Source : Wynguits
[Remarque préliminaire – Ce texte est difficile à lire au motif du sujet dont il traite : de l’Être, du Signifié, de l’étant, de la signification. Ici la nature des choses, à mi-distance de la physique dont nous avons la familiarité, de la métaphysique dont nous ne savons à peu près rien, la nature des choses donc est fuyante, toujours sujette à caution, jouant de constantes ambiguïtés, d’étranges paradoxes. L’on passe, incessamment,
de l’Être-Nu qui est l’Être-véritable
à l’être-vêtu lorsque cet Être
est métamorphosé en existence. Å l’évidence, il y a césure entre les deux états et entreprendre d’en comprendre le fond, c’est un peu comme de décrire une invisible image sur l’écran blanc du cinéma. Alors il faut consentir à se défaire de ses assurances logiques, de rétrocéder à partir de la Raison en direction de touches légères, de simples effleurements imaginatifs, intuitifs, se laisser flotter, en quelque sorte et accepter sans réserve que s’ouvrent à nous d’autres représentations que celles qui nous sont familières. Métaphoriquement, c’est un peu comme si l’on accordait aux ombres chinoises (métaphysiques) projetées sur la pellicule transparente, autant de valeur et de réalité qu’on en attribue, généralement au Manipulateur (le Physique).
La question posée par Christine Raison portait avec justesse sur le concept de l’Être tel qu’envisagé par Martin Heidegger. Outre que l’œuvre de ce Philosophe (dont Emmanuel Lévinas disait qu’il était « le philosophe du millénaire »), est redoutablement complexe, que sa conception de l’Être, bien plutôt que d’être monolithique a varié tout au long de sa carrière philosophique, n’étant moi-même en rien « heideggérien », pas plus du reste « qu’hégélien », pas plus « qu’husserlien », prenant la liberté, en fonction de mes affinités et centres d’intérêt, d’emprunter ici telle notion, d’infirmer là une idée à laquelle je suis rebelle, de modifier au gré des jours et de mes humeurs certaines notions philosophiques afin de les faire miennes, ceci me dispensant de quelque dogmatisme que ce soit. Bien évidemment, « l’envers de la médaille » se traduit par une méditation de type syncrétique, d’éclectisme dont cependant je récuse qu’il puisse s’agir de simple « amateurisme » au vu d’une réflexion au long cours argumentée en raison.
Qu’il s’agisse de « subjectivisme », certes et ce qui vaut pour moi vaut aussi pour les Autres : nous ne sommes pas des objets. Vous l’aurez compris, je ne suis nullement un genre d’Épigone reproduisant en une manière de constant euphémisme les propos d’un « Maître ». Penser est penser par Soi-même, toute autre entreprise est vouée aux facéties d’un psittacisme dont rien n’est à attendre que du « mécanique plaqué sur du vivant », définition que le distingué Henri Bergson attribuait au phénomène du rire. Toute imitation est de cet ordre. Il ne faut nullement reproduire, produire seulement avec suffisamment de rigueur et l’on aura la satisfaction de la singularité, ce qui, en notre moutonnière époque, n’est déjà pas si mal ! Ceci n’est nulle justification, juste une petite précision à l’endroit de mes Lectrices et Lecteurs habituels. Courage à eux s’ils sautent dans le « grand bain » !
*
Ci-dessous le texte qui a suscité la question
De Christine Raison :
« Il y a beaucoup de choses dissimulées,
occultées dans le Monde.
L’Amour en cage,
sa baie enfermée
dans son calice rouge,
le cerneau de noix muré
dans sa coque de bois,
le corail serré
dans sa bogue d’épines.
De manière symbolique,
L’Amour est Vérité, le calice fausseté
Le Cerneau est Vérité, la coque est artifice
Le Corail est Vérité, la bogue est mensonge
La Vérité se décline sur un seul mode, si bien que le mot pour en exprimer l’essence demeure identique à qui il est, unique, quelles que soient les circonstances ; l’erreur se décline sous des modes divers, polyphoniques, si bien que les mots pour témoigner de ses accidents successifs se donnent sous le signe de la multiplicité, du chatoiement trompeur, de l’illusion polychrome.
