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11 juin 2022 6 11 /06 /juin /2022 13:28
Elle, Rêveuse en son retrait

 

Peinture : François Dupuis

 

***

   [Avant-texte

 

Quelle forme d’expression destiner à la Peinture ?

 

   Regarder une peinture n’est pas simple affaire de vision, de perception, comme si l’on observait une chose puis on l’abandonnait à son être de chose sans plus s’en soucier. Regarder une Peinture, en une certaine façon, c’est accepter de s’y immerger, de s’y immoler, de faire que notre être rejoigne son être. Car, identiquement à nous les Hommes, nous les Femmes, les choses ont un être dont jamais elles n’abdiquent qu’à l’aune d’un regard inadéquat les visant et les laissant tels de vulgaires objets. Le problème d’un langage dédié à l’Art est toujours celui de son adéquation à l’objet dont il traite. Ou bien l’on s’engage dans une prose dite « savante » et l’on bâtit des hypothèses sur l’œuvre, créant, en quelque sorte, une œuvre au second degré dont la pertinence, parfois, laisse à désirer. Ou bien l’on se contente d’énoncés prosaïques, quotidiens, si l’on veut, mais alors on risque de sombrer dans la première immanence venue. Ou bien encore, et c’est le parti-pris du texte ci-dessous, l’on s’essaie à « poétiser » et l’on risque, tout simplement, de se situer à côté de l’œuvre, d’en réaliser une copie qui ne soit nullement conforme à son essence. On voit combien ici, se pose une difficulté dont les termes sont de nature métaphysique. « Métaphysique » au sens d’un « au-delà », d’un « en-dehors » de ce qui est à considérer, telle Toile, qui ne pourra plus reconnaître son portrait dans les traits qui seront censés en représenter la réalité.

   La « réalité », voici où le bât blesse, car comment pourrions-nous parler de « réel » pour une œuvre qui, précisément, tâche de s’éloigner d’une simple mimèsis, d’une reproduction du visible pour témoigner de l’invisible. Oui, de l’invisible car si cette Peinture se donne à nous au terme d’un procès de visibilité, (il faut bien que la « chose » fasse phénomène afin que nous en apercevions le motif), elle ne peut pour autant prétendre demeurer dans ce statut qui la ramènerait à la condition d’une existentialité, par exemple à la fonction d’un outil et de sa mesure utilitaire. « L’Art est inutile », disait Ben en son temps, et c’est bien cette « inutilité » qui désigne sa grandeur et l’exception qu’elle est pour un œil qui sait voir.

   Mais revenons au langage et à sa forme. Un texte d’allure « poétique » convient-il pour rendre compte d’une forme plastique ? N’y a-t-il décalage, usurpation d’identité ? La soi-disant « poésie » se donnant en lieu et place de la Peinture dont elle est censée faire apparaître la nature ? Certes, sans doute la voie « poétique » paraît n’être pas la voie la plus indiquée. Mais, en vrai, nul commentaire d’une œuvre ne nous assure de sa parfaite cohérence. Et même un langage intérieur, né d’une contemplation de l’œuvre, est déjà interprétation, est déjà cette manière d’irisation, de tremblement, d’écho qui miment la Chose de l’Art sans en bien respecter la sincérité, la vérité.

Penser est déjà déformer

Ecrire est déjà métamorphoser

 

   Tout ceci pose le problème des « correspondances », si bien évoqué par Baudelaire. Les Choses se répondent-elles vraiment ou bien est-ce seulement une vue de l'esprit ?

 

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».

 

   Je ne sais si « Rêveuse » répond et à quoi elle répond, comment elle répond. En tout cas, pour moi, en ce matin estival, « Rêveuse » se donnait sous le vague intitulé de « poétiser ». Je ne sais si les Lectrices et Lecteurs répondront à ceci qui est pure subjectivité, affinité avec ce qui se présente et qui, au cours des jours, selon les inclinations du moment, se décline de telle ou de telle manière. Merci en tout cas à François Dupuis de m’avoir confié sa belle Peinture. Puisse-t-elle trouver un écho quelque part.]

 

***

 

Elle, Rêveuse en son retrait

Nous atteint au pli le plus secret

 

Elle ne pourrait nous laisser indifférents

Il en est ainsi des êtres de mystère

Ils nous interrogent bien au-delà

De nos minces effigies

Elle Rêveuse en sa discrétion

Comment pourrions-nous rester en silence

Ne pas lui faire face 

Elle est Elle à seulement nous mettre

Dans l’embarras de qui nous sommes

Elle est Elle au gré de sa simple présence

De l’immobile en Elle advenu

Elle est Elle, qu’un aimable Destin

A placée sur notre chemin afin que

De la Beauté nous connaissions la venue

Nous admirions l’irrémissible don

Alors nous visiterait à jamais

Une image dont notre mémoire

Ne pourrait se distraire

Qui se placerait au foyer

De notre juste souci

Bien des événements se présentent à nous

Dont nous ignorons la subtile valeur

Le plus souvent nous cheminons

Å la pointe de nos êtres

Insoucieux de ce qui autour de nous

Porte le signe de l’ineffable.

 

Elle, Rêveuse en son retrait

Nous atteint au pli le plus secret

 

Hommes distraits nous le sommes

Depuis notre naissance

Nos perceptions ne sont qu’illusions

Dont la Mort seule biffera la trace

Méconnaître la Beauté reviendrait

Pour les Antiques à ignorer les dieux

Mais peut-on longtemps

Se détourner de l’Empyrée

Et poursuivre sa route

L’esprit serein, l’âme tranquille 

Nous voyons bien qu’à ignorer ce qui fait Sens

C’est nous-mêmes que nous condamnons

Å nous égarer dans l’erreur

Å nous détourner de la Vérité

La seule Lumière qui allume au fond de nos yeux

La lucidité, la nécessité de vivre en accord

Avec notre conscience, nullement de la renier

 

Alors, sûrs de ceci

De l’impérieuse loi du regard juste

Nous nous attardons longuement

Sur Celle que nous nommerons « Rêveuse »

Car il semble bien que ceci se donne

Comme sa possibilité immédiate d’être

De faire face au Monde, de tracer son sillon

Parmi les vagues toujours renouvelées de l’altérité

 

Elle, Rêveuse en son retrait

Nous atteint au pli le plus secret

 

Nous nommions les Antiques il y a peu

Et ceci n’est nul hasard tellement Rêveuse

Paraît Trouver son écho dans ce portrait dit du « Fayoum »

Comme si Elle et son Antique Modèle illustraient

Ces « Demoiselles d’Antinoé », ces mythes féminins

Ces pures beautés dont on pense

Qu’elles sont issues du rêve

Que si nous voulions les approcher

Elles s’évanouiraient tels les fils d’un songe

C’est bien en ceci que la Beauté

Est rayonnante

C’est bien en ceci que la Femme

Est l’Inaccessible

Qui nous regarde depuis

Le plus loin de son énigme

Combien cette Toile est belle

Å l’allure d’encaustique

Cette matière si pleine, si chaude

Si rassurante, si maternelle

Elle a le lustre d’une patine ancienne

La lueur d’une résine, la douceur d’une argile

Elle vient à nous pareille au semis d’un pollen

Et l’air se tisse de soie et les mots improférés

Résonnent à nos oreilles

Å la manière d’une généreuse confidence

D’un secret à nous destiné

 

Oui, Rêveuse parle en Elle

Comment pourrait-il en être autrement 

Les êtres de pure intériorité

Ne peuvent entretenir qu’avec eux-mêmes

Ce colloque dont ils s’abreuvent

Comme l’abeille le nectar

Parler haut serait consentir

Å détruire ce trésor, cette richesse

Parfois les choses gagnent-elles

Å être dissimulées

Et les flammes mouchées

En disent bien plus

Que les impétueux brasiers

 

Elle, Rêveuse en son retrait

Nous atteint au pli le plus secret

 

Le lit de sa chevelure est une cendre légère

Å peine une ondée sur un chemin de poussière

Le front est haut, lisse, bombé

Lui qui recueille les chastes pensées

Certes nous pouvons y lire l’inquiètude d’exister

Mais loin d’être une retenue, une menace

C’est l’enclin métaphysique qui l’habite

Qui fait son murmure de source

Comme si son origine même était

Sur le point de sourdre, de se révéler

L’arc des sourcils est une parenthèse

En laquelle les yeux s’enchâssent

Deux billes d’obsidienne

Qui disent la nuit du regard

Ce pur domaine d’un onirisme

Il est une nervure qui prépare le jour

Attend la lumière, suppose l’intelligence

Nullement un coup de fouet

Le témoignage d’une profondeur

 

