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1 avril 2023 6 01 /04 /avril /2023 07:56
Vous la Méditante

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

 

Cela vient de loin, de très loin.

Sans doute du plus loin

de la mémoire des hommes.

Plus loin que la courbe de leurs yeux,

plus loin que les hanches souples des femmes.

Cela vient d’au-delà des collines semées d’herbe,

d’au-delà de la soie des dunes,

d’au-delà des villes avec leurs barres de néon,

 leurs clignotements fous,

leurs cortèges d’automobiles aux vitres teintées.

 

   Cela vient du plus loin de l’espace et du temps, plus loin que la rapide lueur d’amour entre deux Amants. Cela se dit en touches d’aube et de crépuscule, cela s’énonce en demi-saisons, en lisières, en des feux qui couvent sous la cendre. Savez-vous au moins, vous qui déchiffrez mes mots, combien la palme de l’intuition est souveraine, combien elle devient le lieu d’une évidence pour qui sait y conduire son âme, l’y laisser s’imprégner des plus douces fragrances ? Savez-vous l’ineffable don de l’existence des choses avant même qu’elles n’existent ? On n’en perçoit qu’un souffle, une haleine tiède et parfumée pareille à celle d’une nuit d’été. Cela n’a guère de contours, les formes en sont atténuées, irisées, simples tremblement à l’horizon de la pensée. Les prédicats sont en attente, les qualités viendront plus tard, les silhouettes ne s’affirmeront qu’à l’aune de vos propres impatiences.

   Cette chose qui est encore dans le secret, cette chose qui se dissimule, ne profère que du silence, elle vient jusqu’à vous et s’invagine au lieu même de votre désir, de votre longue hibernation. Ceci, depuis toujours vous le saviez, ceci, cette venue à vous de ce qui vous constituait en votre fond, ceci qui chuchotait le galbe de son être en de simples attouchements, en de simples effleurements. Pareil à un zéphyr qui aurait lissé votre peau, aurait affirmé l’imminence de sa venue et, corrélativement, le surgissement de votre joie.  Certes intime, certes dissimulée mais brodée à cette aune d’inestimables valeurs. C’est toujours de cette étrange manière que le bonheur apparaît,

 

entre deux soucis,

entre deux attentes,

entre deux effrois.

 

   Belle vertu dialectique que cet accomplissement du sens tiré à hue et à dia et qui, de cet écartèlement, tire toute sa puissance fécondatrice. Nous autres Humains avons besoin de ces « douches écossaises », de ces surprises dérobées à leurs étuis glacés, de ces bêtises enveloppées dans leur feuille d’argent. Anticipation d’un plaisir dont témoigne l’agitation de nos papilles, dont s’émeut la lame de notre conscience.

  Mais la chose qui nous interroge, il faut la laisser venir, faire son pas de deux, nous révéler, depuis le demi-jour de la scène, sa subtile chorégraphie. Comme sur une neige tachée du gris du ciel, quelque chose a lieu, quelque chose nait de soi, quelque chose procède à sa propre efflorescence. Et la merveille est ceci que la Liberté en soit la seule mesure efficiente. La seule vertu. Naître de Soi, y aurait-il geste plus parfait que celui-ci se révélant à la surface de la Terre, au-dessus des pics des Montagnes, au-dessus du gonflement bleu des Océans ? Car affirmer son être uniquement à partir de son être, n’est-ce là le gage de la faculté la plus éminente ? : l’Essence rougeoie d’elle-même et envahit la courbe immense du Ciel. Tout alors, sur Terre, n’est que l’hypostase de cette Liberté, la marque subalterne d’un geste immémorial nécessaire alors que tout le reste est contingent, de surcroît, pareil à un inutile colifichet.

   Celle que le titre a nommée « La Méditante », laquelle en réalité ne saurait se donner qu’à la façon d’une pure abstraction, afin de la faire apparaître et de la rendre saisissable, il faut lui attribuer quelque trait humain, féminin en l’occurrence. Elle est encore si peu venue à sa propre naissance qu’elle émerge à peine de son fond qui, en même temps, est son fondement. C’est bien du Rien, du Néant qu’elle vient et en porte encore les stigmates les plus patents, cette impression de fantastique, d’irréalité, de songe flou faisant leurs voltes dans quelque cortex léthargique, brumeux. Et c’est bien ceci qui nous plaît : cette irrésolution, cette indétermination. Ce sont les fils de trame de l’inconnu sur lesquels seront ourdis, par notre conscience, les fils de chaîne d’une possible compréhension, les premières estimations d’un réel qui viendrait à nous.

   C’est comme les premiers mots d’un tout jeune enfant, les balbutiements d’une existence en devenir, le lieu de passage de l’informel au formel, le lieu de l’actuel refoulant dans l’ombre le virtuel, le lieu de l’imaginaire cédant la place sous les coups de boutoir de la matière. Pure émergence dans le lexique mondain. Ce n’est presque rien, ce sont de simples lignes confuses et pourtant, nous devinons, dans cette apparence voilée, se dessiner l’ombre souveraine d’un Destin. C’est si peu affirmé, mais si plein de promesse. C’est si peu formulé, mais si incliné au pluriel de la narration.

 

A ses oscillations,

à ses retournements,

à ses éblouissements,

 à ses retraits,

à ses consomptions,

à ses surgissements,

à ses parenthèses,

à ses fulgurances.

  

   De cette forme encore si embryonnaire, de cette figure sédimentée, de ces traits cendrés pareils à ceux d’une Ardoise Magique, c’est bien la Vie qui bourgeonne et décrète le Printemps au gré duquel une future floraison aura lieu. Ce qui nous plait alors, parcourir par la pensée ces si beaux linéaments, découvrir dans une longue patience ces exhumations du Rien, à peine un poudroiement, à peine l’ébruitement d’une source, à peine un murmure se levant d’une faille inaperçue du limon.

 

Tout est encore si près de l’Origine.

Tout est si indemne.

Tout est si natif.

 

   Tout est en une donation fabulatrice de ceci même qui va advenir : une Existence s’arrache au Néant et vient faire éclore sa lumière dans la longue nuit de l’Humain. Nullement une existence de plus qui serait fortuite. Non, une Existence Réelle, le début d’une Chair, l’amorce d’un Esprit, la germination d’une Âme. C’est tout ceci naître à Soi : s’exposer depuis son Essence, depuis son Unique à devenir Autre à chaque instant, à devenir Multiple, à se connaître selon une myriade de facettes dont nul n’eût pu supputer l’étonnante apparition, n’eût pu envisager l’infinie et splendide Corne d’Abondance.

 

Car Exister est bien ceci :

abonder à partir de ce qui n'était

que virtuel, dissimulé,

lové en soi dans le pli

d’une nuit infinie.

 

   C’est au seul motif de cet indescriptible, de cet innommable, de cet indiscernable que l’Artiste procède par touches prudentes, délicates, juste un grisé à l’horizon des choses, juste un crayonné et si peu de couleurs. Si le Néant est Noir dans son impénétrable coefficient, si l’Exister est Blanc dans sa générosité dispersive, la Naissance à Soi ne peut qu’être Grise, cette teinte qui, bien plutôt que d’être une couleur est le signe de la venue à soi des choses. Une troublante délicatesse qui n’approche la mystérieuse texture de l’Être qu’avec la juste mesure qui convient au retrait, au non-proféré, au non-figurable, au moins en un premier geste de la création. Les traits du visage sont presque inapparents, ils ont la consistance du silence, ils ont la réserve et la profondeur de la Méditation.

   Toute Naissance est nécessairement Méditation car jamais la lisière n’admet de trop vive clarté, car jamais la Venue au Monde n’est irruption. Certes, il y a le fameux « Cri Primal » qui, imitant le Cri de la Naissance, reconduirait l’individu sur ses fonts baptismaux, lui assurant ainsi un nouveau départ. Mais ce concept n’est rien moins qu’osé et, du reste, ne prouve rien, si ce n’est de poser un dogme thérapeutique aux fondements plus qu’incertains. Effaçons donc le cri et revenons à ce qui le précède, cet étonnement sur le bord de l’Être qui ne saurait être que silencieux, recueilli en soi, contemplatif de ce qui va venir, qui va ouvrir l’espace d’un possible, se manifester selon mille chemins dont aucun ne ressemble à l’autre.

   L’esquisse a ceci de merveilleux qu’elle traduit l’indicible, qu’elle profère à bas bruit ce que notre langage, le plus souvent, échoue à révéler. Si notre parole, la plupart du temps, s’ingénie à démontrer, l’image, elle, montre et c’est ce processus de monstration qui se révèle, sans doute, le plus apte à traduire nos intuitions. Le dessin délivre immédiatement une compréhension symbolique que le discours tâche de faire apparaître au gré d’une longue et éprouvante structuration, le motif central ne pouvant que pâtir de ces digressions du Principe de Raison. Peut-être s’agirait-il d’inventer un « Principe de Vision » (ici nous pensons à l’assertion rimbaldienne : « Il faut se faire voyant… »), au terme duquel ce qui demeurait dans l’ombre pût enfin s’éclairer, se rendre visible.

 

Le méditatif est ceci

qui ne vit que de lisières,

de contours, de clairières.

Méditer est s’approcher

au plus près, tutoyer les limites

entre Néant et Réel.

 

   Les franchir, ce n’est plus méditer, c’est raisonner. Et ceci constitue, en toute hypothèse, le plus grand danger. Déjà tout est fixé et la mémoire de l’Origine perdue. Il nous faut être le Méditant tout contre Celle-qui-Médite. Une manière d’analogie, de vases communicants nous mettant en rapport avec cet Autre que nous sommes toujours à nous-même car c’est bien en nous que résonne l’énigme de l’exister. Sans doute n’y a-t-il d’autre mystère que celui-ci !

 

Exister est une béance.

Exister est un suspens.

Exister est une tautologie :

« J’existe donc j’existe ».

Sans doute n’y a-t-il d’autre

cogito que celui-ci !

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

  

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12 mars 2023 7 12 /03 /mars /2023 11:47
Elle vivait en poésie.

"Pelle nuova..." Avec Emilie June.

Œuvre : André Maynet.

Elle vivait en poésie.

On voulait dire son corps, dire l’exception qu’il était, en tracer le subtil dessin, en énoncer les arabesques, en dresser l’étonnante cartographie. C’est alors que l’on se perdait dans les détails, que l’on dérapait, que les mots s’enlisaient dans leur propre limon et il ne demeurait plus qu’un bruit de succion pareil à l’engloutissement de la vase dans quelque sombre marais.

Elle disait, citant un poème de Birago Diop :

Les caresses te plaisent,

Les frôlements t’apaisent

Fille noire aux seins durs…

On voulait dire l’eau de ses cheveux, la fluidité de sa peau, la chute des reins telle une joyeuse cascade, ses jambes de pluie et l’on se perdait dans les brumes d’un langage qui se dissolvait sitôt qu’énoncé.