La Vérité est nue, la fausseté est vêtue.
Être en Vérité c’est être Nu.
Fausseté : masque du dés-être.
Être, c’est Être-NU.
Toute vêture soustrait au regard la belle
et irremplaçable signifiance du corps.
Nulle vêture et c’est le saut immédiat
dans le réel plus que réel des Choses,
leur authenticité accomplie.
donc de possible ontologie,
que du Nu.
Le vêtu, se dispensant d’être, existe a minima, fragile aura à distance de ce qui est seulement à considérer, l’Être en son essentielle vigueur. Certes la Nudité n’est nullement l’Être en sa plénière valeur, il n’en est que la manifestation,
tout comme la brume
manifeste l’eau de la lagune,
tout comme la vapeur
manifeste le nuage,
tout comme le rose aux joues
manifeste la présence de l’Amour.
Certes, parler de l’Être est toujours prendre le risque de nommer ce qui, dépourvu de quelque apparence, ne fait sens qu’en tant que phénomène de la pensée.
Si l’on assemble « fausseté », « artifice », « mensonge », on ne fait que produire une chaîne de signifiants.
Si l’on recueille, en un seul et unique endroit, « Amour », « Cerneau », « Corail » on ne fait qu’énoncer trois fois le même et unique Signifié.
L’étant est signifiant,
seul l’Être est Signifié,
seul Il peut recevoir
une Majuscule à l’Initiale.
Ceci n’est ni opération magique, ni mysticisme, ceci est la simple mise en exergue de la différence ontologique :
l’Être est le versant
caché de l’étant. »
*
La question de Christine Raison :
« Heidegger a -t-il l'a même définition de l'Être ? »
Ma réponse : Dans ce bref extrait, je ne vise nullement à définir l’Être, ce qui ne serait rien moins que présomptueux. D’une manière générale, telle la théologie négative définissant Dieu en ce qu’il n’est pas, l’ontologie se veut également négative, disant l’Être en ce qu’il n’est pas. Ce que je souhaite, c’est simplement faire apparaître quelques nervures en lesquelles l’Être pourrait s’inscrire si, d’aventure, il pouvait faire phénomène en un certain lieu, en un certain temps. L’Être étant toujours en réserve de Soi, tel un halo qui indiquerait le lieu de sa provenance sans en désigner le site, nous sommes condamnés à le faire « paraître » au gré d’ellipses conceptuelles, et, surtout à l’aune des analogies dont nous espérons qu’elles seront suffisamment signifiantes. Au travers de plus d’un de mes écrits,
l’Être se définit en tant que Langage
et, dans celui qui nous occupe,
en tant que Signifié.
Or, dans le vaste corpus heideggérien consacré à l’étude de cette épineuse question, il n’est jamais dit, à ma connaissance, que l’Être est Langage, que l’Être est Signifié. Si, nécessairement, l’Être se prononce en mots, se décline en signifiés, il n’est ni mot, ni signifié au sens strict. Å ces brusques assertions je ne doute guère que les Heideggériens avertis ne manqueraient de sursauter. Eh bien qu’ils sursautent, ce ne sera, en eux, que l’une des manifestations de l’Être, lequel, le plus souvent, réclame un Saut pour passer de l’ontique à l’ontologique !
Lorsque je dis l’Être en tant que Langage, en tant que Signifié, je tâche de rendre visible l’invisible, je tente de prélever dans la Métaphysique ce qui pourrait se donner dans le physique pur et simple. Mon évocation de l’Être, bien plutôt que d’être logique ou ontologique est analogique : l’Être serait de telle ou de telle manière, en une certaine façon, l’Être comme si…
Toujours cet exercice d’essai de visibilité se déroule sur la corde raide de l’illogique et de l’à- peu-près, de l’effleuré, du pressenti, plutôt que du clairement exprimé. Si Heidegger annonce
« Le langage est la maison de l’Être », il ne dit nullement que l’Être est langage, il détermine, tout au plus le site de sa possible émergence. Le Deus absconditus au même titre que l’Être-dérobé sont de dangereuses entités qui vibrent en-deçà, au-delà des strictes apparences, ne coïncident jamais avec un hic et nunc qui nous les livrerait telles des choses : cette chose-ci, cette chose-là avec leurs prédicats clairement établis.
