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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 09:16

 

Le visage distancié de la douleur.

 

 

(Sur une proposition minimaliste de

Milou Margot).

 

pluie 

 Photographie : Blanc-Seing.

 

 

"Dans quel parler tombe la pluie sur les villes de la douleur ?"

                                    Milou Margot.

                                   

  

  La spirale de votre langue, repliez-là comme le fait le caméléon; l'enroulement de votre cochlée, réduisez-le à la taille du silence; le bouton de votre ombilic, amenuisez-le jusqu'à le porter au seuil de l'invisibilité. Et soyez disponibles aux langages qui habitent le monde, alors que votre cheminement est une hésitation au bord d'un marécage habité de lourde insignifiance. Mais seriez-vous sourds, hermétiques, tellement soudés à votre cocon carné que vous n'apercevriez même plus les paroles qui sillonnent la terre de leurs dents muriatiques ? Mais cela parle  autour de vous, mais cela fait ses écoulements continus et votre peau en porte les stigmates liquides, les infinis ruissellements, la pluie acide, comme si elle voulait ronger, attaquer, dissoudre et, à la fin, se fondre dans vos humeurs corporelles.

 

"Dans quel parler tombe la pluie sur les villes de la douleur ?"

 

  Mais n'entendez-vous pas cette continuelle litanie tombant du ciel, ces manières de cantiques venant à vous dans une onde vibrante de supplication, cette vivante liturgie faisant ses allers-retours incessants depuis le ventre gras des nuages jusqu'à la bonde vertigineuse de votre conscience ? N'entendez-vous pas ? Non, ce n'est pas Dieu qui s'adresse à vous, pas plus que les anges qui déploient leurs ailes vaporeuses afin que vous puissiez, enfin, goûter aux joies célestes. Non, c'est plus tendu, plus incisif, ça veut forer en vous, taillader votre esprit, ronger votre âme jusqu'à sa dernière pellicule. Et, du reste, à quoi bon lever vos yeux glauques vers le ciel si ce n'est qu'à y deviner un temps dissous, un espace non préhensible, une arcature livrée à sa seule contemplation ? Car vous vous égarez constamment dans de bien étranges considérations arbustives. Vos sublimes turgescences, certes, vous les destinez à l'éther, vous les portez à l'extrême pointe de vos ramures et vos doigts sont des vrilles qui s'enroulent infiniment, avortées avant même d'avoir vécu. Des remugles d'inconséquence. Des replis laborieux d'illucidité.

 

"Dans quel parler tombe la pluie sur les villes de la douleur ?"

 

  Mais cette question de la pluie, de son langage, la dimension de la ville, le creuset de la douleur, en avez-vous au moins été alertés en quelque manière ? Car rien ne sert de sillonner en tous sens les cannelures des rues, de lever les yeux en direction des vitrines aux éclats aveuglants, de s'engouffrer dans les salles obscures gonflées d'images et puis de retourner dans vos antres étroits, la vue basse, les oreilles dévastées de musiques, la peau habitée de fourmillements d'impatience, langue sèche remisée au silence. Et vos paquets consuméristes, les aurez-vous à peine dépliés qu'ils se confondront à gésir à terre comme d'inutiles guenilles. Et vos écrans bleutés, que vous apprendront-ils sur vous, si ce n'est une immense et vertigineuse désolation. De soi, on n'apprend rien à partir d'une vacuité mondaine. De soi on n'apprend jamais qu'à partir de soi, en interrogeant, fouillant, retournant la moindre bribe de connaissance, comme le fait le tamanoir de son museau fouisseur à la recherche des fourmis porteuses de nutriments. Mais qu'attendez-vous donc pour sortir votre trompe, la dérouler pareillement à celle de l'éphémère papillon, avant de l 'enfouir dans les blanches corolles où le précieux nectar est toujours disponible ? Attendez-vous donc que le ciel vous tombe sur la tête ? Qu'il vous adresse son message de pluie, qu'il déplie chaque goutte translucide de sorte que, y trempant votre langue insoucieuse, soudainement se produise une illumination, un éblouissement papillaire, une juteuse révélation ? Attendez-vous ?

 

 "Dans quel parler tombe la pluie sur les villes de la douleur ?"

 

Ou bien, alors, serez-vous comme au bord de l'abîme, les yeux hagards, les mains moites, la gorge serrée, le sexe enfui dans quelque repli épidermique, tétanisé, n'existant qu'à titre de sursis, de projet nul et non avenu, de vice rédhibitoire qui vous porterait au bord des choses, juste le temps d'une éjaculation précoce et vous abandonnerait, les bras ballants dans quelque cul-de-basse-fosse livré à toutes les apories possibles et imaginables ? Est-ce de ceci dont vous avez peur ? Est-ce l'explication de votre stupeur, de vos tremblements ? Ou alors êtes-vous saisis d'un tel sentiment d'incomplétude que vous ne puissiez avancer dans l'existence qu'à titre paralytique ? Qu'à titre de mutité, d'occlusion de votre esprit face aux pulsations des choses, à leur insondable mystère, à leur réserve inépuisable de sens. Est-ce cela qui vous abandonne ainsi, pareil à l'orphelin au bord de la route, alors que passent les caravanes et que les chiens aboient à la Lune ? Est-ce cela ?

 

"Dans quel parler tombe la pluie sur les villes de la douleur ?"

 

  Oui, vous demeurez prostrés dans l'attitude d'une inutile concrétion tutoyant le ciel de sa démesure calcaire, et votre refuge n'est que la mise en forme de cette vérité qui nous dit, continuellement, en divers langages compréhensibles - il suffit de s'y disposer- que la pluie parle en effet, de moi, de vous, des bien lotis, des "damnés de la terre", car cette pluie n'est que la métaphore vive de la douleur qui, partout, lance ses ramures d'effroi, jusque dans la plus étroite doline, dans le moindre creux portant le monde à nos yeux étonnés qui ne s'ouvrent qu'à questionner, inlassablement, jusqu'au vertige !

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 08:55

 

 

"En faveur de l’enfant, qui croit pouvoir l’atteindre, avec ses petites jambes endolories, il n’ose pas élever la voix ; car les autres hommes lui jettent des regards de mépris et d’autorité, et il sait qu’il ne peut rien faire contre tous."

