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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 10:06

La chambre comme abri

ca-copie-1 

 Vincent van Gogh (1853-1890) 
La chambre de Van Gogh à Arles
1889

Huile sur toile
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay)

***

 Pour saisir adéquatement cette œuvre, il faut partir de la description qu'en fait Van Gogh à son frère Théo dans une de ses lettres :

 "les murs lilas pâle, le sol d'un rouge rompu et fané, les chaises et lit jaune de chrome, les oreillers et le drap citron vert très pâle, la couverture rouge sang, la table à toilette orangée, la cuvette bleue, la fenêtre verte", affirmant : "J'avais voulu exprimer un repos absolu par tous ces tons divers".

  Et, en plus de la justification chromatique, Vincent se laisse aller à une exposition de son état d'âme concernant sa chambre, expliquant qu'il a souhaité mettre en scène le cadre d'une vie simple en même temps que la révélation d'une tranquillité. Or, le Hollandais peint cette œuvre reproduite en trois exemplaires, un an avant sa disparition. Le "repos absolu", il devait le trouver dans la mort et, d'une manière accessoire, dans sa peinture, laquelle l'avait sans doute comblé mais avait semé dans son âme les scories d'une existence marquée au fer du tragique.

  Lorsque Vincent peint cette chambre, a-t-il seulement le pressentiment que, déjà, au-dessus de sa fontanelle créatrice commencent à voler, en de funestes girations, les corbeaux du champ de blé ?  Nous sommes en Septembre 1889, soit seulement quelques mois après son internement, à sa demande, à l'Asile Saint-Paul de Mausole. Bien évidemment, la chronologie ne saurait être considérée comme un simple fait contingent. Van Gogh est profondément tourmenté, accablé par la puissance de son génie, taillé à vif par les morsures de la folie. Comme souvent, chez les créateurs inspirés, folie et génie ne sont que les faces, avers et revers, d'une même pièce, la carnèle les séparant apparaissant métaphoriquement comme l'espace où naissent les prodiges, mais lisière infiniment étroite, fragile, soumise aux aléas de toutes sortes, aux combustions d'un tempérament igné. Antonin Artaud; Lautréamont sont les équivalents incarnés, en littérature, d'une telle dramaturgie. Ils sont tous situés au bord d'un abîme qui n'attend que le faux-pas, la faille s'ouvrant en cataracte dans les strates de l'esprit. Car le génie est cet être infiniment clivé, cet assemblage branlant de plaques tectoniques qui, continûment, glissent l'une sur l'autre jusqu'à l'inévitable point de rupture. Tout génie est un séisme.

  Mais revenons à la chambre, cette sublime métaphore du nid, du recueillement des énergies, cette infinie matrice au contact de laquelle se ressourcer lorsque la fissure menace de se lézarder jusqu'à l'absurde. A partir d'ici, la thèse qu'il faut poser est la suivante : la folie est ce tout autre que soi qui s'étend à l'extérieur de sa propre  enceinte de peau, à savoir ce qui, au-dehors, constamment menace notre intégrité, la nature, les gens, les choses en général. Le génie est cet individu dont la structure ressemble fort à celle du schizophrène, assemblage laborieux de fragments épars, ne tenant assemblés qu'à l'aune de la création, parties volant en éclat dès que l'intérieur envahi cède pour donner lieu à une infinie et incontrôlable diaspora. Vincent est ce funambule dont la progression n'est assurée que de ses coups de pinceaux rageurs, de ces empâtements violents - une manière de violence à soi -, de ces teintes lançant leurs cris de sang et de larmes en direction de l'Absolu. Car, pour l'Artiste en contact avec l'empyrée, c'est seulement cette essentialité, cette radicalité de l'œuvre qui compte. Que l'on songe à Balthazar Claës, ce génie à "La recherche de l'absolu", fils d'un autre génie, Balzac;  Claës donc recherchant le principe unique de la nature, la pierre philosophale débouchant sur le Grand Tout, alors que son idéal mystique, esthétique, scientifique ne le conduit qu'à une aporie sans fin qui consume intégralement son existence. Le soi, dans sa quête d'une idéalité inatteignable - l'empan humain est trop étroit -, se livre à une constante dépossession dont la mort, naturelle ou provoquée, signera le point d'orgue. Au génie il ne saurait y avoir de demi-mesure, à la création ne saurait se substituer une œuvre par défaut.

  Dès lors, comment ne pas interpréter la chambre comme un retour aux sources, une immersion dans tout ce qui comble et lénifie, rassure et enserre. Dans sa configuration plastique, la pièce livrée aux tons adoucis : "les murs lilas pâle, le sol d'un rouge rompu et fané", inclinerait plutôt vers la pastorale que vers l'expressionnisme inquiet; la pièce donc apparaît comme un havre de paix, alors qu'à l'extérieur, au travers de la croisée, la lumière vibre et entaille, livre sans concession ses écailles de verre pilé, ses morsures cernées de la rage du réel, de son implacable évidence. Rentrant dans sa chambre après ses exténuantes sorties, nous imaginons un Vincent soudain assagi, presque primesautier - c'est tellement grisant d'avoir échappé à ce qui s'illustrait sous la figure de l'inconcevable -, un Vincent régressant vers son premier territoire, cet abri doucement placentaire, aux flottements quasiment amniotiques, aux lueurs et au rythme océanique que n'habite que le chant souple des Sirènes. Car le réel, alors, bascule dans les couleurs lénifiantes de l'imaginaire, la violence des tons se ponce, s'use, devient galet sous la lumière de l'aube, peut-être pour retrouver ces ciels originels, ceux de Hollande, ciels maternels aux doux bercements, aux hymnes chantants, tout brodés des brumes du Nord, manière de dentelle ornant un très ancien berceau.   

  On l'aura compris, c'est à son enfance même que Vincent sera reconduit par la seule grâce de la chambre, par la magie unique du lieu. Les lieux investis de sentiment ont ceci de particulier qu'ils s'invaginent en nous, à notre insu, qu'ils nous possèdent - tout comme nous les possédons -, qu'ils nous habitent de l'intérieur, sécrétant dans notre tunique de chair les nervures selon lesquelles nous élevons notre concrétion humaine en direction de l'éther. Ainsi, ramené à son espace électif, Van Gogh pouvait-il, sans doute, reconstituer ses forces avant de repartir au combat, la création étant de cette nature, cette confrontation frontale, cette expulsion de soi de ce qui brûle, cette violente dialectique entre un dedans signifiant et un dehors signifié. C'est du domaine de la rupture, de la perte des eaux, de l'accouchement, de la mise au grand jour de ce que l'on portait à la suite d'une longue gestation, acte maïeutique par excellence, parfois issu des mâchoires du forceps, toujours une douleur suivie d'une délivrance.

