***
[Il s’agit ici d’un long texte, réponse aux remarques de Joël Moutel. On notera l’aspect formel de ce texte qui présente l’allure générale du poème avec ses vers courts, ses retours à la ligne. En réalité, la formulation n’est nullement poétique, bien plutôt « sémantique », elle qui a pour souci, au motif du détachement, de la mise en lumière de certaines de ses parties, de faire paraître de façon clairement visible le procès de la pensée, les étagements conceptuels, les enchaînements logiques, les oppositions binaires, enfin tout artefact contribuant à l’exhaussement de ce qu’il y a à comprendre et risquerait la dilution dans une présentation graphique canonique, longue suite de signifiants dont le flux étouffe, parfois, le cours de la réflexion, manière de plaine monotone d’où nul relief ne s’élève. Il s’agit donc de topographie intellectuelle et de rien d’autre dont la langue dissimulerait la parution.]
Les remarques de Joël Moutel (fragment, suite) :
« tu voudrais écrire avec beaucoup d'espace autour de peu de mots tu hais l'excès de mots tu voudrais n'écrire qu'avec des mots rares insérés dans un grand silence tu ne veux pas de mots qui déchirent le silence le vide autour d'eux mais des mots qui fassent parler ces vides et ces silences car c'est en eux que git le sens les mots doivent accentuer le silence le vide ou plutôt un espace inspiré pourquoi tant de mots il en faut si peu pour dire les quelques grandes choses qui comptent dans la vie se contenter de tracer juste quelques mots sur un grand fond de silence mais trouver ces mots ces mots capables de représenter ce silence d'animer ce blanc en fait il s'agit de trouver un juste dosage entre le dit et le non-dit un non-dit plus gros de sens que tous les mots que l'on peut tisser ensemble. » (C’est nous qui accentuons)
Mon commentaire :
Tout au long de ces « conciliabules avec lui-même » (on est toujours seul dans la tâche de l’écriture), Joël Moutel nous a habitués à faire alterner les mots du commun le plus prosaïque avec des mots de réflexion sur des sujets bien plus profonds que ceux abordés par le langage mondain. Aujourd’hui, placés sous la bannière du Silence et du Vide, ces mots nous nous proposons de leur donner un écho, de les amplifier à l’aune d’une singularité évidemment totalement subjective. Du texte de Joël, nous prélèverons quelques extraits qui nous paraissent les plus signifiants, les ouvrant en quelque sorte à un avenir dont il se pourrait qu’ils puissent tracer un hypothétique chemin de pensée. Ces éclairages particuliers, les voici résumés au travers de quelques assertions bien senties qu’il serait dommageable de laisser en repos :
des mots rares insérés dans un grand silence
des mots qui fassent parler ces vides et ces silences
les mots doivent accentuer le silence le vide
ces mots capables de représenter ce silence d’animer ce blanc
un non-dit plus gros de sens que tous les mots que l’on peut tisser ensemble
Et, à l’intérieur même de ces réflexions, tâchons de tirer l’essentiel qui, pour nous, se résume en ces mots-phares, en ces mots-orient d’un sens à immédiatement proférer :
« Parler, accentuer, animer
Donner sens
A ces Vides
A ces Silences »
*
Le silence, le silence existe-t-il vraiment ou bien est-il un simple dessin, un trou que notre imaginaire ménagerait au sein de la marée invasive du langage afin d’instaurer une pause, de faire halte, de nous ressourcer en quelque manière, en tant qu’Existant, à l’aune de cette parenthèse productrice de calme et de joie ? Autrement dit, le silence n’est-il une simple invention que l’Homme aurait trouvée afin de reprendre haleine au milieu de cette course éprouvante nommée « Vie » ? Si nous prêtons l’oreille à ce qui nous est extérieur, nous faisons l’amer constat que tout est plein, que nul hiatus ne s’introduit parmi les mailles enchevêtrées du réel, que le compact domine, que le pluriel foisonne, que le temps se précipite, que l’espace ne présente nulle faille mais un irréel continuum au centre duquel, comme en un vortex, nous tournoyons à l’infini de qui-nous-sommes, sans même pouvoir prendre quelque distance que ce soit par rapport à l’étroite mesure de notre corps, par rapport à la coursive en forme de meurtrière de notre esprit. Il y aurait comme une camisole de force en laquelle notre soi-disant liberté se métamorphoserait en définitive aliénation.
Å l’évidence, c’est d’un bruit de fond permanent dont nous devons, à nos corps défendants, établir le constat.
Bruit de fond de l’Univers, glissement rapide des étoiles dans le lointain cosmos, assourdissante musique des sphères, expansion continue de la matière qui se dilate, se déchire, feule à la manière d’un animal sauvage.
