorte de tristesse qui ne le quittait jamais".

 

 ... Et cette tristesse qui paraissait maintenant mieux le définir qu'aucun des aspects de sa condition naturelle, se doublait d'une évidence tragique :

 

 "Il essaya de sourire. Là il éprouva comme un choc en s'apercevant qu'il n'y arrivait pas. Il avait beau se forcer, essayer à tout prix de plisser ses yeux et de relever les bords de sa bouche, impossible, il ne savait plu sourire".

 

Aristote, percevant mon égarement, me parla en ces termes :                

 

 - A l'attitude qui est la tienne en ce moment , Jules, je m'aperçois que tu viens de comprendre ce que le sort de Robinson possède d'injuste, de grave, d'irrémédiable. Le sourire même l'ayant abandonné, le Naufragé est, si l'on peut dire, acculé à l'extrême naufrage qui le prive d'une mimique si expressément et existentiellement humaine. Robinson est reconduit dans l'ornière étroite de l'animalité dont il pensait qu'elle ne le concernerait plus depuis sa sortie de la souille. Or la suite du texte nous éclaire sur l'impasse dimensionnelle à laquelle il doit se confronter, comme un condamné à mort écouterait, dans les profondeurs de son cachot, la sentence qui constitue le dernier terme avant le gibet. Rien de pire pour Robinson, en effet, que sa chute dans la condition de chrysalide aveugle qui n'a plus prise sur son destin et, bientôt, s'ouvriraient les portes de l'absurde et du Néant.

 

 

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 10:36

 

du-dedans existence nulle.

 

sb 

 

Jerry Bauer. Portrait photograph of Samuel Beckett.

Source : HARRY RANSOM CENTER

THE UNIVERSITY OF TEXAS AT AUSTIN

 

 

Que ferais-je sans ce monde sans visage 
sans questions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi.

 

 

 Samuel Beckett

cité par Sylvie Besson.

 

 

  

  Libre méditation sur un poème de Beckett.

 

 

 Que ferais-je et le monde, où est-il  et visage s'absente, on  voit plus contours, on  voit plus  trace, où passé  monde, gesticulations, déflagrations, abominations ? et partout néant et son haleine froide, mais les os gèlent, mais moelle transparente et myéline minces filets perdition giclures, amas nœuds mortifères, que ferais-je courir après mots, crier dans désert, monter montagne et vociférer à quoi bon, personne et désert étend à l'infini monticules sable, épaulements obliques et seulement eau coulant dans  oasis, belle musique claire le long  acequias mais temps passe, insaisissable et griffe l'air de mains en crochets et saisis juste lames effroi, oubli d'être, nervures existence, éclats quartz, rognures silex, vie entaille jusqu'aux os, fragments tarses, débris métatarses, os croisés sur os visage, finitude et tout verse dans vide et vide figuration neutre du Néant, esquisse intemporelle, le fond sur lequel l'existence fait sens, déploie sa gigue mortelle. Rapides pas de deux, menus entrechats et la grande scène du monde dresse ses tréteaux et les masques dans l'ombre ouvrent leurs gueules d'obsidienne et les personnages de la commedia dell'arte affutent leurs rôles et le brigadier frappe les trois coups et les ficelles descendent des cintres et on sent bien les points d'attache dans le dos, les étriers de corde autour du bassin, les noeuds coulants autour gorge et nœuds plats contre omoplates, hommes plats et prêts à jeter peau cuite vieux cuir, pleine vergetures, nodules, excroissances, croûtes purulentes dans première fosse venue juste pour dire douleur exister, douleur pas exister assez, pareil même, et pourquoi corps, pourquoi pas corps privé organes, seulement vibration dans éther, forme libre, pullulation vérité, seulement idée ajustée ciel monde, à peine plus que stridulation cigale, plissement aile  silène, translation phosphènes dans cage verre ampoules, mais corps corruptible, hautement, pareil à fruit nécrosé et bientôt chute sur sol et éternel retour et ombre recouvre tout, oui, que ferais-je dans ce silence des gouffres sinon crier sans voix dans  démesure temps, dans l'inconséquence majuscule des murmures, des halètements de l'amour, des corps suppliciés attachés l'un à l'autre dans une étreinte mortifère, et petite mort devançant grandement constituée, grande pute folle déployant ses membranes de carton et amants meurent croyant vivre, grande palinodie, désir abouché à voyage terminal, tout se retourne infiniment sur soi, rien ne s'ouvre, bouche à corps, corps à bouche, basculement sexes comme calottes poulpes, rétroversion pensée dans antre, dans chair, dans révolte et dents ivoire déchirent passion, amour, déchirent petites pensées, lambeaux, scories, cendres, lave molle écoulant sa gangue liquide partout où sens pourrait faire petite musique urticante, mince comédie ontologique, car être, où voyez-vous être, tout illusion, poudre yeux, escampette, trois p'tits tours, bande marionnettes à fils savent même pas fils, destin suspendu comme épées damoclès et lames yatagan et têtes tranchées moindre objection, moindre objurgation alors que ferais-je hier passé sans retour, aujourd'hui fuit entre doigts comme filet eau, demain bientôt aujourd'hui, puis hier, reste regarder par hublot conscience, voir si solitude habitée et frayer chemin dans forêt monde et appeler autres humains voix blanche, pas écho, juste réverbération sur peau mienne, juste errance et boulets et chaînes chevilles et enfermé geôle, mienne geôle pareille monade ni portes ni fenêtres et ça résonne du-dedans du corps et ça fait ses tourbillons venteux et ça fait ses giclures dans sang carmin lourd épais visqueux et rien bouge beaucoup et parole enclose dans alvéoles et résonateur buccal vide et palais déserté et massif langue desséché et lèvres jointives cousues cernées silence et à horizon bas et phosphoreux voir gesticulations pantins, langage perdu, juste soubresauts, minces éjaculations temporelles, étroites meurtrières et jets couleuvrines et partout têtes tombent, têtes mortes et "chimères lumière ne fut jamais qu'air gris sans temps pas un bruit", et cendre partout jusque bouche, nez offusqué, poitrine soudée, yeux porcelaine, sclérotique manduquée, pupilles étrécies, chiasma retourné dans-le-dedans des cerneaux gris, dans encéphale bitumeux et "cœur battant seul debout petit corps face grise traits envahis deux bleu pâle", et rien du rien dissimulé creux ombilic âme ignée contrainte à regarder monde depuis inconsistance noire, "seul debout petit corps gris lisse rien qui dépasse quelques trous", et que ferais-je puis qu'existe pas, puisque transcende même pas néant, néant moi-même du-dedans existence nulle non avenue ?