Elle disait, citant un poème d’Ismaïl Kadaré :

Les cascades dansaient là-bas

Comme de blancs chevaux fougueux,

La crinière pleine d’écume et d’arcs-en-ciel.

On voulait dire sa destinée aérienne, son vol au-dessus de la ville, son incroyable légèreté et l’on ne parvenait qu’à chausser des semelles de plomb et à demeurer dans les ornières du sol, les doigts tremblant de leur propre stupeur.

Elle disait, citant un poème de Pierre Reverdy :

Sur le toit

Il n’y a plus de lumière

Que le soleil

Et les signes que font tes doigts…

On voulait dire la flamme qui l’animait du dedans, les vifs reflets de la passion, la brûlure de l’amour dissimulée dans l’intime de la chair et l’on ne parvenait qu’à brasiller faiblement, à émettre un chant affaibli d’étincelle mourant de n’être pas connue.

Elle disait, citant un poème de Paol Keineg :

Demande à la flamme

pourquoi elle brûle

les chats de novembre

ne craignent pas la pluie

de seuil en deuil

l’amour te déchire…

Elle vivait en symboles.

On voulait dire le simple pieu de bois, la corde légèrement incurvée qu’il supportait, le tressage des fils qui constituait la matière intime de cette dernière, Elle disait la hampe de métal dressée dans l’éther, son étrange allure phallique, la fécondation du Ciel ; elle disait le filin du funambule sur lequel nous marchions tous, les yeux hagards, mains agrippées à la longue perche qui tanguait, menaçant de nous précipiter tantôt en Charybde, tantôt en Scylla, nous rattrapant juste à temps, laissant nos pieds vêtus de chaussons talqués glisser infiniment sur ce chemin étroit dont, bientôt, nous apercevrions la fin, regrettant tout à la fois l’incertitude de la progression, le risque de la chute, le saut dans l’abîme par lequel nous rejoindrions le Néant, la seule issue possible, l’évidence faite parole silencieuse, mutisme éternel.

On voulait dire la théorie du linge - un caraco léger, des bas diaphanes, des combinaisons transparentes, de menus colifichets -, faseyant dans le vent de manière que les vêtures enfin disponibles pussent accueillir le corps et le protéger du vent, du soleil, des intempéries. Elle disait le vêtement pareil à un masque, à une paroi derrière laquelle se dissimulaient l’homme, la femme intérieurs, la figure de leur spiritualité, la complexité de leur âme. Elle disait, citant Carlyle :

Les vêtements nous ont donné l’individualité,

Les distinctions, les raffinements sociaux ;

Les vêtements ont fait de nous des hommes,

Mais ils menacent de faire de nous des mannequins.

Et il n’était pas rare qu’à l’appui de sa thèse elle ne fît allusion aux mannequins d’osier, aux étranges entités métaphysiques sans yeux, bouches ni oreilles qui peuplaient l’imaginaire et les belles peintures du génial Giorgio de Chirico.

On voulait dire le faible rayonnement de la lampe-tempête afin que, dans le jour crépusculaire, le linge devînt visible, Elle disait le contenu de la pensée bouddhique à son égard, pointait le symbole de la transmission de la vie, les épisodes constituant les maillons de la chaîne des renaissances, elle mettait en lumière le nirvâna dont l’extinction de la lampe signifiait l’abandon du cycle des réincarnations, la sortie de l’aliénation, l’exclusion salutaire de la vie mondaine. Elle disait ceci et c’est comme si Elle était déjà devenue invisible à nos yeux insuffisants, inatteignable à nos mains gourdes. Elle s’échappait à mesure qu’on s’en approchait, Elle se dissolvait à même sa propre apparition.

Elle vivait en signes.

"Pelle nuova", tel était le sobriquet qui semblait le mieux convenir à sa nature. Mais « peau neuve », que nous voulions traduire par l’évidente simplicité d’un épiderme dans la fleur de l’âge, d’une enveloppe lisse et juste advenue, d’une généreuse efflorescence, pouvait-on en demeurer là et considérer que nous avions fait la synthèse exacte de Celle qui paraissait dans l’écrin de sa nudité ? Car c’était bien ceci qui nous interrogeait, cette nudité, ce dépouillement à la limite d’une possible absence. En réalité, « peau neuve » signifiait bien plus que sa simple apparence. Bien sûr il nous était toujours possible d’évoquer l’aspect d’une renaissance telle qu’aperçue dans le phénomène de l’exuvie lorsque le reptile, abandonnant son ancienne vêture, paraît dans le luxe de ses nouveaux atours. Ou bien l’on pouvait encore en référer à la sublime métamorphose, à ses stades successifs qui, de la larve à l’imago en passant par la nymphe décrivaient l’étonnant processus de la biologie des insectes. Ainsi la belle Uranie, au stade ultime de son développement, résultait de cette alchimie inaperçue, de ce secret impénétrable, sans doute de ce mystère. Mais, pour Elle, il y avait bien plus que le déroulement d’une simple esthétique. Pour Elle, il s’agissait, au travers de la poésie, du symbole, du signe, de l’émergence même d’une Métaphysique, donc de la mise en évidence de cet invisible qui en est le cœur battant, de ce silence qui en est la parole que ne peuvent approcher que Ceux et Celles qui sont disposés aux bruissements de la vie intérieure, aux images de la méditation, aux lumières de la contemplation.

Pour "Pelle nuova", la « peau neuve », c’est sa propre métamorphose intérieure, celle par laquelle arrive le sens sur l’arc immensément déployé de la conscience. Car, pourvus du regard adéquat, les choses se révèlent à nous dans la profondeur, aussi bien les vers du poème en tant que langage quintessencié dont nous sommes tissés jusqu’au sein de nos plus intimes cellules, aussi bien ces symboles qui transforment le moindre élément du réel en sublime intellection, aussi bien ces signes discrets qui, soient-ils yeux, bouche, peau, s’ils constituent nos nervures les plus apparentes, font toujours retour en direction de ce que nous sommes en essence, de pures scansions temporelles dont, parfois, de simples et délicieuses Petites Madeleines dessinent les contours d’un Combray singulier que nous nous hâtons d’oublier alors qu’il est notre souffle le plus immédiatement perceptible. Tout comme la Nature, les choses essentielles aiment à se cacher !

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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 09:20

   De l’Autre, que voit-on lorsque sa posture vient à nous sur le mode de l’énigme ? Quel recours avons-nous, sinon de le décrire au plus près, de l’archiver en nous tel un sublime joyau dont, cependant, nous n’aurions nullement épuisé le registre des qualités ? Seulement une impression, la fanaison d’un fin brouillard qui dissimulerait le visage de l’Altérité, le rendrait aussi bien attrayant que doué, peut-être, d’intentions nullement avouables. Ma rencontre de Vous, « La Noire Venue », ne pouvait se faire qu’au prix de cet étrange voilement, de ce pur mystère qui fait tache et m’affecte au plein de qui-je-suis. Car, tout autour de Vous, se cristallise une mince aura qui vous protège du Monde et vous rend irrésistiblement inaccessible. Voyez-vous, souvent aurais-je tenté l’impossible entreprise de me connaître en mon fond, mais je n’ai jamais pu saisir que quelques copeaux, quelques filaments, quelques vrilles dont le destin était de ne point être déchiffré. Alors, comment venir à vous autrement qu’en cette terre vierge dont nul encore n’a osé fouler le sol ? Une exploration parmi la complexité d’un labyrinthe.

  

   C’est toujours une gageure que d’enfreindre la loi qui nous protège de nous-mêmes. C’est toujours une tentative qui « fait long feu » de se tourner vers l’Autre et, de ce simple mouvement, de croire qu’il nous ouvrirait les portes de la « Cité Interdite ». Vous, « La Noire Venue », êtes nécessairement un genre de totalité, un cercle refermé sur lui-même, une gemme dure sur laquelle ricoche toute la lumière du Monde à défaut d’en percer la paroi, d’en découvrir les obscurs linéaments qui vous traversent et sont les chiffres de votre inaccessible essence. Jamais Essence ne se livre, sinon sa perte est signée qui se nomme Existence. Mais laissez-moi au moins tutoyer votre Silhouette, me disposer à recevoir la pluie qui émane de vous, à m’abreuver à votre fluide, m’autoriser à marcher, si ceci est possible, jusqu’à votre source, m’abreuver à-qui-je-ne-suis, dont j’attends que sa Présence soit l’origine de ma propre révélation.

  

   Percevez-vous combien il y a de pur égoïsme, de verticale fatuité à espérer de l’Autre plus que ce qu’on n’attend jamais de Soi. Et pourtant, cette inquiétude de l’Autre en Soi est coalescente à notre condition même car à faire « cavalier seul » nous nous exposons au plus grand danger, celui d’être dépossédé du miroir, lequel nous réfléchissant, est la lumière même de notre conscience.

 

Vous, Moi,

Moi, Vous ;

dans l’inimitable écho

qui fonde le Monde et

le fait se tenir debout.

 

   Sans ce chant de la relation, cette idée du partage, fussent-il inconscients, rien ne tiendrait, rien ne parlerait et les Choses se regarderaient en « chiens de faïence » et il n’y aurait que de la pure matière dense, et les sens seraient plongés dans une primitive confusion comme si l’Univers empêtré dans sa gangue de glaise sourdait à même son absurde dimension.

   Vous n’aurez été nullement sans apercevoir la réitération de ces formules toutes faites

 

« fait long feu » ;

« cavalier seul » ;

« chiens de faïence »,

 

   comme si ce carrousel de métaphores vides signifiait l’épuisement du langage à dire plus qu’il ne saurait le faire. Ceci vous le savez, dès que l’on quitte le sentier balisé de la Raison, comment rendre compte du réel autrement qu’avec des formules creuses, qu’avec l’approximation des analogies, qu’avec le tissu flasque du mythe ? Ce  « méta-langage » nous sauverait-il au moins, nous éviterait-il de sombrer hors notre chair, de divaguer longuement en des paysages teintés d’onirisme, de ne plus occuper notre propre centre, de flotter indéfiniment entre les flots de l’incertitude, les flux de l’inaccompli, de l’inaccessible ? Observez combien la Métaphysique est bien plus proche de nous que nous ne l’aurions jamais pensé. Une simple feuille de verre nous en sépare, pareille à ces parois des Maisons de Thé, elles tracent la limite entre notre corps (dont nous pensons être assurés) et notre âme (dont jamais nous ne savons s’il s’agit d’une pure invention, d’une fable, d’une gentille comptine pour enfants sages en mal d’un jeu qui les soustraie à la sombre aimantation de la terre). Parfois faut-il laisser libre cours à l’imagination, c’est la seule ressource dont nous disposons lorsque les frimas accentuent leur morsure, que le givre se diffracte sur le blanc de nos sclérotiques, que, pour un peu, nous serions métamorphosés en « statues de sel », laissant derrière nous les vestiges bibliques de la lointaine Sodome.