Bruit de fond du Monde, mugissement de la gueule rubescente des volcans, craquement des failles telluriques et, surtout, bruit des paroles des colloques pluriels qui émaillent les couloirs de la Terre en tous sens. La Condition Humaine est terriblement bavarde, faisant, souvent, le plus mauvais usage de cette essence des mots qui la détermine cette Condition, la désigne en tant que l’évidence première parmi le grouillement animal, la luxuriance végétale.
Bruit de fond de l’Homme qui s’enlève sur celui du Monde, sur celui de l’Univers. Comme si une étrange spirale venait de la nuit des temps, de l’abîme de l’espace, portant en ses basques la totalité de ces sons assemblés dont l’étrange dessein serait de nous enserrer, nous-les-Humains en cette sorte de toile abrasive dont le constant travail ne pourrait se solder que par une présence réduite à la portion congrue. Ce qu’il faut entendre, en cette métaphore strictement mécanique, que tout est partout à l’œuvre pour nous tromper, nous abuser, nous conduire à la déshérence. Il nous faut donc
desserrer les mors du réel,
nous exonérer du Plein
à la force du Vide,
nous dispenser des Bruits
à la mesure du Silence.
Il nous faut dilater ce qui peut l’être, ouvrir ce qui est occlus, éclairer ce qui est ombreux. Il nous faut sortir de ce pessimisme ambiant, trouver du sens, y compris dans les vertus microscopiques de ce qui-vient-à-nous sur le mode du presque absentement, de la nullité productrice d’une active et bien dommageable mélancolie.
Ce dont il nous faire le postulat :
que l’ordre naturel des choses
peut être inversé par la nature
de notre conscience intentionnelle,
que nous pouvons, à tout instant,
prendre en considération
le Blanc en lieu et place du Noir,
décréter le Jour afin de repousser la Nuit,
substituer le Poème à la Prose,
tirer le Chant du pur Silence.
Ces vives oppositions,
ces contrariétés naturelles,
Blanc/Noir,
Jour/Nuit,
Poème/Prose,
Chant/Silence
ne sont nullement des exigences logiques mais des nécessités d’essence ontologique, ce-qui-est, comme Janus, est nécessairement à deux faces et, en tant qu’Hommes vigilants, il nous est demandé d’en inventorier les esquisses plurielles.
Ainsi, si nous reprenons les propositions de Joël Moutel, à savoir « ces Vides », « ces Silences », si nous prenons le soin de les faire « Parler », de les « Accentuer », de les « Animer », de leur « donner Sens », nous aurons tout simplement ouvert la voie au plus vif de cette dialectique existentielle dont nous sommes, parfois, les heureux Médiateurs. Pôles de médiation mais aussi Forces de résilience d’où le-tout-des-choses peut venir à la forme, s’épanouir, s’éployer au large de qui-l’on-est,
se donner pour ces signes qui,
se faisant, nous font
au plein de notre Être.
Au constat de ce Plein qui sature nos existences,
nous opposerons sans cesse ce Vide,
cette lumière en tant que jeu entre les choses,
au Bruit nous substituerons le Silence.
Vide, Silence, nous tâcherons de les mettre en exergue au travers de quelques simples modalités que nous trouverons aussi bien
dans la mise en perspective des Paysages,
mais aussi dans le concept des « souffles vitaux »
tels qu’évoqués par François Cheng,
dans le geste poétique d’André du Bouchet,
dans la méditation philosophique d’Henri Maldiney
sur la signification de la « Montagne Sainte-Victoire »
telle que vue par la peinture de Cézanne.
Perspective des Paysages
Tous, nous connaissons ces paysages saturés de présences multiples telles que produites par le fourmillement de la jungle, l’enchevêtrement des mangroves, la profusion matérielle des chaos rocheux et autres sites volcaniques, tous se donnant pour des formes originaires de la Nature en ses premiers et effectifs essais de parution mondaine. Encore convulsive, encore habitée des soubresauts primitifs de la matière en fusion.
La Jungle avec le lion d'Henri Rousseau
*
Prenons pour thème de méditation « La jungle avec le lion », d’Henri Rousseau, en tant que forme-archétype qui, tout aussi bien, pourrait servir de modèle à l’abord et à la compréhension des mangroves et autres sites volcaniques qui nous posent problème à la seule vision de leur illisibilité. Imaginons le Lion sous une forme Humaine, présence évidente au centre du tableau. Partout règne le plein, la luxuriance végétale qui colonisent l’espace, ne laissent nulle échappatoire au gré de laquelle recouvrer une liberté perdue. Donc, l’Homme-Lion est entièrement cerné de ces larges feuilles d’herbe, de ces palmes semblables aux éventails des fougères, des hautes et invasives ramures des arbres qui colonisent l’espace et ne laissent nul intervalle par où s’exonérer du poids d’un incontournable réel. Il y a comme une action conjuguée des choses qui fomentent, dans l’ombre, de bien étranges projets, sans doute réduire l’Homme à néant, le phagocyter en quelque sorte, le réduire à la seule et unique valeur d’un Plein muet, atone, aussi bien insondable qu’indépassable.