 

(NB : Les phrases en graphies rougesentre guillemets

sont extraites de "Têtes-Mortes" de Samuel Beckett).

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 08:40

 

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Sol en mosaïque représentant Aion et Tellus

 (Glyptothek, Munich)

 

 

 La volte face : de la Mère-Océan à la Terre-Mère.

 

... Une dernière citation permettra de comprendre que, parvenu à cet épisode du roman philosophique qu'est "Vendredi", il se produit comme une sorte de basculement résultant d'ne volonté que le destin impose à Robinson et qui va le transposer dans une tout autre dimension. La volte face va consister en un changement de régime ontologique : Robinson décide de déserter la Mère aquatique, océanique, dont les vertus accueillantes, enveloppantes, calmantes se sont métamorphosées en flots hostiles, en abîme ouvert sur les failles inconscientes et le naufragé cherche alors le secours d'une Terre ferme, la fusion dans une conque, la "Tellus Mater", la matrice qui donne la vie, qui reçoit aussi les cendres des morts et les porte en son sein comme un germe fécond, lequel, à la façon du Phénix, ne pourra déboucher que dans "l'immense embrasement de la lumière ", comme il est dit dans le "Livre des Morts". Il s'agit ici, d'une prodigieuse périphrase pour qualifier l'ouverture incommensurable à l'évènement de la "re-naissance". Une telle dimension n'est bien sûr concevable que par le biais d'un acte spirituel transcendant le réel directement observable, comme dans la religion védique , par exemple, où, lors des rites funéraires, des stances sont récitées, accompagnant la mise en terre des cendres au cours de laquelle le défunt est confié aux pouvoirs quasi-magiques de la Terre-Mère régénératrice :

 

"Va sous cette Terre, ta mère

aux vastes séjours, aux bonnes faveurs !

douce comme laine à qui sut donner,

qu'elle te garde du Néant !

Forme voûte pour lui et ne l'écrase point;

reçois-le, Terre, accueille-le !

Couvre-le d'un pan de ta robe

comme une mère protège son fils".

 

                                                                    (Rig Veda Grhyasutra 4,1).

 

... Cette strophe poétique à l'allure incantatoire, douée d'une riche symbolique, Speranza, l'île elle-même, pourrait l'adresser à son centre spirituel primordial qui n'est autre que la grotte vers laquelle Robinson est inexorablement en chemin et que résume la phrase de Tournier :                                                                                                  

 

"Il tourna le dos à la mer qui lui avait fait tant de mal en le fascinant depuis son arrivée sur l'île, et il se dirigea vers la forêt et le massif rocheux ".

 

(NB: les parties entre crochets  [ ...] sont les commentaires qu'Aristote adresse à  son disciple, Jules Labesse, afin de s'assurer de la vérité de sa compréhension.)

 

"Il tourna... [volte face qui fait se retourner le destin] ... le dos... [occultation du regard et plus largement de la visée de la conscience qui va chercher à scruter de nouveaux horizons et à découvrir, en quelque manière, une "Mère de substitution" à la "Mère originaire"] ... à la mer... [ à la Mère] ... qui lui avait fait tant de mal ... [jugement moral de type manichéen qui situe le Bien, pour Robinson, dans une perspective radicalement opposée à celle qu'il vient de connaître et qui suppose, de sa part, une conversion et une refondation des valeurs qui lui étaient, jusqu'alors, coalescentes ] ... en le fascinant... [ prédicat fortement connoté dans le sens de "l'attrait irrésistible, du "prestige", de la "séduction", de "l'hypnotisme" qui colore fortement la relation Mère\Enfant et aboutit, dans sa forme la plus évoluée, à la fusion, à la dyade ] ... depuis son arrivée sur l'île ... [introduction d'une trame serrée du temps, d'un continuum existentiel dans lequel aucun repos, aucune halte ne peut être envisagée, sous la férule et la tyrannie d'une relation possessive de "Mère abusive" ] ... et il se dirigea ... [ mouvement spatial subséquent à la contraction du temps qui joue sur un registre inhibiteur quant aux prises de décision de Robinson ] ... vers la forêt... [ le Naufragé est déjà en voyage pour la Terre-Mère protectrice et ne tarde pas à s'immiscer, sous le couvert de la forêt, qui constitue déjà un premier sanctuaire, nimbé de douceur et de repos, genre de chevelure qui existe à la façon d'une médiatrice, d'un intermédiaire qui, par la racine de ses arbres, plonge dans les arcanes féminines et chtoniennes ] ... et le massif rocheux ... [ qui, au centre de l'île renferme la grotte comme un réceptacle secret, lieu de fécondation et promesse de germination ].

 

... Oui, c'est bien cela que l'auteur du "Roi des aulnes" veut nous dire, et sa phrase si lourde de sens touche à l'essentiel, à la manière des racines qui puisent, dans le substrat géologique la sève dont elles tirent leur croissance, laquelle se ramifie dans le tronc, les branches, les rameaux, les feuilles et assure la lente reptation de la vie dans les plus infimes tissus sylvestres.

 

 Les cloches de l'Eglise avaient fait s'envoler les colombins, sauf Aristote qui demeurait rivé à ses idées, ignorant les menus évènements qui tissaient le quotidien autour de lui. Les joyeux lurons avaient cessé de disserter sur les valeurs respectives des "Dauphine" et autres "Gordini", et après avoir longuement reluqué les montres, calendriers et autres baromètres qui traînaient dans la vitrine du Bijoutier, se rapprochaient insensiblement de la grotte mauve et enrubannée au sein de laquelle Nelly déployait ses charmes, gorge pigeonnante au balcon, comme la fougère déploie sa crosse au milieu des effluves subtils. Il nous restait, Aristote et moi, quelques précieuses minutes que nous mettrions à profit avant que le Groupe ne vienne  s'égailler sur les bancs de tumultueuse manière, ce que, du moins, nous supputions, lui aussi bien que moi.