Le nez est droit qu’effleure

Une ligne de clarté

La bouche est discrète

Les lèvres à peine visibles

Elles disent le silence

Le précieux qu’il renferme

La douce poésie qu’il recèle

Une joue reflète un jour économe

L’autre s’allume d’un délicat clair-obscur

Ici les minces reflets nous disent

La joie qu’il y a à vivre dans le simple

Dans l’immédiatement éprouvé

Dans la sensation alanguie

 

Une perle orne l’oreille gauche

Presque inaperçue

Métaphore de Rêveuse

En sa native modestie

Le cou s’orne d’une dernière

Vague de douceur

Un fin chemisier entre Coquelicot

Et Nacarat clot le portrait

Coquelicot, cette fleur si discrète, si éphémère

Nacarat, une touche de velours, une empreinte de satin

Ces souples étoffes, en une certaine façon

Parlent le langage de Rêveuse

 

Une brise court sur l’eau sans la toucher

Pas de deux de gerridé, vol de libellule

Ce qui, léger paraît, a une inoubliabe saveur

Å peine le goût en effleure-t-il le palais

Il n’en demeure qu’une illisible trace

Une présence a été

Pareille à la nuée

D’une encre sympathique

Nul effacement n’en guidera le destin

Ce qui, une fois seulement

A prononcé le mot « Beauté »

Se teinte d’éternité

 

Elle, Rêveuse en son retrait

Nous atteint au pli le plus secret

 

 

***

Épilogue

Elle, Rêveuse en son retrait

                                      « Rêveuse »                        « Portrait du Fayoum »

                                  François Dupuis                        Source : Odysseum

  

 

   Ici, comme indiqué dans la chair vive du « poème », j’ai mis en relation « Rêveuse » de François Dupuis et « Portrait du Fayoum » tel qu’apparu au IIe siècle après J.-C dans les parages de la cité antique « d’Antinoé ». Je crois à une évidence des « correspondances » faisant se rejoindre, au-delà du temps, au-delà de l’espace, deux œuvres fécondées d’une identique empreinte. L’encaustique sur bois de cèdre et doré, de la représentation antique, vient confluer avec l’huile tout en douceur, tout en nuance que nous livre dans son somptueux écrin la délicatesse habituelle de François Dupuis. Même texture, même palette de tons chauds, terriens, lustrés, pareils à l’argile d’un vase millénaire, même douceur songeuse du regard, même interrogation qui traverse les Siècles, traverse les Toiles et nous bouleverse dans notre essence d’Hommes, de Femmes.

    Ici se dit, en quelques touches savantes, une part d’éternité. Si l’Art a bien une fonction, nous conduire à notre propre oubli, transcender l’espace et le temps, nous déposer ailleurs que là où nous sommes sur une Terre de pure Idéalité, alors voici son but atteint, nous en sentons la magnétique puissance au creux même de notre chair.

 

Y aurait-il plus belle lumière que celle-ci ?

Qui donc répondra en premier ?

Qui donc répondra en Vérité ?

 

   Nous sommes ici si près d’une Origine, nous percevons son bruit de source, nous nous abreuvons à sa claire évidence. C’est là qu’il nous faut demeurer, immobiles tels des Gisants, mais des Gisants atteints de Passion, sans doute la plus belle chose qui soit sous ce Ciel sans limites, sur cette Terre dont un jour nous avons émergé pour dire quelques paroles et retourner au silence.

 

Ce qui dit le plus : le Silence,

à condition qu’il soit habité.

Silence

 

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10 juin 2022 5 10 /06 /juin /2022 09:28
Vers quel horizon

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Vers quel horizon

Notre être porte-t-il

Son affliction

Nous sommes abandon

Nous sommes perdition

 

Le ciel est gris

Qui se perd tout là-haut

Mon âme est grise

Qui ne connaît que la bise

Le ciel est gris qui s’éclot

Dans l’espace infini

 

La terre mais est-ce la terre

Cette langueur gorgée d’eau

La terre est parcourue de sillons

Mon esprit se teinte de limon

 

Une ligne noire sépare

 Le ciel de la terre

Elle est comme

Un trait ultime

Tiré entre les choses

Mon corps se ferme

Sourde porte close

 

Y a-t-il quelque part

Une lecture à faire

Un point de lumière à la lisière

Une plage de clarté court

Là-bas dans l’insaisissable du jour

Mes pensées pourraient-elles

Encore avoir cours

 

Vers quel horizon

Notre être porte-t-il

 Son affliction

Nous sommes abandon

Nous sommes perdition

 

Nul n’est ici arrivé

Le temps en sa pliure couché

Nulle ouverture n’a trouvé son lieu

Les yeux sont en quête d’un dieu

Désertés de toute présence

Cruelle et irrésolue nitescence

 

Ce lieu de pure beauté

Que saurait-il proférer

Sauf cette longue solitude

Sauf cette réelle finitude

Car Beauté est tragique

Car Beauté est magique

Car Beauté est alcaïque

Porte en soi au plus haut

Le Verbe en sa Poétique

Porte en soi tout ce qui

Au cœur nous tient chaud

 

En ce lieu de prodigieux silence

Nous faisons belle présence

En ce lieu de sourde existence

Vient à nous notre cruelle déhiscence

Du paysage nous sommes séparés

Du Monde nous ne voyons plus les traits

De ce qui est Autre nous sommes mutilés

 

Vers quel horizon

Notre être porte-t-il

 Son affliction

Nous sommes en abandon

Nous sommes perdition

 

Que dire au sujet

De cette vaste lagune

Qui déjà ne soit point lacune

Qu’éprouver au sein

De la merveilleuse Nature

Qui déjà ne soit profonde déchirure

Car les Hommes sont mortels

Se fourvoient souvent

En des péchés véniels

Car les Hommes

S’ils sont amoureux

Chutent souvent

En des abîmes ténébreux

 

Pourtant il y aurait

Bien peu à faire

Pour nous concilier

L’obligeance de la Terre

Vivre avec elle en harmonie

Cependant nous ôter tout souci

La cueillir telle une ambroisie

L’accueillir telle une Amie

 

Vers quel horizon

Notre être porte-t-il

Son affliction

Nous sommes abandon

Nous sommes perdition

 

 

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9 juin 2022 4 09 /06 /juin /2022 08:42
De quel abîme ce visage est-il le mot

Image : Léa Ciari

 

***

 

Le corps, tout le corps

Est une énigme

Mais le visage

Toujours il nous questionne

Et nous restons sans réponse

 

Le jour est à peine venu

Il flotte dans une demi-teinte

Il profère son nom et se retire

En un même mouvement

Il dit la vie, il dit

Le repos et la fuite

Il dit le temps et

L’ombre métaphysique

Il dit qui nous sommes

Qui nous avons été

Il ne dit nullement

Qui nous serons

Le jour nous frôle

De son aile de soie

Il est déjà au loin et

Nous ne l’avons aperçu

 

La nuit aussi est présente

Elle est le contretype du jour

Son versant négatif

Avec elle les rêves, avec elle

L’angoisse du jour à venir

Quelqu’un est dans la ténèbre

Et nous ne savons qui

Est-il Homme ou bien Femme

Ou bien Androgyne

Les choses sont si ambiguës

Dans cet éther

Dans ce poudroiement

Un gris taché de bleu

A envahi la pièce

Et cette hésitation

De la lumière

Nous jette dans le trouble

Un Visage, oui, un Visage

Mais lequel

 

Le corps, tout le corps

Est une énigme

Mais le visage

Toujours il nous questionne

Et nous restons sans réponse

 

De quel abîme

Ce visage est-il le mot

 

Vers quelle faille nous entraîne-t-il

Est-ce notre perte dont il s’agit

Est-ce notre reflet en l’Autre jeté

Alors nous n’aurions plus de place

Dans le vaste Monde

Et nous errerions telle

Une âme en peine de soi

Nous ne pouvons que

Regarder dans l’instant

Et regagner notre coquille

De limaçon

Y trouver quelque réconfort

Å l’unisson

 

De quel tragique

Ce Visage est-il l’image

 

Que veut-il exprimer qu’il

Ne se soit avoué à lui-même

A-t-il commis quelque forfait

A-t-il assisté à la Scène Primitive

Et le deuil s’est inscrit en lui à jamais

A-t-il vu l’invisible, touché

L’intouchable, entendu l’inouï

Et la mémoire est une braise

Qui incendie le corps

A-t-il connu Œdipe aveugle

A-t-il aperçu Jocaste éplorée

A-t-il rencontré l’innommable

Qui l’a rendu muet

A-t-il vu Phèdre

Son existence tourmentée

 

De quel absurde

Ce Visage est-il le lieu

 