Certes, les Observateurs attentifs pointeront la sourde nitescence de la Lune, la lactescence du ciel, trouveront en leur évocation la possibilité de créer une ouverture, d’instaurer un sentiment de possible liberté. Ceci n’est nullement faux, mais ceci s’inscrivant hors la conscience Humaine, demeure un argument périphérique, de surcroît, dont le sens ne peut que chuter sitôt abordé, au motif qu’il ne possède nulle raison d’être. Les choses de la Nature sont nécessairement amorphes dès l’instant où elles sont délaissées par le rayon d’un regard qui les féconde intérieurement, les porte à l’évidence d’une manifestation lucide, pensante, judicieuse.
Installer un Vide,
faire naître un Silence,
ceci avec toute la charge de sens
qui leur est nécessairement associée,
seule une Conscience vigilante le peut.
Si, de la touffeur ambiante, quelques mots peuvent se lever de façon à désobstruer l’horizon, ce seront bien des énonciations strictement humaines (léonines en l’occurrence) qui en constitueront les fondements. Des mots, mais également des postures imaginaires, des météores oniriques, des méditations poétiques.
Si l’Homme-Lion se situe au point focal de l’image, cela suppose qu’il s’agit là d’un foyer, d’un point d’irradiation autour de qui tout s’ordonnera sous le signe éminent d’une signification. Tous les oculi percés dans le derme de l’exister ne le sont qu’à la mesure d’une intention qui en anime la sourde substance. Attendre de la Matière, attendre de la Nature, attendre de la feuille et du tronc l’émission d’un signifié actif, « performatif » pourrait-on dire, est attitude naïve, la même que celle qui se manifeste chez le tout jeune Enfant projetant sur son environnement le surgissement toujours possible d’une magie, d’une surréalité à portée de la main. C’est bien l’activité conceptuelle, la disposition noétique de l’Homme qui clament sa puissance, identique à la force léonine, si calme, si posée dans le tableau, mais tellement pleine de promesses, d’incisions dans le tissu ténu du vivant :
Être Soi, malgré
ce qui enserre et contrait,
cette jungle symbolique
qui ne demande qu’à éclore,
à devenir simple clairière
sous la poussée bienfaisante
et productrice
du regard humain.
Jusqu’ici, Vide et Silence n’ont trouvé que leurs natives prérogatives, à la manière d’une lente buée émergeant de la pellicule d’eau d’un étang. Lui donner une ampleur nouvelle sera l’objet des réflexions qui suivent.
« Souffles vitaux », selon François Cheng
On prendra soin de noter ici cette remarque essentielle :
Vide, Silence, Souffle,
sont à interpréter
en tant qu’Intervalles,
espace de sens inséré
entre deux signifiants :
intervalle
entre deux mots,
entre deux sons musicaux,
entre deux traits de pinceaux,
entre deux respirations,
tous ces signes renvoyant le microcosme Humain à la dimension macroscopique hyper-spatiale de la Nature. Mais écoutons les propos de François Cheng dans « Vide et plein, le langage pictural chinois » :
« Wang Wei : ‘’Au moyen du menu pinceau, recréer le corps immense du Vide.
’’ Tsung Ping : ‘’Le contact spirituel une fois établi, les formes essentielles seront réalisées ; de même sera capté l’Esprit de l’univers. (…) D’où la primauté accordée à la notion de souffle. Si l’univers procède du Souffle primordial et ne se meut que grâce aux souffles vitaux, il faut que ces mêmes souffles animent la peinture. »
Et, encore :
« Dans la peinture comme dans l’univers, sans le Vide, les souffles ne circuleraient pas, le Yin-Yang n’opérerait pas. Sans lui, le Trait, qui implique volume et lumière, rythme et couleur, ne saurait manifester toutes ses virtualités. Ainsi, dans les réalisations d’un tableau, le Vide intervient à tous les niveaux, depuis les traits de base jusqu’à la composition d’ensemble. Il est signe parmi les signes, assurant au système pictural son efficace et son unité. »
« Cascade sur le mont Lu » de Shih-T’ao nous donnera le prétexte de repérer, dans la figuration, ces souffles de l’Homme, aussi bien de la Nature qui valent au titre de leur écart, de leur différence.