  La délivrance, cette figure s'inscrivant après la venue au monde d'un nouvel Existant, nul doute que Vincent vînt la chercher auprès de ce sol si doux évoquant, en effet, le lilas, son odeur entêtante et généreuse, légèrement sucrée. Délivrance auprès de ces chaises de paille solidement reliées par leurs pieds, donnant accès à un réel familier; auprès de cette table de toilette dispensant l'eau apaisante avant que le sommeil n'entreprenne son œuvre réparatrice; de ce lit aux courbes souples, entièrement féminines, où pouvoir dissimuler les atteintes du jour dans la touffeur de l'édredon et l'accueil des coussins; réconfort également à simplement regarder la simplicité des portes cernées de bleu - cette teinte du ciel, de l'océan aux eaux infinies -; d'apercevoir les cadres dans lesquels, comme stigmates d'une passion assouvie, s'illustrent des visages amis; de deviner le miroir où, sans doute, flotte encore la silhouette de l'Artiste en partance pour plus loin que lui-même. La chambre est toujours ce lieu où se déroule l'essentiel d'une vie : naissances, confidences, philosophie dans le boudoir (cette chambre sublimée), rêves vrais ou bien éveillés, écriture du journal intime, alliance des amants, bonheur de la solitude, lecture, utopies toujours réalisées puisque simplement en puissance et, pour finir, comme l'épilogue qui signe la fin de la partie, la Mort souveraine synthétisant le tout d'une vie en une définitive sémantique. Est-ce pour cette raison, du baiser de la Mort comme conclusion, que la chambre est cet espace dont nous pouvons tout dire en même temps que nous demeurons muets ? L'essentiel est toujours une parole dénuée de ses artifices, dépouillée de son habituelle empreinte, une parole vouée au silence en quelque sorte. Cette chambre peinte dans la solitude - du moins peut-on le supputer -, nous incline à faire de notre langage une unique méditation.

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 10:01

 

  Je n'ai pas besoin de me retourner pour apercevoir, dans la sépulcrale pénombre, vos formes déjà si peu humaines, inclinées vers l'animalité primitive. Mes yeux globuleux de baudroie abyssale, multipliant vos arbustives et racinaires silhouettes, dessinent sur l'espace de mes omoplates, dans le creux étique de mes reins, vos arborescences inquiètes d'elles-mêmes. Quant au yeux qui ornent ma face de deux trous pareils à des orbites vides, ils ne témoignent de l'avenir qu'à se replier sur leur doline, là où se perdent les eaux du ciel, là où la lumière replie ses rayons selon d'invisibles lignes cendrées. Je n'ai point besoin de me disposer au combat qui ne saurait tarder, celui-ci, dans la demeure de mon corps étroit a, depuis longtemps, déployé ses ramures si bien que ma peau n'est mon enveloppe extérieure qu'à la façon d'une outre qui ne maintiendrait, en son sein, que quelques vents contraires s'annulant par le seul fait de ne jamais trouver d'espace disponible à leur course rapide. 

  Et, maintenant, inutiles turgescences d'une sordide fable, préparez-vous à m'entendre. Je vous haranguerai, les uns après les autres, énonçant vos inestimables et véreux prédicats jusqu'à ce que vos âmes consentent à se vêtir des oripeaux de l'insuffisance dont, depuis toujours, elles ont constitué le réceptacle à nul autre pareil. Je le sais de toutes les fibres de mon corps, de toutes la mobilité des pensées qui soufflent encore en moi les vents de la connaissance, non seulement je ne vous survivrai pas mais, déjà, je sens s'ouvrir les portes étroites du mausolée au sein duquel, mort gardant le souvenir de sa vie, je poursuivrai mon entreprise de démolition de vos bien frêles icônes de plâtre. Mais avant que cette faveur me soit octroyée, j'en sollicite une autre, celle de vous dire, dans cette clarté sépulcrale, tout le mal que vous m'avez fait et tout celui, qu'en pensée, je destine à vos sublimes incongruités.

  Toi, Corbeau à la livrée noire, au bec en forme de coutelas; Toi, Grue cendrée au cou de reptile qui livrais bataille contre les Pygmées; Toi, Vipère à la denture solénoglyphe qui lances sur tes proies tes mortels crochets à venin; Toi, l'Hipporigastre à  tête de cheval, à l'échine en soufflet de forge; Toi le Tigre aux dents de sabre; Toi l'Orfraie au regard énigmatique enchâssé dans un cœur de plumes; Toi, Raie Manta, diable des mers aux cornes céphaliques; Toi Taupe à la vêture mortuaire, Condylure étoilé aux mains fouisseuses de terre; Toi Ikhtusiographe aux yeux soudés des fosses abyssales, à l'échine ponctuée de ventouses; Toi Dynaste hercule coprophage à la mandibule crénelée; Toi Ursinae aux oreilles courtes, aux griffes punitives; Toi, Arakhnênarile aux pattes velues hérissée de dards; Toi, Pittbull kosova à la gueule rose, aux pattes de sphinx, aux dents en écharde; Toi, immense Tarentule noire qui inocule le mortel poison et fais danser la belle tarentelle; Toi Kakatoès à la tête coiffée de lames tranchantes; Toi Kercharithorynque au bec en truelle, aux ongles arsenicaux; Toi, Petsuchos,  crocodile sacré  dévoreur d'hommes; Toi, Grillon-femelle au long ovipositeur ensiforme, appendice effilé par lequel viennent au monde quantité de négrillons aux élytres tueuses de tympans; Toi, Albatros Diomedeidae au bec violemment recourbé qui brises la tête des marins naufragés; Toi, Crabe-tourteau à la pince gigantesque, monstre maléfique, marcheur de guingois, indécrottable nécrophage; Toi  l' heptarorynoque à la tête semblable au dragon, aux ailes spiralées, au bec impérieux; Toi le Coq au chant polysémiquement destiné à semer la zizanie et la discorde parmi la sublimité de l'entendement humain, selon quantité d'harmoniques destructeurs, kikeriki ,cock-a-doodle-do ,co coucouricou , coco, quiquiriquí ,kokeriko,  kukuruyuk,  mac na hóighe slán , chicchirichi , kokekoko,  kukeleku , cocorococo , cocoricó ,cucuriguuuu, coucarékou , kuckeliku , ky-ky-ri-ký,  ake-e-ake-ake, égosillements seulement destinés à tuer, à forer la matière gluante de la pensée, à faire des cerneaux de la conscience de simples grenades explosives, à Vous tous, Toutes les figures de la vibrante et précieuse folie maldororienne, "Rotiphères, Tardigrades, Cachalots, Pourceaux, Pécaris, Acarus sarcopteScorpène horrible, Serpentaire reptilivore",  Moi, You.. Nevi..., tant qu'il en est encore temps, je vous adresse de l'extrémité de ma méticuleuse langue autour de laquelle s'enroulent les incertitudes pluvieuses du trépas, je vous adresse,... mon ultime prière, ma dernière... supplique... ombellifère, mon souhait le plus... alambiqué...parmi les ornières langagières qui cernent ma tête d'effroi, d'hébétude et de clinquantes passementeries. Tenez donc, au-devant de la quadrature mortelle de mes yeux enrubannés, l'image de ma Mère, afin qu'elle me soit le dernier Guide avant le baiser somptueux et écarlate de la Mort.