Est-ce la finitude humaine

Qui l’a terrassé

Une insoutenable

Scène de guerre

Qui l’a ravagé

Un terrible holocauste

Qui l’a accablé

Il y a sur Terre

Tant de contrées dévastées

Tant de famines annoncées

Tant de maladies disséminées

Tant d’amours contrariées

 

Le corps, tout le corps

Est une énigme

Mais le visage 

Toujours il nous questionne

Et nous restons sans réponse

 

Ce Visage nous le regardons

Sans bien le voir

Ce visage nous le traversons

Comme la pluie le ciel

Ce Visage nous l’appelons

Mais n’attendons nulle réponse

Quelle pierre de Sisyphe

En a-t-elle abattu l’épiphanie

Quel mauvais génie

En a-t-il aboli la magie

Blême est ce Visage, pareil

Å celui d’un Mime triste

Tout comme lui

Il ne profère nul mot

Il s’est retiré dans

Un éternel silence

Il ne nous tend que

Sa fiévreuse absence

Il nous désole à même

Son indigence

 

Les yeux, ces avant-postes

De la conscience, sont éteints

Les oreilles ouvertes sur le

Chant du Monde sont occluses

La bouche qui distille

Le subtil langage est scellée

Nous regardons et cette épiphanie

Ne nous renvoie nul écho

Et cette épiphanie

Nous précipite dans les limbes

Et cette épiphanie

Nous laisse orphelins de ce qui est

Et cette épiphanie

Nous dérobe notre être

Aussi ne pouvons-nous soutenir

Longuement son épreuve

Toujours à sa propre complétude

Il faut le Visage de l’Autre

Toujours à la plénitude de l’Autre

Il faut l’épiphanie de notre Visage

 

VISAGE contre VISAGE

 

Le corps, tout le corps

Est une énigme

Mais le visage

Toujours il nous questionne

Et nous restons sans réponse

 

 

 

 

 

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7 juin 2022 2 07 /06 /juin /2022 10:34
Beauté se donne de soi

Photographie : John Charles Arnold

 

***

“La vraie beauté est si particulière, si nouvelle,

qu'on ne la reconnaît pas pour la beauté.”

 

Marcel Proust – « Le côté de Guermantes »

 

                                                                         *

 

[Quelques mots pour dire la poésie – Mes habituels Lecteurs ou Lectrices reconnaîtront vite (du moins en supputé-je la possibilité) quelques formes, thèmes, lexiques qui traversent habituellement ma prose sinon ma « poésie ». Voyez-vous, je prends des précautions car, là où je trouve « poésie », peut-être ne trouverez-vous rien de tel. Mais écrire est un tel acte intime qu’il parle tout d’abord à l’Écriveur, souvent à défaut de parler au Lecteur. Alors, ces redites, ces métaphores anaphoriques, ces énonciations qui pourraient aussi bien passer pour des tics de langage, est-ce simple forme, est-ce en ceci que consiste un style ? Je crois, qu’en première approximation, il faut y déceler un genre de manie obsessionnelle pour la raison essentielle que tout acte de création relève de cette constante itération. N’en relèverait-elle que l’invention aussitôt s’épuiserait et que, la fontaine tarie, vous ne verriez plus mes mots faire leurs ruissellements et que je ne m’appliquerai plus avant à martyriser mon clavier pour tenter de lui arracher quelque signification.

   Sachez que lorsque je me trouve face à un acte d’énonciation, lequel depuis bien longtemps a privilégié l’image comme support, que cette image précisément présente des sèmes qui me paraissent immédiats, certains mots surgissent tels des diables sortis de leur boîte et s’imposent comme les seuls possibles. Sans doute question d’affinités, de posture face à ce qui doit être dit de telle ou de telle manière. Faites donc ceci : lorsque vous écrivez et qu’agacé par une répétition que vous jugez trop fréquente et donc inutile, vous interrogez le dictionnaire des synonymes, y trouvez-vous d’emblée votre compte et une satisfaction subséquents ? S’il en est ainsi, vous êtes une heureuse ou heureux Écriveur et j’en suis un bien malchanceux.

   La langue est riche d’une infinité de nuances qui se déclinent de telle ou de telle façon. Mais prenons un exemple. Je veux écrire la phrase suivante : « De quelle origine langagière sommes-nous les héritiers », en vue d’exprimer ce qui est originel dans ce que, aujourd’hui, nous utilisons afin d’émettre une pensée la plus exacte possible. Interrogeant les listes du Centre National des Ressources Techniques et Lexicales (CNRTL pour les Initiés), la liste suivante m’est proposée, se substituant au mot « origine », dans un ordre décroissant de pertinence : « commencement, principe, source, seuil, cause, famille, germe, etc… » Vous conviendrez avec moi que si les premiers mots, bien que très approximatifs, « commencement, principe, source » pourraient à la rigueur convenir, il ne saurait en être de même pour « seuil, cause, famille » dont on voit bien qu’ici la langue se gauchit, qu’elle aura bientôt recours à une longue périphrase, laquelle, loin de tourner la difficulté, n’aboutira qu’à une formule bâtarde, sinon ridicule.

   Ni « principe langagier » ne serait conforme, car le langage, loin d’être un Principe est une Essence. Pas plus que « cause langagière » ou « famille langagière ». Toute formulation autre que « origine langagière » se donne à la façon d’un emplâtre sur une jambe de bois et, bien plutôt que de fausser la langue, dire « origine » deux fois, au moins le souci d’exactitude aura été respecté. Or toute langue ne peut se donner qu’en vérité. Voici, ceci n’était nulle justification, seulement éprouver quelque plaisir à faire des mots ce qu’ils doivent être, non des outils boiteux, mais des essences dignes d’être pensées.]

 

                  *

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Nous, les Erratiques Figures

Qu’avons-nous à dire qui, déjà, n’ait été dit

Nous, les Distraits par nature

Qu’avons-nous à entendre qui, déjà, n’ait été entendu

Nous, les Dormeurs debout

Qu’avons-nous à voir qui, déjà, n’ait été vu

 

Tout, nous avons Tout à voir et le savons

Depuis la pulpe intime de notre chair

Mais tout voir est un travail, une contrainte à installer

Dans le cours tranquille de nos vies

Alors nous batifolons de-ci, de-là, d’un air de rien

Comme si l’exister ne consistait qu’en ceci

Marcher sur des chemins de fortune et ne se soucier

Ni de la Cigale aux ailes transparentes

Ni de la Glace en son reflet bleu turquoise

Ni de l’Edelweiss en sa mousse blanche

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Toujours nous vivons par défaut

Seulement occupés de notre ego

Narcisses en devenir et c’est l’intime lumignon

De notre conscience que nous visons

Nul ailleurs qui pourrait nous dire le monde en sa

« multiple splendeur » selon l’expression du Poète

Seulement, Cigale, Glace, Edelweiss ne se trouvent

Nullement sur notre trajet par hasard

Ils sont tout-autour-de-nous-en-nous

Ils sont, tout à la fois, leur monde et le nôtre

Ce serait une erreur de nous croire séparés

Vivant au sein de notre autarcie

Comme la châtaigne dans sa bogue

Un lien invisible mais un lien fort nous relie au réel

Et cela nous fait penser à un long fil d’Ariane qui tresserait

Parmi les choses, une invincible et forte alliance

Cigale, Glace, Edelweiss

Je ne peux les ignorer

Ils sont là, tout comme moi

Ils se donnent généreusement

Sur la grande scène du Monde

Disant ces choses simples, nous disons aussi

De manière immédiate, la Beauté qui naît

Du modeste, de l’inaperçu et, de cette manière

Devrait nous interroger, ne nous laisser nul répit

Que nous n’en ayons fait l’inventaire

Reconnu l’inouïe singularité

Nous ne pouvons frôler la Beauté et poursuivre

Notre route l’âme tranquille, l’esprit serein

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Beauté se donne comme le pâle rayon du jour

Beauté se donne comme le pollen échappé du calice

Beauté se donne comme la fine brume sur l’eau du lac

 

C’est un matin de neuve lumière

Un matin pareil aux autres

Et pourtant unique en sa venue

L’air est encore frais

Qui embrume les joues

Les poudre d’un talc léger

On remonte le col de sa pelisse

On se rassemble en soi

Mais l’oreille attentive

L’œil aux aguets

La peau offerte à ce qui se présentera

Le Soleil, mais est-ce le Soleil

Cette boule blanche, nébuleuse

On dirait l’œil du Cyclope mais d’un Cyclope bienveillant

Qui nous guidera sur le sentier des choses à connaître

Car connaissance est Beauté pour qui ouvre son cœur

Pour qui laisse vibrer la lame de sa sensibilité

Nul rationnel, ici, qui viendrait

Interposer l’aridité du concept

Non, seulement une seule ligne fluide

Du monde à qui-je-suis, une souple entente

Une nervure de l’être se donnant de soi

 