C’est ceci qu’il nous faut garder en vue :
ce sens n’émergeant que
des distances entre les choses,
ne se levant que des interstices
qui creusent la permanence visible du réel,
du battement constant des formes,
lesquelles sont la respiration interne de la scène qui s’offre à nous, le plus souvent inaperçus ces frissons, ces invisibles et lentes exhalaisons, tous phénomènes passés sous silence du fond de leur évidente modestie.
Souffle à valeur éminemment allégorique existentielle :
inspir dit la positivité de l’être,
expir dit sa négativité.
La tension, la divergence, le raidissement
entre les deux manifestant
la vie en son balancement,
en sa pulsation, en son intermittence,
lesquels sont l’emblème même
de sa signification cryptée.
Rien ne vit que sous l’empire de la polémique, rien ne paraît qu’à l’aune de cet étrange clignotement du Soi, du Hors-de-Soi, lexique du devenir des choses qui ne sont que cet affrontement dont chacun vit les effets à défaut d’en comprendre l’origine.
Identique à la position de l’Homme-Lion de la toile du Douanier Rousseau, les deux Hommes minuscules situés au bas de la représentation sont les principes fondateurs du régime entier de l’œuvre. C’est par eux, ces microcosmes, que le Tout du paysage signifie et se révèle à nous selon l’interrogation inquiète d’une lente et profonde métaphysique.
Quelle est donc la place de l’Homme dans le Monde ?
Est-il simple matière se découpant sur une autre matière ?
Est-il pur Esprit à peine incarné,
si bien qu’il semble flotter à mi-distance
entre qui-il-est-en-son-essence
et qui-il-pourrait-devenir ?
Est-il un simple détail de l’histoire ?
Est-ce sa conscience qui gouverne
et donne possibilité à l’univers
ou bien n’en est-il que cette minuscule diatomée
se perdant à même sa transparence ?
Et, si nous serrons de plus près les motifs de la représentation de Shih-T’ao, quelles formes d’intuition se présenteront à nous ? Cette peinture aquarellée est frappée, saisie d’une pure beauté. Tout y est lié en une manière d’osmose si bien que le motif de la dyade pourrait se fondre dans le chiffre d’une indivisible et absolue unité. Chaque coup de pinceau, dans le genre d’un lavis, se donne pour geste de suppression des scissions, pour réalisation d’une harmonie au sein de laquelle nulle séparation, nul hiatus ne pourraient venir troubler l’ordre parfait. Tout ici coïncide avec force, tout ici fait figure de camaïeu, de douce argile en laquelle nulle fissure ne pourrait produire son négatif effet.
Pourtant diront les Sceptiques,
il y a du Plein cependant visible,
il y a du Vide cependant visible.
Certes mais le métier du Maître japonais a rassemblé ce qui menaçait de se séparer, de se fragmenter en mille morceaux dont personne n’eût pu souder les fragments afin d’en donner une image vraisemblable. Ici, dans la plus belle des esthétiques possibles, les Souffles Vitaux s’accordent : celui de la vaste et insaisissable Nature, ceux des Lettrés qui contemplent le beau spectacle qui leur est offert sans qu’ils aient quelque effort à fournir. Tout coule de source et poursuit le chemin de son destin sous l’étoile la plus favorable qui soit. Tous les éléments du tableau concordent, rien ne sonne faux, rien ne distrait qui pourrait inquiéter, mettre en danger.
Tout repose en soi au motif
de l’indissociable lien
qui unit Plein et Vide
dans une dimension qui
n’a même pas l’épaisseur d’un fil.
Bien que le concept de « sfumato » ne soit nullement japonais mais plutôt Léonardien, il semble bien, ici, que nous puissions le donner en tant que médiateur des formes supposées se différencier au titre de leur nature.
Sfumato du genre du clair-obscur
qui illumine le sombre,
qui atténue le trop lumineux.
Si l’on peut « Donner sens à ces Vides à ces Silences », c’est bien au motif que, se fondant avec les Pleins, non seulement ils ne posent plus le problème de la signification, donc de l’écart, mais que la Signification est à elle-même son propre objet, qu’une manière d’Absolu de la représentation a été atteint. Loin que la signification ne soit extérieure à son objet, qu’elle soit hors-champ, voici qu’elle a migré en soi, à l’intérieur même de son être, auto-manifestation de sa présence plénière, titre on ne peut plus exact de la Vérité interne qui l’anime et la définit comme telle. Tout ce qui, en nous, scinde notre regard, nous place en position schizoïde, comme si un invisible raphé mental divisait note anatomie, et ceci tient à notre position de Mortels traversés du motif de la finitude, une fois un pied dans l’Être, une fois le pied dans le Non-Être. Nous sommes des Ravaillac démembrés par la nature même de notre condition existentielle. Mais refermons la parenthèse du « sentiment tragique de la vie », selon le beau titre du livre de Miguel de Unanumo.