Tout ce qui se dérobe à notre perception, l’Infini, Dieu, l’Absolu, l’Être nous posent la difficulté insurmontable d’en préciser les exacts contours. Il n’y a que la stricte tautologie qui pourrait rendre compte de leur énigme :
L’Infini = l’Infini
Dieu = Dieu
l’Absolu = l’Absolu
l’Être = l’Être
Mais à cette énonciation en boucle notre esprit rationnel regimbe. Nous voulons de plus évidentes explications, nous ne voulons demeurer en échec au seuil de questions dont la résolution, pensons-nous, pourrait nous sauver. De quoi ? D’un naufrage ? Non, de nous et seulement de nous. Aussi, le recours aux synonymes est-il un pis-aller,
l’Être en tant que substance ;
l’Infini en tant qu’inconditionné,
l’Absolu en tant que summum,
Dieu en tant qu’Éternel
ne sont que de simples hypostases en lieu et place de ces transcendances dont, un seul instant il nous eût été agréable de tutoyer l’invisible matière. Dans un souci classique d’éviter des répétitions lexicales, il nous plaît, par exemple, de remplacer le mot « Vrai » par « Authentique » et nous nous croyons quittes de la tâche à accomplir. Mais, en réalité, et nous le savons, le
« Vrai » est irremplaçable que « l’authentique » hypostasie, un vassal en lieu et place d’un Suzerain. Nous interrogeons les définitions telles que fournies par le dictionnaire :
Vrai : « Qui est conforme à la réalité, à la vérité ou qui lui correspond ; à quoi ou à qui on peut légitimement donner son assentiment. »
Authentique : « Qui fait foi, qui fait autorité ; dont la forme et le contenu ne peuvent être mis en doute. »
Si le Vrai est correspondance à la réalité-vérité, l’authentique, lui, se détermine à partir d’un possible doute, dont il efface certes la trace, mais celle-ci n’en est pas moins présente sur l’arrière-fond de la conscience.
Mais alors, puisqu’en toutes ces interrogations, il s’agit de faire se confronter métaphysique et physique, où donc se trouve la limite, où le lieu de passage du sensible à l’Intelligible ? Nous voyons bien combien nos énonciations sont courtes, combien le pouvoir du langage, que nous pensions illimité, est cerné de bornes, enclos dans d’étroites frontières. Alors, plutôt que de rester au pied du mur, nos propres pieds dans le physique, nous nous résolvons à prendre notre élan, à franchir l’invisible lisière, à nous poser en cette abstraite métaphysique, en ces sables mouvants au risque de nous enliser. Alors nous disons
l’Être est langage
l’Être est signifié
sachant très bien que s’il était l’un ou l’autre, Langage ou bien Signifié, nulle raison n’existerait quant à poser le terme même « d’Être », peut-être même à en envisager la « réalité ». Toujours nous sommes en dette de ce que nous ne voyons pas, ne touchons pas, n’entendons pas au motif qu’êtres de désir, nous sommes bâtis autour d’un vide constitutif dont la pure béance nous effraie, un vertige nous gagne qui, jamais, ne nous quittera.
Afin de cerner la notable difficulté qu’il y a à disserter sur l’Être, reportons-nous aux remarques émises à son sujet par Pascal David dans le « Dictionnaire Martin Heidegger » :
« L’être est ce qu’il y a de plus général, transgénérique (Aristote), ce qui rend d’autant plus problématique l’élaboration d’une ontologie, ou science de l’être.
Il est par là indéfinissable (Pascal).
Il relève du « cela va de soi », du bien connu au sens hégélien, de ce qui, parce que « bien connu », n’est précisément pas connu, et encore moins reconnu.