Aristote. -  Jules, nous allons aborder la troisième partie de notre exposé. Suite à l'expérience de la souille, Robinson fait une autre découverte qui va jouer comme le dernier volet d'un triptyque et le confortera dans sa décision de se lover au centre de la grotte qu'il avait déjà repérée mais créait, chez lui, une sorte de sentiment confus, une sourde inquiétude, peut être la peur d'une vérité révélée. Mais, si tu veux bien, nous allons nous reporter à la suite du texte en essayant de l'éclairer par quelques réflexions. Peu après avoir rédigé la "Charte de l'Île de Speranza", Robinson décida un jour de fouiller dans les quelques affaires qui lui restaient après le naufrage et qui, pour lui, constituent les seules traces de son ancienne mémoire.

 

 

 

 

 

 

 

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2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 09:22

 

Avventure di Robinson Crusoe p098 [1024x768]

 

Source : Wikimedia Commons.

 

 

 Régression dans l'élément-TERRE.

 

Aristote. -  La seconde partie de mon exposé va donc consister à nous intéresser à l'île proprement dite et tu t'apercevras que cette seconde étape constitue bien une réelle régression dans l'élément-Terre.

Tournier nous invite donc à poursuivre, en compagnie de Robinson, l'exploration de l'île.

 

"Découragé par l'échec de l'Evasion, Robinson avait eu l'occasion de suivre un jour un troupeau de pécaris qu'il avait vu s'enfouir ainsi dans leur souille. Il était si triste et si fatigué qu'il avait eu envie de faire comme ces animaux. Il avait enlevé ses vêtements, et il s'était laissé glisser dans la boue fraîche, en ne laissant passer à la surface que son nez, ses yeux et sa bouche".

 

 ... Jules, tu auras remarqué l'allusion évidente de l'auteur à une sorte de retour vers le Paradis Terrestre : Robinson se dévêt et se retrouve donc dans une posture si proche de l'état de nature qu'elle ne peut guère se comparer qu'à l'image d'Adam sur les rivages de l'Eden. Et, du reste, le mythe se prolonge de lui-même sous la figure de la déliquescence de notre malheureux héros qui, glissant progressivement dans la souille ne fait que réactualiser la Genèse en apparaissant sous sa forme primitive, glaise façonnée par Dieu, mais glaise encore humide, sorte de statue aux pieds d'argile qui n'a de cesse de retourner à son germe initial. Ainsi, en peu de temps, Robinson sera tombé de son piédestal proprement humain, rétrocédant dans une logique irréversible vers l'animalité, comme s'il était sous le règne d'un darwinisme à rebours, d'une involution impérieuse chargée de lui faire parcourir les stades de l'humanité, d'une manière anhistorique, depuis l'homme contemporain jusqu'au pur primate, abandonnant la stature verticale au profit d'une stature horizontale, cette transitivité n'étant que la forme imagée d'une rétrocession de l'espace vers un devenir purement terrestre, chtonien, de l'ordre de la racine, de l'humus, de la veine sédimentaire se confondant avec l'égrènement primitif du temps.

 

L'ouverture du visage.

 

... Cependant, tu auras été attentif à la précaution, au souci  humaniste de Michel Tournier qui laisse une fenêtre ouverte sur la dimension spécifiquement anthropologique dont tout visage est porteur. "En ne laissant passer que son nez, ses yeux, sa bouche", l'Auteur de "Vendredi" se ménage une habile issue qui lui permettra, plus tard, dans le cours de la fiction, de réhabiliter Robinson et de le situer en tant qu'homme parmi les hommes. A cette fin, il préserve le nez qui sera chargé d'accueillir l'air, le souffle, donc le pneuma qui symbolisera l'esprit animant le corps, puis les yeux, le regard, autrement dit l'ouverture de la conscience au monde, enfin la bouche qui absorbera les nutriments, déclenchera le métabolisme du vivant, sera la conque où résonnera la fonction la plus éminente de l'homme : le LANGAGE.

 

La condition animale : le cochon.

 

... Mais avant que cette faveur lui soit à nouveau accordée, Robinson devra endurer le calvaire, sinon l'enfer de la pure condition animale, laquelle se déclinera sous une des formes les plus éloquentes de la bestialité, le cochon apparaissant, dans nombre de mythes comme le symbole de la goinfrerie, de la voracité, devenant ainsi l'icône tragique et grotesque du gouffre où tout disparaît, y compris l'esprit, y compris la conscience et alors il ne reste plus que le chaos et la folie grandiose et démesurée.

  A l'appui de mes propos et pour conclure le retour à l'élément-Terre, citons encore Tournier:

 

"quand il s'arrachait le soir à la boue tiède, la tête lui tournait. Il ne pouvait plus marcher qu'à quatre pattes, et il mangeait n'importe quoi le nez au sol, comme un cochon. Il ne se lavait jamais, et une croûte de terre et de crasse séchées le couvrait des pieds à la tête".

"Robinson comprit enfin que les bains dans la souille et cette vie paresseuse qu'il menait étaient en train de le rendre FOU".

 

 

 

 

 

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1 septembre 2013 7 01 /09 /septembre /2013 09:46

 

 

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L'histoire de Robinson.

 

 

Labesse. -  Aristote, j'aimerais que tu reprennes l'histoire de Robinson depuis ses premières tentatives destinées à régler son sort, jusqu'à son refuge au fin fond de la grotte.

Aristote. -  J'allais y venir, Jules, mais tout d'abord je dois, par souci de cohérence, donner quelques nervures à mes propos. A cet effet je te dirai simplement que l'absurde dans lequel Robinson est immergé, tient essentiellement à trois points :

  - d'abord à ce que j'appellerai le "bouclage de l'espace";

  - ensuite à la "régression dans l'élément-Terre";

  - et pour terminer, à la "contrainte temporelle".

Labesse. -  Aristote, je te demande d'être le plus concis possible car il vaut mieux que notre échange se fasse avant l'arrivée du "Club" et je souhaiterais que tu cites quelques phrases de "Vendredi" que tu auras pris soin de commenter.

 

  A la suite de ces recommandations, j'adoptais la pose la plus "épicurienne" que je puisse trouver, les fessiers calés sur le dossier du banc, la tête plongée dans la conque des mains, les avant-bras en appui sur les cuisses, les pieds reposant bien à plat sur l'assise. Cette position, par le confort relatif qu'elle m'assurait, me disposait favorablement à la réception des propos philosophiques de mon interlocuteur.

 

Le naufrage de Robinson.