  

   Mais sans doute, par simple phénomène d’osmose, nous faut-il maintenant nous intéresser à Sodome, cette antique cité supposée être le lieu incandescent de la luxure et de la débauche. C’est toujours le geste du retournement qui voile le regard et le conduit dans la banlieue du mal.

 

La Femme de Lot se

 retourne sur Sodome

 et devient sel.

Orphée se retourne sur

 l’ombre d’Eurydice

et devient Ombre lui-même.

 

   C’est tout de même curieux ce phénomène du retournement anatomique qui, instantanément, abandonne les rives du Bien et ouvre les portes de l’Enfer. C’est simplement le reniement d’une promesse, c’est déguiser la Vérité en ce qu’elle ne saurait être : ce faux-semblant, cette gigue grotesque, ce pas-de-deux qui trébuchent et connaissent la dimension ouverte de l’abîme. Dès lors, ici, le titre « L’Île Blanche et le Continent Noir » doit trouver son lieu et sa signification. Vous, « La Noire Venue », vous êtes-vous retournée sur votre propre destin, avez-vous trahi quelque serment, vous êtes-vous fourvoyée dans les arcanes du vice, de la débauche ou, plus simplement, vous êtes-vous égarée dans les complexités, les sinuosités de votre existence, vivant en quelque sorte à côté de vous, dans une zone de clair-obscur, manière d’étrange clignotement entre Être et Non-Être ?

  

   Je dois maintenant en venir à qui-vous-êtes, du moins telle que je vous perçois. Vous décrire est déjà vous « posséder », deviner votre syntaxe intime, percevoir une partie de votre sémantique. Car, sans doute le savez-vous depuis votre pli intérieur, vous êtes Langage, émanation d’un souffle qui traverse vos lèvres et vous livre NUE face à cette réalité qui, pour n’être qu’un genre de Conte n’en possède pas moins de hautes et étonnantes exigences. Je  suis auprès de vous, dans un district de pure langueur, disposé à recevoir ce qui, de vous, voudra bien se donner à moi, me rejoindre dans cette massive solitude, elle me métamorphose en un genre de stalagmite claire plongée dans la stupeur d’une grotte.

  

   Vous êtes adossée à une paroi blanche comme si vous en émergiez, projection du silence sur la pullulation des choses.

 

Blanc virginal.

Blanc de neige.

 Blanc de pudeur.

Blanc de retrait.

Blanc de vide.

Blanc de pure apparition.

 

   Mais que dit tout ce Blanc ? Mais que dit votre appui contre cet espace énigmatique ? Au réel il faut bien attribuer des significations, le douer de sens c’est échapper provisoirement à l’abîme de la Métaphysique, c’est se dégager du piège de l’Absurde, au moins momentanément.

   Et, faisant face à tout ce Blanc éblouissant, à tout ce Blanc conquérant (aussi bien pourrait-il effacer toutes les traces du Monde, y compris celle des Hommes), opposé à ce Blanc, une marée de Noir.

 

Noir dense.

Noir sans issue.

 Noir signe des ténèbres.

Noir du deuil.

Noir des catacombes.

 

Alors qu’advient-il de tout ceci ?

Le Blanc lutte contre le Noir.

Le Noir veut terrasser le Blanc.

 

   C’est un combat qui paraît sans issue. Sans doute, à son terme, tout se soldera par un Échec & Mat, dont ni le Blanc ne pourra se relever, ni le Noir connaître la lumière du jour. Comme si tout était nécessairement reconduit au Chaos avant qu’il ne devienne Univers. Étrangeté de cette vision qui passe du Clair à l’Obscur sans transition aucune. Coup de fouet. Vive entaille du couperet. Éclair vif parmi le sombre des nuages.

   Vous êtes cintrée dans un immense manteau noir, dans un fourreau dont émergent à peine la blancheur d’un poignet, le lueur d’un visage. Ce que le Noir retient en soi, le Blanc vous en octroie la faveur mais sur le mode du peu, de la retenue, de la modestie. Le casque de votre chevelure est de jais lui aussi et c’est comme s’il avait fomenté, avec la plaine noire de votre vêture, les plus maléfiques desseins. Certes il y a une lumière de votre face mais elle est comme reprise par la fermeture de vos yeux qu’éteignent les arcs doubles de vos cils, ils sont les gardiens sans doute, d’une livide geôle. Å l’évidence il y a une grande beauté qui monte de ce contraste : deux Vérités s’affrontent  dont chacune pense qu’elle seule détient la clé qui résoudrait la tension des questions posées depuis la nuit des temps.

  

   Å vous observer ainsi et sans préjuger aucunement qui-vous-êtes en votre fond, il me vient une idée dont j’aurais à craindre qu’elle ne fût une certitude. Sans doute toute interrogation au sujet d’une Inconnue est-elle la plupart du temps erronée, bien plus témoin de nos propres lacunes que de celle que l’on est censé percevoir dans le Sujet qui nous fait face. Tout ce Noir, toute cette étendue sans espoir aucun, toute cette dissimulation n’indiquent-t-ils une noirceur de l’âme consécutive à une vie dissolue inclinant vers le Mal ? Si cette hypothèse était plausible, alors comment ne nullement désespérer de vous, le Blanc qui vous innocente, vous situe dans la pureté est si réduit, si infinitésimal. Un large Continent Noir sous lequel la prétention à paraître d’un minuscule Île Blanche semble un geste aussi vain que désespéré. Mais je ne veux nullement vous « jeter la pierre » (les métaphores vides paraissent à nouveau !), et ma saisie de vous est probablement le geste d’un Autre Désespéré qui se raccroche à la première impression venue. En une certaine façon placer la tête de l’Autre sous le joug et, par simple effet de contraste, relever la sienne et regarder la pure beauté des étoiles.

 

    Je crois qu’avec un peu de recul, et un brin d’imagination, dans le court laps de temps qui était imparti à ma vision, j’ai simplement été sous la domination d’un songe dont je ne pouvais (principe de réalité), nullement infléchir le cours, subissant bien plutôt la férule de ses implacables décisions. Mais oserais-je vous avouer ma candeur, vous montrer ma naïveté en même temps que le visage infatué, qu’un instant j’ai tendu à votre légitime incompréhension ?   

  

   Tout ce Noir opaque, toute cette massive désespérance, c’était l’Enfer. L’Enfer, oui, avec ses flammes et toute sa noirceur. Je m’étais glissé dans la peau du sublime Virgile et j’étais Dante à la recherche de sa Béatrice. Sans doute l’aurez-vous deviné, vous étiez cette Béatrice qui portait en elle, vêtue de cette poisseuse suie, tous vos péchés et tous les péchés du Monde. Cruel destin s’il en est mais, au bout du long tunnel du Tartare, un feu brillait au loin qui disait, peut-être, la flamme de quelque espoir. Tous trois, Virgile, vous Béatrice et moi-même le Poète désespéré, nous progressions sur le chemin que nous espérions être celui de notre libération, mais il y avait encore de nombreux cercles à franchir. Et vous que j’accablais des plus terribles noirceurs, voici soudain que vous étiez ma Muse, la belle Beatrice Portinari, l’inspiratrice de mes jours, celle qui illuminait la gloire de mes vers.

  

   Vous étiez la Passante, celle qui m’introduisait dans le dernière et la plus brillante sphère, celle du Paradis, celle du Grand Monde Blanc, celle de la Pureté sans tache aucune, celle de la plus Grande Liberté. Et je savais, du fond de mon âme qui venait de traverser tant d’épreuves, que le Bonheur est un tissu fragile, que l’instant doit être cueilli et honoré sans l’ombre d’un remords. Le Destin qui m’échoirait, j’en pressentais la forme, j’en estimais la valeur en même temps que son inévitable retrait. Tout est si indéterminé, irrésolu, instable et notre vie n’est jamais que cette dentelle ajourée dont, prioritairement, nous rencontrons bien plutôt les vides que nous n’en connaissons les pleins.

   Mais bientôt, du sein de mon extase, je sentais monter de confuses nuées dont je savais combien elles obscurciraient mon ciel. Vous, « La Noire Venue » qu’un poème avait transformée en une Pure Déesse, voici que soudain vous m’étiez ôtée, remplacée par le très pieux et très estimable saint Bernard de Clairvaux, mais reporté à votre aune, il n’était qu’un guide insignifiant. Certes il me déposait en Dieu, mais combien je regrettais votre merveilleuse Silhouette, cet éclat du Blanc au Noir, cette sublime vertu qui, parfois, d’une manière terrestre et délicieuse troquait le Vice contre quelque encombrante Vertu.

 

Béatrice, soyez mon Enfer,

seulement à cette mesure

 je pourrai gagner

ma part de Paradis !

 

 

 

 

 

 

  

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1 mars 2023 3 01 /03 /mars /2023 09:27
Le-Venir-à-Soi

Dessin : Barbara Kroll

 

***

 

   [Préambule – Ce texte est entièrement construit sur de l’instable, de l’incertain, sur des sables mouvants qui vont de-ci, de-là, au gré de leurs versatiles humeurs. Un mur élève-t-il sa prétention à paraître, qu’aussitôt un funeste destin vient en compromettre le projet, vient abattre la mince cloison qui se voulait protectrice, manière de digue en charge de protéger ses hôtes. En effet le « Venir-à Soi », l’installation de qui-on-est à l’intérieur de sa propre citadelle n’est rien moins que capricieuse, toujours souci de Soi, toujours remise en question de ceci même qui eût pu bénéficier de la rigueur de quelque logique mais demeure dans cette frange irréductible de brusques retours en arrière, de saltos inattendus.  Tout ceci suivi de prodigieux bonds en avant que viennent effacer, périodiquement, comme sous l’effet d’un mauvais génie, des biffures, des ratures, des pâtés d’encre qui remettent en question toute possibilité de lire la prose existentielle avec l’assurance, sinon d’une totale certitude, du moins dans une approche qui soit gratifiante pour l’esprit, lénifiante pour le corps.

   Certes la Vie, la sublime Vie, la triviale Vie (on ne s’y retrouve jamais dans ce maquis, dans ce continuel imbroglio, dans ce consternant tohu-bohu, l’on croyait tenir et voici que seule la fuite se donne comme présentation du réel, et seul le manque gire tout autour de Soi à la vitesse d’une toupie), la Vie donc est experte en surprises, en chausse-trappes de toutes sortes, en promesses qui n’ont de cesse de « tomber en quenouille », en miroitements s’abolissant à même leurs propres reflets. Partout des failles s’ouvrent, des diaclases fracturent la roche, partout des séismes grondent, signes avant-coureurs d’éruptions et autres jets de lapillis. Å peine s’est on abrités que survient, dans l’échancrure ouverte du temps, le bondissement d’une joie, que s’annonce la gaieté d’un madrigal, que se signalent des aubes claires comme des fiançailles, de majestueux crépuscules à l’orée des gestes d’amour.