 "Jeune homme disponible, jeune âme inclinée à l'accueil de l'Autre, de ses faiblesses, de ses failles, cherchant à comprendre les ressorts intimes et secrets de la situation qui frappe l'enfant perdu; Jeune Générosité, tu es donc pardonné de refermer si vite le battant de la porte qu'un instant, à mon attention, tu avais entrouverte. Jeune homme incliné à l'honneur, tu n'es pas libre. Tu n'es pas un lionceau qui pourrait se détacher du groupe compact de  ses congénères et vaquer à sa guise, adoptant, au hasard de tes rencontres, l'attitude qu'il te conviendrait d'adopter. Non, ta crinière à peine ébauchée contient déjà l'empreinte de toutes les autres crinières, de tes semblables, du chef de la bande, des femelles qui lui sont attachées selon un vibrant harem, gage de la continuité de l'espèce. Non, jeune et insouciant lionceau, tu n'es pas libre. Tes feulements tu ne les pousseras qu'à obtenir le consentement de tes aînés, tes accouplements tu ne les réaliseras qu'à l'instant même où tu auras assuré ton autorité sur l'ensemble de la meute. Pour le temps présent, contente-toi de regarder le lionceau, ton frère, qui est blessé et implore qu'on l'entoure de soins. Tu lui aurais volontiers prêté ta patte afin qu'il puisse rejoindre le cercle des félins. Mais le chef en a décidé autrement. Il faut chasser, se saisir de nouvelles proies, survivre. Ainsi est la loi du groupe qui condamne toujours les plus faibles, les valétudinaires, les infirmes, les idiots. Ne cherche point à être secourable, tu finiras par attirer sur toi les foudres les plus mortelles, les plus injustes, mais il y a là une réalité indépassable. Ô, Voyageur estimable parmi les estimables, poursuis donc ta route et ne te retourne donc point, il en va de ton bonheur. Et n'aie point de remords, le groupe est là pour te protéger, te rassurer et la faute est toujours moins lourde à porter à plusieurs. La solitude est la condition de l'attention, l'appartenance grégaire son incoercible opposé. C'est ainsi !"

 "Le coude appuyé sur ses genoux et la tête entre ses mains, il se demande, stupéfait, si c’est là vraiment ce qu’on appelle la charité humaine. Il reconnaît alors que ce n’est qu’un vain mot, qu’on ne trouve plus même dans le dictionnaire de la poésie, et avoue avec franchise son erreur. Il se dit : « En effet, pourquoi s’intéresser à un petit enfant ? Laissons-le de côté."

 "Me voici rassuré. Tu as donc enfin compris qu'on ne protège la veuve et l'orphelin qu'à y perdre soi-même son âme. Poursuis ta route, à la recherche de ta bonne étoile. Le deuil que tu feras de mon inconsistante personne, fais-le aussi vite que possible, ton salut et ta gloire en dépendent !"

 "Cependant, une larme brûlante a roulé sur la joue de cet adolescent, qui vient de blasphémer. Il passe péniblement la main sur son front, comme pour en écarter un nuage dont l’opacité obscurcit son intelligence. Il se démène, mais en vain, dans le siècle où il a été jeté ; il sent qu’il n’y est pas à sa place, et cependant il ne peut en sortir. Prison terrible ! Fatalité hideuse ! Lombano, je suis content de toi depuis ce jour ! Je ne cessais pas de t’observer, pendant que ma figure respirait la même indifférence que celle des autres voyageurs."

 "Ta larme t'honore mais ne doit pas concourir à ta perte, Lombano. Ce siècle, comme tous les siècles sont sans pitié. Tous nous sommes des bêtes de somme que seulement la prison peut abriter de la terrible liberté. Quant à la fatalité, certes elle est hideuse et frappe ceux qui claudiquent et désespèrent, c'est la façon qu'elle a d'être charitable. Jetant sa vindicte sur les gauchis du corps, les boiteux de l'âme, elle concourt à leur bonheur en ruinant leur longévité. C'est cela que pensent tes compagnons de fortune assis au chaud ou bien respirant d'aise sur les hauteurs de l'impériale. Leur tour viendra bientôt qui les fera goûter au fiel de l'infortune. La nature est généreuse, il suffit de tendre les mains pour y recueillir les présents : soit la délicatesse de l'amande douce, soit l'intransigeance corrosive de l'acide acétique. C'est comme à la Tombola, Lombano, des jours on gagne, des jours on perd !"

 "L’adolescent se lève, dans un mouvement d’indignation, et veut se retirer, pour ne pas participer, même involontairement, à une mauvaise action. Je lui fais un signe, et il se remet à mon côté… Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Les cris cessent subitement ; car, l’enfant a touché du pied contre un pavé en saillie, et s’est fait une blessure à la tête, en tombant."

  Omnibus emportant ta charge de désespoir vers de sombres catacombes - les heureux de ce jour n'attendront pas longtemps avant d'être les démunis de la nuit -, rassure donc tes Passagers aux yeux obliques, aux oreilles ourlées comme la feuille du chou, aux poitrines pléthoriques, aux ventre gonflés d'acide, aux bassins immergés d'eaux putrides, aux hanches malfaisantes, aux cuisses lardées d'inconséquence, aux jambes torsadées par l'envie, aux pieds bots glissant sur le sol d'indifférence, rassure-les, chante leur de pieux cantiques dont leurs âmes cernées de gale feront leur miel fielleux, entonne leur des comptines afin que leur idiotie puérile les conduise à trépas avant que le dernier refrain n'entre dans leur immonde caverne. Moi Youri Nevidimyj, Moi Your...  Nev..., tu vois je suis déjà réduit à n'être plus qu'un pointillé, une suite de points de suspension dans le vide de l'existence, un aimable pavé - mais c'est certainement ta charmante roue cerclée de fer qui l'a disposé là, obligeamment, en guise d'offrande pour l'Egaré que je suis -, donc, un sympathique pavé vient de me trépaner pour l'éternité et ma tête ensanglantée est le tribut que je devais payer à la communauté des hommes. Pour eux, je ne serais plus un obstacle sur leur chemin, une manière de chien galeux auquel on se retient de donner des coups de pied, non par une noble indulgence, mais de peur d'attraper la gale ou peut-être même pire, on ne sait jamais avec les miséreux ce qu'ils peuvent bien dissimuler dans les replis pervers de leur anatomie de goule. Je ne suis plus qu'une boule de poussière parmi la poussière, un genre de guenille tirebouchonnée qui, sans doute, fera le bonheur d'un maraudeur ou d'un chiffonnier en quête d'une petite fortune immédiate."

 

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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 08:52

 

Génie.

 

 

*La profondeur est l'état exceptionnel de l'homme, le quotidien du génie.

 

*Bien des artistes se contentent de mimer, le génie crée.