 

Certes, on est aux aguets, mais non dans

L’inquiétude du chien sur la trace du gibier

Certes on est à l’affût, mais à l’affût de la Beauté

Une inclination de soi à la libre entente du Monde

Tout autour du Soleil, tout autour de la divine Lumière

Un air gris, diffus, la dentelle d’un songe

Tout est au repos et les Hommes

Ne se manifestent nullement

Ils sont pareils à de sombres Vigies

Dressées dans leurs cônes d’ombre

Sur le bord d’une couche

Dans l’anonymat

Peut-être la perte de soi

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Au recueil de la Beauté, il faut ce lien direct avec elle

Nul Témoin qui en altèrerait la pureté

Car pour être entière, la Beauté a à être pure

semblable à un cristal,

Å une eau de roche,

Å un air léger des cimes

Oui, Beauté est cime, oui Beauté

Est silence, oui, Beauté est recueil

Nulle Beauté n’est en partage

Toujours elle est à Quelqu’un destinée

Et épuise son être à même ce don

Pour autant elle n’est nullement enfuie

Elle se ressourcera et trouvera, à nouveau

Une âme disposée à l’accueillir

 

Des graminées, elles sont si discrètes

Il faut s’y accorder, chercher à dessiner leurs contours

Des graminées sont levées sur la rive du lac

Elles sont le métronome immobile d’un temps immuable

Elles sont les sentinelles d’un instant qui s’éternise

D’un idéal qui trouve le lieu de sa manifestation

Sur l’autre rive, au travers d’un mince tulle

Des arbres croit-on, dont on devine la fine résille

Elle vient à nous avec humilité

Nous en sentons la diaphane onction

Tout contre le creux de notre attente

Bientôt la plénitude sera là

Elle fera son chant secret

Son bruit de comptine dans le gris de la chambre

Où l’enfant dort pelotonné au milieu de ses rêves

Il sourit aux Anges, il sourit à la Beauté

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Que ne devenions-nous ces enfants au sommeil traversé de lumière

Que ne devenions-nous de simples espoirs flottant dans l’azur

Que ne devenions-nous des jarres gonflées d’huile précieuse

 

De la Beauté nous sommes en attente, mais ne le savons pas

De la Beauté nous sommes tissés, mais toujours l’oublions

De la Beauté nous sommes entourés et nos mains sont vides

 

Cigale, Glace, Edelweiss

Soleil, Graminées, Lac

Six mots se lèvent pour dire la Beauté

Saurons-nous au moins l’entendre

Saurons-nous au moins la reconnaître

Saurons-nous au moins la saisir

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

 

 

 

 

 

 

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5 juin 2022 7 05 /06 /juin /2022 17:06
Franchir le seuil de la pudeur

Peinture : Barbara Kroll

 ***

 

[Prélude – Sur le Poème et son visage.

 

   Le poème que vous allez lire ne sera, en toute hypothèse, que ce que vous en ferez vous-même. Peut-être ne l’entendrez vous nullement en tant que poème. Toujours il est difficile de définir un genre, de lui attribuer telle ou telle couleur. Je vous dis « poème », peut-être songerez-vous « prose » et nulle autre réalité au-delà. Il en est ainsi de bien des choses sur Terre, ce que nous déterminons en conscience, l’Autre n’a de cesse que d’en reformuler les termes, peut-être même de les inverser. Je dis « Jour », mon coreligionnaire dit « Nuit ». Or, en ceci chacun a raison au simple motif que le réel porte toujours l’empreinte de notre propre subjectivité dont le rôle éminent est d’être singulière, uniquement singulière.

   Å la lecture de ce qui suit, un problème ne manquera d’inévitablement surgir, celui du contenu du poème. Å l’évidence, ici, nous pouvons parler d’une « portée morale » du poème, de son inscription dans le vaste champ de l’éthique. Dès lors, un poème a-t-il pour « fonction » d’être une fable morale ? Ne sort-il de cette manière de l’ornière que des siècles d’écriture lui ont attribuée comme son visage le plus propre ? Alors quel doit être son propos : décrire la Nature selon une simple mimèsis ? Tracer le sillon où s’inscrira tout naturellement l’amour ? Installer le lieu d’une réminiscence ? Verser dans le bucolique ? S’aguerrir dans une manière de lutte sociale ?  Déployer le lit sur lequel se couchera le tragique ?

   L’on s’aperçoit, sans délai, que le problème est mal posé. Le poème n’a nul contenu particulier à exposer. Son propos est bien plus celui de la forme que du contenu. Je dis « poème » et je le soumets à quelques règles formelles : Repères visuels de plus ou moins grande longueur. Rimes ou vers libres.  Lettres capitales à l’initiale de chaque ligne. Disposition syntactique/sémantique jouant sur le plan du sens qui est inhérent au texte. Reprises anaphoriques telles des incantations. Rythme du récit qui, parfois, devient chant. Pour ma part, je crois que le rythme est la marque essentielle au gré duquel le dire poétique se détermine en priorité. Mais encore une fois, tout ceci est si imprégné de ressenti personnel que rien n’a lieu qu’une multitude d’interprétations selon chaque Lecteur, chaque Lectrice et ceci est heureux au titre d’une nécessaire liberté.

   Du temps de l’alexandrin les choses étaient bien plus nettes et définies, il y avait un code, des mesures, des pieds, des césures. Mais loin est le temps de l’alexandrin et la période dite « Moderne » a bien d’autres chats à fouetter que de produire, à la belle et étonnante manière de Victor Hugo, des alexandrins à la chaîne. L’un des caractères les plus affirmés de la langue c’est sa constante évolution, son éternelle métamorphose. Ce qui, aujourd’hui, paraît « follement contemporain » sera demain démodé et remisé dans les placards poussiéreux du passé. Lisant, que retenons-nous d’une écriture : sa forme, la subtilité d’une pensée, le thème qui s’y illustre, les thèses qui s’y développent ? Chacun selon ses goûts. Ce que, cependant, je crois c’est, qu’avant tout, toute entreprise d’écriture est travail sur le langage. Autrement dit langage sur le langage. Mais peut-être penserez-vous l’opposé. Ce poème, que peut-être vous vous apprêtez à lire semble délivrer quelque « leçon de morale » car il y est question de pudeur et de son contraire. Mais n’y voir que ceci est se fier simplement aux apparences. C’est l’image de l’Artiste qui, en premier a « mené le bal », le reste, les pas de deux sont venus à la suite, tels qu’ils sont et tels qu’ils devaient être. Place au poème.]

 

                      *

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Ces mots que je vous prêtais

Mais est-ce vous qui aviez proféré ceci

Au sein même de votre continent de chair

Ou bien vous avais-je attribué mes ardentes paroles

Miroir de mon luxueux désir

De ma volupté toutes voiles dehors

C’est ainsi, il y a des jours de plénitude solaire

L’orage gronde au loin

Il y a des jours de subtile efflorescence

De généreuse turgescence

Une manière de charivari à la pliure du corps

On ne se connaît plus soi-même

Qu’à l’aune de ce rougeoiement

De cette source intérieure

Pressée de connaître son destin

D’en tracer l’arche éblouissante

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Cette formule résonnait en moi identique à une antienne

Qui n’aurait su avoir de fin et n’avait de cesse

D’occuper mon esprit du levant au couchant

C’était une seconde nature

C’était l’ongle qui recouvrait la chair

C’était la chair que tutoyait l’ongle

Si bien que je ne savais plus qui était qui

Si mon caprice résultait de vous

Si je n’étais le jouet que vous agitiez devant vous

Å la manière d’un hochet

Me réduisant à l’état d’objet, non sexuel

Celui-ci m’aurait fortement agréé

Non plutôt de simple ustensile

Commis aux usages les plus ordinaires

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Saisissez-vous au moins le trouble dans lequel

Votre belle image me précipite

Je ne sais si j’aurai jamais la force d’en ressortir

Le magnétisme que vous exercez sur moi est si fort

Et je crois être aliéné, attaché à votre être par

Toutes les fibres de mon corps

Comment pourrais-je sortir de cette condition

Briser les chaînes de l’aporie

Que vous avez tressées autour de moi

Peut-être à votre insu

Mais elles n’en sont pas moins réelles

Incontournables en un certain sens

Dont je ne m’exonèrerais qu’au risque de qui je suis

Une étrange figure Erratique sans feu ni lieu

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

En moi, au plus secret,

Je ressasse cette étrange et fascinante formule

Franchir le seuil mais que veut signifier ceci

Ne franchissons-nous, depuis l’aube de

Notre naissance une foule infinie de seuils

D’abord nous naissons, ensuite nous sommes enfant, puis adolescent

Puis dans la maturité de l’âge, puis dans la vieillesse, puis dans la mort

Toujours des seuils suivent des seuils que nous franchissons

Et ceci se nomme « exister », donc sortir du Néant

La pudeur : « propension à se retenir de montrer »