   Tout est toujours en brusques changements, en constants réaménagements, en subites métamorphoses si bien que le Quidam que, tous nous sommes, ne sait plus guère où donner de la tête, ne sait plus présager l’événement heureux, ne sait plus le distinguer de son contraire. C’est cette danse éternelle et vertigineuse de Derviche Tourneur, félicité en moins, spiritualité en moins, extase en moins, qui nous soude au roc de l’exister sans qu’il ne nous soit jamais possible d’en modifier la structure, d’en détourner les desseins mystérieux. De ce continuel tumulte, de cette effervescence spontanée, de ce chaos informe, nul ne sort indemne et le langage lui-même, le merveilleux langage, troublé par tant de transgressions, de trahisons, de forfaitures, ne sait plus guère où trouver son orient, disant une fois Noir, une fois Blanc, ne parvenant à se fixer, à arrêter l’oscillation du balancier, à l’arrimer à la position médiane du Gris, la seule qui eût été capable d’apaiser l’inquiétude, de lui conférer l’assise d’un sol stable, à l’endroit même situé entre excès et retrait, entre mesure et démesure, entre promesse et abandon.

   Voici, Lecteur, Lectrice, le marécage à visage lagunaire, le sombre marigot dans lesquels vous allez pénétrer. Il n’est, ni plus, ni moins, que la figure clignotante, scintillante, cillante de ce SOI qui fuit à mesure qu’on l’approche, telle l’Amante effarouchée qui se rend à son premier rendez-vous avec le rose de l’espoir aux joues et l’ombre au cœur, de la toujours possible déception.]

 

*

 

    « Le-Venir-à-Soi ». Combien ce titre doit sonner étrangement auprès des Lecteurs et Lectrices. « La venue à soi », telle eût pu être l’autre déclinaison dont nous aurions pu penser qu’il s’agissait d’une simple analogie. Et pourtant, le langage n’est jamais aussi dépouillé et son caractère polysémique, le plus souvent nous égare.  Å preuve l’usage des synonymes dont nous savons tous qu’ils ne sont jamais qu’une approximation, que substituer « penser » à « méditer » n’est qu’un pis-aller, qu’une perte de substance en résulte, une euphémisation, l’intériorité méditative subjective se métamorphosant en une simple constatation objective visant un objet sur lequel s’exerce une réflexion. Si « Le-Venir-à-Soi » se justifie en quelque manière, il ne le doit qu’au recours à la forme verbale, laquelle indique une puissance, une énergie, une action dont le mot « venue » serait dépourvu, tant sa signification est passive, de simple constat. Donc « Venir-à-Soi » fait signe en direction d’une genèse dont nous sommes les seuls initiateurs, parfois, faut-il en convenir, sur le mode du retrait, de l’attente, de la procrastination et c’est bien là que « le bât blesse ».

   En effet, il n’y a de « Venir » qu’à l’aune d’un long travail d’approche au motif que ce fameux « Venir » n’est en rien une évidence, qu’il ne suffit nullement d’exister au jour le jour, au fil de l’heure, pour que cette faveur paraisse. « Faveur » oui, car le mouvement ontologique qui nous porte au-devant de nous se teinte d’une joie, se colore d’une grâce dès l’instant où nous le plaçons dans la lumière de la Vérité. « Le-Venir-à-Soi » n’est possible qu’en Vérité. Il s’agit donc de se conformer à l’action authentique qui le détermine et le pose tel qu’il est : une nécessité. Une nécessité esthétique : le « Venir-à-Soi » est pure beauté. Une nécessité éthique : le « Venir-à-Soi » exige une morale puisque, toujours, à l’horizon de notre conscience, le phénomène de l’Altérité surgit comme ce qui, de tout temps nous a été alloué, afin que nous puissions connaître la dimension de notre complétude. Le Soi n’est lui-même qu’à la mesure de l’Autre.

   Mais le temps est maintenant venu d’imager notre discours, de lui donner des assises bien plus concrètes. C’est ce beau et spontané dessin de Barbara Kroll qui nous y aidera. Il sera, en quelque sorte, un guide graphique, une esquisse selon laquelle la constitution de ce Soi qui nous est cher devra trouver les voies de son cheminement. Parlant « d’Esquisse » (nommons-là provisoirement ainsi), en réalité nous ne parlerons que de Nous, de cette statue que nous ne dressons jamais, tel le Tailleur de pierre, qu’à ôter pellicule après pellicule, dans le but de donner jour à qui-nous-sommes après que nous nous serons extraits des lourds sédiments d’une affligeante contingence. Elle soustrait, à notre propre regard, l’être que nous ne cessons d’édifier, acte après acte, mot après mot, sentiment après sentiment.

   C’est tout juste si nous émergeons au-dessus des herbes de la savane, tels les Homo Erectus nos ancêtres, qui redressaient leurs corps tubéreux afin d’apercevoir l’écrin de la Nature qui les accueillait en son sein. Car « s’envisager » correctement (c’est-à-dire « prendre visage ») suppose, qu’à la myopie de la vue, soit substitué un regard panoptique qui, après avoir balayé tous les horizons, revient vers soi, lesté des prodiges et de la multiplicité des lointains. Une lourde moisson dont il s’agira d’évaluer chaque gerbe à son juste prix, de trier les épis, de les réduire en un froment qui sera la provende même de notre « pain quotidien ». Cette métaphore de la culture, de la moisson du grain, du façonnage du pain est précieuse car elle nous fait sentir l’œuvre lente et toujours mûrie qui préside à notre « nourriture terrestre », autrement dit à l’édification de ce Soi, lequel, le plus communément, demeure une pure abstraction, un simple concept, le résultat d’une délibération intellectuelle.

   Mais saisissons Esquisse en son élément le plus essentiel.

 

Esquisse.

Esquisse,

les traits sont confus,

les traits sont pluriels,

les lignes sont racinaires

qui montent du sol et

colonisent l’espace,

griffent le vide,

hurlent parfois

de ne rien proférer d’autre

 que ce langage grossier,

approximatif,

ce sabir tout

droit venu de

la nuit du néant.

Esquisse.

Esquisse

ne peut être autre

que cette longue

et infinie surrection,

comme si, en un seul

et tragique geste,

elle voulait être

Soi-en-Soi-hors-de-Soi.

Comme si le Soi était une

violente hallucination,

un écho rebondissant

de falaise en falaise,

se réverbérant de mur en mur,

une geôle se dirait

dans l’impossibilité

même de parvenir à Soi,

de tracer ses propres contours,

de signer au graphite,

sur le blanc livide du jour,

sa tremblante

et soluble effigie,

tout vibrionne alentour,

 tout s’agite en tous sens,

tout parle et s’aphasie

en une langue occluse,

 pareille aux écroulements

des murs de l’antique Jéricho.

 

 

   Le corps n’est pas le corps, pas le corps dont on pourrait être fier, le corps dont on souhaiterait faire son emblème, dire, par exemple : « je suis mon corps » et alors on se cloitrerait dans son épaisse gangue de chair et tout serait dit et l’on n’aurait plus rien d’autre à produire que d’exposer son anatomie ici et là, aux carrefours des villes, sur les plages de sable blond et notre cause serait entendue et nous aurions résolu le problème de notre dualité et alors, logés au sein même de notre pulpe intime, nous n’aurions plus rien à prouver, telle une sculpture de glaise, nous serions tout entiers circonscrits à cette matière d’origine ductile que nous aurions soumise au feu de notre volonté et, ni l’esprit ne nous questionnerait, ni l’âme ne ferait ses bizarres volètements à notre entour.  Nous aurions trouvé la halte que nous attendions et nous bivouaquerions longuement en nous, au plein de nous, inexpugnables telles ces forteresses perchées sur d’inaccessibles montagnes.

   La vue n’est pas la vue. Une vue dont ou pourrait à loisir varier les angles d’attaque, la rendre tantôt aiguë, perçante, tantôt douce comme la soie en laquelle viendraient s’inscrire le très cher Ami, l’œuvre belle entre toutes, la corne d’abondance de la vie, les grappes dorées d’un Dionysos fécondant, lequel nous offrirait le luxe d’une sexualité sauvage, sans tabou, l’amour pour l’amour dans sa version la plus crue, la plus verticale. Tout ferait feu de Soi. Tout exulterait depuis une invisible semence et tout se donnerait dans le débordement sans fin de la joie, une crue qui n’en finirait de gonfler, d’araser toute contrainte, de balayer toute logique de la restriction et du demeurer en Soi.

   L’Ouïe n’est pas l’Ouïe. On se hisse tout en haut de son corps de traits et de lignes confuses, on sonde l’espace de ses oreilles ouvertes telles de vastes entonnoirs. On espère un chant doux, une comptine pour enfants, la souplesse d’un adagio, l’écoulement lent d’une fugue et ce ne sont que myriades de bruits, et ce ne sont que cataractes de mots embrouillés, et ce ne sont que chapelets de sons indifférenciés et notre ouïe est débordée et nous plaquons nos deux mains sur les pavillons de nos oreilles mais rien n’y fait, la marée est invasive, les flots d’équinoxe, les eaux de déluge. Il s’en faudrait de peu que nous ne devinssions, nous-mêmes, cette indistincte onde liquide qui n’aurait nulle identité, se jetterait aux confins d’un Monde perdu.

   Le toucher n’est pas le toucher. Dans l’intervalle du « Venir à Soi » que nous supputions droit et lumineux, nous projetions des gestes alanguis telles de somptueuses caresses. L’un de nos bras, nous en faisions le support du boulet de notre tête, la griffe en laquelle s’insérerait la longue théorie de notre chevelure. Mais notre saisie du réel n’était qu’hypothétique et le réel, bien plutôt que de se donner dans un geste de gratuite oblativité, le réel aux mille dents se retournait contre nous, labourait les collines de notre corps, hersait la dune de notre visage, entaillait les feuilles de nos paupières, nous ramenait à l’étrange substance sans contours d’un protoplasme à l’état natif, une simple obsolescence avant même que l’exister ne s’en empare, le rende vraisemblable. Mais pour combien de emps, mais pour quelle qualité d’espace ?

   Le goût n’est pas le goût. Le massif de notre langue, la voûte ogivale de notre palais, nos dents rangées en batterie, nous les armons, nous les bandons tel un arc en possibilité de manduquer ce qui viendrait dans l’isthme de notre gorge. Les fruits, les mangues, les divines pommes, les délicieuses dattes dont nous escomptions qu’elles élèveraient notre architecture, les nutriments que nous désignions tels nos précieux Amis, voici qu’ils se révulsent, se retournent contre nous de l’intérieur, fomentent de vénéneuses attaques. Certes, parfois, au milieu de ce maelstrom, une pointe d’acidité sonne agréablement, une saveur sucrée enchante nos papilles, une fragrance de guimauve enrubanne notre bouche mais c’est peine perdue au motif que se lèvera bientôt une meute de goûts insipides qui feront de notre palais un orphelin de la vie gustative.