 

*Tout génie porte en lui l'esprit des formes.

 

*Tout génie est nécessairement visionnaire.

 

*Nul génie ne vit dans le temps ordinaire. Dans le temps cosmique uniquement.

 

*Le regard de l'homme est rivé au présent. Celui du génie transcende le temps.

 

*La demeure de l'homme est la phrase, celle du génie le texte.

 

*Pour percevoir le monde, l'homme le divise en catégories. Le génie est en-deçà et au-delà.

 

*L'essence de l'homme est particulière, celle du génie universelle.

 

*Etrange fascination des génies pour le démembrement, la déliquescence, la putréfaction : Dali - Rimbaud - Lautréamont - Cerner le réel jusqu'en ses tréfonds.

 

 

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12 octobre 2013 6 12 /10 /octobre /2013 08:26

 

 

 "Arrêtez, je vous en supplie ; arrêtez… mes jambes sont gonflées d’avoir marché pendant la journée… je n’ai pas mangé depuis hier… mes parents m’ont abandonné… je ne sais plus que faire… je suis résolu de retourner chez moi, et j’y serais vite arrivé, si vous m’accordiez une place… je suis un petit enfant de huit ans, et j’ai confiance en vous… "

 "Vous voyez, je vous le disais, je suis un petit enfant de huit ans courant après son destin, mais ce dernier feint d'être aveugle, muet et paralytique. On n'excuse jamais ceux qui ont trébuché dans l'existence, même si la chute ne peut leur en être imputée. Mais que faudrait-il donc faire - se coucher devant l'Omnibus, se déchirer le ventre avec une pierre ou bien tuer froidement le Cocher ou bien encore profiter d'un arrêt, monter à bord, dégoupiller une grenade et attendre que le souffle ait ravagé la meute hurlante et céciteuse qui s'abrite en ses flancs, que faudrait-il donc accomplir afin d'arrêter la progression de la roue infernale ? Y a-t-il seulement un Omnibus sur la planète qui rétrocède vers le passé, acceptant de faire reculer son attelage jusqu'à une supposée origine ? Combien de perdus, de sans-nom, de déshérités comme moi crieront après des attelages d'infortune alors que les Passagers, amusés des gesticulations, des vociférations, feignent de croire à un simple jeu ? A tout prendre, ne serait-il pas plus simple de se saisir d'une arme et de la retourner contre soi, le barillet chargé, priant avec l'énergie du désespoir que la seule cellule libre de balle nous fasse le don d'un possible sursis ?"

 "Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Un de ces hommes, à l’œil froid, donne un coup de coude à son voisin, et paraît lui exprimer son mécontentement de ces gémissements, au timbre argentin, qui parviennent jusqu’à son oreille. L’autre baisse la tête d’une manière imperceptible, en forme d’acquiescement, et se replonge ensuite dans l’immobilité de son égoïsme, comme une tortue dans sa carapace. Tout indique dans les traits des autres voyageurs les mêmes sentiments que ceux des deux premiers. Les cris se font encore entendre pendant deux ou trois minutes, plus perçants de seconde en seconde..."

 "Hommes à l'œil froid comme la congère, hommes  aux oreilles soudées, hommes aux pavillons transpercés par les supplications du petit enfant Youri, hommes convoyés par un sombre Omnibus pareil à un corbillard, hommes de peu d'ouverture, hommes-couleuvrines, hommes-œillères, hommes-meurtrières que ne vous assemblez-vous afin que, vos forces convergeant, vous manifestiez  assez de volonté pour faire cesser l'ignoble supplique, pour étouffer dans l'œuf les cris obscènes qui ricochent sur la paroi acérée de votre conscience ? A moins que ces cris ne vous confortent dans votre suprême mépris ! Et alors, Hommes-carapaces-de-tortues, que ne lancez-vous un assaut contre cet avorton, ce fœtus nul et non avenu condamné par les plus hautes causes de la Révolution ? Et alors, Hommes bouffis d'égoïsme que ne vous refermez-vous sur l'enceinte remplie de vos propres remugles, de vos objurgations méticuleuses, de vos anathèmes grouillant comme les poux sur la tête du pouilleux, du petit enfant livré aux affres de l'orphelinat ?"

 "L’on voit des fenêtres s’ouvrir sur le boulevard, et une figure effarée, une lumière à la main, après avoir jeté les yeux sur la chaussée, refermer le volet avec impétuosité, pour ne plus reparaître…"

 "Soyez donc rassurés, aimables Voyageurs de l'Omnibus. Vos récriminations, vos condamnations, vos vaticinations en direction de l'absurdité qui s'ingénie à suivre votre cortège, à savoir moi-même dans la faiblesse de l'âge, à savoir la masse informe qui roule mais n'amassera jamais mousse, n'est qu'une illusion. Et d'ailleurs vous n'êtes pas les seuls à vouloir l'effacer de votre imaginaire. Les volets, sur le parcours, ne se ferment-ils pas avec hargne, comme pour vous donner raison, comme pour acquiescer et vous encourager dans votre refus d'entendre une voix venue de nulle part ?"

 "Il s’enfuit !… Il s’enfuit !… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Seul, un jeune homme, plongé dans la rêverie, au milieu de ces personnages de pierre, paraît ressentir de la pitié pour le malheur."

 "Seul, parmi la fuite de l'Omnibus - même les véhicules se sauvent devant le désarroi, le non-sens que je représente, moi, Youri, poursuivant mon  destin qui s'éloigne à grands pas, à coups de fouet, selon un invraisemblable galop - [seule la peur peut justifier une telle dérobade, une pareille échappée semblable aux nuées de la tornade] -, seul, absolument seul, mais que vos oreilles distraites et occluses comme de vieilles huîtres consentent donc à s'ouvrir, une fois, une seule fois, afin que surgisse le vortex par lequel une vérité puisse s'instiller jusqu'au tréfonds de votre cerveau, y germer, y faire croître ses rameaux et que votre âme - mais en possédez-vous une, au moins ? -, enfin atteinte se dispose à l'événement de la solitude, car c'est bien cela le secret de Polichinelle que l'humanité feint de garder sous le coude alors que chacun en est informé depuis la nuit des temps.