Si dans un esprit analytique l’on décompose l’image selon ses plans apparents, voici ce qui se manifeste :
Les Pleins : le rocher, tout en bas avec la présence des arbres, la présence des Lettrés. Plus haut, une ligne de végétation. Å droite des rochers, l’amorce d’une forêt. Tout en haut, deux sortes de tabulas minérales qui sont comme le point d’aboutissement matériel de la composition.
Les Vides : les espaces lisses, vaporeux qui entourent, telle une île, les rochers où sont les Hommes. La forme nuageuse-écumeuse crée par la nébulosité, l’irisation des milliers de gouttes d’eau provenant de la cascade. La cascade elle-même. L’amont de la cascade, comme s’il s’agissait d’une nappe de neige dont elle proviendrait. Enfin le ciel diffus qui ne semble avoir nulle limite.
Ce qui est tout à fait remarquable, ceci a été noté plus haut de façon théorique,
cette fusion intime des opposés
qui unifie en une unique proposition
toute la teneur du couple Homme-Paysage,
du couple Plein-Vide,
du couple naturellement distinct des Souffles Vitaux.
Tout ici conflue, tout fait sens au « sens » fort du terme, sens à lui-même sa propre profération. Ultime manifestation de ce-qui-est, qui fait image sous la clarté de sa propre évidence. Si les oppositions, les contradictions sont utiles et inévitables, elles ne se justifient qu’à l’aune de notre regard divergent, « bifide », simplement lié aux contingences de tous ordres,
alors que la vraie Réalité-Vérité
est d’un autre ordre,
de l’ordre des Essences
qui ne se peuvent aborder
que sous l’angle d’une vision
purement eidétique.
Ceci s’apprend, ceci se cultive, ceci demande un long et laborieux apprentissage, lequel ne peut qu’être récompensé au centuple dès l’instant où l’ombre se désobstruant, c’est la vive et scintillante Lumière qui apparaît comme le seul motif d’intérêt dont nous sommes, tout à la fois,
le Centre et la Périphérie,
les Ordonnateurs et les Receveurs.
Dans cette œuvre de Shih-T’ao qui n’énonce rien moins que le Sublime, Vide et Silence ont été les convertisseurs discrets, anonymes, non seulement de l’œuvre peinte, ce qui serait déjà en soi une prouesse, mais plus encore, convertisseurs de-qui-nous-sommes, nous Les Voyeurs qui ne nous attachons guère qu’aux évidences du Plein, aux certitudes du bavardage et du bruissement.
André du Bouchet - Les marques typographiques du Vide
Continuer à disserter sur les couples Plein/Vide, Silence/Mot, ne saurait faire l’économie des admirables et conceptuels poèmes d’André du Bouchet, lesquels sont assortis de subtils commentaires, dans l’article « Marcher entre les mots : Les territoires du blanc chez André du Bouchet et Kenneth White », commis par Christine Durif-Bruckert et Marc-Henri Arfeux. Nous commenterons à notre tour ces commentaires dans le souci de les placer en écho des remarques précédentes au sujet du tableau de Shih-T’ao.
« Autrement dit, c’est dans les espaces blancs, les ponctuations elliptiques de toutes sortes que passent les pas des deux poètes marcheurs, (André du Bouchet et Kenneth White) c’est-à-dire par les vides, par ce qui excède le langage ou ne se dit que par l’intervalle et l’espacement entre les mots. »
Et encore :
« Voilà ce qui fait l’allure (dans le double sens de la temporalité et de la forme) d’un poème de André du Bouchet : la présence massive des blancs, l’agencement aéré des espaces que l’on regarde comme autant d’éclats, de fragments, de blocs qui se réduisent à un simple groupe nominal. Ces séquences verbales semblent flotter, perdues, déliées d’elle-même. »
(C’est nous qui soulignons)
Si, dans notre abord de la signification de « Cascade sur le mont Lu », nous avons surtout insisté sur l’essentielle liaison des éléments de la peinture, sur l’unité qui se dégage de l’ensemble, ici, chez du Bouchet, c’est l’ordre inverse qui se trouve mis en valeur,
à savoir les vives oppositions
creusant leurs abîmes
au travers des « espaces »,
de « l’intervalle », « des blancs »,
« des éclats », des « fragments », des « blocs »,
ainsi que dans la mise en scène typographique
dont la spatialisation spécifique accentue le motif divisé, fracturé, dissocié de la langue dont on peut légitimement penser qu’elle n’est que le reflet allégorique d’une existence toujours déchirée, toujours à recommencer.