  "Enfant perdu parmi la multitude du monde et l'indifférence des tiens, ton vœu sera pleinement exaucé, révélation par laquelle le sens que tu as cherché ta vie durant te sera offert à la manière d'un bouquet de fleurs vénéneuses. Renaissant par mon baiser vitriolé, tu seras condamné à errer, ta mort éternelle, tournoyant autour des âmes qui, avant que ne fusses né, t'immolèrent en ôtant de ton chemin toute possibilité de te relier à quoi que ce fût qui eût concouru à assurer ta sérénité. Ainsi en a décidé l'histoire de ton destin: tu périras par celle qui fut ton origine. Adieu Youri !"

 

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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 09:53

 

Lucidité.

 

 

*Même si nos sens ne la perçoivent pas, la face cachée de la Lune n'en existe pas moins.

 

*Sans exigence, la lucidité ne sert à rien.

 

*Anorexie - Boulimie - Attributs du monde des nantis. Non ceux des peuples pauvres.

 

*Jamais un enfant ne se laisse mourir de faim par un simple renoncement du corps. Par un renoncement de l'âme. Poids sans pareils des affects.

 

*"Rêveries du promeneur solitaire" - Apodicticité. La solitude autorise le rêve, la multitude le détruit.

 

*L'essence du bonheur ne s'accomplit qu'à faire surgir du réel quelque dimension tragique. Loi des dissemblances.

 

 

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 10:04

 

Lucidité.

 

 

*Un excès du Principe de Raison et vous deviendrez pure stalactite.

 

*Bien des larmes sont de crocodiles : fleuves de l'insincérité.

 

*Être condamné et le savoir, un aiguillon pour la lucidité.                                                                   

 

*Parfois la myopie pour décupler la lucidité : aller y voir de plus près.

 

*Le point de vue sur les choses, souvent une cécité.

 

*Les pires ennemis : pouvoir; argent; gloire.  

 

*Satisfaction des désirs : perte des illusions.

 

*Nous ne voyons jamais le monde, seulement son image.

 

*Il y a urgence à savoir que nous ne savons pas. Evidence à répéter.

 

*Exorciser le mal, l'entailler jusqu'à l'âme.

 

 

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 09:41

 

Hors de soi : l'Ecriture

 

md 

 Source : Le Monde - 30 Juillet 2012

***

 Le texte d'Eléa Mannel :

   "Marguerite Duras est sans doute pour moi la source de mon inspiration. Elle n'aurait pas aimé que je dise cela. Elle aurait levé les yeux au ciel et rallumé une cigarette. J'entends sa voix. Quand j'écris. Elle lit, pour moi, les mots que je dessine et je dessine, pour elle, les femmes que je ne suis pas. Evidemment, je ne serai jamais elle et elle ne voudrait pas que je le sois. Ecrire, c'est son propre silence en peinture. Les tableaux qu'on accroche à nos vies, fantomatiques et qui nous suivent. Ecrire, c'est cette solitude confortable dans laquelle je m'assois. Elle n'a rien à envier. Elle n'est dédiée qu'à moi. On ne devrait jamais écrire pour les autres. C'est plein de mensonges et de révérences honteuses. 

  "On ne devrait écrire que pour la liberté d'être soi, pour l'hypothétique hypothèse de soi." (C'est moi qui souligne.)

  Rien ne nous définit vraiment.
Je vois les vides mieux que les choses. J'habille les non-dits, fais parler le mépris. J'essaie de mettre en évidence les nuances mieux que les couleurs. J'écris l’innommable, l'insondable, les vérités que l'on médit.
J'écris encore et encore même mal, même bien. J'écris parce que c'est ce que je sais faire... Parler de moi sans en avoir l'air. 
Faire parler le silence, c'est ça l'écriture."

Le texte de Marguerite Duras - "Ecrire".

(cité en référence par Eléa Mannell).

  "Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit des livres. C'est une solitude. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit. Je ne parlais de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j'avais déjà découvert que c'était écrire qu'il fallait que je fasse. J'en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Le seul jugement deRaymond Queneau, cette phrase-là : " Ne faites rien d'autre que ça, écrivez."

  En tant que commentaire :

  Deux thèmes récurrents, aussi bien chez Duras que chez Eléa Mannell : le silence; la solitude. Comme un leitmotiv ancré au centre du corps, une mélancolique antienne qui viendrait dire la difficulté, sinon l'impossibilité d'écrire.

  "Écrire. Je ne peux pas. Personne ne peut. Il faut le dire, on ne peut pas. Et on écrit."

                                                                                                  Duras - Ecrire.

  Habiter la solitude c'est habiter le silence. Habiter le silence, c'est écrire. Ecrire, c'est exister. Car, comment sortir de cette manière de logique infernale, sinon par la folie ? Renoncer à l'écriture, c'est accepter de renoncer à soi, c'est annexer le langage et en faire un fragment du corps comme peut l'être un membre, un viscère, une aire de peau. C'est amener l'écriture à n'être plus séparée, autonome, à n'être plus signe. Car le corps est un suaire pour toute parole qui s'y abîme. Car le corps est un marécage où les mots se dissolvent : simples rhizomes dans la mangrove où pullule la vie glauque, aquatique. Rien n'y est lisible sinon la confusion, l'égarement.