Mais pourquoi donc, dans la cavalcade éperdue de l'omnibus, un jeune homme ressent-il de la pitié pour le malheur qu'à moi seul, j'incarne, comme si ce sentiment indicible pouvait trouver à se matérialiser dans la faible et inaperçue stalactite que j'élève au milieu des autres stalactites, me noyant dans la confondante et illisible multitude humaine ? Mais simplement parce que cet individu anonyme parmi les anonymes est SEUL. C'est par la fente de sa solitude que le monde de l'oubli, de la déréliction, de l'absurde lui parvient. Etroite meurtrière, laquelle, le plus souvent s'obture pour ne plus s'ouvrir. Semblable à la pupille frappée par une trop vive lumière, redoutant que la cécité ne l'enveloppe. Juste le temps de la rêverie, c'est-à-dire le rapide passage dans le monde autre que celui du réel et l'homme touché par le pur sentiment, compatit, s'ouvre, s'éploie à la dimension de l'Autre, à son angoisse native. Mais il y a danger à trop longtemps tutoyer l'inconcevable et c'est pourquoi le jeune Voyageur ému, disponible, referme soudain les volets de sa conscience, tout comme les habitants de la ruche humaine disposés le long de l'Avenue sillonnée par les roues de l'Omnibus, et le trottinement désespéré de l'enfant que j'essaie d'être, les habitants donc, claquent avec impétuosité les lourds contrevents de bois. Ils seront à l'abri de la vindicte, du malheur, protégés l'instant que durera leur inconscience des griffes mortifères du désespoir."

 

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12 octobre 2013 6 12 /10 /octobre /2013 08:15

 

Génie.

 

 

*Le génie, une incandescence de la pensée

 

*Le génie est toujours alimenté par un excès de lucidité.

 

*Le génie ou la condition tragique.

 

*Le génie ou la démesure du regard.

 

*L'espace de l'homme a deux dimensions. Celui du génie y ajoute la diagonale de la folie-d'en-haut.  

 

*"In-soumis" au régime de la compréhension, le génie est habité par l'amplitude de l'intuition.

 

*La demeure de l'homme : la maison. La demeure du génie : l'univers.

 

*Il n'y a de génie que solitaire.

 

*Le génie n'a pas de réel contact avec la terre. Seulement avec le feu ou la glace.

 

*Pour le génie, rien n'est ordinaire, tout est transcendant.

 

 

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 08:33

 

"Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c’est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet..."

 Oui, Cocher-Machiniste, menu tremblement qu'agite le Destin. Et pourtant, à t'entendre, à te regarder, on te croirait doué des plus éminentes qualités. Celle par exemple de conduire cette foule d'idiots majuscules où bon te semble, selon ton bon vouloir, peut-être même ta fantaisie. De les déverser directement dans le premier cimetière zébrant l'éther de ses bras en croix, Le Père Lachaise, par exemple. Ou bien de les précipiter, d'un coup de frein bien ajusté, dans les ateliers du Musée Grévin afin que les sculpteurs puissent immortaliser dans la cire leurs faces hilares se distrayant de la mort à grands coups de plaisanteries grotesques.

Mais brave Cocher-Machiniste, tes coups de fouets, tes coups de volant ne sont qu'illusions. Ce n'est pas toi qui joues la partition. Tu es joué, tout simplement, tout comme ta cargaison d'inutiles ventripotents est jouée, tout comme moi, Nevidimyj qui suis joué depuis ma naissance  et même, sans doute, bien avant. Mais moi je le sais. Ça parle en moi depuis longtemps, le langage de la vérité, le langage mortel qui lance ses faucilles et ses yatagans, alors que les Déplacés du 27 le sont à leur insu, occupés qu'ils sont à ne voir que l'écume des choses. Mais il y aurait tellement à dire. Mais, fouette Cocher et ramène-moi donc à mon lieu d'incertitude. Celui-ci, quoique inconfortable, quoique induisant un état de sidération permanente vaut encore mieux que cette crasse anonyme qui habite ces sièges martyrisés par des dizaines de fessiers ourlés d'ignorance !"

 "Que doit être cet assemblage d’êtres bizarres et muets ? Sont-ce des habitants de la lune ? Il y a des moments où on serait tenté de le croire ; mais, ils ressemblent plutôt à des cadavres..."

 "Pour être bizarres, assurément, ils le sont. A force d'hébétude. A force de vouloir trouver chez l'Autre, cette énigme dont ils ne supportent pas qu'elle résiste à leur insatiable curiosité, ce qu'ils ne sauraient, du reste,  trouver en eux-mêmes. Car ils sont vides, désertés par les pensées et leurs actes sont aussi menus et inglorieux que la vacuité dont ils font preuve lors de l'émission de chacun de leur souffle.

Ou bien seraient-ils des Luniens à la mine blafarde, des Pierrot tellement tissés de nullité, des valets bouffons commis à faire rire, des candides à la recherche de quelque absolu, des badins, des enfarinés, des Paillasse poursuivant de leur assiduité creuse de merveilleuses  d'inatteignables Colombine ?

Mais votre blancheur - maintenant je m'adresse à vous, blafards Compagnons de voyage, sans détours et d'ailleurs en quoi serait-il méritoire de faire quelques entrechats hypocrites destinés à dissimuler votre piètre réalité ? -, votre blancheur, disais-je n'est que celle de la Mort, de la Dame-à-la-faux, la grande moissonneuse de têtes et de destins empaillés. Cadavres, croisement d'iniques ossuaires, crânes vides à force de déraison. Vous n'avez jamais été, tout au long de votre vie, que des candidats à une ambiance d'église morne, des porteurs de cierges brûlant pour des gloires posthumes, des suppôts de Satan et de ses basses œuvres, des concrétions miséreuses se voilant la face, des élévations de jalousies, des souffleurs d'un théâtre où ne grimaçaient, sur la scène de l'humain, que d'étiques masques par où le fiel et la bile s'écoulaient en longues glaires jaunes. Vos semblables vous ne les avez fréquentés, ne les avez courtisés que dans le but d'en tirer profit, de remplir le gousset cupide de votre vanité des écus d'or dont l'éclat contribuait à entretenir votre cécité.

  Et moi, Youri Nevidimyj, sur lequel vous dardiez vos regards pointus comme la hargne, dont vous tâchiez d'arracher le masque afin d'en disséquer l'identité, que vous pistiez sans relâche, espérant obtenir de l'une de mes probables chutes, des indices croustillants, des secrets bien nauséeux, de petites misères toutes chaudes, rondes comme des œufs, que vous vous seriez empressés de fouetter, réalisant ce que votre goinfrerie naturelle attendait, à savoir une omelette mousseuse, persillée, juteuse, mets délicat que vous auriez aspiré de vos lèvres goulues, digérant par avance la petite histoire, la mince fiction qui aurait illustré un somptueux repas. Ensuite, les reliefs de la curée, vous en auriez fait l'offrande à vos semblables, les trépanés de l'esprit, les cul-de-jatte de la pensée, les hémiplégiques du sentiment.