Tout le monde sait bien ce que être veut dire, et en même temps, nul ne le sait au juste. »
Autant dire que nos certitudes en la matière ne peuvent reposer que sur de soudaines et insuffisamment étayées intuitions, parfois sur des opinions toutes faites qui substituent à une réelle réflexion une lourde paresse intellectuelle, laquelle se donne pour un savoir juste. D’une manière analogique, encore une fois, les propos de saint Augustin concernant la nature même du temps, pourraient s’appliquer à la supposée connaissance que nous pensons avoir de l’Être :
« Si personne ne me demande ce qu'est le temps, je sais ce qu'il est ; et si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus ».
Aussi bien dirons-nous, sans risque de nous tromper, que nul ne saurait définir l’Être sauf à asséner quelque évidence émise à peu de frais. Alors, conscients de la difficulté, puisant dans l ’analogie les ressources qui s’y abritent, pouvons-nous poursuivre notre propos de la manière suivante :
L’Être est à l’étant
Ce que le Signifié est au signifiant :
La position de surplomb
d’une Transcendance
Par rapport
A une pure immanence
un Dévoilement
Par rapport à
Un voilement
Un Sans-Visage
Par rapport à
Une épiphanie
Une Essence
Par rapport à
Une existence
De manière à ne nullement demeurer dans l’orbe d’une abstraction, nous poserons l’Être-Signifié dans une manière de jeu métaphorique, le recours à la métaphore rendant visible, en quelque manière, l’invisible. Le noumène appelant le phénomène et, inversement, comme une chambre d’écho les révélant l’un par l’autre. Le long cours de la pensée heideggérienne nous livre donc métaphoriquement l’Être selon les figures suivantes :
L’Éclaircie
L’Illumination ou Lichtung
La Fulguration
La Source : Ur-grund ou Fondement
« Pur Trait de Clarté »
Logos
L’Ouvert
L’Éclair
Le Point Central
ou Singulare tantum,
le Singulier
Et l’infinité de ses prédicats
Sa Générosité
Sa Libéralité,
Sa Gracieuseté,
Sa Grâce,
Source de joie,
Béatitude,
Sérénité,
Trésor,
Richesse inestimable,
Plénitude cachée
Il est le Tout,
Le Seul et Unique,
La Grande Origine,
L’Inexhaustible,
L’Ineffable,
Le Mystère caché et oublié,
Le Léthé,
La Primordiale Obscurité.
Cette pluralité lexicale, outre sa valeur symbolique et poétique, nomme en réalité l’embarras de la pensée quant à définir l’Indéfinissable. Certes cette litanie lexicale a des connotations quasiment théologiques, ce qui, abordant l’ordre de la Métaphysique, ne présente rien d’étonnant, c’est même une sorte de « passage obligé ». L’Être, n’ayant nulle attache concrète, il est bien normal que sa nomination varie, que son profil fluctue, que sa silhouette oscille. L’on notera cependant la cohérence des appellations qui se conjuguent autour de trois axes :
l’Ouverture,
le Surgissement,
la Fulguration.
Pas simple principe dialectique, l’étant que nous avons qualifié de signifiant, ne signifie, pour sa part, qu’à l’aune d’une fermeture, d’un repli, d’une obscurité. Si, par exemple, je prends l’étant-signifiant « arbre », tant que je n’en aurai prononcé l’essence, tant qu’il demeurera dans sa forme écrite ou bien son énonciation orale, alors frappé de surdi-cécité, il demeura enclos dans son aire matérielle sans possibilité aucune d’en sortir, de rayonner au dehors. Seul le Signifié-Concept le projettera en pleine lumière, lui conférant cet esprit, cette ouverture consciente au gré desquelles il se donnera en tant que charge d’un sens accompli, effaçant les ombres qui le retenaient dans son étroite geôle in-signifiante, ce qui, bien sûr, est un comble pour un signifiant. Que le signifiant ait besoin du signifié et, corrélativement, ceci est la simple loi qui gouverne tout signe et le révèle lumière parmi les ténèbres de la mondéité ordinaire.