  Et, pourtant, le corps est toujours en question, il est le tremplin à partir duquel quelque chose se met à signifier. Simple perception, mince sensation au début, mais cela suffit. La solitude, le silence, comment en faire l'expérience, sinon par le biais de l'anatomie, de la physiologie ? Il y faut un métabolisme, un remuement intérieur, une angoisse. Jamais le silence, la solitude, ne pourront s'adresser à nous en tant que concept, idée, élaboration mentale. Non, ces états existentiels sont des abîmes, des girations, des gouffres qui creusent et, en creusant le corps, appellent. Appellent surtout. Car penser la solitude est d'abord un événement vécu du dedans, qui, par la suite, peut trouver dans la langue un naturel exutoire.

  "Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit."

                                                                                           Duras - Ecrire.

   Mais comment s'opère ce pur mystère, ce passage de l'aire somatique à l'aire du langage ? Certes, le corps est pourvu de zones affectées à telle ou telle fonction, - articuler, moduler -, mais toutes ces aires ne sont que des projections du langage. Elles ne sont pas DU langage. Le langage, l'écriture sont au-dehors,  là où brillent les mirages absolus, là où l'homme est appelé à témoigner, créer, sortir de la banalité qui le cerne de toutes parts. L'appel du langage nous dépasse toujours. Nous nous inscrivons dans son essence et non l'inverse. C'est le langage qui est premier. L'homme ne fait que parler, écrire, à sa suite. Tout ce qui sera écrit, il faudra aller le chercher au-dehors :

 "Il faut toujours une séparation d'avec les autres…"

                  Duras - Ecrire.

  Il faut toujours une séparation d'avec soi afin que le langage puisse être rejoint. C'est pour cela la douleur. C'est pour cela le silence, la solitude. C'est pour cela l'inatteignable. Comment être soi et ne l'être plus ? Comment être dans le silence et déjà écrire ? Comment éprouver la solitude et être entouré de mots, de phrases, de sens ? Il faut toujours une séparation d'avec soi. D'avec son corps. Être en apesanteur. Se détacher du réel. D'avec son identité, cette effigie qui vous assigne une place parmi les Existants. Il faut cesser d'être Marguerite Donnadieu pour devenir Marguerite Duras.

  "…écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie."

                                                                            Marguerite Duras - Ecrire.

  Oui, c'est bien cela, cette "autre personne" n'est que l'écrivain lui-même, cet être possédé par le langage au point de se confondre avec lui, au point de le rendre plus réel que le réel, de le confondre avec une totale liberté :

"On ne devrait écrire que pour la liberté d'être soi, pour l'hypothétique hypothèse de soi." 
                                                                                    
 Eléa Mannel.

 Merveilleuse formulation qui emprunte l'anaphore comme redoublement d'une certitude. Mais "l'hypothétique hypothèse de soi", n'est rien d'autre que le soi reconduit à ce que, depuis toujours, il cherche, cet absolu de l'écriture par lequel exister autrement que par son corps, autrement que par la quotidienneté. Incroyable liberté dans laquelle s'accomplit tout acte créatif vrai.

"Rien ne nous définit vraiment."

                   Eléa Mannel

  Ceci veut simplement dire que les contingences ne vous atteignent plus, qu'on est enfin arrivé hors-de-soi, dans le plein de l'écriture, dans la pure signification, autrement dit : dans l'art. Mais le "hors-de-soi", n'est jamais donné d'emblée, à la façon dont vos yeux sont verts; le "hors-de-soi" nécessite une ascèse, une irréductible volonté de connaître le langage du-dedans, la seule dimension dont il puisse être doté afin qu'il transcende le réel et puisse prétendre rayonner à sa juste mesure. Car l'erreur consisterait à vouloir écrire un roman, à raconter une histoire, à créer des personnages pour, en définitive, retomber dans l'anecdote. Connaître le langage du-dedans, veut dire devenir soi-même, en quelque sorte langage, le faire se produire hors du corps afin qu'il acquière une dimension universelle, seule contrée de l'art :

 "Les mots bondissent en moi, ils veulent jaillir de tous mes orifices et recouvrir l'espace."

                                   JMG. Le Clézio - Haï.

 Cette phrase résume, à elle seule, comment s'accomplit l'œuvre. Issu du corps, le langage du-dedans bondit hors-de-soi dans l'espace ouvert de l'écriture, devenant par cette seule conquête, liberté débouchant sur une transcendance. Ce que les mots couchés sur le papier doivent devenir afin de pouvoir prétendre être "écriture". S'ils ne le peuvent, ils se destinent à n'être que bavardage. Ce passage de l'espace du-dedans à celui du hors-de-soi a été une quête constante de l'humanité : des poètes, des peintres, des artistes de toutes sortes. Selon les époques, cet appel en direction du  passage s'appelait "absinthe", "mescaline", "alcool". Bien entendu il ne s'agissait que de subterfuges. La vérité était ailleurs, dans une recherche obstinée d'une esthétique à atteindre, donc d'une éthique, en définitive. L'écriture n'est que cela : être hors-de-soi vers une transcendance.

  C'est sans doute ce que voulait exprimer Marguerite Duras qui voyait dans "Le ravissement de Lol V.Stein", un tournant :

 "J'ai l'impression quelquefois que j'ai commencé à écrire avec ça, avec Le ravissement de Lol V.Stein…"

                                                     Les lieux de Marguerite Duras.  Editions de Minuit.

  Et encore, dans "Marguerite Duras à Montréal" - Editions Spirales :

  "L'écriture du Ravissement : Je suis dans l'impossibilité totale de vous dire comment ça s'est fait, ça s'est passé. Mais quand je (…) relis, je suis étonnée, je me dis : "Qu'est-ce qui m'est arrivé ? " Je ne comprends pas très bien. C'est comme ça, écrire. "

  Extraordinaire coïncidence, tout de même, que Duras ait eu l'impression de "commencer à écrire" avec le Ravissement. Mais qu'est-ce donc qu'un "ravissement", sinon un transport hors-de-soi, une extase, une transgression de ses propres frontières ? Et, proposant cette interprétation nous ne croyons nullement outrepasser l'événement dont l'écrivain avait été saisie. Mais que lui est-il donc arrivé ? Sinon ce surgissement dans l'espace immense de l'art dont parlait Le Clézio ? Le surgissement dans l'écriture majuscule dont la modernité étonne encore. Ecrire, c'est peut-être ne pas comprendre ce qui vous arrive. Et écrire quand même. Envers et contre tout.