Voici la définition canonique

Eh bien, voyez-vous, ce qui est étonnant à plus d’un titre

Précisément l’oxymore qui met en contact

Le « se retenir » et le « se montrer »

Car vous êtes à la jointure des deux

Comme tiraillée entre votre attrait de vous donner en spectacle

Et votre réserve car vous me semblez un être

Facilement effarouché, en arrière de soi,

Souhaitant la vive lumière du Jour alors que

La Nuit vous habite de toute sa farouche beauté

En réalité nul franchissement n’a eu lieu

En réalité nulle pudeur qui vous clouerait à demeure

Non en réalité vous êtes une Habitante du Seuil

Une Sédentaire qui regarde au loin mais séjournez en vous

Certes, sans doute eussiez-vous aimé

Afficher une tranquille impudeur

Vous livrer nue, sans défense au Quidam de passage

N’en tirer nulle honte mais une légitime fierté

L’impudeur toujours revendique quelque orgueil

Et il faut avoir beaucoup de courage sinon d’inconscience

Pour livrer la fleur de sa chair

Comme on donne l’obole au Démuni

Sans doute plus d’Un qui vous observerait

Vous désignerait en tant que Vénale

Intéressée à l’échange bien plus

Qu’y participant avec sincérité

Å moins que vous ne cumuliez les deux

Le plaisir et la valeur

« Il y a loin de la coupe aux lèvres »

Et votre attitude n’est peut-être que de façade

Å défaut de vous « posséder »

(Mais « possède-t-on » jamais quelqu’un, à commencer par soi ?)

Je prendrai plaisir à vous décrire telle qu’en vous-même

Vous semblez dresser votre exacte esquisse

Mais savez-vous au moins qui vous êtes

Quelle trajectoire vous empruntez

Le dessin que vous tracerez à la face du monde

Loin d’être affranchi votre visage, fût-il tanné par le soleil

Reflète une peur, une inquiétude bien réelles

On ne jette pas si facilement son corps en pâture

Le corps refuse, le corps regimbe, se révolte et demande paix et repos

Vos yeux sont le reflet de ce trouble immense

Votre air effarouché en témoigne

On ne sort si facilement des rets de sa condition

On ne proclame nulle liberté

Laquelle eût demandé un long temps de maturation

Laquelle se fût vêtue d’une éthique à sa juste mesure

Bleus vos cheveux, bleue votre bouche comme si elle

Portait les traces d’une cigüe dont le Destin vous aurait fait l’offrande

Et vos épaules, ne sont-elles tombantes

Å la hauteur du châtiment que vous vous êtes imposé à vous-même

Le corps est tout sauf une marchandise sur un étal

La chair est tout sauf une simple contingence à offrir aux regards

Combien la chute de votre poitrine dit votre affliction

Vous êtes, à la fois, dans la force de l’âge et dans son déclin

Cruelle est la temporalité qui vous fige

Dans cette cire pareille à celle des Effigies du Musée Grévin

Vos bras sont croisés à la hauteur de votre ombilic

Mais ce dont ils défendent l’accès se trouve infirmé

Par cette jupe si courte, elle dévoile presque votre sexe

Elle lance un appel, mais de quelle sorte :

De pure joie, de verticale détresse

Tout mon discours, depuis que je procède à votre inventaire

Fait signe en direction d’une stupeur qui semble vous avoir frappée

Et proclamerait votre fin prochaine

Que rien ne m’étonnerait qu’il en soit ainsi

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Mon poème commence dans le genre d’une jouissance

Retenue avec peine sur la margelle de mon propre corps

Mon poème commence, pareil à la flamme du désir

Et s’achève sur cette note tragique qui est le lot de notre mortelle nature

Je crois qu’un instant, échappant à la surveillance de votre libre arbitre

Votre corps « n’en avait fait qu’à sa tête », si je puis dire

Frôlant de bien ombreux territoires

Votre corps meurtri, en proie aux Prédateurs de toutes sortes

Qui rôdent alentour et n’attendent que de vous désigner comme leur proie

Vous exhibant ainsi dans cette posture mi-provocante, mi-réservée

Vous n’avez été, ni celle que vous êtes

Ni celle que vous auriez aimé être selon la fantaisie de vos fantasmes

Comment ressortirez-vous de ceci

Comment inverserez-vous l’irrationnel pour en revenir au rationnel

Vous seule le savez car chacun connaît les voies secrètes

Selon lesquelles coïncider avec son être :

Être Homme, être Femme et rien au-delà qui pourrait en altérer la qualité

Tous nous avons à être selon notre Vérité

Tout choix adventice est déjà cheminement dans les ornières

Tout Destin se sait comme celui qu’il a à être

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

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4 juin 2022 6 04 /06 /juin /2022 14:37
Telle une jarre antique

                                                                   Peinture : Barbara Kroll

 

                ***

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Voyez-vous, parfois au sortir d’une nuit d’étoupe

L’esprit est à la peine, le corps lourd

L’âme désaccordée, le sentiment de cendre

La mémoire perdue dans l’innommable

On regarde le jour et c’est la nuit qui se présente

On regarde la possible joie et c’est le chagrin

On regarde son visage dans le miroir

Et c’est le tain piqué qui vous fait face

Face blême de Pierrot triste

En quête d’une improbable Colombine

 

Hier le temps était lourd

Hier c’était le plomb

Et le ciel avait des teintes confuses

Des humeurs sibyllines

Des pliures d’orage

Des goûts amers

Des lignes flexueuses

Des angles étroits

Des fragrances d’arsenic

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Depuis l’aube et jusqu’au crépuscule

J’avais prié la pluie, espéré le déluge

Souhaité que l’inouï se réalisât

Qu’un mystère se dissipât

Qu’advînt ce qui, depuis toujours

Me mettait à la peine

Un miracle, peut-être

La joie d’une sublime Poésie

La venue des dieux lointains

Une subite révélation

La plongée au cœur

De qui-je-suis dont je ne puis

Cerner l’illisible esquisse

Mais se possède-t-on jamais

(Belle illusion !)

Mais se connaît-on jamais

(Poudre aux yeux !)

Mais trace-ton jamais ses propres contours

(Étrange utopie !)

 

Sachez-le, vous qui êtes encore une énigme

Je suis Œdipe aux yeux lacérés et j’erre sans fin

Dans les rues de Colone en quête de qui j’ai été

Peut-être ne le saurai-je jamais

N’est-on à soi-même le plus étranger

Celui qu’on croit tenir et qui toujours fuit au-devant de soi

Comme si, se connaître, était le danger le plus grand

La question la plus saugrenue qui se présentât à l’esprit

Alors on finit par renoncer à soi

On saute à la mer, on nage vigoureusement

On frôle des archipels, on espère des mérites

On implore des vertus, on hallucine des trésors

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Et, soudain, alors que le désespoir

Faisait son bruit de bourdon

Que le tocsin s’annonçait comme seul signe d’une vie

Å hisser au sommet du mât de Cocagne

Voici que, surgie de votre île,

Vous vous manifestez à mes yeux

Les faites de diamant et de rubis

Des larmes de résine inondent mes joues

Et ce qui, depuis longtemps, m’avait déserté

Une félicité logée au creux de mon abîme

Là voilà pareille à un baume

Identique à une ambroisie coulant à mon palais

La voilà cette onction venue des dieux

Elle pose à mon front les lianes de l’espoir

 

Vous dire telle que vous êtes

C’est, en quelque façon, me dire

Le Dérobé que je suis à mes propres yeux

L’Errant naviguant alentour de son propre corps

Le Mendiant tendant aux Passants ma sébile vide

Demandant l’obole qui me sauvera

Me dira à nouveau que je suis Homme parmi les Hommes

Qu’un don pourra m’être fait porteur d’un sens infini

 

Vous dire et porter mon égarement

Å la pointe du jour, dans l’éblouissement blanc de la lumière

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Telle une Déesse sortie de l’onde,

Telle Vénus à la plurielle splendeur

Vous demeurez sur un siège bleu de ciel

Il est le Bienheureux, celui qui porte votre Royauté

Et ne saurait se lasser d’un tel mérite

Comme d’une conque vous en émergez

Avec toute la grâce qui sied à votre rang

Seriez-vous Intouchable par hasard

Des yeux oseraient-ils se poser sur Vous

Effleure votre corps, ce fruit fécond

Cette haute Corne d’Abondance

Qui s’y abreuverait serait pour l’éternité

L’Esclave libre de soi

 