   Tout ce qui est de l’ordre de la sensation a reçu, jusqu’ici, un traitement négatif. Ceci n’a de justification qu’à mettre prioritairement en lumière l’essentielle difficulté du « Venir-à-Soi ». Les facilités, les courtes joies, les bonheurs immédiats, c’est à eux de se frayer un chemin parmi les complexités ombreuses de la mangrove. Certes, la Vie n’est nullement cette étoffe trouée, sur toute sa surface des poinçons paradoxaux d’une infinie tristesse.

 

Parfois le corps

se bande tel un arc

et ricoche dans l’espace

avec le brillant d’une comète.

Parfois la vue se pare

de mille cristaux

aux reflets chatoyants.

Parfois, dans la cavité

largement éployée de l’ouïe

se donnent mille symphonies,

mille sonates qui rivalisent

du prodige de la musique.

Parfois le toucher conduit

nos mains en coupe au-devant de soi

afin que la belle pluralité du Monde

puisse trouver à s’y inscrire.

Parfois notre goût connaît

une pure ivresse et alors

nous troquons notre lourdeur humaine

 pour une légèreté,

une diaphanéité séraphiques.

 

Rien ne prend sens

qu’à être envisagé

selon une perspective

qui intègre en soi

les levées et les couchers,

l’immobile et le rebond,

le silencieux et la parole qui chante.

 

   Si les sensations polyphoniques nous déportent de nous et nous conduisent sur le seuil d’une pure merveille, c’est bien parce qu’à la pesanteur de la nuit succède le velouté du jour ; qu’à la mutité de la pierre se substitue la subtile évanescence de la fleur.

   Oui, malgré ces brusques illuminations, le « Venir-à-Soi » est une réelle épreuve, une lutte de tous les instants. L’Ennemi est embusqué partout qui arme ses arquebuses, lance ses assauts et affute ses boulets, si bien que notre forteresse endommagée, si bien que nos barbacanes s’écroulent, nos meurtrières s’ouvrent tels des châteaux de cartes. Mais il nous faut mettre un point final à notre métaphore, regarder encore l’œuvre qui, un instant, a porté notre écriture. Certes Esquisse est levée, campée sur ses jambes solides, un bataillon de traits. Certes le compas du bras est vigoureux. Certes la chevelure est dynamique, le visage tendu en direction du vaste ciel. Mais la chaise rouge, l’assise sur laquelle l’Humain trouve son repos et sa satisfaction, l’assise est désertée, juste quelques lignes éparses dans le Destin du Monde. Et le miroir pour la toilette. Le miroir en lequel convergent les traits de l’humain, le dessin intimement narcissique, le miroir est esseulé qui ne renvoie rien d’Esquisse, rien de l’Autre, rien du Monde. Seulement deux traits oscillants, deux oiseaux en partance, peut-être pour un impensable Au-delà. Deux lignes s’annulant à même leur propre indécision.

 

Tout « Venir-à-Soi »

est une épreuve

de chaque instant.

 

    Un tissu bariolé, armorié de dessins hauts en couleur, traversé de fils sombres à l’illisible figure. Serions-nous, par hasard, plus que ceci :

 

un curieux emmêlement

de fils de chaîne et de fils de trame,

 une tapisserie sur le métier,

un tissage à jamais fini ?

Que sommes-nous réellement ?

Nous voyons bien que

cette interrogation est traversée

d’un feu aporétique au sein duquel

notre anatomie se combure

faute de pouvoir énoncer

le premier mot d’une réponse.

 

 

 

 

  

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25 février 2023 6 25 /02 /février /2023 08:39

Du plus profond de mes nuits,

du plus ténébreux de mon âme,

du plus dissimulé de mes désirs,

c’est Toi et rien que Toi,

seule ton image venait

jusqu’à moi et me hissait,

 parfois, à la lisière du jour.

 

   Il n’était pas rare alors, que mes songes ne fussent traversés de courtes illuminations. Au petit matin, elles me laissaient sans voix, au bord de quelque évanouissement. Au loin, j’entendais la Nature s’ouvrir, l’air déployer ses ailes, le soleil faire sa mince vibration. J’interrogeais le Temps. Je questionnais l’Espace et ma tête, envahie de courtes floculations, flottait à des hauteurs inimaginables, tanguait de-ci, de-là, pareille à ces archaïques aéronefs qui traversaient la vaste plaine du ciel en cahotant. On aurait dit de facétieux jouets animés par de naïves mains d’enfants. Je crois que cette poésie vacante, aérienne, à peine talquée de quelque rythme me soutenait, me portait au bord de qui-j’étais, me maintenait, en quelque manière, juste une coudée au-dessus du réel. Le réel, le dense, le compact, tout ceci j’en savais l’ultime faveur en même temps que l’évident danger. Il fallait demeurer en Soi,

 

jeter en direction de la terre ses dendrites,

déployer ses axones,

dérouler ses arborescences,

mais dans le genre d’un

à peine tutoiement,

un effleurement,

 

   le contact trop vif signifiait la chute et le terme du rêve éveillé et le deuil qui ne manquerait de s’ensuivre. Il y avait trop de buissons écarlates semés au hasard des rues. Il y avait trop de feuilles acérées telles des dagues. Il y avait trop de couleuvrines qui guettaient et fomentaient de sombres desseins.

  

Là, dans la mince chambre

qui me tenait lieu de refuge,

 là dans le doux rayonnement

blanc de la première clarté,

 il me fallait cette indistinction,

cette approximation,

cet effeuillement du doute.

C’était un miel, un nectar qui faisaient,

à la nacelle de mon corps,

comme une longue bannière étoilée

flottant au hasard du large cosmos.

 

   J’étais le Nouveau-Né issu d’une eau de source. J’étais le Tard-Venu d’une étrange fiction. J’étais la simple émanation d’une Flûte que je pensais Enchantée. Et tout ceci je ne l’étais qu’à la mesure de l’empreinte que Tu traçais en moi, je ne l’étais qu’à me dissimuler dans la portée ombreuse qui était comme la projection de Ton âme sur cet Esseulé dont je figurais la métaphore  irrésolue, presque un léger cirrus emporté par les sombres humeurs du vent. Cependant, dans mon alcôve éthérée, je ne pouvais seulement vivre et me sustenter aux racines de l’esprit, elles étaient trop irréelles, trop tissées des grains corrosifs de la folie.

 

Il me fallait un lien.

Il me fallait une correspondance.

Il me fallait une pierre de touche.

Il me fallait mon errance

amarrée au roc de ta certitude.

 

   Un roc malléable, une sorte de pierre ponce rongée à l’acide de mes sombres déterminations. Un roc, mais en douceur. Mais en effleurement. Mais en lianes allusives. Il me fallait une alliance qui, en même temps, était possibilité d’un retour car je ne pouvais supporter l’idée de pouvoir différer de-qui-j’étais, de me désunir, de m’éparpiller dans l’immense résille de l’Altérité. Juste une meurtrière. Juste un lacet se déroulant de Toi à moi puis une reprise de possession, puis la cellule blanche dont je différais à peine car je n’étais né à-qui-j’étais que dans la pure distraction, peut-être un balbutiement du Destin. C’était ceci qui, pour moi, se nommait « Vivre », t’apercevoir au loin, te porter jusqu’à moi, tout au bord du cercle libre de mes yeux, longuement t’observer, peut-être même te disséquer, puis te ramener à ton entièreté et t’y laisser demeurer jusqu’à ce qu’une nouvelle hallucination me dictât mon prochain geste en ta direction.

 

Le Sens, n’était que ce

clignotement de Toi à moi,

cette lente effusion qui, bientôt,

 connaîtrait son irrémissible contraire,

une fuite, un jeu de cache-cache,

une partie de colin-Maillard

où nous deviendrions

invisibles l’Un à l’Autre,

simples délibérations silencieuses

d’un espace sans attache,

sans substance, sans parole.

 

   Mais je dois te dire. Mais je dois te faire paraître avant que de t’effacer. La végétation est sombre, pareille à des caractères d’imprimerie sertis dans leur mutité de plomb. Des roches. Des dalles de rochers. Doucement inclinés vers la levée de l’aube. Leurs faces sont brillantes mais encore prises d’ombres. D’épaisses lanières de lichen en délimitent la sourde présence. Tout est minéral, immensément minéral sous le dais alangui d’une lumière grise. On pourrait presque en compter les grains, en dénombrer les particules, en isoler les beaux éléments. Mystère de la matière que le jour pénètre dans un effort à peine soutenu. Plutôt un échange du consistant et de l’inconsistant. Plutôt une poésie silencieuse.

 

Et Toi, oui Toi qui parais à peine,

toi l’Esseulée qui viens

rejoindre un autre Esseulé.

Ensemble nous tissons d’étonnants

et invisibles fils de la Vierge.

Ce qui nous unit est plus fort

que ce qui nous désunit.

 

   Un regard bourgeonne à l’horizon qu’un autre regard veut visiter, vient ensemencer, fertiliser l’espace d’un pur instant. Certes, tu as abrité tes yeux derrières de vastes vitres noires, mais ces vitres te révèlent bien mieux que n’aurait pu le faire la claire visibilité de tes iris. C’est bien parce que Tu es mystérieuse que tu m’attires, que tu aimantes mon vol stationnaire semblable à celui du merveilleux colibri, une infinie vibration de l’âme qui s’alimente, se ressource à son propre feu.

 

Ton visage est blanc, ovale, régulier.

Un visage de Madone ?

Un visage de Fille nubile ?

Un visage de Communiante ?

 

   Sais-Tu combien mon imaginaire t’installe en ces physionomies vagues, nébuleuses, diaphanes, presque l’indéfini d’un sentiment, presque la touche de l’Art lorsqu’il tutoie la grâce. Et, sans doute, s’il est accompli, la grâce est en lui comme l’eau à la fontaine. Ton cops, je ne le vois pas car il déborde du cadre de mon imaginaire. J’en sens la troublante présence. Je ne sais sa texture, sa nature exacte.

 

Onyx ou lisse obsidienne ?

Fougère aux spores inventifs ? 

Féline au seuil de sa tanière ?

 Ou bien dessin posé

sur la feuille de la roche,

telles les images

rupestres du Tassili ?

 

    Voici Belle Étrangère comment tu viens à moi, en cette curieuse déclinaison dont le subit effacement me conduirait à ma perte. Au moins au sein d’une confusion qui serait in-envisageable !

 

Je veux dire qui n’aurait nul visage

et je me perdrais à moi-même

dans les convulsions

étroites d’un songe-creux.

D’un assembleur de nuées.

D’un alchimiste ivre

de ne point tirer de ses cornues

autre chose qu’une matière

vile, indéterminée.  

Et grand serait le vide

où ne résonnerait

que l’écho du vide !

 

  

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24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 08:45
Chair ou Ombre ?