Et les Auteurs de l’article d’ajouter :
« L’origine n’est-elle pas cette dimension perdue, cet autre versant des choses qui se réfléchit dans la masse du poème, et que spatialise et temporalise la composition des espaces et ponctuations » :
« Cette contradiction chatoyante,
Cette clef
dans l’espace blanc
entrer, sortir
— c’est le même pas »
(Une lampe dans la lumière aride,
Carnets 1949–1956,
Le bruit du Temps, 2011, 222)
La remarque : « L’origine n’est-elle pas cette dimension perdue », n’est nullement fortuite. Ce qui, ici, est à retrouver, ce sentiment de l’originaire, obsession canonique de tous les Poètes, Philosophes, Savants de tous les temps, de tous les pays. Comme la recherche d’une étoile perdue au sein du fourmillant et énigmatique Cosmos.
Si cette Étoile, le poète Shih-T’ao la perçoit
dans la chute neigeuse de la cascade,
dans l’écumeuse présence qui entoure
les rochers où sont les Hommes,
la perçoit comme une promesse,
un possible avoir,
c’est bien la version diamétralement opposée
qui affecte les remarques de du Bouchet
sous la forme de la « contradiction »,
fût-elle « chatoyante »,
de la « clef » dont on ne sait
si elle sert à « entrer »
ou bien à « sortir »
(de la vie ?),
« c’est le même pas »,
c’est la même chose,
c’est un régime
strictement confusionnel.
L’Unité chez Shih-T’ao,
devient coupure, dissociation, schisme
chez du Bouchet.
Mais ce chiasme infiniment visible dont l’on penserait volontiers qu’il crée deux régimes irréconciliables, n’est que la face bifide de l’exister, « le même pas » qui anime les deux Marcheurs sur l’unique et irréfragable ligne de leur propre destin.
Ce qui, en définitive, veut dire
qu’entre Plein et Vide,
entre Silence et Parole,
la ligne de crête est une détermination simplement humaine,
une ligne de partage des eaux selon des ruissellements opposés
dont, cependant, l’origine est identique, la provenance gémellaire.
C’est la disposition quasi rationnelle de l’Homme
qui lui fait configurer le réel selon
des catégories, des classes, des genres
alors que le vrai est dans
la pure coalescence de
toutes ces dispersions,
de toutes ces disséminations.
Henri Maldiney - Cézanne et la Montagne Sainte Victoire
La Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves
Abordant l’œuvre de Cézanne, nous partirons de l’une de ses figures essentielles entièrement contenue dans l’expression « peindre sur le motif ». Si cet impératif délivre, au premier degré, l’obligation d’avoir en vue directe le sujet à peindre, portant sur lui ce regard mondain uniquement contingent, il faut ouvrir l’interprétation à la signification étymologique de « motif ». Voici la version simplifiée qu’en donne le dictionnaire :
« tiré de l'anc. adj. motif « qui donne le mouvement, moteur » (…) empr. au b. lat. motivus « relatif au mouvement, mobile » (...), dér. du supin motum de movere « mouvoir. »
Donc « peindre sur le motif », c’est peindre le mouvement, peindre ce qui, dans le tableau, se meut. Et ce « mouvoir », quel est-il ? C’est celui qui résulte de la mise en tension des valeurs antinomiques de la figuration,
incessantes et fascinantes
variations
du Sombre au Clair,
du Vide au Plein,
du Silence à la Parole.
Sombre des habitations,
Clair des prairies.
Vide-Silence des blancs,
Plein-Parole des noirs profonds,
des mauves-glycine,
des gris-bleus célestes.
Pour qui y prête attention, pour qui substitue au regard mondain la vision intuitive des essences, « Wesenschau », le « se mouvoir » se donne en tant que se mouvoir de l’Être en sa plus grande abstraction, mais aussi de l’être-Montagne de la Montagne dans l’apparitionnel le plus émouvant. L’on objectera avec raison que l’Être n’est nullement visible, que seul le phénomène, le paraître, le « Schein » se donnent à voir, que tout voir au-delà du visible est pure mystique, simple plan sur la comète, onirisme sans fond. Certes, mais il nous faut dépasser le cadre des évidences ordinaires. Il nous faut donner acte à la célèbre formulation de Paul Klee, ce visionnaire :
« L'art ne reproduit pas le visible,
il rend visible. »
Cette assertion reportée au traitement cézanien de la « Sainte-Victoire »,
ce qu’est le « visible » :
le cône de la Montagne,
le paysage en ses multiples esquisses,
ces couleurs en leur subtil rayonnement.
Le « rendu visible » :
l’être intime de la Nature mis à nu
par le mode opératoire des Blancs,
ces générateurs inépuisables de sens
pour qui s’inquiète de dévoiler
la lumière dissimulée sous le pan d’ombre.