 "On ne devrait écrire que pour la liberté d'être soi, pour l'hypothétique hypothèse de soi. "

 En épilogue, qu'il nous soit permis de citer à nouveau cette étonnante formulation d'Eléa Mannell, laquelle, sans doute nous en dit plus sur l'écriture que sa forme sibylline ne pourrait le laisser supposer!

 

 

 

 

 

 

 

                                                     

 

                      

 

 

                                                                                  

 

 

 

                                                                        

 

 

 

 

 

 

 

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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 09:00

 

La démesure du jour.

 

lddj 

Source : Kurdish Art. 

 

 

 Cette image, nous n'avons guère besoin d'en connaître la provenance, le pays, le lieu exact où se passe la scène. Toute dramaturgie est, par vocation, universelle. Toute faille dans laquelle l'humain plonge et dont il devient la victime se dote immédiatement, d'un langage clair, aisément perceptible. Alors, pourquoi gloser sur ce qui, à l'évidence, est pourvu dès l'origine d'un sens que nous pouvons qualifier de pléthorique ? Pourquoi oser encore la parole, pourquoi poser le problème qui surgit au plein jour et, aussitôt, devient une braise à partir de laquelle la conscience ne pourra trouver de repos. Car la force de la photographie de témoignage est de nous situer, d'emblée, au foyer, là où l'essentiel rayonne d'un sombre éclat. Fascination à laquelle notre quotidien égarement n'échappera pas quoi que nous fassions. C'est ainsi, certaines représentations se dotent de la puissance de l'icône et, dès lors, nous sommes "reliés" - l'une des significations du mot "religion" -, mais "reliés " à quoi est-on en mesure de se demander ?  Mais tout simplement à l'essence de l'homme, au concept d'humanité, aux préceptes de l'humanisme.

  Car, ici, c'est bien de l'homme dont il s'agit. De l'homme en tant que conscience ouverte sur les problèmes du monde; de l'homme dans une perspective axiologique, lequel ne poursuit son chemin qu'à l'aune des constellations des valeurs fondamentales; de l'homme inclinant par simple devoir d'Existant aux préceptes d'une éthique. Vivre n'est qu'offrir le consentement à une ouverture face au visage de l'altérité. Dès que nous sortons de notre forteresse enclose dans ses propres principes - que nous croyons salvateurs -, s'éclairent les multiples perspectives selon lesquelles la figure de l'Autre nous apparaît, en même temps qu'elle nous questionne. Le miroir que nous tend le monde n'est jamais à regarder comme une simple esthétique, à savoir comme le théâtre de formes pleines sur lesquelles glisserait notre regard après qu'un bref jugement de l'ordre de la beauté a été posé. Si ce n'était que cela, alors, de cette image, nous pourrions dire qu'elle est belle, d'abord en tant que proposition plastique, ensuite parce qu'elle isole, parmi les sujets du vivant, une situation aisément compréhensible. A l'esthétique, il faut cette claire lisibilité, à défaut de tomber dans la confusion et le chaos, lesquels ne peuvent recevoir de langage commis à en définir les contours. L'esthétique est toujours une forme s'enlevant sur un fond, ainsi en a décidé, de manière très pertinente, la Gestalt-théorie ou Psychologie de la forme.

  Mais, toute proposition esthétique, aussi aboutie fût-elle, ne saurait porter le regard au devant d'un objet et, ensuite, s'y abîmer, sans plus. Prendre acte, suppose toujours, de faire retour sur soi. Et de méditer ce qui nous a été donné à voir. Ainsi en est-il de cette image comme de toute facette du monde venant à notre encontre avec une charge de signification suffisante. Regardant et nous éloignant, vaquant à nos occupations contingentes, nous sentons bien qu'il y a quelque chose de l'ordre d'un manque, d'une insuffisance foncière à pénétrer au cœur du vivant, d'en éprouver la chair vive. Jamais la vision ne peut se confier à une telle absence, sauf chez l'aliéné, dont la perception du réel est déformée. Car, si nous renoncions à voir ce qui veut se dire, nous nous situerions irrémédiablement dans une manière de déni de nous-mêmes, en même temps que nous nous enliserions dans la démesure du jour. Cette démesure qui n'est que le chiffre de la déshérence humaine.

  Imaginons un instant les choses sous l'angle de la métaphore. La nuit est partout répandue avec ses écharpes d'ombre, ses nappes de suie, ses corridors de ténèbres. Non une nuit disposée à la clarté poétique des étoiles, au chant lisse de la Voie Lactée, aux clignotements des lucioles. Non, l'opposé, à savoir une nuit d'encre et de bitume, une nuit lourde, compacte, collant ses ventouses au ventre de la terre. Longue dérive inconsciente du monde, perdition des choses occluses dans un ombilic étroit. Puis vient l'aube grise, puis l'aurore aux teintes d'argile, puis enfin la lumière fécondant la nature. Le Soleil - que nous considérerons selon le concept platonicien du Bien souverain -, fait ses étoilements, lance ses rayons dans toutes les directions de l'espace, faisant apparaître, ici et là, d'humbles mais éclairantes vérités dont les humains emplissent leurs yeux afin de connaître la beauté de toute chose. "Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles" si le miel solaire répandait partout ses merveilleuses gemmes, s'il coulait jusqu'au fond des vallées et des abîmes, s'il remplissait chaque âme humaine d'une nécessaire complétude, d'une heureuse plénitude.  