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

 

Existiez-vous au moins avant

 que je ne vous imagine ?

Vous surgissez comme

d’une nuit lointaine,

aussi irréelle

qu’imprécise.

D’une nuit de chair,

d’une pulpe soyeuse,

d’une nacre solaire.

C’est ceci qui a retenu

mon attention : nullement

Vous au premier regard,

 nullement Vous en une

première intention.

Le VOUS était

 barré, occlus,

privé de quelque

signification.

Le VOUS exultait en Soi

mais y demeurait, pareil au

limaçon dans sa

 conque d’écaille.

 Le VOUS ressemblait

à cette touche d’Infini,

 un Bleu indéterminé,

sans contours,

sans origine ni fin.

Le BLEU pour le BLEU

 et nulle autre explication

qui l’eût porté à une

possible connaissance.

Le fond sur lequel

vous apparaissez et cependant

ne VOUS donnez nullement

est tout à la fois ce Retrait,

à la fois cet Appel dont les signes

 voguent et poudrent l’espace

d’un bien curieux frimas.

Une intime pulsation, un flux,

une oscillation, un rythme

identiques à celui, merveilleux

 entre tous, du nycthémère.

Un jour, une nuit ;

une nuit, un jour.

  

   Le fond qui vous produit, vous porte à la naissance, le fond dont vous êtes une simple émanation, un détachement, un étoilement, le fond est l’hymne secret par lequel vous venez au Monde. Nul n’en peut percevoir la pure irisation qu’à transcender le massif plein de son corps, à le rendre diaphane, éthéré,

 

à peine un souffle exsudant

d’une illisible matière,

à peine une floculation

au large des yeux,

à peine le liseré

 du Printemps

sur le froid boréal.

 

   D’emblée, il me faut en faire l’aveu, j’ai plongé dans cette fibre colorée, je m’y suis immergé comme la flamme monte du bois dans l’invisibilité de son être propre, j’ai troqué le coutre de ma conscience contre

 

cette pure affabulation

d’un réel évanescent,

une pluie, un nuage,

 une brume.

  

   Avant même que mon regard ne vous découvrît, Née-du-Bleu, j’étais déjà ballon captif, aliéné à votre cruelle Présence (oui, « cruelle » d’être trop présente, « cruelle » de jeter en moi les motifs de ma propre absence, de ma dissolution, sans doute de ma proche disparition), je n’étais plus qu’un invisible trait dans un dessin sans consistance. N’allez nullement croire que ma parole soit une plainte, qu’une perte divise nom corps et ne l’éparpille aux quatre horizons de l’insignifiance. Je ne suis en Moi qu’à être en Vous-même si votre apparition tarde à venir, victime des ellipses au sein desquelles vous êtes censée produire la possibilité de qui-Vous-êtes.

 

Chair ou Ombre ?

Ombre ou Chair ?

Chair ou Ombre ?

 

   Cette litanie m’habite bien plus que Vous ne m’habitez, bien plus que Vous ne peuplez la coursive de mon imaginaire. Pour autant, je ne renonce nullement à Vous porter au jour, à esquisser les scansions de votre Temps, à tracer le galbe de l’Espace qui Vous accueille, à faire de Vous plus qu’une cendre se diluant dans les marges d’un clair-obscur. Savez-Vous combien il est rassurant pour une âme fragile, inquiète de Soi, de vous porter dans l’approximation, le tremblement d’un Signe ? Ainsi, de cette irisation, de ce reflet, de cette opalescence vous sortez grandie, multipliée,

 

mille images en une,

mille femmes reflétées,

 mille songes

 

   naissant à même le vertige que Vous instillez dans le doute qui m’étreint et me définit, dans l’instant, bien mieux que ne saurait le faire un croquis, un lavis d’encre, une aquarelle ou même une pâte lourde, dense, chargée d’une multitude de sèmes. Mais qu’ai-je donc de Vous qui brasille en moi et éclaire ma peau du luxe de l’indéfini, de l’inaccessible, de l’étranger, de l’insondable, sans doute du paradoxe le plus vif qui se puisse imaginer ? Vous n’êtes qu’Ombre et Clarté assourdie, une manière de lave refroidie, de basalte non encore venu à son être.

 

Vous êtes Question dont nulle Réponse

ne vient adoucir l’ardeur.

Vous êtes pur Mystère dont nul réel

ne vient révéler l’intime dimension.

  

  Le massif de vos cheveux est nocturne de même que les lisières en lesquelles votre corps s’enclot. Le triangle de votre visage, bien plutôt que de dessiner les frontières d’une humaine présence, est une simple figure géométrique, une abstraction, une énigme pour tout dire. Du Bleu, lequel eût pu appeler une fraîcheur, se diffuser une sagesse, se déployer une sérénité, du Bleu ne monte qu’une profonde mélancolie comme ces êtres qui traversent les rêves et ne laissent, au réveil, qu’une large empreinte de vide. On essaie d’agripper un copeau du songe, une simple pellicule, mais ne demeurent jamais que d’étiques scories, de minces ruines dont on ne peut rien faire, sinon la fosse en laquelle s’abîmer sans possibilité aucune de retour.

   Votre buste est plat, sans relief et vos seins sont un si mince monticule que la fugitive tache de vos aréoles est pareille à ces points de suspension qui, après quelques mots, n’indiquent rien, se fondent à même le vierge du papier. Que puis-je dire de vos bras, ces tiges frêles qui ne pourraient embrasser que l’inconsistance, le peu, le rien ? Que puis-je dire de vos jambes croisées, de l’abritement de votre sexe, du refuge de Vous en lequel vous semblez vous perdre, telle une Petite Fille que la simple clarté effraierait ?

   Comment, à partir de Vous, pourrais-je m’extraire de mon silence ? Et ces mules étranges qui vêtent vos pieds, quelle est leur valeur, quelle est l’inquiète teneur que vous leur attribuez ? Avancez-Vous dans le Monde à pas feutrés, comptés, dissimulés ?

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair 

 

  voyez-vous, je ne peux vous évoquer qu’au gré de cette constante hésitation, de ce frisson, de cette longue convulsion, de ce vibrato infini qui est celui-là même par lequel je demeure dans le puits de mon corps, ébranlé par la vastitude du Monde, par son rythme fou, sa vibratile trémulation. Sans doute, pour Moi, serez-vous dans l’étonnement infini du Temps, ce sémaphore flou agitant son signal dans le songe d’une brume.

 

Le songe ! De lui j’attends

qu’il vienne me délivrer

de Vous, me délivrer de moi.

Vivre est aliénation.

Qu’une extinction,

qu’un silence infini viennent

nous dire ce que, pour nous,

a été ce curieux cheminement

sur des sentiers dont encore,

au seuil de notre perte,

nous n’avons exploré

que la poussière.

Les racines sont loin,

les racines sont blanches

qui réclament une

pluie de signes.

Les Signes, seuls

nous les Hommes,

vous les Femmes,

 le pouvons.

Mais, au moins

le savons-nous ?

 Il fait parfois

si ombreux

dans la meute de

 la chair humaine !

Si ombreux que

la lumière efface !

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair

 

 

 

 

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22 février 2023 3 22 /02 /février /2023 09:12
Le Monde vu des coulisses

 Photographie :  Nicola Perfetto

Å partir du profil de Milou Margot

 

   Le Pouvoir. Le Pouvoir orthographié avec une Majuscule à l’initiale. Sans doute un vieux rêve de l’humanité que, tous, toutes, nous portons en nous-mêmes à défaut d’en vouloir témoigner, d’en exhiber ce qui pourrait figurer telle une paranoïa, telle une mégalomanie. Car l’Homme, tout homme est bien plus riche en vices de toutes sortes que paré des mille vertus auxquelles sa présence sur Terre devrait le destiner. Même les plus discrets, même les plus pudiques portent en eux, gravée au fer de la splendeur, cette nécessite de se dégager du troupeau, de marcher en tête, de prendre de la distance par rapport aux Autres, de se désigner tel le Héros qui a vaincu les parties adverses, a imposé sa loi et règne en Maître sans que quiconque puisse remettre en question sa naturelle légitimité.

   Alors que fait donc ce Titan parvenu au faîte de sa gloire ? Il parade, il reçoit avec tous les fastes dus à son rang, il organise des réceptions dont il occupe le centre et la périphérie, il claironne et papillonne, il se perd en mille représentations, en mille chamarrures, il se croit au sommet mais la réalité est plus abrupte et ses Obligés ne l’admirent qu’en apparence, ils rient sous cape de tant de naïveté, de tant de suffisance ne reposant que sur de vaines certitudes. Ivres de Pouvoir, ils ne sont ivres que d’eux-mêmes et vivent de cette inconscience tels des enfants capricieux qui n’en font qu’à leur tête, hissant leurs propres jeux à la hauteur d’un impératif existentiel.

   Mais admettons qu’un tel Homme, maniant les leviers du Pouvoir, puisse le faire en toute légitimité, en « tout bien tout honneur » et que ses actes soient ceux d’un Prince préoccupé du seul sort de ses Sujets. Déjà ceci serait suffisamment admirable et l’essence humaine serait atteinte au motif que servir ses Semblables est louable et ne saurait mériter nul reproche. Mais que serait donc, en son fond, la vie de ce Prince ? Sur quoi reposeraient ses joies successives ? Ce Prince se saisirait-il lui-même au plus profond de ce qu’il est ? Ne vivrait-il que d’illusions et d’apparences ?  Son âme ne lui renverrait-elle la vérité que d’une manière tronquée, genre de miroitement, de vitre qui ne réfléchirait que le rayonnement d’une naïveté, d’une croyance aux sincérités du Monde qui ne seraient que façade, mystification, imposture ? Les soi-disant « Grands de ce Monde » ne seraient-ils, en toute analyse, victimes de leur propre ego, ne s’arrogeraient-ils des faveurs et des grâces qui ne seraient que de simples buées, de simples vapeurs sans consistance ? C’est bien ceci qu’il faut croire car les « Grands » sont démunis comme tout un chacun dès que la maladie survient, que se profile le spectre de la Mort.

   Aussi, ici, faut-il faire le pari que le « vrai pouvoir », mais un pouvoir plus secret, plus subtil se donne à Ceux, Celles qui, demeurant dans l’ombre des coulisses projettent sur le Monde réel, un autre monde, virtuel, imaginaire, doté de mille ressources dont le Pouvoir des Princes n’aurait même pas l’idée, que leur ambition sans limites ne saurait porter au-devant d’eux comme le fruit le plus délicieux que leur esprit aurait créé, dont ils jouiraient à l’abri des regards, dans la partie impartageable, intime de leur être. Car l’exposition du Soi, sa mise en lumière, sa rotation selon mille esquisses, loin d’en accomplir l’essence, la réduit, la circonscrit et, pour finir, l’exténue, la conduit au Néant.