Ce que fait ce Blanc-Silence :
substituer à l’aspect monadique
« sans portes ni fenêtres » de l’œuvre,
l’ouverture de la clairière,
le surgissement lumineux de la « Lichtung »,
le halo de l’Être transparaissant
dans les esquisses têtues
de la représentation.
Ici l’on n’est plus dans la rude
et sourde présence ontique,
on a accompli le pas, on a procédé au saut
qui laisse place à la clarté ontologique,
on a biffé l’apparence
afin de lui commuer
la quasi visibilité
de l’invisible.
Bien évidemment, ici, le langage devient éthéré, diaphane, si léger qu’il pourrait soudain éclater à la façon d’une bulle de savon. C’est bien là le prodige du regard eidétique-phénoménologique que de nous faire transiter du domaine spectral des manifestations immédiates à celui, bien plus assuré, de Vérité de ce qui, toujours, nous interroge et nous place face à notre esquisse foncièrement humaine : déchirer le voile des choses, telle est notre mission la plus impérative si l’on veut donner droit à cette franchise, à cette droiture, à cette netteté qui s’obombrent, dans les travées multiples du contemporain, de Noir de Fumée, de Noir de Mars, du Noir de Carbone, du Noir de Jais, donc de Noir synonyme de non-sens. Ayant évoqué, en titre, le Philosophe Henri Maldiney, nous ne saurions faire l’économie de ce regard phénoménologique incandescent qu’il a porté sur les choses, singulièrement sur ce motif de la « Sainte Victoire » avec une acuité que peu ont atteint. Les deux longues citations qui suivent sont tirées de l’ouvrage « L’art, l’Éclair de l’Être » :
Parlant de la Sainte-Victoire :
« Elle ouvre l’espace du regard en ouvrant le sien propre. Suspendu à elle, dans sa proximité absolue, le regard se meut de foyer en foyer ou d’éclat en éclat. Notre vision est mise en mouvement par une sorte d’appel et de réponse qu’elle nous fait d’accueillir ce que nous n’attendons pas. » (C’est nous qui soulignons)
Commentaire - Comme une itération absolue, une manière de dette obsessionnelle à ce qui mérite d’être vu, le « regard » ou la « vision » sont cités trois fois dans une manière de jet prédicatif de ce qui, en l’Homme, doit se manifester au contact de l’art. Il en est de même pour le geste « d’ouverture » convoqué par deux fois, allusion à cette clairière de l’Être sans le rayon lumineux duquel rien ne se donnerait pour présent, pour visible. Persistance insistante aussi du « se meut », du « mouvement » dont l’appel se situe au plein même de la Montagne , dont la réponse est le regard du Voyeur, cette plongée dans l’essence faute de laquelle ne se donnerait le sujet qu’en tant qu’artefact, nullement en son essentielle valeur. « Ce que nous n’attendons pas », c’est le « rendu visible » de Paul Klee, à savoir ce bourgeonnement de l’Être qu’il nous appartient de dévoiler et de partager en une sorte de communion avec nos Commensaux.
Et, forant plus loin encore le sens des Blancs, des Vides :
« Peindre un tableau, écrit Huang Pin-hung, c’est comme jouer au jeu de Go. On s’efforce de disposer sur l’échiquier des « points disponibles ». Plus il y en a, plus on est sûr de gagner. Dans un tableau ces points disponibles ce sont les vides. »
« Chaque blanc est un point-source que seule la genèse de l’espace, mis en demeure, dans ce vide, ou de s’anéantir ou de s’ouvrir à lui-même à travers les déchirures de sa trame, relie à tous les autres vides. (…) Dans un tableau de Cézanne le regard se meut, sans préméditation ni hasard, d’amer en amer. Un amer dressé dans sa solitude au péril de l’espace. »
(C’est nous qui soulignons)
Commentaires - Le « blanc » tel « un point-source », dit le site originaire du Rien, du Néant d’où tout provient, où tout retourne. Tel le regard du Voyeur qui, délaissant l’œuvre, la reconduit à ses limbes fondateurs. Ne serait-ce ceci le « péril de l’espace », que de n’être habité que de Vides, de Blancs qui ne formulent rien en dehors du regard du Dasein, lequel lui octoie forme et existence, sens aussi et surtout, selon ces « amers », ces orients que sont les « points disponibles ». Nous sommes mis en demeure de les ouvrir, de les faire se déployer. Ne le ferait-on que nous disparaîtrions nous-mêmes à l’aune de leur effacement.