 

 

Aristote. -  Donc, Jules, je te rappelle que Robinson, après le naufrage de la Virginie, une galiote hollandaise, se retrouve échoué sur une plage. Il commence par explorer la terre inconnue sur laquelle il se trouvait, juste après qu'il avait repris conscience.

 

"C'est ainsi, debout sur le sommet du plus haut rocher, qu'il constata que la mer cernait de tous côtés la terre où il se trouvait et qu'aucune trace d'habitation n'était visible : il était donc sur une île déserte".

 

 Le bouclage de l'espace.

 

 ... Robinson qui venait de parcourir les vastes océans, depuis York jusqu'aux confins de l'Amérique du Sud, se retrouve soudain circonscrit à un espace étroit qui lui est d'autant plus étrange et hostile qu'il ne le connaît pas, qu'il lui est impossible de le localiser sur une carte, ne pouvant ressentir, dans une telle situation, que sentiments d'inquiétude et d'oppression.

 

"Robinson était accablé de tristesse et de fatigue"

 

 ... Dans son âme, l'île s'inscrit, d'une façon évidente, comme la métaphore de l'isolement, ne lui offrant qu'un horizon courbe sur lequel sa vue échoue à bâtir une vraie dimension existentielle. Elle le constitue en une sorte de point fixe à l'intérieur d'un cercle lequel n'est que la figure du temps infini, la succession continue et invariable d'instants tous identiques. A proprement parler, Robinson se met à souffrir d'abandonnisme, il est orphelin sur cette terre sans avenir. Il a perdu sa Mère qui le portait en son sein, cette mère si douce et si forte que représentait symboliquement la galiote la "Virginie", que tout lecteur ne pourra identifier qu'à la figure de la "Vierge" en tant que conscience émergeant de la confusion et naissance de l'esprit. Or, pour Robinson, cette perte est irrémédiable et sonne à la façon d'un déni d'existence, la mer prenant pour lui les contours vagues et anxiogènes de l'inconscient signifiant la rupture du lien affectif primitif et, d'une façon générale, précipitant dans l'abîme sa perception de l'altérité.

 

La construction de "L'Evasion"..

 

 ... Alors il n'y a pas d'autre issue, pour Robinson, que de rompre l'anneau qui l'entoure, de par la seule force de sa volonté, de son action déraisonnée, de ses gestes désespérés qui bandent ses muscles dans une lutte sans merci contre la matière, ébranchant un tronc, l'attaquant à la hache, assemblant les pièces d'un bateau de fortune, comme un enfant assemble les pièces d'un puzzle. L'embarcation s'appellera "Evasion", premier essai de fuite pour rejoindre la mer, la Mère, premier essai pour retrouver la fusion; la dyade primitive.

 

"Enfin il se décida à procéder au lancement de l'Evasion (...) Il essaya de glisser des rondins sous la quille pour la faire rouler (...) il calcula qu'il lui faudrait des dizaines d'années de travaux de terrassement pour réaliser ce projet. Il renonça".

 

 ... Les limites de Robinson sont comme les limites spatiales de l'île : elles lui collent à la peau et sa propre peau est en fait la seule vêture dont il peut se parer pour faire face à une nature hostile. Le naufragé, dès lors, sait qu'il n'a plus rien à attendre d'une "mer" infranchissable, d'une "Mère" hors de portée. Il va donc délaisser l'élément-EAU pour l'élément-TERREqui constituera le second domaine d'élection de la fuite à laquelle il se sait condamné.

 

   Alors que la "Virginie" se fracassait sur les côtes de l'île inhospitalière, que Robinson s'ingéniait à fabriquer "L'Evasion", les joyeux branquignols, presque aussi dénudés que le locataire de "Speranza", louvoyaient tranquillement entre les platanes, poussant d'un geste souple et aérien leurs tongs en plastique bleu qui ressemblaient à d'innocentes vagues, s'appuyaient un instant sur la margelle claire de la Fontaine et finissaient par une longue station entre les capots des voitures, plusieurs membres de la Confrérie ayant de réels penchants pour les bolides à moteur et autres commerciales.

 

Labesse. -  Aristote, je commence à comprendre ton argumentation selon laquelle le changement d'élément opéré par Robinson n'est pas seulement fortuit et fantaisiste mais repose sur une démarche plus censée qu'il n'y paraît à première vue.

 

 

 

 

 

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31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 08:32

 

 

IleUtopieDet-c339a

 

Île d'Utopie.

Source : Lettres à un jeune philosophe

et autres essais - Jean-Paul Coupal.

 

 

La question : retourner ou non dans notre grotte primordiale ?

 

 Labesse. -  Aristote, voyons voir, est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi Robinson veut retourner dans le ventre de la Terre ?, donc de la Mère, si j'ai bien suivi. C'est juste une fiction, tout ça. Il aurait pu ne jamais y entrer dans la grotte. Il aurait pu ne jamais régresser et, pendant ce temps, il aurait continué à bêcher sa terre, à élever des pécaris, à construire sa République utopique et il aurait été bien peinard, plutôt que de s'obliger à mourir, à renaître ensuite et à recommencer le grand bazar. Alors, Aristote, est-ce que j'ai pas raison ? Il aurait pu ignorer la grotte, Robinson, l'ignorer vraiment ?

 

 Ignorer la grotte ?

 

 Aristote. -  En théorie, oui, mais seulement en théorie ou, à la rigueur, par l'intermédiaire du rêve ou de l'imaginaire. Mais mon cher Jules, tu n'es pas sans savoir que la condition de l'insulaire n'est pas limitée à sa traditionnelle image d'Epinal et au bonheur innocent et naïf que seule une vision superficielle peut lui attribuer. L'insularité a des racines qui plongent dans la métaphysique et cela Robinson le savait de toute la surface de sa peau, de toutes les fibres de son corps, de toute l'étendue de sa conscience. Il n'avait d'autre issue que d'enduire son corps de lait, de plonger dans l'étroit goulot, tête la première, et d'attendre la lente fécondation qui le ramènerait sur les rivages de l'existence vraie.

Labesse (placé encore sous les visions hédonistes des îles mythiques comme "l'Île Blanche des Bienheureux", "l'Île sacrée de Minos" dont Zeus est originaire, "l'Île Montsalvat" située au centre de la quête du Graal). - Mais, Aristote, une telle conception de l'île est loin d'aller de soi et je mettrai ma main au feu que l'inconscient des hommes attache, à cette terre entourée d'eau, plus de vertus que de vices cachés et qu'ils la conçoivent à la façon d'un "Paradis Terrestre", d'un lieu de ressourcement, d'une possibilité d'essor à partir de laquelle une sorte de "nirvana" peut s'ouvrir, enfin l'image d'un refuge, d'une sérénité plutôt que celle d'un sol ingrat, hostile à la vie...

