Vois-tu, c’est toujours
sous les mêmes ciels
que je viens chercher
la trace du monde.
Elle est partout visible,
me dis-tu.
Certes mais ma vision a besoin
d’appuis particuliers.
Une ombre qui s’allonge
et glisse sur le sol.
Une lumière qui rebondit
puis plane infiniment
à la manière d’une traînée de cendre
ou bien d’une feuille d’argent.
L’espace est infini
qui fait son chant,
loin au-delà de la terre.
Mais quelle est cette brume
qui se lève
sur la plaine de la mer,
elle est si fine, si haute,
si peu assurée d’elle-même ?
Elle pose sur le globe de mes yeux
l’empreinte
d’une illisible présence.
Ô bonds immédiats de la lumière !
Ô étranges silhouettes
qui naissent de l’eau,
vous pourriez être des Sirènes
ou bien des Muses
portées par les flots d’écume !
Mais vous n’êtes
que d’étranges sortilèges,
des rumeurs, des fabriques de rêves,
peut-être simplement
l’esprit sorti de mon corps,
il erre longuement
et paraît ne trouver
nul repos.
Là-haut est la belle clarté
que cerne un horizon noir.
Le ciel est pareil
à une porcelaine,
il brille depuis son intérieur
mais garde, en lui, son secret.
Les humains sont trop petits,
trop épars, trop disséminés
pour qu’il puisse
s’intéresser à eux,
leur adresser la parole,
déplier les vers d’un poème
qui les rassurerait.
Le ciel poursuit sa route,
entraînant avec lui
ses théories d’oiseaux.
Ils sont gris ou blancs,
ils se fondent à même
leur longue solitude.
Car, sais-tu, les oiseaux,
tout comme moi,
sont de grands solitaires.
Ils se contentent
de glisser dans le vent,
parfois saisissent
une goutte d’eau
de leur bec courbe,
puis cinglent vers l’inconnu
à la seule force de leur ivresse,
de leur liberté.
Connais-tu quelque chose
de plus libre que la course
du goéland dans la forêt de nuages
ou la pluie d’un mince brouillard ?
Et puis, nous-mêmes,
depuis la forteresse de nos certitudes,
ne sommes-nous
de simples lettres
que le temps effacerait ?
De simples signes
s’élevant à peine au-dessus
d’une tristesse ou bien d’une joie ?
Oui, les deux sont identiques.
Toujours la joie appelle la tristesse
tout comme la tristesse appelle la joie.
C’est la loi bien connue
de l’affinité des contraires.
Tout comme le jour appelle la nuit,
le sourire convoque les pleurs.
Pourrions-nous inverser
notre condition d’hommes,
en faire un livre sur lequel
nous ne graverions
que le chiffre de nos plaisirs,
le pas de deux de nos caprices ?
Un puissant rocher noir
émerge du miroir de l’eau,
son ombre s’étale
sur la nappe liquide
avec un air de tragédie.
Trois silhouettes
tout au bout de la plage,
à contre-jour d’une falaise
qui s’élève doucement
puis disparaît
à ma bien trop courte vue.
Serait-ce ici le bout du monde
et il y aurait l’horizon
puis un vertigineux abîme
et plus rien ne se donnerait
qu’un silence orné de vrilles muettes,
qu’un écho dont nulle falaise
ne renverrait la parole déserte ?
Ici, dans la levée immémoriale du jour,
il faut bien prendre garde
à être soi jusqu’au bout de soi-même.
Ne nullement se laisser distraire
par un bruit qui dirait notre dette
à l’égard de ce qui nous entoure
et concourt à nous égarer.
Tel le fier albatros
se perdant dans l’azur,
dans le bleu transparent,
il convient de ne nullement
se laisser distraire,
mais de tracer son chemin de vent
bien plus avant
que la vue ne le permet,
bien plus large
que la conscience ne l’autorise
. Nous n’avons d’autre destin
que de nous en remettre
à cette heure-ci,
sur l’immanent bord des choses
et à attendre l’éternité.
Oui, l’éternité !