 

Nulle félicité n’est plus réelle

qu’à être dissimulée, qu’à se confier

d’un cheminement du Soi à Soi,

la distance la plus courte,

la plus efficace pour que le Sens,

nullement atténué par

quelque détour inutile,

puisse se donner en son entier,

en sa mesure la plus parfaite.

  

   Il y a toujours danger à s’exiler de Soi, à se livrer aux meutes aiguës des regards, à se donner en pâture aux Anonymes de l’agora qui auront vite fait de mettre à bas votre château de cartes, de démolir le pâté de sable avec lequel vous jouez innocemment, sans même vous rendre compte qu’il porte en lui les ferments de votre perte. Le Luxe immodéré au motif duquel vous pensez être à l’abri est la meurtrière même par laquelle vos Ennemis s’introduiront dans votre forteresse, en lézarderont les murs ; il ne demeurera bientôt qu’un champ de ruines dont vous aurez été, à votre corps défendant, la victime expiatoire. Oui, les Riches, les Puissants, les Importants sont à plaindre et, bien évidemment cette affirmation n’est paradoxale qu’aussi longtemps qu’elle n’aura reçu de justification. Ce qui pourrait paraître d’Eux, comme une force, n’est vraiment qu’une faiblesse. Il n’y a pas deux places pour une Gloire qui revendique le sommet, le sommet ultime, il y en a Une Seule. C’est pourquoi les Grands arment en permanence leur arquebuse vengeresse, abattant ici et là tous ceux qui osent se mesurer à leur Puissance. Bientôt le Puissant sera seul et totalement désespéré car il n’aura plus nulle cible à viser, sinon la sienne propre qui, étonnamment, se constituera selon la figure de l’Ennemi.

   Car le propre du Puissant est bien de s’adonner à la « dialectique du Maître et de l’Esclave », mais nullement dans le renversement de la situation qui l’aliènerait et ferait de lui un Dominé. La logique du Puissant est d’aller à l’extrême limite de son pouvoir, là où la colère adverse rougeoie sans pour autant s’enflammer, sans que Lui, Le Puissant, ne soit condamné à monter sur le bûcher. Tel Néron, il regarde Rome livré à l’incendie, il regarde les Romains succomber, du haut de sa tour d’ivoire il vit une joie sans pareille, il est le Surhomme et les autres Hommes, les Pauvres, les Nécessiteux, les Indésirables ne sont promis qu’au péril que, sans doute, ils méritent. Le Puissant demeurera seul au-dessus du brasier qu’il a lui-même allumé. Y survivra-t-il ? La Morale, vraisemblablement, le condamnera à endosser un sort aussi peu enviable que celui de ses Martyrs. Mais le problème, le plus souvent, c’est que la Morale tousse, trébuche et ne sait plus où est la Vérité, où est le Mensonge.

   Mais toutes ces méditations, cette longue fable n’ont pour objectif que de poser les perspectives selon lesquelles un autre regard pourrait viser le monde que celui de la « logique » affectant les rapports des Suzerains et des Vassaux. Entrons maintenant dans la peau d’un Vassal bien ordinaire, d’un Homme que n’effraie nullement la nature foncière de l’humanité, d’un Homme somme toute Simple qui ne cherche ni les louanges de la lumière, ni les applaudissements de la scène. Un Homme qui sache demeurer Homme dans sa tunique de modestie, sinon, parfois, de retrait. Il y a un évident bonheur à vivre dans le silence, à cultiver l’humilité, à tisser sa propre vêture des fils de l’anonymat. La photographie débutant cet article se veut la métaphore d’une existence discrète, retirée à même son cercle étroit, une manière d’eau de source qui suinte entre les pierres et les mousses sans que quiconque n’en perçoive le « luxe » immédiat, la féerie incomparable, un germe éclot dans le clair-obscur qui viendra au jour tel le dépliement léger d’une corolle.

  

Derrière les persiennes

à demi repliées,

dans la clarté naissante,

dans le cendre de l’heure,

dans l’aube à elle-même

sa propre promesse,

le silence est posé telle

la brume d’automne

sur le faîte des arbres.

Nul mouvement.

Tout est au repos.

Tout est versé à la méditation.

Tout fait signe vers le recueil.

Tout est Soi en Soi

dans le sans-distance.

Tout vit de sa propre vie.

Nul être à chercher ailleurs.

Nulle lumière à faire briller.

Chaque chose à sa place.

Le mur est brun qui,

encore, retient la nuit.

L’avenir est promesse.

L’instant est lumineux de Soi.

L’attente est belle.

Elle est pure halte.

Elle est pure décence.

 Elle est l’avant-Parole.

Un rai de clarté. Simple,

troué de l’image de

 quelques feuilles.

 La pièce dans sa mutité.

Signe avant-coureur du Monde.

La pièce demande l’ouverture.

Mais dans la discrétion.

Dans le repli.

Dans l’encore

 non-proféré.

Dans l’espérance vive.

  

   Le fauteuil. Vide. Libre de Soi. Vide ? Nullement. Occupé dans l’entièreté d’une Présence disponible. Occupé d’Invisible. Y aurait-il sur Terre plus grande beauté que celle qui se retient, qui sinue ici et là, pareille au cours du ruisseau parmi les lames des herbes ? Oui, ici, sur l’assise « orpheline », un Homme est venu.

 

Dans le mystère.

Dans le plus grand secret.

Dans la totalité d’une quiétude.

 

    Seulement cet Homme est invisible aux Autres, seulement présent à Soi. Cet Homme n’est l’Homme de nulle Richesse, de nulle Gloire, de nul Désir de Paraître, de nulle Envie d’une Avant-Scène, de nul Besoin d’un Public. Homme en tant qu’Homme au plein de qui il est. Sa Puissance est sa non-Puissance même. Au travers des persiennes, il regarde le Monde. Il en prend Possession sur le mode d’une Dépossession.

 

Il est libre.

 D’aller là où il veut.

De penser ce qu’il veut.

D’imaginer ce qu’il veut.

 

    Il ne connaît nullement le joug des contraintes. Il n’éprouve ni jalousie, ni envie d’être à la place des Autres, ces Esquisses de papier qui s’agitent et virevoltent tels des nuages de phalènes. Afin de rendre cet Homme visible, afin de le rendre réel, il faut, Soi-même, demeurer en Soi, ne nullement offenser les ombres, ne nullement dissoudre le silence. Cet Homme sans Parole n’est pas sans Langage. Si nul Verbe ne franchit ses lèvres, ce n’est nul défaut, c’est le souhait d’être entièrement disposé à Soi, dans le pli intime de l’être.

  

C’est dès l’instant

où l’Homme se lève,

dès le moment où il s’arrache

à sa propre assise,

dès l’heure où il prononce

ses premiers mots,

où il initie ses premiers actes

que les choses basculent,

 

   que les flux impétueux de l’Altérité le fouettent en plein visage, le débordent. Et c’est dans le basculement du jour, dans la survenue parmi les complexités du Monde que les problèmes surgissent, que la coque de noix se fend, que les premiers assauts du réel fissurent les cerneaux, que les cerneaux sécrètent une huile qui, déjà, n’est plus pure, qui déjà cherche la main qui flatte, la parole qui encense, les yeux qui charment, les soupirs qui séduisent et alors

 

l’Homme,

l’Homme discret,

l’Homme sobre,

l’Homme pudique

est en grand danger

de se perdre lui-même

parmi les bigarrures,

les chatoiements,

les mouchetés

du manifeste,

du palpable,

du matériel,

du tangible.

 

Oui, la tentation est grande !

 L’Homme en tant qu’Homme

 saura-t-il résister au chant

de Circé-la-Magicienne ?

Il faut la forme et la

détermination d’Ulysse

pour regagner sa patrie,

retrouver Ithaque, Pénélope

 et vivre selon son cœur,

nullement selon les feux

chamarrés qui partout

 sont allumés.

Oui, une grande force !

 

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18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 09:46
« Écrit sur le Grand Rouleau »

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

 

                                                    Ce vendredi 17 Février depuis mon plateau de pierres

 

 

                                                                             Å toi, ma Libre Boréale,

 

 

   Sais-tu, Sol, combien il m’est doux de te rejoindre en ta septentrionale contrée. Près de toi, je viens trouver un peu de la paix qui me manque, un peu de la paix qui manque au Monde. Il y a tant d’agitation ces temps-ci, tellement de vents contraires, tellement d’abîmes qui s’ouvrent devant les pas pressés de la Destinée Humaine si bien que, cette dernière connaitrait sa fin et nul sans doute, ne s’en étonnerait, sauf les incurables Optimistes, sauf ceux dont l’illucidité est la marque de fabrique la plus visible. Le Monde va mal. Le Monde semble atteint d’un mal incurable, une « oublieuse mémoire » l’affectant, et cette amnésie partout répandue a vite gommé de son champ de vision, les guerres, les génocides, les pogroms et toutes les tragédies qui en ont tissé le cruel Destin. C’est tout de même affligeant cette inclination de l’humain à s’empresser de biffer les empreintes de sa félicité, à se précipiter, tête la première, dans l’aporie la plus vertigineuse, fût-elle dissimulée, isolée de quelque regard que ce fût ! On croirait avoir affaire à enfant insolent et terrible, une manière de petit sauvageon à la Gavroche qui ne vivrait qu’à maculer la beauté, qu’à tremper ses mains dans la boue, à badigeonner tout ce qui brille, à ôter la lumière, à la métamorphoser en ces ténèbres dont toujours nous redoutons la venue, nous en sentons l’haleine acide tout contre le coutil de notre peau.

   Certes tu me trouveras bien pessimiste à l’orée de cette année qui commence à peine. Mais, parfois, l’analogie est-elle troublante qui relie en un unique endroit, Pessimisme et Réalisme, comme s’il s’agissait en fait, d’une seule et même substance, d’une seule perspective faisant son clignotement double, faisant son illusion, nous trompant à l’envi. Ne penses-tu, Solveig, que la Réalité est le plus souvent triste, que pour cette raison nous l’affublons de masques, que nous la vêtons de brillantes passementeries mais qu’elle n’en demeure pas moins une préoccupation de tous les instants. Nous feignons de marcher d’un pas sûr, mais en réalité nous louvoyons, nous tâchons d’éviter les obstacles, nous essayons de passer « entre les gouttes ». Mais toujours la contingence nous rattrape qui nous confronte à nos propres démons, qui nous place face au miroir déformant où, surpris, nous découvrons notre propre anamorphose avec quelque stupeur. Mais plutôt que de prendre acte de notre dénuement, de notre cruelle fragilité, nous grimons notre visage, nous dissimulons nos rides sous des couches de « couvre-misère », nous mimons le Carnaval alors qu’il ne s’agit que de Noces tristes, d’Épousailles rompues bien avant que d’être consommées.