Et que le Lecteur n'aille pas croire que j'abuse, que j'en rajoute. Le réel qui concernait ces Erratiques était bien pire que cela, au-delà de tout langage !"

 "L’omnibus, pressé d’arriver à la dernière station - la Mansarde n'est plus si loin, maintenant -, dévore l’espace, et fait craquer le pavé… Il s’enfuit !…

Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière..."

 "Et cette masse informe, ô Lecteur bienveillant et vigilant, tu l'auras deviné, n'est autre que ton serviteur, Youri Nevidimyj, tout juste enfant, courant après l'omnibus de son destin - excuse-moi pour cette métaphore si peu gracieuse mais tellement parlante -, après que ses parents l'ont abandonné, tout juste à la fin de la Révolution. En ces temps-là on n'aimait pas les bâtards nés de l'accouplement monstrueux d'un grand aristocrate et d'une fille d'un miséreux moujik, laquelle, par un tel acte, avait rompu le lien avec le Peuple nourricier.

Et ce Peuple tout entier tourné vers sa vindicte, tout entier disposé à châtier de ses propres mains les traîtresses à la cause révolutionnaire, tu en auras éprouvé l'inquiétante présence par le truchement de ces Convoyés qui ne le sont que de l'Histoire, chargés par Elle de régler des comptes, de solder ce que le passé a été incapable d'accomplir.

Pourtant, Lecteur, tu seras témoin de ma volonté d'apaiser les choses, tu apprécieras ma façon de progresser dans l'existence, faisant profil bas, le dos arrondi, le regard abrité par le revers d'astrakan de ma redingote, les mains recouvertes de chevreau noir, le chef couvert d'une toque de fourrure - il faut bien, parfois se relier à sa propre histoire, surtout lorsqu'elle a glissé entre vos doigts comme le vent parmi les bouleaux de la taïga -, et mes bottes de cuir aux revers glacés sont-elles une offense aux quidams que je croise et qui, parfois, surpris par mon accoutrement, se prennent à sourire ? J'inspire sans doute plus la pitié que l'envie, alors que ne me laisse-t-on en paix; ma vie recluse dans ma piteuse mansarde ne suffit-elle pas à racheter une "faute" dont je ne suis même pas coupable ?

Lecteur, tu ne manqueras pas d'être surpris par ma vindicte, mes apostrophes envers mes Poursuivants et, dans le même temps, mon ton éploré, parfois lyrique, peut-être suppliant. Ô combien ma folie m'a été utile lors de mon enfance vagabonde; dans l'orphelinat qui me recueillit en Russie; lors de mon arrivée ici, de ma prise en charge par mes protecteurs, de mon existence entre les quatre murs venteux du ciel de Paris ! Mais cette folie, mon enfance en était déjà porteuse, elle en contenait les germes. Sans doute m'a-t-elle protégé de moi-même. Mais il me faut revivre avec l'intensité propre au réel tous ces traumatismes qui ont constitué mes fondements. J'ai mal à mon enfance !"

 

 

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 08:23

 

  Le retour à la mansarde ou le jour oblitéré.

 

     Mais aller trop vite en besogne et rejoindre Youri Nevidimyj dans la mince cellule du septième étage en faisant l'économie de son trajet de retour serait un comportement homologue à celui d'un archéologue survolant quelque étonnant site antique sans prendre la peine d'en mettre à jour la riche signification. Donc, le dernier soir de sa rencontre tragique avec le décor du Quai de Bourbon, après avoir réussi à se libérer de l'étreinte mortelle dont il avait failli être la victime, Nevidimyj avait erré de longues heures, hagard, se sentant épié, poursuivi par les racines dont il percevait la grouillante et terrienne rumeur, sa marche entravée par les lattes de bois et les ferrures du banc alors que les feuilles du marronnier l'emmaillotaient dans une manière de gangue pareille à la tunique exiguë  des momies.     On aura deviné que ce parcours perdu, irrationnel, s'il était bien réel, empruntant les rues de l'Île Saint-Louis, celles de la Cité, n'en était pas moins halluciné, imaginaire quant aux sombres événements qui y étaient prétendument associés. Quoi qu'il en fût, le Russe avait fini par échouer sur les marches qui, face au sombre rectangle de Notre-Dame, donnaient accès aux rives du fleuve, se ressaisissant peu à peu, son esprit demeurant cependant envahi d'une sorte de brume cotonneuse qui jouait à la manière d'une anesthésie. Peut-être n'avait-il que cette ressource disponible afin de faire face à son quotidien perclus de chausse-trappes. Alors qu'il avait longuement déambulé du côté de la Place des Vosges, poursuivant jusqu'à Port-Royal et alors qu'il se trouvait près des Halles, il aperçut un bus longeant les arcades de Rivoli.

  Alors, par on ne sait quel miracle du destin, il se retrouva à la fin du siècle dernier, parmi les hallucinations surréalistes des Chants de Maldoror, devenant le Narrateur lui-même, vivant son existence désordonnée, tumultueuse - il faut dire que bien des analogies, par-delà le temps rassemblaient en un même creuset des destins pareillement soumis aux multiples dérèglements de la folie, celui d'Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont et le sien, Youri Nevidimyj, livré aux affres de l'invisibilité, de l'impalpable, comme si sa naissance ne s'était actualisée que par défaut, genre d'excroissance molle dont les humains voulaient se débarrasser comme de la peste -, doncYouri avait revêtu les habits d'outre-tombe du Narrateur, s'appropriant sa parole dont il faisait, au fur et à mesure de son déroulement, les commentaires, comme si l'arche temporelle se fût ramifiée, supportant à l'une de ses extrémités les extravagances maldororiennes, de l'autre les erratiques entrechats d'un Russe en perdition. Voici ce qu'il en résultait dont le lecteur considérera, conséquemment à un élargissement de son empan langagier, que ces deux destins réunis, ne sont que les deux faces d'une seule et même histoire.

 

(NB : Les citations en typographie rouge sont extraites des "Chants de Maldoror". Les passages en typographie habituelle sont les propos tenus par Nevidimyj, par-delà le temps avec la sombre "liturgie" maldororienne.)

 

"Il est minuit ; on ne voit plus un seul omnibus de la Bastille à la Madeleine..."