  Malheureusement il n'en est pas ainsi et, toujours, dans quelque recoin exposé à l'ubac de l'existence, subsistent des poches d'ombre, de ténébreux sillons dans lesquels se débattent, pareillement à des chrysalides que l'évolution aurait oubliées, des formes en voie de constitution, mais voués à s'arrêter en cours de métamorphose, apercevant le merveilleux papillon, la belle Uranie aux ailes phosphorescentes alors qu'ils ne pourront jamais prétendre qu'à l'inachèvement, l'incomplétude, le manque-à-être.  La démesure du jour est cet oubli solaire, cette cécité humaine, ce chemin laissant aux buissons des aventures forcloses avant que d'avoir décillé leurs yeux et s'être ouverts à la clarté dont, tous sur terre, nous chantons l'hymne sans même en apercevoir les dissonances, sans en repérer les syncopes. Cependant, il n'est jamais trop tard pour nous accorder à ce qui s'imprime en filigrane sur la scène mondaine et que nous feignons d'ignorer. Bien des vérités se développent à bas bruit comme de sournoises maladies, embusquées dans l'ombre, en attendant de pouvoir éclore dans la touffeur des consciences.

  De cette fillette se protégeant des assauts d'une trop vive lumière - tout regard est de cet ordre -, de ce petit garçon lové dans une manière de réassurance narcissique, nous n'avons pas parlé. A moins que le discours métaphorique ici présent, les ait dissimulés à nos yeux de chiots nouveau-nés ! Alors, regardons-les, avec les yeux de l'âme, afin qu'en nous puisse éclore ce qui toujours aurait dû s'inscrire à l'orée de notre conscience, dont nous sommes redevables, à savoir une constante disposition à l'Autre!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 08:57

 

  Enfin, vous l'aurez compris, cette procession exhaustive d'animaux de toutes sortes, non seulement mimait le récit de la Genèse avant le Déluge, lorsque Noé avait embarqué tout ce qui vivait à la surface de la Terre, mais figurait également la grande variété humaine, laquelle essaimait sur les cinq continents les épiphanies diversement colorées de la grande geste universelle, en même temps qu'elle livrait au plein jour les pures merveilles dont les civilisations étaient les fières détentrices, aussi bien que les mœurs les plus abrasives, les conduites les plus consternantes. On aura perçu que, loin de vouloir dresser un inventaire trop sombre des divers aléas dans lesquels baignaient les descendants d'Adam et Eve, le parti pris, ici, est de raconter le plus naturellement du monde, sans exagération ni idée préconçue, les tribulations et l'esseulement d'un Exilé parmi la foule dense et laborieuse et égoïstement occupée à regarder le centre de son ombilic faire sa petite dentelle laborieuse. Sans doute certains trouveront-ils le trait un rien charbonneux, les contours dessinés à la suie. Là est parfaitement leur droit. Qu'ils veuillent cependant considérer que, dans le juste souci de ne pas les aliéner dans une lecture qui leur serait insoutenable, l'Auteur a pris soin de gommer les aspérités afin que seule une épure directement observable demeurât.

  Donc, après cette parenthèse, laquelle est moins une justification qu'une nécessaire mise au point voulant faire émerger le souci de vérité avec lequel ces quelques trop rapides tableaux ont été brossés, nous nous contenterons d'être de bien attentifs spectateurs du Grand Cirque au centre duquel s'agitent lions, hippopotames, dresseurs, et autres saltimbanques.  Cher Lecteur privilégié qui as pris place à mes côtés, je te laisse maintenant le soin de décrire, par le menu et en toute conscience, les principaux événements qu'il nous est donné de voir, afin que tes pairs, les autres Lecteurs, ne puissent me faire un procès en sorcellerie. Sorcellerie dont, du reste, à mon grand désarroi, je ne possède pas le sésame. Donc, après ces prolégomènes, je me dispose à t'écouter avec la plus grande attention et, vois-tu, afin de mieux saisir la scène, de l'intérieur, pourrait-on dire, me voici en train de clore les yeux. Ceci est propice à la méditation.

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Mais, Lecteur, aurais-tu succombé au délicieux spectacle qui nous fait face dans sa généreuse démesure ? De toi, je ne perçois plus guère que quelques minces plaintes pareilles aux vagissements du jeune enfant.  Ne serais-tu pas, par hasard, en train d'endosser sur tes frêles épaules la charge incommensurable de l'incurie humaine ? Et quand bien même tu te sacrifierais, crois-tu donc, naïvement, que ta modeste personne pût, à elle seule, effacer l'ardoise sur laquelle depuis des temps proprement antiques l'homme inscrit ses manquements, grave de son stylet  aigu les griffures de ses vicissitudes ? Mais, parmi la confusion de tes plaintes, je perçois la voix à peine audible de Your Nevid, lequel semble régresser vers ses rives premières, cherchant, sans doute, fiévreusement, en un ultime effort à retrouver ce que furent ses racines. Ecoutons-le, si tu le veux bien, et je sais que ta bien naturelle curiosité ne saurait se priver des délices d'une connaissance des choses sublimes qui, du moins faut-il en faire l'hypothèse, se doivent présenter à la conscience de tout Partant pour l'au-delà, alors que se soulève à peine la lourde et empourprée tenture derrière laquelle le Néant ourdit ses merveilleux complots.

 

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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 08:50

 

Lucidité.

 

 

*L'innocence n'est que le reflux de la lucidité.

 

*Gratte la peau des choses. L'essence n'est jamais bien loin. Il suffit d'aiguiser ses pupilles.

 

*Farde ton visage, il restera toujours les rides de la conscience.

 

*De ta nuque tu n'auras jamais qu'une image. Etrangeté à soi.

 

*Offre à ta lucidité la braise vive de "considérations intempestives". Planche de salut.

 

*Trempe ton calame dans l'acide et dénonce la comédie humaine.

 

*Semer à tout vent les graines de la conscience.

 

*L'esprit n'est donné qu'à ceux qui le cherchent.

 

*Ecouter le chant du monde. Souvent une triste mélopée.

 

*L'étonnement est à l'origine de la Philosophie. Le non-étonnement est à l'origine de la société moderne.