Vous servir est plaisir, nullement douleur

 

Votre bras relevé, votre visage inscrit dans sa courbe

Le jais de vos cheveux, cette fontaine magique

Tout ceci dessine le beau profil d’une jarre

Antique cela va de soi

Je pense à ce pithos venu de la lointaine Crète

Il porte en lui les signes de la pure beauté

Il porte en lui les traces de ce vin capiteux

Qui rendait les Mortels fous et les dispensait,

Un instant, de penser au terme de leur existence

Le divin Diogène de Sinope n’y a-t-il trouvé refuge

Lui le laudateur d’une vie simple et immédiate

 

Vos yeux, ces pierreries fascinantes

Des émeraudes

Des lapis-lazuli

Des aigues-marines

Vos yeux sont discrètement clos

Sur quels rêves s’abîment-ils

Sur quel chimérique projet achoppent-ils

Quel monde cachent-ils à mes yeux

Dont jamais le secret ne pourra être révélé

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Votre poitrine est menue

Pareille à deux grains de Corinthe à la brune aréole

Vous la dissimulez derrière l’un de vos bras

Comme pour la rendre plus désirable

Et vos jambes, ces lianes infinies

Ces effusions dont je voudrais qu’elles pussent m’emprisonner

Me ligoter, faire de moi l’un de vos empressés Serviteur

Vos jambes sont de pures venues dans l’écrin du monde

L’une d’elle repliée, l’autre relevée

Dans l’intervalle se laisse apercevoir l’amande de votre sexe

Quelqu’un en a-t-il éprouvé la douceur, en a -t-il goûté le suc amer

Et alors la folie l’a visité pour le reste de ses jours

Il n’est jusqu’à la courbure de vos pieds qui ne soit pur prodige

Me croyez-vous dans l’excès

Me croyez-vous dans le pur délire

Vous ayant simplement hallucinée

S’il en était ainsi vous seriez absente à jamais

Et mon âme pleurerait jusqu’à connaître sa fin

Oui, à connaître sa fin

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

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3 juin 2022 5 03 /06 /juin /2022 10:03
Posée sur sa main

Image : Léa Ciari

 

***

 

Posée sur sa main,

 

Elle demeure

En-deçà de Soi

Dans un territoire

Encore innommé

Est-elle née à ce monde

Ou bien l’hallucine-telle

Retirée qu’elle est

Dns le pli du secret 

C’est à peine

Une onde légère

C’est à peine

 Un ris de vent

A la face du lac

C’est tout juste

Un murmure

A l’orée des choses

 

Telle nous la voyons

 Telle nous l’aimons

Comme on aime

La fleur au pré

Le nuage au ciel

Le sable doux

Au rivage

 

Alanguie sur sa main,

 

Vient-elle jusqu’à nous

Nous aperçoit-elle au moins 

Nous comptons si peu

Dans l’heure qui court

Qui fuit au loin

Nulle souvenance de nous

En cette course folle

Un temps a passé

Un autre viendra

Qui nous laissera assoiffé

Au rivage du fleuve

 

Rêveuse sur sa main

 

Quel est le motif du songe

Une tâche à accomplir

Une Amie à rencontrer

Une lecture à poursuivre

Elle, l’Innommée

Est à la mi-nuit

D’elle-même

En l’ombre recueillie

Comme pour un étrange rituel

Une communion avec Soi

Le seul endroit lisible

Parmi les fabulations

De petite destinée

 

Il y a tant de secret

Tant de mystère

Et tout se mêle

Dans l’eau si fine

D’une brume

On est Soi

Là, à la lisière

De ce qui pourrait être

Mais jamais ne s’annonce

Un songe se lève et meurt

De son propre néant

 

Le visage est une jarre lisse

Un discret céladon à l’abri

Sa clarté vient à nous

Nous effleure et repart

Sans même avoir montré

La faveur de son être

 

Gauche, gauche

 Est la face

De lumière et de

Vive inquiétude

Le front est un marbre

L’œil une présence-absence

Le nez une tige frêle

L’air une fragrance infinie

La joue un signe éteint

 

Les doigts un flambeau

Il féconde la Nuit

De son éventail de résine

Nul index ne pointe

Pour nous dire

Pour lui dire

Le chemin

Å accomplir

 

Droite, droite

Est la face

En son ténébreux silence

Elle s’adoube au Rien

Et se soustrait à la vue

Ici est le domaine

De l’invisible présence

Ici est le domaine

Des pensées libres

Ici est le domaine

Des résurgences

Peut-être d’amours anciennes

Peut-être d’œuvres laissées

Au bord du chemin

Peut-être de paysages

De haute lumière

 

Nul ne sait ce

Qui, ici, fait sens

Quel langage

 En prédit la venue

Quel pinceau

En tracera l’esquisse

Quel graphite

En grisera le nom

Ô nom d’impossible venue

Tu nous laisses

Éparpillé en nous

Hagard, portrait blême

Ame errante

Au bord du vide

 

Mais pourquoi

Cette aphasie

Nos lèvres

Sont muettes

Mais pourquoi

Cette cécité

Nos yeux

 Sont plombés

Mais pourquoi

Cette hémiplégie

Notre corps est

Scindé en deux

Qui cherche

 L’autre moitié

Celle qui nous

Conduirait

 

Å l’Unité

 

Posée sur sa main

Alanguie sur sa main

Rêveuse sur sa main

 

Elle est notre

Part irrésolue

Celle par qui nous

Aurions pu exister

Mais vertical

 Est le Destin

Qui nous prive

D’une part de nous

Nous prive

D’une part d’Elle

D’ELLE qui sera

 Son seul Nom

Pour l’infini

Du Temps

 

Pour l’Infini

 

Du Temps

 

Posée sur sa main

Alanguie sur sa main

Rêveuse sur sa main

 

 

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26 mai 2022 4 26 /05 /mai /2022 09:24
L’épanchement du songe

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

« Ici a commencé pour moi ce que j'appellerais

l'épanchement du songe dans la vie réelle. »

 

« Aurélia » - Gérard de Nerval

 

*

 

[Avant-Propos – Cette longue poésie se donne en tant que poésie « métaphysique » et c’est sans doute pour cette raison qu’une inévitable distance se crée entre le Lecteur, la Lectrice et le texte. Est-ce le lieu et la mission de la poésie que de poser, d’interroger les postures existentielles ? Existe-t-il vraiment une nature de l’acte poétique selon laquelle il serait conforme à son être ? La poésie doit-elle être pur amour, fête de la mémoire, lieu de la réminiscence, avant-garde de l’écriture, site où se déploie la pensée, question de la question ? Tant que nous demeurerons dans le champ de l’interrogation concernant la modalité de sa parution relative à tel ou tel genre, nous n’aborderons la poésie que sous l’angle de sa périphérie, non en son essence réelle.

   Si la poésie a quelque mérite c’est bien sous le visage d’un travail sur le langage, autrement dit d’un style. Et, ici, ce qui doit se laisser découvrir, c’est que l’appel à la métaphysique, donc à l’étonnement qui en constitue le fondement, donc à la philosophie qui en est le synonyme, constitue en soi la forme dont le poème est conduit. Ceci est son sens premier, sur lequel se dépose un sens second, lequel est compréhension de la parole. C’est bien à la jonction de ces deux sens que le poème est poème. Il dit en mode spéculatif ce qui est à entendre sous toute énonciation : la place que nous occupons dans l’univers, la question que nous lui destinons et qu’il nous destine en retour. Toujours, en relation avec notre essence humaine, nous sommes à la croisée des chemins. Le questionnement est notre dimension la plus proche, la plus essentielle qui soit pour tâcher de nous y retrouver avec qui nous sommes et tels que nous devenons.]

 

*

 

Vous, La Bleue, pouvais-je vous regarder

plus qu’une seconde et retourner

en moi l’âme libre, le cœur apaisé ?

Non seulement je ne le pouvais,

mais souhaitais ardemment demeurer

auprès de vous, au plus près, me fondre en vous

si, du moins, une telle chose eût été possible.

Ne me dites l’impossible, car c’est lui que je veux,

car mon être ne tient qu’à la rencontre de vous,

la connaissance de vous, l’exploration de vous.

 Oui, je sais, tout ceci est si malhabilement formulé,

 plutôt un balbutiement de gamin

devant l’immense du jour,

 l’abîme de l’exister.

 Mais ai-je d’autre choix que d’être

moi-hors-de-moi en vous-même épanché ?

Vous me dites, aussitôt, la formule nervalienne

que je vous destine à la manière d’un fruit empoisonné.

Si, vous La Bleue, appelez cet Épanchement,

c’est que vous êtes la correspondante de ma Folie,

celle qui la reçoit et, en retour, me la destine à nouveau.