 "Où est-il le Bus 27 qui me ramènera à la mansarde ?  Peu importent les autres, les omnibus peccamineux qui ne transportent leurs chargements d'existences,  ne parcourent la ville en tous sens que pour abuser leurs passagers, les préparer à expier leurs fautes, celle de vivre, surtout. Ils ne valent guère mieux que cette déambulation sans fin, ce sursis au bout duquel veillent les flammes de l'enfer."

 "Je me trompe ; en voilà un qui apparaît subitement, comme s’il sortait de dessous terre. Les quelques passants attardés le regardent attentivement ; car, il paraît ne ressembler à aucun autre..."

 "Mais oui, je le reconnais le 27, avec ses garde-boues dégoulinant de limon, ses marches maculées d'argile, son impériale où sont accrochées les feuilles de marronnier. Il me cherchait, j'en étais sûr. Mon seul abri, mon seul refuge, mon seul terrier. Il a plongé son groin sous le banc, au milieu du repliement des noires racines - ne sont-elles pas la métaphore du Serpent, du péché originel, de la faille qu'ont ouverte aux hommes Adam et Eve par leur acte inconséquent ? -, il a cherché à m'extraire des catacombes aux phosphorescents ossuaires - n'était-ce pas à ce sort-là que m'acculaient les planches mortuaires pareilles à un cercueil, les ligatures métalliques du banc, les langues gangrenées des feuilles tellement semblables à des âmes mortes -, puis renonçant à me trouver parmi les touffeurs de la glaise et le fourmillement des rhizomes, il est ressorti à l'air libre, ici, tout contre les arcades de Rivoli, en partance pour Bastille, puis Austerlitz avant de gagner Italie.

Non, il ne ressemble à aucun autre, l'omnibus de la Ligne 27. Tout simplement parce qu'il est un assemblage unique de rouages, de pignons, de renvois métaphysiques. De la vie à la mort, de la mort à la vie : voilà son seul objet, sa seule raison de glisser le long des caniveaux de la Ville avec cette sorte d'obstination étroite, d'acharnement têtu. Malheureusement les Convoyés n'en perçoivent que la face émaillée, la carrosserie brinquebalante, les sièges de moleskine, jamais l'architecture secrète, jamais les questionnements urgents, seulement les cahots sur les bosses contingentes du bitume. Race beuglante n'entendant même pas ses lugubres beuglements !"

 "Sont assis, à l’impériale, des hommes qui ont l’œil immobile, comme celui d’un poisson mort. Ils sont pressés les uns contre les autres, et paraissent avoir perdu la vie ; au reste, le nombre réglementaire n’est pas dépassé..."

 "Oui, c'est bien cela, peuple immolé à sa propre inconscience. Cherchant à me détruire, à forer mes secrets, ils se sont condamnés eux-mêmes, les hommes, à n'être que des manières de harengs secs serrés par les flancs étroits et putrides d'un baril sans avenir. L'œil immobile, le regard retourné sur eux-mêmes à la manière de vieilles chaussettes inutiles et impertinentes. A trop vouloir regarder l'autre ils sont allés jusqu'à s'oublier. A trop vouloir percer le hiéroglyphe, ils sont devenus hiéroglyphes muets sur lesquels ricoche la pensée, faute de pouvoir les atteindre.

Non, le nombre réglementaire n'est pas dépassé : le nombre réglementaire de la vie et pourtant ils portent sur eux, sur leur visage de carton mâché, sur leurs mains moulinant le vide, sur leurs jambes jointives dans l'attitude du repliement, ils portent les stigmates du vice qui, par avance les condamne. Se seraient-ils occupés de la condition humaine, plutôt que de l'homme. De l'homme que je suis, moi, Youri Nevidimyj, coquille vide, patronyme sans écho, simple égarement de la Nature, facile jouet de l'Histoire."

 

 

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 08:15

 

Finitude.

 

 

*Cultiver son jardin : une aimable diversion qui ne fait jamais l'économie des racines ombreuses et métaphysiques qui habitent la terre.

*L'Être ET le Néant ? - L'Être EST le Néant !

*Ecrire pour ne pas mourir.

*Toussaint : 1 jour pour penser aux Morts; 364 à la vie. Où donc l'erreur ?

*Il n'y a de vrai repos que mortel.

*Jamais la candeur n'apprend à mourir.

*La souffrance n'est pas l'envers du plaisir, elle est l'antichambre de la finitude.

*La maladie n'est jamais que la mort qui perce sous la vie. Apodicticité.

*La Mort a des droits que l'homme n'a pas.

*La Mort, seule égalité. Belle consolation pour tous les "damnés de la terre" !

*Riez donc à gorge déployée, ce n'est que la Mort qui vous fait rire, ou le fait d'y échapper. Provisoirement !

*Irrémédiablement fragmentés nous sommes. Seule la Mort achève la synthèse.

*De la vie, de la philosophie, on n'apprend qu'une seule chose : à mourir. Leçon de Montaigne

*Arène : métaphore de la finitude. Confrontation d'Eros et de Thanatos.

 

 

 

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10 octobre 2013 4 10 /10 /octobre /2013 07:52

 

Existence.

 

 

*L'hédonisme n'est jamais que la poursuite tragique du plaisir. 

 

*L'UN est une vue de l'esprit; le MULTIPLE, la loi de l'exister.

 

*Exister vraiment : être dans les choses jusqu'à l'ivresse.

 

*"La crypte originelle", jamais on ne l'abandonne !

 

* Cœur de la vie : espacement entre diastole et systole. Juste un battement.

 

*Beauté et tragique, avers et revers d'une même médaille.

 

*Vie : une longue digression avec un point final. Damoclès.

 

*Être Soi et les Autres et le Monde. Totalité.

 

*Critiquez sans cesse. La seule prophylaxie mentale.

 

*Avec Gainsbourg, boire jusqu'à lie la démesure existentielle. Echapper au tragique.

 

*La sensation de complétude n'est que la figure du philistin.

 

*Dans ce monde de conformisme étroit, livre-toi à l'écart intérieur.

 

*La puissance vraie : intellectuelle.

 

*Le désir : dans l'approche.

 

*Aucune véritable ivresse sans ascèse.

 

*Le tragique est toujours à portée de la main. Voyez Cioran.

 

 

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9 octobre 2013 3 09 /10 /octobre /2013 08:17

 

  L'Île Saint-Louis ou les jours racinaires.