On en arrive à l’étonnant paradoxe
de la façon picturale cézanienne,
laquelle postule
l’émergence d’une ontologie positive,
cette imposante masse minérale,
ces silhouettes d’habitations,
ces champs, ces boqueteaux
qui viennent à nous à l’aune
d’une ontologie négative,
ce Néant, ce Rien, ce Vide,
ce Blanc, ce Silence
qui espacient les formes,
les portent étrangement
à leur accomplissement comme
par une opération magique.
Autrement dit
du non-être surgit
purement l’Être,
de l’Informulé, le Formulé,
de l’Indicible le Dicible,
du Non-pictural, le Pictural.
En un mot, du Non-sens, le Sens.
Pour en revenir aux belles remarques de Joël Moutel
Il y a bien plus de Vide hors-babélien,
de l’Innommé, du Secret, du Retenu
que de Plein babélien et jamais
le fourmillement des langues
n’égalera toutes les paroles inarticulées,
toutes les voix tissées de pur imaginaire.
Le visible est cerné de toutes parts
de limites, de barrières, d’interdits.
L’invisible, le silencieux, le dissimulé
présentent la liberté et l’infinie mouvementation
de ce qui, n’ayant encore reçu nul prédicat,
les peut tous rencontrer ou au moins
les tenir à disposition pour
de futures actualisations.
K2
La langue, par essence
est une universalité qui puise
ses ressources à l’infini.
Sous le « peu » de la langue
en transparence,
se laisse deviner
le « beaucoup » de la langue.
Si nous disons « pierre », nous disons « montagne »,
si nous disons « montagne », nous disons Himalaya
et disant ceci nous disons « Everest »
qui se dit aussi Sagarmatha ou Chomolangma,
selon que l’on est en Chine ou au Népal,
nous disons aussi K2 ou Mont Godwin-Austen
ou Chogori ou Dapsang,
disant K2, nous disons aussi Karakoram,
nous disons aussi Thomas George Montgomerie, qui nomma le K2,
puis aussi, en une manière de queue de cerf-volant
qui déploierait ses ellipses fascinantes, ses arcs-en-ciel,
nous dirions aussi le prince italien Louis-Amédée de Savoie,
atteignant le col qui porte son nom à 6666 mètres,
nous dirions l’altitude, le sommet élevé,
nous dirions ce constant Idéal dont les Hommes
sont silencieusement en quête (leurs vides filigranés),
dont le K2 est la vibrante et fascinante allégorie,
nous dirions en réalité ce Tout de l’Être en lequel,
Chacun, Chacune inscrit ses pas,
cette ontologie fondamentale
dont nous ne saisissons jamais
que des bribes existentielles,
notre vision est trop au nadir,
il la faudrait au zénith !
Énumérant tout ceci à la façon d’une litanie sémantico-lexicale, nous entamons le long cercle herméneutique qui, tel le fameux Ruban de Moebius, ne semble avoir ni début ni fin, nous touchons à l’origine en même temps qu’à l’infini du temps qui se perd, loin, bien au-delà des Hommes.
Autrement dit le « peu »
n’est rien sans le « beaucoup »,
le « beaucoup »
n'est rien sans le « peu ».
Il n’y a nul réel silence,
sauf à le considérer tel un harmonique du Bruit.
Il n’y a nul réel Vide,
sauf à l’estimer en tant qu’hypostase du Plein.
Toutes choses sont étroitement liées
et c’est pour ceci, bien qu’étant Hommes-Errants,
nous pouvons poursuivre notre marche,
guidés par ces orients silencieux,
ces amers vides,
ce sont des Alphas auxquels, par-delà l’espace et le temps, répondent d’invisibles Omégas. Les liens, nous ne pouvons les voir, aveuglés que nous sommes par nos regards strictement mondains. Encore une fois, il nous faut nous déshabituer de cette vision étique, de cette myose pupillaire,
élargir le cadre,
ouvrir ce qui peut l’être,
se confier à cette mydriase,
autre nom du regard eidétique
qui intuitionne le réel,
le perçoit jusqu’en ses plus profonds abîmes.
Là seulement sont nos assises les plus sûres.
En conclusion convient-il de dire
que toute formulation quant
aux « Vides », aux « Silences »,
porte ontologiquement en son revers,
comme l’ombre portée souligne
la présence de la lumière,
ce « Parler », cet « Accentuer », cet « Animer »
dont Joël Moutel a proféré l’existence,
se doutant, cependant, que seule
une partie du réel se donnait,
que l’entière Vérité de cette pensée
ne pouvait appeler, comme en écho,
que sa partie manquante mettant un terme
à l’ensemble du procès de signification.
Et, ne sommes-nous,
nous-les-Hommes atteints de finitude,
cette « partie manquante » que nous cherchons
à débusquer dans l’art, la musique,
le paysage, la relation amoureuse ?
Ne sommes-nous… ?
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