Car, vous le savez, je-suis-le-Songe.

Car vous le savez, vous-êtes-le-Réel.

C’est pour cette raison que mon esprit,

en vous, s’écoule,

en vous se manifeste,

en vous s’aliène

pour n’en jamais ressortir.

 

 Voyez-vous, vous en êtes bien informée,

la Folie n’est jamais que ce

visage de Janus à double face,

d’un côté le Songe, Moi si vous préférez,

de l’autre, Vous, le Réel en sa bleue carnation.

Pouvez-vous cependant demeurer sur votre face,

 être le Réel et vous y cantonner ?

Puis-je, cependant demeurer sur ma face,

être le Songe et y camper pour l’éternité ?

Certes ma formulation doit vous paraître bien étrange

et ces deux faces que j’invoque, si abstraites

que nul reflet ne parvient à votre conscience,

qu’une manière de lumière éteinte, glauque,

pareille à celle qui nappe de bleu-vert

le fond mystérieux des aquariums.

 

Oui, je sais, vous vous croyez

hors d’atteinte de mon Songe

qui est aussi ma Folie.

Oui, je sais, je me crois

hors d’atteinte du Réel

qui est votre certitude,

la pierre angulaire sur laquelle

vous vous êtes construite.

Vous vous croyez si éloignée du régime Onirique,

 je veux dire celui qui se lève de l’herbe des nuits

et lance ses lianes invasives

 sur cette pierre, cet arbre, ce ciel,

mais aussi, mais surtout,

 tresse autour de votre corps

les barreaux de fer de votre geôle.

 

Mais je vais vous aider à comprendre

en quoi les choses ne sont nullement isolées,

en quoi la vie est un système de vases communicants,

de vases fonctionnant selon le Principe de l’Épanchement.

 J’ai pris soin d’écrire le beau mot d’Épanchement

avec une majuscule à l’initiale.

Oui, car il est l’opérateur de toute relation,

c’est lui dont le flux relie le Songe, ma Folie,

 et le Réel votre Raison.

Toutefois, voyez-vous, il n’y a

nulle rupture entre les choses,

nulle césure qui intimerait à l’Homme

 de se situer Ici, bien plutôt que Là.

 

Qui pourrait, et de quel droit, déterminer en quoi

que ce soit l’Essence qui vous habitera :

l’Essence de la Folie et les Rêves

gireraient tout autour de vous, en vous

ou bien l’Essence du Réel et la Matière sûre

et palpable ornerait la cimaise de votre corps ?

Non, les choses ne sont pas si simples

et vous n’ignorez nullement que les catégories,

les divisions de tout ce qui vient à nous

sont une simple « Ruse de la Raison »,

un peu de poudre de perlimpinpin,

une pincée d’achillée mille-feuilles, astuces

qui n’ont pour but que de vous égarer, de vous faire

« prendre des vessies pour des lanternes ».

 

Sans doute, avez-vous maintes fois

éprouvé l’expérience de l’illusion.

Ce, qu’au loin, vous preniez

pour une forme humaine,

n’était en réalité qu’un spectre,

 un arbre ou bien une haie,

que le brouillard nimbait

et métamorphosait

 à vos yeux crédules.

Ainsi l’Arbre-Vérité

était l’équivalent

de l’Homme-Mensonge.

Apercevez-vous, La Bleue,

combien le fil est ténu qui sépare

une vision nette d’une vision erronée,

la Vérité de l’Erreur,

la Réalité du Songe ?

 

Toujours, vous avancez, nous avançons

sur cette mince ligne de crête qui,

 tantôt se donne sous la Lumière de l’Adret,

tantôt sous l’Ombre de l’Ubac.

Oui, vous tressaillez,

oui, vous frémissez

et ce Bleu qui se décolore,

passe par toutes ses intimes nuances,

teinte qui décroît s’altère successivement

 

BARBEAU 

COERULEUM 

CIEL 

DENIM

 ÉLECTRIQUE 

DE FRANCE

 

pour s’abîmer dans

la TURQUOISE

laquelle cède déjà au VERT

ce qui constituait sa nature,

sa forme première dont on pensait

 qu’elle était fixe pour l’éternité.

Alors, La BLEUE,

quand êtes-vous la plus Réelle,

quand êtes-vous le plus dans votre Vérité,

quand êtes vous en vous sans débord,

sans compromission ?

Et cette teinte TURQUOISE

que vous arborez si fièrement,

n’est-ce déjà du SONGE, donc de la FOLIE

qui sinue parmi le lacis de votre cortex,

y allume ses feux de Bengale,

y tire ses salves de joyeux artifices

alors que vos bras et vos jambes sont pris

d’une épileptique dans se Saint-Guy ?

N’est-ce ceci que vous vous êtes

toujours refusée à admette,

sous la férule du souverain Principe de Raison ?

 Il vous encageait, il soumettait votre esprit

aux vertus muriatiques d’une sacro-sainte Vérité

dont il ne vous fût jamais venu à l’esprit

de le remettre en question,

 d’instiller en son derme

ce que vous considériez

tel le poison du doute.

 

Je pense, certainement à raison,

que vous vous considérez

en-deçà de l’Épanchement,

bien au chaud dans votre cocon douillet,

sorte de monade close qui vous met à l’abri

de bien des soucis, de bien des embarras.

 Je pense, certainement à raison,

que vous me situez

au-delà de l’Épanchement,

 plongé au sein de mon arbustive Folie.

Mais, postuler l’Essence de l’Autre

est toujours un risque, au simple motif

que nous aurions bien de la peine

à tracer les contours de la nôtre.

Mais ici, il faut sortir du discours rationnel,

du logos qui nous ligotent et nous imposent

des schémas de pensée sur-mesure,

il faut recourir à la métaphore,

seule capable de lever le voile

qui obture nos yeux,

contraint notre pensée,

obère nos jugements.

 

Vous, La BLEUE, imaginez ceci :

si vous le voulez bien,

nous allons nous livrer

 à un petit examen numismatique.

Prenons une pièce de monnaie.

Vous êtes le Revers ou Pile,

ce côté qui porte la valeur numérique,

laquelle peut recevoir des prédicats précis,

se situer dans une hiérarchie,

occuper une position exacte,

ceci déterminant les qualités

essentielles de la Raison.

 

Je suis l’Avers ou Face, ce côté

qui porte l’épiphanie d’un visage,

visage qui, selon les fantaisies de la Nature,

peut se donner de telle ou

de telle manière indéterminée,

aussi bien l’image du Souverain en sa majesté,

aussi bien celle du Fou d’Érasme faisant

s’agiter son bonnet à clochettes.

Situons-là, cette face, du côté du Songe et de la Folie.

Et, me direz-vous, que faites-vous, métaphoriquement,

de ce fin liseré de la Carnèle qui sépare

 la pièce de monnaie en deux versants distincts ?

Eh bien, ce liseré qui porte la « légende »

 n'est rien moins que l’Épanchement

du Revers dans l’Avers

et, symétriquement,

de l’Avers dans le Revers.

Autrement dit l’effusion, l’expansion

d’un régime dans l’autre :

 La Folie dans le Réel,

le Réel dans la Folie.

 

Si la Carnèle porte la Légende,

 les mérites d’un Roi, par exemple,

cette Carnèle est avant tout

Langage, médiation, relation.

Or il me plaît et me convient

de dire, La BLEUE,

que le Langage témoigne du Rêve,

révèle le Songe, manifeste l’Imaginaire,

ce dernier si près de la « Folle du logis »,

que le Langage se fraie un chemin et,

sous la pression de la Norme sociale,

se canalise, se discipline,

sa figure ne portant plus trace de son origine.

De torrent impétueux qu’il était,

l’Orage du Dieu en quelque façon,

l’Éclair du Tonnant,

il devient cette simple docilité,

ce murmure inaperçu, ce silex poli

qui ploie sous les fourches caudines de la Raison.

 

Seul le Poème en sa haute venue

 témoigne encore de ce Feu qui l’habite,

de cette Foudre dont il provient dont il ne demeure,

la plupart du temps, qu’un mince filet d’eau,

une prose pas plus haute

que le brin d’herbe dans la prairie.

 

La BLEUE,

que vienne donc la Folie,

que Tonne le Poème,

qu’Éclaire le Vers,

nous avons tellement besoin de Clarté

 en ce siècle si éloigné de celui des LUMIÈRES.

Si éloigné. N’en demeure qu’une étincelle

sous la cendre. Oui, sous la cendre !

La Folie appelle le Réel.

 Le Réel appelle la Folie.

Sortirons-nous jamais

de ce balancement

pareil à celui du nycthémère :

 le Jour, la Nuit, le Jour, la Nuit ?