 

Une fausse espérance.

 

 

 Aristote. -  Si tu étais plus jeune, je te dirais volontiers que ta jeunesse et ton insouciance t'égarent, Jules, mais, sauf ton respect, tes cheveux ont bien viré au gris, tes rides sont apparentes, ta démarche est moins assurée qu'autrefois et c'est, peut être, ce si long chemin parcouru qui t'incline à tant d'optimisme, à tant d'espérance. Son île, Robinson l'avait nommée "Speranza", mais je crois qu'il s'agit là d'un nom de baptême, d'une sorte d'appellation au second degré : "l'espéranza" de Robinson n'était que la face visible de son angoisse sous-jacente, sorte de sous-marin bourré de fulgurantes torpilles. La situation qu'il vivait était l'illustration de l'aporie même et le Naufragé l'avait toujours su même si, en plusieurs circonstances, il avait fait mine de jouer le jeu. "D'espéranza" il n'y avait point, ce que, pour l'instant, je vais m'ingénier à te démontrer.

 

 Pendant qu'Aristote déployait sa philosophie comme un zygène de la spirée déplie ses ailes colorées, j'en profitais pour jeter de brefs coups d'œil en direction de la Place, cherchant à suivre la progression des joyeux membres de la Confrérie. Or, l'avancée de ces derniers, sans doute ralentie par les premiers effluves printaniers, les avait pour l'instant conduits sous les frais ombrages des platanes, non loin de la Fontaine qui leur apportait sa fraîcheur et le tintement de ses perles d'eau. Nous avions encore du temps devant nous, Aristote et moi, et ce d'autant plus que le "Club" semblait s'être lancé dans une discussion animée que ponctuaient des moulinets de gestes et des sautillements sur place, à la façon de moineaux énervés et intrépides.

Labesse. -  Si tu veux bien, explique-moi les raisons qui avaient conduit Robinson dans cette étrange impasse. Bien sûr, je reconnais pour ma part que la situation était loin d'être confortable, mais je dois t'avouer que moi-même, Jules Labesse, et plus d'un de mes camarades, plutôt que de nous faire suer le burnous derrière la chaîne de la Manu, on aurait préféré être à la place du Robinson, en train de bronzer entre deux alizés, avec les noix de coco à portée de la main.

Aristote. -  Eh bien, je crois qu'une démonstration viendra vite au bout de tes arguties et bien que ces dernières soient légitimes, elles n'en sont pas moins une pure vue de l'esprit dont les contours ressemblent à l'utopie elle-même.

Labesse. -  Mais l'utopie, c'est bien, c'est parfois la seule chose qui nous reste quand tout a échoué.

 

 La genèse de l'insularité.

 

 Aristote. -  Certes, mais parfois il est préférable d'y renoncer, c'est une question de survie. Et c'était "LA QUESTION" qui se posait, de façon évidente à Robinson. Donc, si nous essayons d'établir la genèse de son insularité, nous nous apercevons vite que cet infortuné navigateur que le sort n'a guère épargné, ne fait que tomber, au fil des jours, de Charybde en Scylla. L'île "Espérance" se transforme progressivement en une sorte de lieu clos, sans aucune aspérité, sans aucune ouverture et Robinson apparaît comme un seigneur prisonnier de son château, pont-levis relevé, meurtrières scellées n'ayant pour seule issue que les "oubliettes" dont ta perspicacité t'aura éclairé qu'elles sont, dans leur forme, leur symbolique, l'analogie parfaite de la grotte, donc du monde intra-utérin et le possible lieu d'une renaissance.

 

  L'explication d'Aristote me paraissait logique et convaincante et je décidai de l'écouter jusqu'à son terme, de ne pas l'interrompre. Il y avait, en effet, une sorte de compétition entre la progression du Philosophe et celle de la Confrérie. Je souhaitais ardemment que celle-ci soit plus lente que celle-là.

Labesse. -  Je suis tout ouïe, Aristote(Ma déclaration sonnait comme un étrange acte d'allégeance au Savoir).

 

  Aristote (respirant d'aise pour le blanc-seing que je lui donnais, gonfla un poil ses plumes, se préparant, sans doute, à un démontage du puzzle, pièce par pièce) :

- Si, au tout début de son échouage, Robinson put nourrir un certain optimisme quant à sa possibilité de se rendre maître de Speranza, ce fait n'était dû qu'à une tendance spécifique de l'homme qui réagit toujours au malheur et à l'infortune par un redoublement de ses projets, de ses actes, de ses intentions qui, bien entendu, ne sont que la partie visible d'un socle chargé d'angoisse et de doute. A l'origine de sa vie dans l'île, si Robinson avait imaginé, l'espace d'une seconde, que son entreprise serait vouée à l'échec, il aurait simplement baissé les bras, livrant son sort au premier prédateur venu : animal sauvage, vague brutale à l'assaut du rivage ou chute inopinée de blocs de pierres qui l'eussent réduit à néant. Mais Robinson réagit de toute la force de sa volonté, en pure perte, comme tu le sais et je vais simplement m'attacher à mettre en lumière une situation quelque peu tragique puisqu'elle ne pouvait comporter aucune perspective de sens. Elle était, au départ, vouée au non-sens absolu, elle ressemblait à l'action sans cesse renouvelée de Sisyphe, le roi légendaire de Corinthe, fils d'Eole, dont la descente aux enfers consista à pousser éternellement sur le flanc d'une montagne un énorme rocher qui retombait avant même d'avoir pu atteindre le sommet. Il s'agit là, tu l'auras reconnu, de la métaphore de l'ABSURDE dont Albert Camus a été l'un des plus brillants philosophes.

 

  J'interrompis Aristote afin qu'il clarifie le débat et illustre la situation par des exemples tirés de"Vendredi". Toutes ces abstractions n'étaient, pour moi, que des coquilles vides qu'il fallait remplir de substance.

 

  

 

 

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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 08:55

 

 

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 Source : Mésologiques.

 

La sieste.