Sans entrer dans le régime des évidences de première main, il va de soi que la notion d’être s’alimente à une double source sémantique : l’être est la copule au gré de laquelle un signifiant relié à son prédicat, signifie. Ensuite, et peut-être d’une façon tout aussi essentielle, être désigne l’être de l’Homme, « l’être-le-là » qui a lieu comme émetteur et médiateur de sens de tout ce qui vient à l’exister. Ce Da-sein dont on nous dit :
« La préoccupation du Dasein,
pour qui
il y va en son être
de cet être même. »
Pourrait-on oser formule plus explicite du rôle éminent joué par la signification chez l’Homme confronté à son propre monde ? Selon les concepts mêmes de la phénoménologie, le Da-sein est une manière de signifié ultime car c’est lui et seulement lui qui pose la question métaphysique de son exister :
« Pourquoi donc y a-t-il l'étant
et non pas plutôt rien ? »
question initiale dont découle l’ensemble de la métaphysique, singulièrement la position fondamentale de l’ontologie.
Et, pour demeurer dans l’orbe infiniment Métaphysique dont l’Homme, non seulement relève, mais dont il est le seul et unique Initiateur, écoutons les mots du Poète Hölderlin dans « Mnémosyne » :
« Un signe nous sommes, privé de sens … »
Ce qui veut dire que le Da-sein, s’il a conservé son Da (son lieu) a perdu son Sein (son être) et l’avertissement du Poète, non seulement doit nous interroger, mais nous mettre en quête afin de retrouver l’Essence même au biais de laquelle recouvrer l’entièreté de notre « signe » humain. La question que nous abordons ici, complexe s’il en est, du rapport de l’Être et du Signifié, si elle peut trouver quelque éclaircie dans une confrontation avec la pensée heideggérienne, s’illuminera d’autant mieux à être considérée à l’aune de la réflexion de l’Auteur d’Hypérion. Il nous faut donc en revenir au « signe » que « nous sommes », nous les Hommes. Or tout signe est un visage de Janus à double face dont le dictionnaire précise qu’il s’agit d’une « unité linguistique constituée d'une partie physique, matérielle, le signifiant, et d'une partie abstraite, conceptuelle, le signifié. » Et c’est la conjonction des deux qui délivre le sens.
Or si nous regardons la réalité des choses, c’est bien le signifié qui porte le poids le plus lourd de la signification, le signifiant ne lui servant que de prétexte, de fondation si l’on veut, de point de départ. Ce qui veut dire que
le Da-Sein en son Être
est d’abord signifié,
ensuite qu’il signifie
lui-même,
au plus haut degré, puisque c’est par lui que le Monde s’ouvre et délivre sa charge de sens. Quant à anticiper un sens qui précéderait l’interprétation humaine, y compris avant même son apparition, telle la théorie du « réalisme objectif », est, à nos yeux, pure affabulation. Il n’y a, en effet, ni réalisme, ni objectivité ou, autrement exprimé, il y a autant de figures du réalisme et de l’objectivité que de consciences incluses en des Sujets intentionnels. En conclusion :
Être-Homme,
c’est être-signifié,
c’est signifier,
c’est même l’Essence la plus effective et la plus noble qui puisse lui être attribuée. Et cette formule implique en contrepoint ontologique :
Être, c’est être-signifié,
c’est signifier.
De cette manière l’appui de l’Essence sur la forme princeps du Langage, lui fournit de sérieux points d’effectivité, rendant en quelque manière l’Invisible, visible.