 Est-ce possible ?

Est-ce seulement souhaitable ?

 Est-ce envisageable sous le sceau de l’humain.

Toujours le SENS est donné par ce rythme

 du mouvement d’un mot à l’autre,

d’une chose à l’autre.

Nul sens qui soit inerte, immuable.

Toujours un point qui se

déplace dans l’Univers

et ne trouve jamais son repos.

 

Où la Vérité ? Où le Réel ?

 

Où le Songe ? Où la Folie ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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23 mai 2022 1 23 /05 /mai /2022 09:42
Que serais-je ?

"ma maitresse d'école..."

Image : André Maynet

 

***

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout enfant déjà,

assis sagement sur

les bancs de l’École,

je te nommais en silence,

dans le recueil du jour,

Ma Déesse

Ma Maîtresse.

Tu ne le savais point,

 le devinais seulement,

mes yeux étaient des braises

au seuil d’un temps natif.

Ta voix, je l’aimais tout

comme on aime

 une berceuse.

Tes gestes, je les aimais

 tout comme on aime

 le chèvrefeuille,

ses odeurs intimes.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout adolescent, déjà,

installé dans le

derme de l’exister,

je te priais comme

on prie le Ciel de nous

prodiguer ses faveurs.

Je te nommais, dans

 le trouble de mon âge,

Ma Prêtresse

Ma Diablesse.

Tu ne l’entendais pas,

l’imaginais seulement.

Mon cœur était une glaise

au seuil d’un temps festif.

Ta voix, je l’aimais,

 tout comme on aime

un miel,

sa subtile douceur.

Tes gestes, je les aimais

tout comme on aime

le nuage au ciel,

trace si légère.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout adulte, déjà, hissé

au plus visible de l’âge,

je t’invoquais comme

on invoque la Terre

 pour y trouver

quelque repos.

Je te nommais,

dans la haute lumière,

Ma Druidesse

Ma Prophétesse.

Tu ne l’entendais pas,

le supputais seulement,

mon âme était une cimaise

au seuil d’un temps fugitif.

Ta voix, je l’aimais,

tout comme on aime

 une friandise,

sa délicate saveur.

Tes gestes, je les aimais,

tout comme on aime

le ruisseau dans l’ombre,

murmure discret.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Âgé, maintenant,

parvenu au

déclin de l’âge,

que me reste-t-il,

Ma Princesse

Mon Enchanteresse,

que ta voix se perdant

dans les coulisses du temps,

que tes gestes armoriant

un amour qui fut grand

de n’être pas connu de Toi,

qui fut brûlant d’être

connu de moi.

De moi avec

 pour horizon,

seulement

 

L’errance,

Oui l’errance.

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20 mai 2022 5 20 /05 /mai /2022 09:57
JUSTE…

Vers Leucate…

entre sel et vent…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

[Incise – La Poésie a-t-elle un visage particulier ? Doit-elle être bucolique, lyrique, tragique ou bien joyeuse ? Existe-t-il quelque prédicat qui puisse, d’une manière exacte, en définir les contours, en tracer le site singulier ? Non, je ne crois pas qu’il faille circonscrire la Poésie à un genre, à un thème, il fait la laisser libre d’aller à sa guise, là où elle veut, au simple motif que le Langage est premier, que l’Écriveur ne dit qu’à sa suite. Ce qui, d’une manière évidente, selon moi, dicte les mots du poème, ce sont les affinités qui sont les nôtres, déterminent notre « ton fondamental » dont nos créations constituent nos harmoniques.

   Si, agissant en quelque domaine, nous nous éprouvons en tant que libres, il n’est d’autre voie, dans le sillon de l’écriture, que de suivre nos intimes inclinations. Voudrions-nous en sortir et, aussitôt, le texte sonnerait faux, les phrases claudiqueraient. Nous ne pouvons écrire qu’en vérité et chaque Lecteur, chaque Lectrice se donne comme le juge de paix qui dénicherait bien vite nos falsifications.

   Pour ceux et celles qui sont accoutumés à ma prose, il ne vous aura nullement échappé que ma pente naturelle m’entraîne, corps consentant cependant, dans la direction d’un dire orphique, autrement dit du simple témoignage de la perte dont Eurydice est l’incontournable parangon. Il s’agit donc d’une posture existentielle bien plus adoubée au tragique qu’à son contraire. Oui, car chaque mot gravé sur la feuille blanche est, en tout état de cause, perdu. Jamais l’on ne le retrouvera tel qu’en lui-même dans une énonciation qui a été singulière au motif de sa temporalité.

   Je pense que tout acte de création est acte de deuil et, comme après l’amour, l’amant est triste qui médite sur la belle assertion de Gallien de Pergame : « Omne animal triste post coïtum. »  Qui vient de lire un poème et n’éprouve ce genre de longue mélancolie peut être persuadé d’avoir lu une simple prose. Lecteurs, Lectrices, mon vœu le plus cher, après que vous aurez lu les mots qui suivent : que vos yeux soient humides et votre cœur batte la chamade. S’il n'en est nullement ainsi, je devrai faire pénitence, sinon abstinence. Merci de m’avoir accompagné jusqu’ici.]

 

*

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait depuis

le plus profond du rêve.

 

La nuit, encore,

est partout étendue.

On entend bruire le noir,

on entend les poitrines

qui sont à la peine dans la

lourdeur des chambres.

Cela fait un bruit de forge

qui est bruit de l’Amour

luttant contre la Mort.

La chaleur a cloué sur

place tout essai d’exister.

 Sur les montagnes blanches

des salines, le Soleil

darde, tout le jour, sa

cyclopéenne blancheur.

On vêt ses yeux de

lourdes vitres noires,

on longe la falaise

 des murs,

on cherche l’ombre,

on se cherche Soi,

comme si l’on craignait

 de s’éparpiller,

de disparaître dans

 la rutilante fournaise.

 

JUSTE une île de fraîcheur

 dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

dans une gangue de silence.

 

On se lève, on titube

comme pris d’ivresse.

Non loin, sur le lac,

quelques barques de pêche

 jettent leur brindille sombre.

Nul n’est encore levé,

sauf les grands oiseaux de mer

 juchés sur leurs minces tiges.

Ils semblent méditer

tant qu’il est encore temps,

tant que le grand

charivari de la vie

n’a pas surgi

à l’horizon.

 

On se lève, on boit de

longs traits de thé glacé,

cela fait son ruissellement

de fraîcheur dans

 la dune du corps,

 cela amène l’existence

avec tant de douceur.

On voudrait n’être que

cette eau de source

et dormir au creux de

quelque sillon de terre.

Au loin, on entend

les râteaux des paludiers,

on entend le sel crisser

sous l’arrondi du bois,

 on entend le glissement

du sel sur les parois

de neige.

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

dans une offrande

faite à la Terre.

 

On est dehors, maintenant,

sous les étincelles du ciel.

La nappe de blancheur

est un plomb en fusion.

Les premiers ruisselets

de sueur dessinent

sur la peau

 leur erratique trajet.

On rêve alors d’une

conque lissée de ténèbres,

on rêve d’une Femme

 aux mains de frimas.

On rêve d’une banquise bleue

sous l’acier du septentrion.

Le long du lac, on marche

 parmi les lentilles mauves

des ophrys miroir,

les palmes du tamaris

font aux chevilles un luxe

dans l’heure levante.

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

pour seul emblème,

 pour seule joie.

 

On marche, on marche en Soi,

on marche sur le cercle du Monde.

Dans les villages de blanche torpeur,

les premiers mouvements,

les premières allégeances

à l’exister,

les premières promesses,

les premières trahisons.

 

Dans la fièvre avant l’heure

l’on ne sait plus qui l’on est,

l’on vacille en son intérieur,

 l’on ne connaît plus guère

ses propres frontières.

On est pris du mal de vivre

et l’on croque les premiers

 fruits amers et l’on se dispose

 à être Soi dans le

manque et la stupeur.

 

Au travers des croisées on

aperçoit les taches

 brunes des gravelots,

les robes noires des huîtriers,

leurs becs solaires et c’est

comme l’aube d’un langage

 naissant de l’eau,

 une aire de signification.

Un appel à être homme,

à ne nullement se renier,

à répandre son corps parmi

la multitude des choses,

 leurs plurielles esquisses,

les signes qu’elles

nous adressent

 et que, souvent, nous

ne comprenons pas.

 

Pourquoi cette

soudaine chaleur ?

 Pourquoi ces guerres

 et la chute des innocents ?

 Pourquoi l’Amour

sur fond de Mort ?

 Pourquoi ?

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

pour seul viatique,

pour seule louange.

 

JUSTE.

 

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