 

    "Être au milieu des événements", pour Youri, c'était d'abord être au centre de lui-même, calfeutré au plein de la bogue primitive avec laquelle, à l'évidence il ne se relierait jamais, son territoire originel l'ayant déserté, ayant fait de lui un perpétuel nomade sans lieu ni espace où se ressourcer, sans ouverture vers un langage signifiant dont il eût pu espérer une issue. Être Nevidimyj revenait à investir le premier lieu d'errance rencontré, à s'y accrocher avec le désespoir du naufragé porté par son fragment d'esquif, apercevant la côte, très loin,  vague esquisse brumeuse, cependant porteuse d'une clairière où poser le regard. La première fois que l'Exilé avait pris contact avec l'Île Saint-Louis, un matin d'octobre parcouru des jours encore lumineux d'un persistant été indien, une rare et argileuse clarté teintant d'ivoire les façades de pierre des hôtels particuliers, il avait eu son premier émoi au contact d'un paysage urbain, un premier espoir de s'y retrouver avec lui-même comme s'il avait enfin accosté au rivage d'une Terre élue. Non soumis à une facile nostalgie - n'en sont atteints que ceux qui ont hérité d'un lieu où ancrer leur existence -, c'est toujours avec une inclination à un relatif et fragile bonheur qu'il retrouvait les pavés lissés de lumière, les portes cochères aux porches amples et ténébreux, les trottoirs aux solides arêtes, les solides pierres angulaires des quais de la Seine.

  Lieu d'élection entre tous, l'étrave de l'Île, Quai de Bourbon, où la vue, effleurant le flanc de la Cité, glissait en direction de l'Hôtel de Ville. Là, à la proue du navire de pierre, il regardait longuement les péniches remonter le courant, manières de longs cachalots portant sur leur dos des dunes de sable, des gravats, du ciment, du linge étendu sur un fil, des femmes de Mariniers qui, parfois, le saluaient amicalement de la main comme s'il avait été une vigie bienveillante commise à veiller au bon déroulement de la navigation. Alors, Nevidimyj, l'espace d'un instant, devenait visible aux autres, à lui-même, comme si une lumière intérieure se fût soudain éclairée, l'assurant d'un bref rayonnement.

  Seulement ces illuminations étaient rares, souvent interrompues par de longues périodes de rumination au cours desquelles il était comme envahi de cécité, fermé au monde environnant, à ses mouvances, ses rumeurs. Assis sur un banc de bois, à l'ombre des feuillages compacts des marronniers, il sombrait la plupart du temps dans une manière de léthargie dont il ressortait toujours avec un sentiment d'intense nausée. Sans le savoir vraiment, il reproduisait le thème sartrien de la racine dont il s'était imprégné au cours de ses longues et méditatives lectures, au hasard des innombrables bibliothèques où il avait trouvé refuge quand son identité menaçait de lui échapper.

  Cela commençait toujours de cette façon. A peine venait-il de s'assoir sur le banc que les arbres alentour, les autres bancs, les bornes de pierre reliées par des chaînes refermaient leur monde clos, ceinturant Youri à la manière d'une Cité Interdite. Tout l'enserrait jusqu'à la démesure. L'air devenait compact, cotonneux, rempli de fibres étroites; les feuilles étaient des tampons d'étoupe; les pavés des meutes de formes mouvantes semblables aux carapaces des tortues. Cela devenait un sombre réduit, l'antre au sein duquel les  idées  avaient peine à se mouvoir, comme si elles avaient été prises dans de la glu. Tout, alors, paraissait terreux, accompagné de relents d'humus humide; tout girait follement à l'intérieur d'un terrifiant vortex. Tourbillon, œil cyclopéen auquel Nevedimyj ne voulait rien céder, pupille démesurée dont il cherchait à s'extraire à force de volonté, de désir de vivre quelques instants encore, l'espace qu'il fallait afin que quelque vérité se révélât à lui. Mais les parois de l'oculus qui cherchaient à le déglutir étaient infiniment lisses, infiniment abruptes, décidées à en finir avec le Russe et ses manières d'aristocrate inverti, tout juste bon à semer la zizanie parmi le bon peuple des Officiants de la Ligne 27.

  Parfois, grâce à un sursaut de volonté, à la mobilisation d'une tragique énergie, Youri parvenait à s'extraire de l'étau assidu des tenailles, les mâchoires se relâchant quelques secondes dans un geste tellement semblable à celui du félin jouant avec sa proie, lui accordant un bref répit en même temps qu'un fol espoir alors que les crocs, prêts à bondir, s'illuminaient des sucs d'un plaisir pré-gustatif. Alors, l'étreinte rétrocédant, Nevidimyj essayait de se ressaisir, de restituer à sa position une assise plus confortable, mieux assurée, non qu'il craignît un jugement des passants si rares en cet endroit, mais plutôt une manière d'autocritique qu'il redoutait, ne voulant en rien céder à la facilité, à l'abandon, préférant satisfaire sa constante exigence de dignité, de maintien - on n' était pas issu d'une famille de la grande bourgeoisie en pure perte -, et alors il respirait d'aise, avec une nouvelle agilité de la poitrine, une aisance subite à la dilatation, à l'expansion, à l'accueil de l'événement nouveau qui ne manquerait pas de se produire. Car, pour le Russe, comme pour tout autre individu à la surface de la Terre, même la tête sur le billot, l'espoir faisait, dans les cerneaux ourlés de gris, ses petites circonvolutions, ses petites fantaisies de dentellière, ses menus entrechats de bal masqué. On objectera sans doute, le Principe de Raison redressant toujours fièrement la tête, que la lucidité du Moujik était bien entamée, en sourdine, aussi peu audible qu'une berceuse au-dessus d'une charmante tête blonde avant que survînt l'endormissement. Et, supputant ceci, on se sera fourvoyé dans de sombres et inextricables arcanes. En toutes occasions,  l'Exilé était lucide autant que la situation le permettait et, en la circonstance, il savait qu'il lui fallait faire preuve d'audace et d'inventivité afin que son sort ne fût définitivement scellé.

   Lorsque survenait le relâchement soudain des feuilles, il percevait l'air gris-bleu de la Ville, il devinait le dôme plombé du ciel, tout en haut des immeubles, comme une promesse d'avenir. Dans le reflux des pavés, dans le renoncement de ces sinistres blocs de granit à élever vers sa fragile anatomie des sortes de belliqueuses Murailles de Chine, il lui semblait percevoir un clin d'œil du destin, lui ouvrant de nouvelles voies, des chemins à parcourir avec plus de sérénité. A nouveau il devenait attentif aux murmures de l'Île, à l'écoulement de la Seine dans ses gorges de pierre, au flux de l'air parmi les branches des marronniers. Il se mettait à échafauder des plans sur la comète, à ouvrir dans le firmament de sa mansarde l'étoilement d'un jour possible.