 

  Quand on a eu fini nos provisions, y compris les croûtons sanctifiés amenés par Calestrel, on s'est accordé une petite sieste, histoire de faire le break, et quand on s'est réveillé, Aristote, de son aile droite a frotté ses globes oculaires et moi, Jules Labesse, j'avais la vue trouble, comme mon esprit au moment des explications du Philosophe et c'est juste à l'instant où le carillon de l'Eglise sonnait les deux coups, que le "Club des 7" a fait son apparition. C'était, après l'entracte, la Scène II qui commençait. A la manière de notre frugal repas, il ne fallait pas en perdre une miette de la "Divine Comédie"et, comme dans celle de Dante il y avait de quoi faire, l'itinéraire passait lui aussi par l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis.

  Comme il faisait beau, les Branquignols étaient court vêtus et on pouvait voir, dans la perspective de la Gare, leurs shorts et leurs chemisettes, d'où sortaient, comme de prudentes larves que le soleil aurait intimidées, leurs membres boudinés (les shorts commençaient à dater et à se faire "pressants", comme au bon vieux temps des corsets à lacets que portaient ces Dames de la Belle Société), leur peau blanche comme neige et aussi glabre qu'un visage de nourrisson. Le tableau était touchant et naïf, faisant penser à quelque peinture de la Renaissance, peut être à "Adam et Eve chassés du Paradis Terrestre" de Masaccio, sauf que les "larrons" étaient plutôt joyeux et en route vers le paradis, plutôt que l'inverse. Aristote et moi on en était tout à la contemplation de cette charmante scène alors que le groupe débouchait sur la Place du Marché.

 

 Le prurit de la Connaissance.

 

 

 Soudain je fus saisi d'une sorte de démangeaison sur l'ensemble du corps, laquelle remontait des diverses parties de mon anatomie et qui, cependant, ne pouvait être rapproché ni de l'eczéma, ni de la gale, ni des fantaisies d'un quelconque acarien. Je devais me résoudre à l'évidence : Aristote m'avait bel et bien refilé le "prurit de la Connaissance" et je savais déjà qu'il se comporterait à mon endroit à la façon d'un hôte pressant et tyrannique. J'avisais la joyeuse "robinsonnade" qui s'écoulait lentement dans l'ombre portée de la Mairie et, supputant les nombreuses haltes auxquelles ils ne manqueraient pas de se livrer avant d'atteindre le rivage des bancs peints en vert, j'estimai qu'Aristote et moi avions encore les coudées franches pour aborder les quelques questions qui avaient fait mon siège tout au long de la sieste et ne manqueraient pas de me tenir éveillé toute la nuit durant si mon Mentor ne m'apportait l'apaisement dont je le jugeais redevable. On ne portait pas si haut le prestige de la Philosophie sans être soumis à quelques contraintes élémentaires vis-à-vis de ses disciples et, fort de cette certitude, je relançai le Savant Pigeon sur quelques réflexions qui, bien sûr, tournaient encore autour de la condition insulaire de Robinson.

  Le soleil qui traversait la tête des platanes dispensait ce qu'il fallait de taches d'ombre et de lumière pour que notre frugal repas fût suivi d'un espace de repos et de douceur. Je pensais que cette atmosphère conviendrait parfaitement à des cogitations légères et non moins essentielles, un peu comme si nous avions été balancés par les alizés, quelque part près d'une barrière de corail, dans de souples et aériens hamacs, devisant, par exemple, sur la "Chôra" platonicienne.

 

chant de l'univers 

Chant of UniverseBang, Hai Ja (1975)
(source)

 

La Chôra.

 

  Depuis quelque temps, en effet, sur les conseils de Vergelin, je m'étais mis à lire Platon et j'avais été fasciné par la conception de l'espace primitif qu'il donnait, dans le "Timée", au tout début de la création, bien avant que les animaux et les hommes ne fissent leur apparition. Si j'avais bien compris, il s'agissait d'un espace vide, d'un topos aussi peu définissable qu'un hypothétique réceptacle, enveloppe cosmogonique idéale d'une nourrice en devenir, "existant", avant même que les éléments ne s'informent, simples phénomènes aussi intangibles que le feu avant  l'ignition, l'eau avant l'apparition de la pluie, l'air privé de l'esprit du vent, la terre non encore issue de son tissu originel. C'est peut être cela que nous recherchions, Bellonte, Sarias et moi, cette étendue infinie et amorphe, cette ample vacuité où le sensible et l'intelligible seraient aussi fixes que des yeux atteints de cécité, où le Démiurge n'aurait pas encore lancé ses dés, où la parole ne serait pas venue à l'articulation, où le sang ferait de longues stases dans des vaisseaux dépourvus de tuniques, où le métabolisme serait muet, où le bourgeon ne serait qu'une ligne de fuite infime se disposant aux prémices de l'éclosion; c'est peut être cela que nous cherchions, comme la trace lointaine que nous avions dessinée dans le ventre de nos mères, plus attirés d'ailleurs par notre propre "devenir" que par le simple abritement que nous offrait notre "nourrice", c'est bien cela que nous cherchions, une extension de la "Chôra", attirés par la seule vertu d'un coin enfoncé dans le tissu ténu de son immatérialité, le "coin" étant seulement la "question" qui nous possède tous depuis que l'existence est  synonyme de "Métaphysique", c'est à dire la question qui ouvre les possibles, crée la durée, l'étendue, et alors quelque chose comme un univers propre peut trouver son origine, et l'on passe d'un simple horizon limité au nadir, c'est à dire à la pure immanence, à un horizon zénithal, transcendant, et la vue porte haut et l'on est comme l'aigle royal, on a un regard perçant, panoramique et plus rien dans le monde ne nous échappe et tout est à portée de nos sens aigus, aussi bien la vie cachée dans le creux des gorges étroites que celle habitant les hautes cimes des montagnes, les couleurs multiples, les sons étranges, les variations de l'air, les phosphènes sur les globes de nos rétines, les cris perçants des chauve-souris dans l'ombre des grottes, les idées des hommes, le mouvement de leurs pensées et tout ce que je vous dis là, moi, Jules Labesse, je viens de le dire à Aristote, en texte intégral, sans oublier  ni virgule, ni pause, ni intonation et, je sais pas pourquoi, Aristote a eu l'air contrarié, c'est peut être à cause de la sieste qui n'a pas encore fini de lui délier les neurones, mais bientôt il pourra la retrouver sa vigilance, sa hauteur de vue aussi et il lui sera loisible de répondre à la question qui m'obsède si fort et depuis si longtemps, en fait je crois avant même la déclaration de Martial Vergelin, "Voyage au centre de la Terre; voyage au centre de la Mère", mais c'est juste une idée, la déclaration de Martial, et qui prouve que nos potes et moi on ait envie d'y retourner dans le giron maternel ? Même ce serait aussi problématique pour la mère que pour l'enfant; oui, je sais, c'est juste symbolique, mais même symbolique; ma mère à moi, Georgette Labesse qui flirte avec ses 90 piges et parfois un peu plus avec l'Alzheimer, est-ce qu'elle aurait envie, juste en pensée, d'imaginer que son grand badaud de fils qui passe ses journées sur la Place du Marché, pourrait retourner dans le nid douillet qu'elle lui a offert, ça fait tellement de jours et de jours, bien au-delà de sa mémoire ? Eh bien, je vais vous dire, ma Mère elle a des circonstances atténuantes à cause de ses neurones fatigués et de sa culture qui, bien souvent dans sa vie, s'est limitée à celle, prosaïque et manuelle de son jardin, et produire des légumes était, en somme, une fin en soi. Mais Aristote, lui, il y échappera pas à ma question et, d'ailleurs, je la lui soumets sur-le-champ.