 

*Le "zapping" ou l'art de vouer sa conscience aux gémonies

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 09:31

 

  Lecteur, mon Compagnon d'infortune - nous nous plaignons toujours de notre sort, alors que l'arène regorge de sang et de viscères écartelés - tirons une dernière gloire de ce spectacle à nul autre pareil. Rares sont les moments où la pure barbarie montre son hideux visage. Serons-nous assez forts pour le dévisager jusqu'au bout ?  Mais, pourquoi logez-vous vos coudes de sauterelle hargneuse dans mes côtes étriquées ? Mais vous semblez, à proprement parler, fasciné par cette vision dantesque. Ceci n'est rien que de normal. On est toujours amusé du malheur des autres et quel bonheur, quel ravissement que d'annoncer, tout à trac, au milieu d'une joyeuse assemblée, la sordide nouvelle - un accident bien juteux par exemple, ourdi par un implacable destin -, laquelle nouvelle figera les traits des participants selon une mimique tragique : l'image de la Mort elle-même s'imprimant provisoirement sur l'arcade de la mandibule, l'aplat  du maxillaire, l'arrondi du casque frontal, alors qu'apparaissent, avec une forme d'évidence ultime, les fosses nocturnes des orbites. Puis, le vin aidant, la chaude familiarité faisant ses circonvolutions laineuses, les os, un moment apparus, se retireront derrière la souplesse des chairs, l'élasticité des tissus, attendant que la faille mortelle s'ouvre à nouveau par où soufflera, un jour, l'air définitif des catacombes.

  Mais voyez plutôt l'habileté de la femelle Requin à prélever, du bout de ses précieuses et délicates quenottes, quelque morceau de choix, un bout de foie, un bout de rein, et le pou boulottant quelque reste de cuir chevelu ne force-t-il pas votre admiration ? Quant au scolopendre, quelle disposition au mimétisme, tout de même ! L'apercevez-vous, dissimulé qu'il est grâce à l'entrelacement de ses milliers de pattes avec le faisceau vertébral ? Et seriez-vous au moins capable de démêler le corps de l'insecte de celui de Nevidimyj, dont, il faut bien le reconnaître, nous n'avons plus pour l'instant que la silhouette révélée par des rayons-X. Comment isoler l'atlas, l'axis, le sacrum de ce fourmillement proprement inconcevable, comment séparer l'animalité de l'humanité ? Certes, vous avez raison, il n'est guère utile d'en arriver à cette figure d'écorché vif pour percevoir, en l'homme, les mouvements du reptile, les coups de queue du saurien, pour constater que, en arrière des lèvres, s'agitent, en cadence les pièces aiguës, infiniment mobiles et dévastatrices des mandibules. D'ordinaire, la peau, le derme cachent la vérité. Ici elle est "tout nue" si vous me permettez cette expression triviale.

  Parfois, tendez votre oreille, vous percevrez au milieu des cahotements de l'Omnibus - il ne roule pas, ce sont seulement les convulsions internes qui l'habitent qui donnent l'illusion d'avancer, alors que nos ne faisons que du sur-place existentiel -, vous entendrez, parmi les feulements et autres glapissements les cris du Russe, lequel cloué au pilori, perd peu à peu sa consistance humaine, rétrocédant vers une forme éthérée, laquelle après le dernier vagissement, ne sera plus circonscrite qu'aux linéaments de l'esprit, puis aux vagues et presque imperceptibles contours de l'âme, avant que de disparaître, aspiré par la bonde suceuse du Néant.

  Mais il est encore temps d'assister à quelques saynètes avant que le Destin lui-même ne démonte la scène, range les accessoires jusqu'à la prochaine représentation. Pêle-mêle, étrange mélange de pinces et de pattes, d'antennes et d'yeux globuleux, à facettes ou bien lisses, d'ailes diaphanes et de thorax cuirassés, de queues coupées ou terminées par un trident, de griffes et d'abdomens annelés, de tarières et de nageoires, d'évents et d'ailerons, d'aiguillons et de maxillaires, de cordes nerveuses et de lores, de scapulaires et de manteaux, de cires et d'écailles, de sonnettes et de fourrures, de crochets et de fossettes, de glottes et de dents, de calottes et de caroncules, de doigts et de rectrices, de rémiges et de palmes, et encore toute une déclinaison anatomique dont nous ferons grâce au Lecteur, les Racinaires et Pédonculeux Passagers de l'Omnibus (dont tout un chacun aura compris qu'ils ne sont que la transposition métaphorique de Ceux et Celles confiant leurs minces destins aux ondulations et entrechats de la Ligne 27), donc les Convoyés ne s'illustrant plus, dans la pénombre propice à tous les crimes, que sous les auspices d'un aimable bestiaire dont on voudra bien considérer que les présentes occupations, si elles sont bien entretenues par le feu de la haine à l'encontre du Déjà-embarqué-pour-l'Achéron, n'en sont pas moins soutenues par une louable volonté de rendre au Coche des rues, une mine plus présentable avant que de rentrer au bercail. Et, à bien les observer, l'on eût pu se distraire à les classer en une infinité de catégories. On trouvait, par exemple, parmi cette joyeuse troupe : Artiodactyles et carnivorescétacés et  chirpotères ; dermoptères et hyracoïdés; insectivores et lagomorphes ; macroscélidés et marsupiaux ; monotrèmes et périssodactyles ; pholidotes et  pinnipèdes ; primates et proboscidiens ;rongeurs et scandentia ;  siréniens et tubilidentésxénarthres et ansériformesapodiformes et  aptérygiformescaprimulgiformes et casuariiformes ; charadriformes ;  ciconiiformes et coliiformes ;  columbiformes et cuculiformes ; falconiformes et galliformes ;  gaviiformes et gruiformes ;  passériformes et pélécaniformes;  phoenicoptériformes et piciformes ; podicipédiformes et procellariiformes ; psittaciformes et ptéroclidiformes ; rhéiformes et sphénisciformes ;  strigiformes et struthioniformes ; tinamiformes et trogoniformes ; chéloniens et crocodiliens ; rhynchocéphales et saurophidiens ; anoures et gymnophiones ; urodèles et agnathes ; chondrichtyens et ostéichtyens.

 

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 09:20

 

Le champ aliéné.

 

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Champ de blé aux corbeaux.

Vincent van Gogh.

Musée van Gogh - Amsterdam.

Source : ART MANIAC.

  

 

 On a déjà beaucoup glosé sur l'œuvre de Van Gogh et singulièrement sur celle-ci qui reste empreinte de mystère. S'agit-il du dernier tableau du Hollandais ? S'est-il tiré une balle dans la poitrine alors qu'il venait de terminer sa peinture ? Mais peu importe. Ces questions, au regard de l'art, sont contingentes et leur résolution n'apporterait rien de plus à la compréhension des toiles, pas plus qu'à la personnalité complexe d'un Vincent en proie aux affres de l'exister, dont l'ensemble de la création témoigne à la façon d'un vigoureux cri. Car, lorsqu'on est ce peintre de génie, on n'a de cesse de questionner son art, donc de se questionner soi-même. C'est de l'homme dont il s'agit avant toute autre considération périphérique, c'est de l'homme universel dont Vincent est la figure exacerbée, la déclinaison tragique.Vincent en tant que cristallisation d'une condition humaine totalement ouverte aux déraisons de tous ordres, aux coups de boutoir permanents de l'absurde. La peinture est un exutoire ou, du moins, devrait-elle l'être.