Seulement c'était sans compter sur la persistance des choses à l'enserrer dans le filet étroit des contingences. On n'est pas un Exilé sans rendre des comptes à la société des hommes, à leur confondante et impitoyable vue de myope éclairant à peine le bout de leurs souliers envahis d'une fange inconséquente. On n'est pas Exilé impunément et libre de soi. Même les choses réclament leur dû, un genre de cannibalisme  dont la mission leur aurait été confiée par une force secrète. Et c'est au moment où Nevidimyj croyait recouvrer la liberté que surgissait, pareils  à des  coups de canif, les crocs acérés du Néant.

Les lattes de bois du banc se mettaient à danser leur gigue alors que les pieds, de fer ouvragé, enroulaient leurs torsades autour des chevilles, montant lentement le long des piliers des jambes, se ramifiant, telle des lianes de lierre, afin de s'étoiler autour du bassin, avant de lancer leurs vrilles métalliques autour de l'ombilic, de corseter les hanches - le souffle devenait court, sifflant, rauque -, alors que le fleuve de fonte poursuivait son ascension mortifère, gainant les poumons dans une résille serrée, dense comme la toile d'araignée, - l'air sifflait dans les alvéoles qui peinaient à se déplisser, ballonnets asthmatiques aspirant laborieusement  les corpuscules vitaux -, puis les ruisselets se plaquaient le long de l'aorte avec un bruit de succion, enserraient le goulet de la gorge, ligaturaient le massif visqueux de la langue, perforaient les cavités nasales, poinçonnaient le chiasma optique - la cécité était alors à son comble, l'inconscience presque totale, juste un faible lumignon dans la gorge exigüe d'une grotte -, s'enfonçaient selon mille réseaux complexes dans la matière grise, transperçaient la fontanelle, ressortaient à l'air libre ou à ce qu'il en restait, les feuilles, à leur tour, ayant repris leur chute cotonneuse, filandreuse, s'émiettant en nervures nerveuses, en limbes mielleux, en corpuscules ligneux. Il n'y avait plus guère de place pour l'oxygène, pas plus que d'espace pour la pensée. La conscience s'écoulait le long du rocher du corps en longs filaments stériles, en minces éjaculations inopérantes, en turgescences émollientes. Le temps avait reflué, se limitant à une flaque presque inapparente. L'invisibilité du Russe n'était pas encore arrivée à son comble : il manquait encore le travail de la racine. Mais que le Lecteur ne s'impatiente nullement. Il n'est jamais trop tard pour faire œuvre utile.

  La racine donc, travaillait en sous-sol, glissait à bas bruit parmi les touffeurs et les entrailles chaudes du limon. S'emmêlait à d'autres racines. Jumelles, latérales, pivots, superficielles, toutes participant à la tâche commune, à savoir réduire à la totale invisibilité le sombre idiot qui avait échoué sur le banc sans même être conscient du sort qui, depuis la nuit des temps, devait fatalement lui échoir. Racines par nature, elles auraient dû se contenter de mener leur existence obscure dans les replis terreux et les accumulations de glaise. C'était sous estimer leur naturelle propension à coloniser l'espace. Les pieds de l'Exilé, posés à plat comme deux grosses limaces sur le lit d'humus étaient l'occasion rêvée, pour des racines en quarantaine depuis une éternité,  de sortir à l'air libre afin d'y rencontrer un exemplaire de la condition humaine. Aussitôt exhumées du Néant dans lequel elles reposaient depuis Mathusalem, elles s'étaient empressées de ligaturer ce qui passait à leur portée.

Nevidimyj était un amphigouri de cette sorte, un genre de galimatias non encore suffisamment articulé, un balbutiement à la face du monde dont il valait mieux se débarrasser au plus vite. Pareilles aux anguilles, à leur viscosité rampante, en même temps qu'à leur vigueur prédatrice, les racines s'étaient attaquées aux falaises des jambes, jouant leur partition de concert avec les giclures de fonte qui, autrefois, avaient été de simples pieds de banc bien inoffensifs. Puis elles remontaient, suivant une inexorable ascension, une manière de transcendance étroite, obtuse, pieusement écornée, s'engouffrant dans les remous du sexe, dans l'étroit siphon de l'anus, gagnant à force de reptation les cannelures du rectum, chaloupant selon les  errances granuleuses du colon, gagnant la besace de l'estomac, y faisant une sorte de niche accueillante aux loupes et autres diverticules du bois, se teintant de safran dans l'antre du foie, se hissant selon radicelles et pilosités diverses dans le goulot de l'œsophage, se ramifiant en milliers de capillaires dans la gouttière du pharynx pour se terminer en bouquet floral dont la bouche faisait l'offrande dans une étrange contorsion labiale. C'était un spectacle étrange en même temps qu'envoûtant où l'homme et la nature intimement mêlés semblaient jouer une sublime partition, laquelle s'éployait en une symphonie stellaire qu'absorbait la vitre envieuse du ciel.

  Possédé par le dehors, traversé par le dedans,  son corps devenait le lieu d'un sacrifice en même temps qu'une ode à la gloire de quelque dieu païen, dionysiaque, se repaissant de l'homme avec délices tout en le condamnant à n'être qu'un vulgaire nutriment digéré, métabolisé avant que d'être rendu au processus infini de la corruption, laquelle était toujours suivie d'une renaissance. En supposant que Nevidimyj eût pu, même faiblement, être conscient de la symbolique de sa métamorphose, en eût-il pour autant applaudi des deux mains quant au ressourcement palingénésique dont elle était porteuse ?  Bien évidemment, il est permis d'en douter. Quoi qu'il en fût, le Supplicié en ressortait toujours l'air hagard, déboussolé au sens propre, ne sachant plus retrouver le chemin qui le ramènerait par le sinueux labyrinthe de la Ville à rejoindre la Ligne 27, la seule qu'il consentait à emprunter, en connaissant toutes les voltes et subtilités, cette connaissance lui apportant, par rapport à une ligne inconnue, un genre de sécurité ou de réassurance narcissique. On comprendra aisément que son retour à la mansarde du septième étage, après de telles errances, lui causaient quelque tracas, en même temps que la dispense de saluer Olga, la Concierge, laquelle, le plus souvent se distrayait de sa solitude en compagnie de son jeu de cartes,  mais n'en demandait pas moins qu'on la saluât. Le salut de Nevidimyj consécutif aux événements ci-devant relatés, faisait dans la concision, cela va sans dire.

 

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