 

 

 

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29 août 2013 4 29 /08 /août /2013 18:05

 

Le transcendant n'est pas la propriété du religieux !!!

 

 

 

 

Pierre Kahane Très chrétien de seing blanc !

 

Ce commentaire de Pierre fait suite à l'extrait publié ci-dessous, en guise de présentation du fragment 65 des "Copains d'abord".

 

"Enfin, la "lumière" est la mise en scène phénoménale de la transcendance, laquelle nous est envoyée sous la figure du Père dont le rayonnement solaire nous submerge et alors, la vérité est si éblouissante qu'elle "frappe" en son milieu la cible éminemment anthropologique du visage dont l'épiphanie constitue notre ouverture au monde et notre place privilégiée au sein du cosmos." C'est dans LES COPAINS (65).

 

Mais, pour comprendre adéquatement cette méditation sur la "lumière", il faut la replacer dans son contexte d'origine, à savoir les commentaires sur une partie très éclairante du texte de Michel Tournier, dont voici le contenu ci-après :

 

"Les parois du boyau étaient lisses comme la chair (...) il (Robinson) plongea tête la première dans le goulot (...) il arriva dans une sorte de niche tiède (...) il s'y installa, recroquevillé sur lui-même. (la grotte au sein de l'île de spéranza).Quand il se réveilla (...) l'obscurité était devenue blanche autour de lui ! (...) il ne pouvait s'empêcher de penser à sa maman (...) il comprit qu'il fallait qu'il sorte de son trou (...) et se hissa par le goulot (...) la lumière du soleil le frappa en pleine figure..."

 

Ben évidemment, la phrase sortie de son contexte prête à confusion et je n'en veux pour preuve que l'utilisation  d'une rhétorique quasiment religieuse ou destinée à faire émerger la nature du sacré : "la transcendance";  "figure du Père"; "l'épiphanie".

Cependant une rapide explication aura tôt fait de situer à nouveau l'intention sous-jacente à l'emploi de tels prédicats. Mais je précise que dans le commentaire attribué à Aristote lui-même ou à son épigone déguisé sous la figure du Colombin, nulle connotation religieuse ne se profile en filigrane. Il s'agit simplement de philosophie et d'explications purement rationnelles, comme peut le faire un chercheur passionné d'herméneutique, science qui, certes au départ, s'appuyait sur l'interprétation de textes sacrés mais dont l'usage actuel peut concerner toutes les disciplines dignes d'être abordées en raison de leurs riches significations.

 

  Donc reprenons : Robinson ayant longuement séjourné dans l'obscurité totale de la grotte se trouve soudain face à l'éclatante lumière solaire et c'est, pour lui, une révélation qui, en effet, a valeur de transcendance : il recouvre uneliberté, peut commencer à élaborer des projets (les critères de l'existentialisme) sort du Néant (la transcendance phénoménologiquement abordée est précisément l'existence qui s'inscrit comme sortie du Néant).

  Ensuite comment ne pas reconnaître l'allusion plus que visible à "l'Allégorie de la caverne" platonicienne, Robinson jouant alors le rôle du Prisonnier Glaucon, lequel voyant, est saisi par la théôria mythique (la contemplation) qui le livre tout entier à l'espace éblouissant de la vérité. Or la vérité transcende toujours nos singularités compte tenu de son caractère universel surplombant toute existence humaine. En effet, il n'a été nullement parlé du Transcendant, lequel, bien entendu aurait aussitôt fait référence à Dieu ou à un quelconque absolu. L'énonciation est de caractère purement platonicien, se référant à l'Intelligible, à savoir à une "réalité" se laissant appréhender par une intellection. Ce qui n'est pas le cas de Dieu, seulement concevable à l'aune de la foi.

 

Quant à la "figure du Père", il ne s'agit nullement de la figure des Pères fondateurs de l'Eglise, mais tout simplement de la perspective de l'archétype jungien, lequel n'est pas de l'ordre de l'âme, mais de l'inconscient collectif. Il y a plus qu'une nuance, un immense fossé les situant dans des espaces incompatibles.

 

Enfin "l'épiphanie" :  L'étymologie du mot, bien antérieure à son utilisation chrétienne, signifie : "se manifester, apparaître, être évident", ce qui, bien évidemment fait signe vers le phénomène, champ d'investigation privilégié de la phénoménologie, bien évidemment. Ce mot a trouvé une sorte de fécondité exceptionnelle avec la connotation éthique et philosophique dont Lévinas l'a pourvu.

"C’est le « visage » de l’autre qui fait effraction dans mon être et rompt ma tranquillité, interroge mon droit à persévérer dans mon être et à user du monde comme s'il était mien." (Wikipédia).

Ce que d'autres philosophes et sociologues ont résumé sous la forme suivante : "l'interpellation éthique dans le face-à-face".  Là non plus ce n'est pas l'âme du religieux qui est invoquée mais la conscience de tout individu dans son commerce avec l'Autre.

 

  Mes textes et articles, s'ils s'intéressent souvent à l'aspect du spirituel, de la transcendance, du sacré ne le font jamais qu'à l'aune d'une réflexion strictement philosophique, étant tout simplement AGNOSTIQUE.