Mais revenons maintenant, au terme de la première occurrence, au verbe-copule (mot qui, dans la phrase, relie le sujet à son attribut) en sa pure transitivité, en son effectuation du réel au titre de sa naturelle efficience, produisons les énoncés suivants, de forme volontairement rudimentaire :
« La montagne est haute
Le ciel est bleu
La mer est immense »
Si nous jouons sur l’axe paradigmatique, faisant varier à l’infini le lexique, « montagne », « ciel », « mer » et nous pourrions ajouter « chaise », « tableau », « arbre », nous nous apercevons bien que ce motif interchangeable dit la relativité de ces glossaires successifs. De même en est-il pour les prédicats « haute », « bleu », « immense » et nous pourrions rajouter « beau », « large », « heureux » sans autre conséquence qu’une légère modification qualitative de l’objet prédiqué. Seule la copule « est » est inamovible, irremplaçable, elle est le motif à partir duquel une réalité amorphe, disons la morne étendue de la montagne, gagne, si l’on peut dire, toute sa hauteur signifiante : augmentée de cette qualité en raison même de l’activité copulatrice de ce « est » si énigmatique. C’est le « est » et simplement lui qui initie la possibilité d’une genèse, ouvre une éclaircie dans la texture opaque et têtue du Monde. Ce minuscule mot, cette infinie modestie est l’opérateur, le convertisseur d’une virtualité infinie en un possible actualisé, une hypothèse se faisant thèse, un doute se faisant réalité-vérité.
Ici, la valeur de « être »
est ce qui, d’abord
et toujours signifie,
et rien en dehors de lui,
si ce n’est à titre de simple adjuvant.
Si nous jouons à supprimer l’article et la copule, nous obtenons la phrase suivante : « Montagne haute », autrement dit nous obtenons deux blocs lexicaux atteints d’une étrange catatonie, lesquels demeurent en leur native occlusion. C’est seulement l’introduction de la copule « est », à savoir « La Montagne est haute » qui accomplit le réel des choses en leur pure présence.
Ici, d’une façon évidente,
Être est Signifier.
Être, en tant que copule, transcende l’immobile latence des signifiants
Être en tant qu’Être-de-l’Homme, en tant que Da-sein est pure transcendance
Qui donne présence et signification au réel
Être c’est être-signifié
Tout ce qui, en dehors de ceci, existe,
n’existe qu’à titre de signifiants
c’est à dire de positions dormantes
n’attendant que d’être fécondées
et ouvertes par
ce qui les surplombe et les justifie
ces formes verbales dont l’Homme
est l’infini et absolu Producteur.
Mais revenons, un instant, sur le principe de l’analogie dont l’efficace consiste à substituer à une énigme une périphrase métaphorique censée en résoudre la teneur. Ainsi Heidegger nous propose-t-il les formules suivantes :
« Le langage est la Maison de l’Être »
« L’homme est le Gardien de l’Être »
Énonçant ceci, cependant, il n’éclaircit nullement la « léthé », le secret de l’Être,
il nomme la relation du langage à l’Être,
il nomme la relation de l’Homme à l’Être.
Or, si nous en croyons Maurice Corvez dans son article « L’Être et l’étant chez Heidegger », cette fonction de relation est essentielle en l’Être, peut-être même coïncide-t-elle avec son Essence :
« [La différence de l’Être et du Da-sein] est à penser dynamiquement comme un passage de l’Être au Da, et aussi comme le jet du Da à l’Être. (…) Bien que l’Être ne soit pas un terme de relation, lui-même est la relation. » « est » souligné par l’Auteur.
Or, relation, passage sont, à l’intérieur du signe même, les médiateurs qui, unissant le signifiant au signifié, ouvrent la dimension du sens.
Si l’Être est sens,
ce que nous percevons comme une évidence, alors, notre proposition initiale qui a subi une légère modification pour se synthétiser sous la formule de nouveau énoncée :
Être est signifier
Être c’est être-signifié
trouve ici le lieu de sa confirmation. Être, c’est signifier les étants-signifiants que nous rencontrons dans le Monde. Être, en retour, c’est être-signifié par ces altérités qui nous déterminent comme nous les déterminons. Nous voici parvenus en terrain stable. Nous voici pourvus de la clarté d’un orient, lequel nous assure d’une position fixe à partir de laquelle, toute transitivité (fonction essentielle de la copule) trouve une réponse.