  De son corps torturé, l'on peut sortir par le maniement des couleurs. C'est à cela qu'il faut croire. De son corps en éruption, il faut tirer le jaune, cette irradiation solaire qui envahit le zénith, pénètre l'esprit incandescent, illumine l'âme de son extase fusionnelle. Au jaune l'on ne peut résister. Le jaune est ce contrepoison grâce auquel s'enfouissent  les teintes mortifères, plombées, précipitant la vie dans une sombre occlusion. Le jaune envahit tout, colore tout, sublime tout. Aussi bien le chapeau de paille de l'Artiste, que la chaise de sa chambre à Arles, aussi bien les fameux "Tournesols" dont le rayonnement, l'héliocentrisme sont comme un cosmos s'ouvrant à l'infini, chassant la pieuvre ombreuse de la mélancolie. Peindre le jaune ne peut se faire que dans une sorte de fièvre, un jaillissement de geyser, une éruption volcanique. Au contact de la toile, le pinceau est un calame qui empâte la surface blanche de ses éjaculations rapides, de ses stigmates gravant, dans un geste se voulant salvateur de sa propre nature, le chiffre du monde. Comme une imposition des mains d'un chaman en transe qui pose sur le possédé les signes de la libération. La peinture comme un rituel, un exorcisme, un arrachement de soi en direction d'un être-au-monde  doué d'autonomie, excipant de ses sourdes angoisses.

  On n'est pas Van Gogh sans ce vibrant tellurisme agissant en sous-sol, juste sous la croûte de l'épiderme. Ça bouillonne, ça fuse, ça fait ses scories internes, ça s'agite, ça convulse, ça rue continuellement, ça menace de s'écouler, ça abrase les chairs, ça ronge jusqu'à la charpente d'os. C'est ainsi. Il faut être par la peinture ou bien se disposer à disparaître. Et ceci, Vincent le sait depuis la moindre de ses cellules, à partir des agitations de son sang, des pulsions de sa lymphe. Il n'y a pas de repos intérieur, pas plus qu'il n'y a de halte à l'extérieur du corps. Toute est faucille, yatagan à la lame courbe, dague prête à bondir. Alors l'on peint jusqu'à l'exténuation, tout au bord de la syncope, là où s'atteint le ravissement aussi bien que son envers, la chute mortelle.

  Mais le jaune, intense, vigoureux, palpable jusqu'en sa pâte souple et odorante, maternelle en un certain sens, cache bien d'autres teintes. Il faut tenir compte de la couleur complémentaire, ce bleu intense, violent outre-mer maculant le ciel de ses balafres éruptives. On est aux limites de l'infini, là où les choses, pourvues d'un autre langage deviennent incompréhensibles, non préhensibles, ni par la couleur, ni par les ressources de l'esprit. On est sur le bord de soi, comme prêts d'une étrange disparition dans ce qui, sans prédicat, les possède tous. Alors, comment faire face à l'innommable, sinon en dissimulant l'océan lourd de menaces de traces nocturnes pareilles aux ciels d'orage, de touches de blanc venant tempérer l'ardeur du tout à confondre l'âme dans sa proche perte. Et déjà se devinent les premiers assauts qui signeront l'épilogue. Les chemins divergent et se cernent de vert assourdi, de rouge éteint. La dissonance des couleurs est là qui guette, la pieuvre déploie ses tentacules. Le jaune bascule sous les assauts de ce qui veut dire crimes et passions vénéneuses, présence démoniaque, angoisse peinte à l'aune du sang qui, déjà, vire au sombre. Il est trop tard pour rétrocéder, inventer des tableaux aux teintes douces, équilibrées. Et puis, ce ne serait que simagrées et compromissions. La violence, on l'a en soi de la même façon que l'on a les yeux profonds, cernés de finitude.

  Le champ de blé est, à l'évidence, la représentation de Van Gogh achevant son périple de peintre, son parcours d'homme. Vincent, ce 27 Juillet 1890, lorsqu'il quitte l'auberge pour se rendre devant le paysage qui l'occupe - ou le préoccupe -, a-t-il conscience de son basculement proche, a-t-il une vague prémonition de sa fin, de ce chemin de campagne qui semble ne déboucher sur rien, à la manière d'un destin joué à l'avance ? La présence, dans une des poches de sa veste, d'une lettre destinée à son frère semblerait attester l'idée d'un possible passage à l'acte définitif :

 "Mon travail à moi, j'y risque ma vie, et ma raison y a sombré à moitié".

 Dans peu de temps, il écrira dans l'espace de sa toile les derniers signes, le lexique avant-coureur d'une œuvre bientôt posthume. Les corbeaux, tels des shurikens, ces lames commises à moissonner les têtes, survolent le champ aliéné qu'est devenu Vincent, emportant déjà son âme en direction de cet infini que le bleu voulait rendre présent mais qui, en définitive, n'est que la représentation symbolique d'une absence. Le chromatisme existentiel est ainsi fait qu'il allume ses jaunes vibrants, avant que ne s'inscrive le bleu jouant en contrepoint, alors qu'en sourdine le rouge affûte ses canines et le noir ses mortelles incisives. Van Gogh, tout cela il le savait. On n'est pas un génie à vivre distraitement parmi les hommes. La flamme de la lucidité dévore ceux dont le regard porte au loin. Ceci est, sans doute, une réalité indépassable !

  Antonin Artaud, cet autre génie singulier, avait bien repéré le fait, pour Vincent, de choisir la violence de la peinture, sa radicalité existentielle, la mort vers laquelle elle inclinait, plutôt que de se laisser aller à des compromissions avec son art ou bien en direction d'une société qui ne le comprenait pas, c'est-à-dire, ne l'accueillait pas en son sein : 
 

  "Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ? C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain. […] Car un aliéné est aussi un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités".

 Antonin Artaud - " Van Gogh, le suicidé de la société".
                          

 

 

 

 

  

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