  Dieu, pour moi, étant une fable, une commode mythologie que les hommes ont inventée, apeurés qu'ils sont par la perspective eschatologique qui les met au désespoir. Personnellement je ne me sens nullement concerné par les temps messianiques.

Mon "absolu relatif" est composé de littérature, d'art, de philosophie, de poésie et de méditations essentiellement liées aux questions de temporalité, dans une esquisse absolument profane. Pour autant, à l'encontre de certains Philosophes qui croient de bon ton de jeter aux orties les textes sacrés, les croyances, au point de commettre un "Traité d'athéologie", je pense qu'ils s'absentent d'un devoir de considérer l'existence dans son ensemble et se laissent aller à un péché d'orgueil ou bien à une vengeance pour une simple question de biographie personnelle.

  C'est en pur incroyant que j'ai lu les quatre volumineux tomes d'Henri Corbin sur "En Islam iranien". Merveilleuses pages, poétiques, pleines de sagesse, notamment de la part des néoplatoniciens dont une lecture peut être faite sur un plan authentiquement philosophique.

Habité par un rationalisme orthogonal (n'oublions pas que Platon a été l'instigateur de la rationalité dans la Philosophie) , passionné de platonisme, de thèses jungiennes, de considérations lévinassiennes et inconditionnel d'une des plus grandes philosophies de tous les temps, à savoir la merveilleuse phénoménologie, il ne me resterait que peu de place pour loger la piété. Ce que je laisse volontiers à d'autres, respectant par ailleurs, leur choix.

 

 

 

 

 

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29 août 2013 4 29 /08 /août /2013 08:29

 


 

 rc

Source : Yale Center for British Art.    

 

Le Blanc.

 

 

  "l'obscurité était devenue blanche" : cette transitivité de l'obscur à la clarté ne fait qu'attribuer au "blanc" la notion de valeur limite et de "rite de passage" permettant d'opérer la mutation de l'initié d'un état de mort à celui d'une renaissance. Dans ce contexte, le "blanc" en tant que couleur résulte du basculement de la nuit vers le jour et s'offre à notre entendement et à la vision de notre esprit sous les traits d'une aube symbolique dont la répétition quotidienne donnera naissance à l'évènement qui tisse la vie de l'homme et qui a pour nom : "LE TEMPS". Bien sûr, au terme de cette allégorie du passage de l'homme d'une forme à une autre, ne s'illustre rien de moins que la mesure qui nous est ontologiquement affectée et s'articule en propre à la pensée existentialiste.

"de penser à sa maman" : je citerai simplement Vergelin :                                                  "Voyage au centre de la terre, voyage au centre de la Mère".

"se hissa par le goulot". Dans ce bref énoncé est évoqué le principe de l'homme ascensionnel, sorte d'envol qui le libère de la gangue terrestre pour le projeter dans l'immensité céleste à partir de laquelle s'instaure la vie et, d'une façon plus essentielle, l'essor vers une sacralité. Ici s'illustre la fonction transcendante de l'homme et sa dimension extatique (l'extase non entendue comme religieuse mais en tant que bond prodigieux de l'homme en dehors du Néant et de l'indifférencié), cette même transcendance qui lui assurera liberté et assise pour ses projets et son devenir-homme dans le cadre de sa quotidienneté.

Enfin, la "lumière" est la mise en scène phénoménale de la transcendance, laquelle nous est envoyée sous la figure du Père dont le rayonnement solaire nous submerge et alors, la vérité est si éblouissante qu'elle "frappe" en son milieu la cible éminemment anthropologique du visage dont l'épiphanie constitue notre ouverture au monde et notre place privilégiée au sein du cosmos.

 

  A peine Aristote avait-il terminé son exposé magistral qu'il s'ébroua au milieu de la poussière (sans doute avait-il des parasites ?), et je vis à ses yeux comme une inquiétude semblable à celle existant dans les états d'inanition. Les bruits de la Place s'étaient comme assoupis et je me rendis compte que les abords de la Fontaine avaient été désertés par l'assemblée des Robinsons, et à cette constatation je fus pris d'un genre de remords, avec la conscience soudaine du fait que je les avais délaissés un long moment, leur préférant les péroraisons savantes et un peu obséquieuses du savant Colombin.  "Les Copains d'abord", ce genre de formule quasi-magique, était, entre nous, une sorte de devise irréfragable et ma conscience, en accord avec elle-même, savait qu'elle n'avait point trahi. Nul, mieux que moi, ne pouvait savoir l'attachement qui m'unissait à "Jean, Pierre, Paul et compagnie" et, avant longtemps, je pouvais l'assurer, ce serait "l'amitié qui prendrait l'quart" et, de mieux comprendre nos relations intimes, les ressorts sous-jacents à nos comportements respectifs, nos propres fondements philosophiques, tout ceci ne pourrait que servir notre cause et affermir la qualité de nos liens.

  A la limite de la Rue Principale et de la Rue de la Gare, non loin de la Mairie, on apercevait les ombres courtes de Sarias, Bellonte et Garcin qui tressautaient sur les pavés, comme des merles pressés. Ils seraient bientôt dans leurs huttes et leurs Conjugales leur serviraient, sur des tables aux pieds massifs, de succulentes potées.

Aristote et moi, on a déserté le coin près de la cabine du téléphone et on s'est installés sur le banc. On a picoré quelques graines de millet et de sésame et je dois avouer que je trouvais ça plutôt bon et je comprenais, maintenant, pourquoi les colombins se pointaient sur nous dans un nuage de plumes quand ils nous apercevaient avec nos poches remplies de graines. Après les sujets graves et plein de componction qu'on avait abordés, avec autant de respect et de crainte que si nous avions porté les "Saintes Huiles", nous avions besoin de nous aérer l'esprit et on parlait avec économie et on becquetait nos nourritures terrestres avec une belle insolence, on se disait qu'on était pas plus malheureux, ici, sur notre banc de pique-nique, pas plus en tout cas que les "Sédentaires" engoncés entre la table, la cuisinière et la crédence Henri II, autour desquelles l'air pouvait même pas passer et sur la Place on avait pas l'odeur de friture, sauf parfois, avec le vent d'autan quelques filaments de fumée qui venaient de la Manu et qui sentaient étrangement le hareng, mais on était habitués, Aristote et moi, tellement habitués même que ça nous gênait un peu quand les cheminées de la fabrique étaient au repos.

 

 

 

 

 

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