Montagne, Ciel, Mer ne se déterminent selon hauteur, couleur, immensité qu’au motif de la relation que j’entretiens avec leur présence (la fameuse « corrélation »). Nous sommes co-donnés les uns aux autres. L’Être de la Montagne, du Ciel, de la Mer, ce mystérieux Être ne se donne en tant qu’Être qu’au principe de la relation que j’entretiens avec sa manifestation.
Être, c’est manifester
Être, c’est être manifesté
Ainsi le phénomène rejoint-il le noumène
Autant de présence, autant d’Être.
L’Essentiel de la relation se résume en la copule,
dont le dictionnaire nous précise :
« Mot qui lie deux termes,
en particulier le sujet et le prédicat. »
Valeur étymologique :
« accouplement charnel »
Ici, il nous faut partir
de nouveau de notre sol initial :
Il n’y a d’Être,
donc de possible ontologie,
que du Nu.
Le Nu est le Point Zéro
Le nul signifiant
Le nul signifié
Ne prenant sens
Qu’à partir
de leur mutuelle
relation
Être est copulation
relation charnelle
Entre signifiant
et signifié
Être c’est être nu
Avant même que
d’être incarné.
Être est passage
En ceci
Il est
Eminemment
Temporel.
« Sein und Zeit »
« Être et Temps »
Originairement, l’Être est Nu
en tant que pur Néant.
Revêtu de sa parure de prédicats,
il devient Existence.
Être/exister
Toujours le basculement
de l’Ontologique à l’ontique,
De l’ontique à l’Ontologique.
C’est pour cette unique raison
Que nous sommes
Dans le dénuement
De l’Entre-Deux.
Être, c’est Être-NU.
Épilogue - Nous citons ici quelques notes préliminaires telles que délivrées par Michel Haar dans « Heidegger et l’essence de l’homme » :
« Par convention, nous écrivons désormais Être avec une majuscule lorsqu’il s’agit de l’étant en totalité, ou de l’être de l’étant, ou encore de l’étantité de l’étant, c’est à-dire de l’Être traditionnellement conçu comme l’Étant premier ou essentiel ou fondamental, tel que Idée, Substance, Sujet, Volonté, etc. La capitale renvoie donc aux grands noms métaphysiques de l’Histoire de l’Être dans ses époques successives.
Nous écrivons être avec une minuscule pour indiquer l’être au sens actif du déploiement de ce qui est dans l’horizon du temps. L’être doit s’entendre comme verbe, et non comme substantif, ou concept abstrait. Inséparable de l’étant, il diffère cependant de tout étant. »
Donc l’Être, de nature métaphysique jouant
avec l’être de nature phénoménologique.
Il découle donc des avertissements antécédents que ce concept double d’Être/être, faute de faire signe en direction d’une quelconque ontothéologie dissimulant en ses envers quelque figure divine, christique ou bien mystique, veut simplement montrer qu’au centre du dispositif de l’Être/être il s’agit toujours et de manière définitive
de l’Homme en tant qu’Homme,
du Da-sein aux prises avec lui-même,
ce même Homme qui émet aussi bien les concepts d’Idée, de Substance, de Sujet, de Volonté ; de cet Homme qui est celui qui parle, donc qui manie le verbe et fait usage de ceci afin de se connaître, de connaître les Autres, le Monde.
C’est en ce sens strictement philosophique-anthropologique que notre article doit être lu. Aucune arrière-pensée dissimulant un arrière-monde ne s’y trouve en quelque manière que ce soit envisagée.
Encore une fois
Être est signifier
Être c’est être-signifié
Performativité
VERBALE
S’il en est !
Nulle autre clarté que celle-ci
signifiée de la manière suivante
par le Philosophe Heidegger :
« L’être lui-même ne pourrait être éprouvé
sans une expérience plus originaire
de l’essence de l’homme et réciproquement. »
L’Essence de l’Être/être
ne serait-elle,
tout simplement,
expérience de
L’Essence de l’Homme ?
Nous sommes
La Source
Et
L’Estuaire
Hors ceci
Simples fumées
Qui se dissipent
Dans l’air diaphane.