   Je n’aurai cependant nullement la cruauté de faire surgir devant toi ces séismes dévastateurs, ces guerres froides qui renaissent de leurs cendres, ces maladies sournoises qui nous jettent dans le plus vif désespoir. Oui, le Principe de Réalité est cruel et le soi-disant « optimisme » n’est jamais que « l’habit de lumière » qui dissimule nos hardes et nos guenilles, nos cruels lambeaux et nos défroques les plus pitoyables. Mais peut-être, déjà, en ai-je trop dit et la journée sera grise et la cendre poudrera le ciel de sa longue effusion. Ne serais-tu d’avis, comme moi, qu’à l’aune de tous ces sombres événements, nous les Humains, ne sommes nullement libres ? Une constante épée de Damoclès oscille au-dessus de nos têtes, le fil qui en retient la chute menaçant à tout instant de rompre, de consommer cette Finitude dont nous faisions nos délices lorsqu’elle n’était qu’une vague théorie accrochée au ciel du Monde et des Idées, mais qui, devenant réelle, signe notre disparition et nous conduit au cachot.

   Si tu veux le fond de ma pensée, très Chère du Nord, je crois que notre supposée liberté est uniquement tissée d’utopie ; que nos actes, que nous croyons nôtres, nous sont dictés depuis une zone mystérieuse et illisible ; que nos décisions, que nous jugeons la conséquence de notre volonté, ne sont que des « miroirs aux alouettes », des sortes d’artefacts ; que nos mouvements sont actionnés par d’étranges attaches ; que nous nous agitons sur la scène du Monde telles ces marionnettes à fil qui, supposément, se pensent elles aussi libres et qui ne sont qu’aliénées, tirées à hue et à dia sans qu’elles ne puisent en rien influer sur leur existence de bois et de chiffon. Une simple mécanique, des rouages d’horlogerie qui font leur tictac temporel dans l’inconscience la plus grande qui se puisse concevoir.

   Je pense que, sous mon écriture allusive, tu auras reconnu l’empreinte de « Jacques le fataliste », que tu auras saisi d’emblée la métaphore du « grand rouleau du Ciel » et sa mesure inéluctable, « tout est écrit là-haut ». Combien les paroles de Jacques paraissent une condamnation de la marche vers l’avant de la Destinée Humaine :

 

« Jacques : (...)

 Un homme heureux est celui

dont le bonheur est écrit là-haut ;

et par conséquent celui dont

le malheur est écrit là-haut,

est un homme malheureux. »

 

   Comment sortir de ce violent paradoxe, lequel pointant les hasards de la naissance, promulgue Celui-ci « heureux », celui-là « malheureux » sans que quiconque puisse en inverser le cours ? L’Aveugle a-t-il un jour choisi de ne pas voir, ? Le Sourd de ne pas entendre ?  Le Paralytique de ne pas bouger ? Le fossé creusé entre les Hommes est si abyssal que même la raison la plus étayée n'en saurait démêler le motif, en comprendre la cause.

 

Nulle égalité entre les Hommes.

Sauf le Souveraine Mort

 

   Les Hommes seraient-ils factuellement égaux et l’on pourrait proclamer, haut et fort, leur inaliénable liberté.

 

Nul n’a choisi de naître,

nul n’a choisi de mourir.

 

   Chère Sol, je crois, selon la formule canonique, que « la messe est entendue », qu’il n’y a plus, dès cet instant, de parabole divine à interpréter, plus de miracle à espérer et que les Religions ont les mains vides, que leur ballon de baudruche se vide aussitôt la supercherie déjouée. N’en déplaise au très estimable Sartre, l’Homme n’est nullement « condamné à être libre », il n’est que « condamné à être », c’est-à-dire à être selon les hasards de la vie qui l’auront balloté ici et là, abandonnant sur la grève quelque Miséreux, portant au zénith tel Autre qui aura hérité de supposés « mérites » et qui, pour autant, n’en pourra mais. Il faudrait être de « mauvaise foi » pour reprendre l’expression sartrienne, pour continuer à affirmer la Liberté dès l’instant où l’évidence indique la réalité contraire.

   Libre, ma chère Sol, nous ne le devenons que le jour de notre Mort, ainsi se profile un Sentier Lumineux au milieu des froids dessins de la Camarde. Tu voudras bien m’excuser de t’infliger de si lourdes assertions en cet hiver teinté sans doute encore, en tes hautes latitudes, des chagrins et des frimas qui plongent l’âme en ses délibérations les plus noires, en ses pensées les plus désolées, mortifiées. Mais connais-tu au moins quelqu’un qui ne se soit jamais exonéré de ses chagrins, de ses peines ? Faut-il confier sa tête, pareil à l’autruche, au premier sable venu, plongeant en la cécité afin d’éviter la cruelle blessure du jour ?

   Å observer l’image que je joins à ma lettre, cette œuvre de Barbara Kroll, à laquelle j’affecterai volontiers le titre de « Perdus en Eux », tu saisiras aisément le motif de mon écriture, cette désolation qui en ombre les mots, cette pure ténèbre secrétée tel un violent venin, tel un acide qui ronge les chairs, bientôt il ne demeurera qu’une vague tache bue par la poussière du sol. Car vois-tu, je crois qu’il faut, une fois porter haut la bannière de la Joie, une fois abattre la voile et naviguer dans la Douleur, proue face à la tempête. Nulle autre façon de naviguer, le Réel n’est nullement évitable. C’est lui qui nous détermine et non l’inverse.

   Je ne sais si l’Artiste, brossant ces Figures, pensait à quelque Destin. Si l’image de la Liberté l’emportait sur celle de l’Affliction. Ce que je puis cependant énoncer avec certitude c’est ma conviction que cette Triste Procession porte l’empreinte d’une pesante Métaphysique, que la Mort, la violente Mort pourrait surgir à tout instant, transformer ces Existants en spectres, en revenants, que sais-je en fantômes, en ectoplasmes à la forme fuyante, des êtres en partance pour un inconnu vertical. Le jour est vert, pareil à ces fonds marécageux dont j’imagine qu’ils reçoivent cette clarté d’aquarium, cette clarté qui est bien plus teinte de la psyché que délibération de la somptueuse Nature. Le sol est blanc. Blanc de neige taché de gris, on dirait la métaphore de jours anciens dont la mémoire ne retiendrait que la tristesse, l’incoercible chagrin, comme si l’Aventure Humaine ne pouvait jamais conquérir son futur que dans cette lumière avare, à peine un bourgeonnement, une rumeur. Certes il y a un mur, une falaise du mur qui porte sur sa surface un peuple de cœurs rouges, mais un peuple surtout reconnaissable à son empreinte de sang, non à l’aune de l’Amour dont il pourrait se faire le porte-voix. Du reste, ne ressens-tu, comme moi, cette manière de lourde hébétude, deux cœurs jonchent le sol de leur inutile présence, signe infini d’une vacuité qui en creuse le centre, en épuise la possible pulsation. Un cœur inerte qui est pareil à la feuille morte. Son dernier battement est encore visible dans la texture du dessin qui s’épuise à en dire la forme reconduite au Néant.

   Et les Personnages, les Spectres glissent en eux comme s’ils se précipitaient dans l’étroite gorge d’un puits. Vois-tu, Sol, ils me font une drôle d’impression, je les perçois telles des pièces d’un cruel Jeu d’Échecs, bien entendu tels des Fous girant au sein même de leur folie sans même en éprouver la mortelle essence. Autrement dit leur Histoire empreinte de Finitude pourrait se résumer à cette formule-couperet, à cette métaphore-guillotine :

 

ÉCHEC & MAT

 

   Tels d’infortunés scolopendres, ils se traînent vers ce qui va les détruire sans pitié aucune, leurs milliers de pattes ne leur servant qu’à les conduire vers ce précipice qu’ils ont longé toute leur existence, faisant mine de l’ignorer. Et ce qui est vraiment tragique ici, c’est qu’ils n’auront même pas la consolation de la lucidité, c’est que l’exercice de la Raison leur sera ôté. Ils iront à l’échafaud, avec, au cœur, une sorte de Joie poisseuse, gluante, s’élevant à peine plus haut  qu’une comptine pour enfants, pétrifiée dans le brouillard d’un songe étroit. Combien cette étique procession me fait penser à quelque cortège funèbre d’où le Mort lui-même serait absent, genre de cérémonie de la Mort pour la Mort. Mais que pourrait-il sortir de ces Silhouettes informes, ourlées de nuit, perdues en elles-mêmes qu’une antienne douloureuse, une antienne écrite avec des larmes de sang et de suie « sur le Grand Rouleau » ? Je te le demande. Je sais, tu ne profèreras nulle réponse car l’Absurde n’en exige aucune.

 

Il est lui-même le sans-réponse,

l’effacement du Verbe,

le Vide sidéral, le Rien

dont nous les Hommes,

vous les Femmes sommes tissés

jusqu’en notre fond

le plus abyssal.

Le plus abyssal !

 

   Chère Solveig, voici qu’enfin ma parole s’épuise, que mon sang se fige dans mes veines, que ma respiration est à la peine d’avoir tant dit et rien exprimé. Envoie-moi un peu de ton air du Septentrion, un peu d’air vif et frais, il sera ma consolation en attendant…

 

Ton impénitent ratiocineur Métaphysique

 

 

  

 

 

 

 

 

 

  

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16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 08:47
ART : se déprendre de tout

« Printemps »

 

Crayon : Barbara Kroll

 

***

 

« Retranche tout »,

« Supprime toute chose »

 

Plotin

 

*

 

    S’agit-il d’une fantaisie d’Artiste, d’une simple réflexion iconoclaste, d’une invite à se rebeller contre le réel ? Ici je veux parler du titre que Barbara Kroll a donné à son dessin « Printemps ». L’intention est-elle de suggérer, par antiphrase, de ne lire cette image qu’à l’aune de son contraire ? Jamais image ne se laisse apprivoiser avec facilité comme si, la regardant, on en prenait possession selon la totalité des sèmes qui en parcourent les traits. Comme si une manière d’évidence exsudait de son architecture. Comme si la vérité de l’œuvre était logée en nous, bien plutôt que dans sa réalisation graphique. Mais cette vérité dont toujours, souvent, nous sommes en quête, elle n’est ni la propriété de la Chose, ni la propriété du Sujet. Elle ne peut se trouver que dans le trajet, la relation de l’une (la Chose) à l’autre (le Sujet). Car toute vérité est à double face, telle la pièce de monnaie qui n’est vraiment ce qu’elle est qu’à exhiber son avers et son revers. Ce que cette Vérité est pour moi, sera la fausseté, l’approximation de tel Autre. Dans cette immense profusion du réel, dans cette complexité que nos yeux rencontrent au cours de leur exploration, dans le multiple et le toujours renouvelé qui vient à nous, toute perception est relative qui modèle notre ressenti de telle ou de telle manière. Ainsi, le « Printemps » de ce Quidam, sera-t-il mon « Hiver » ou bien « L’automne » ou bien « l’Été » de Ceux qui en recevront l’empreinte telle une certitude ou selon l’immédiateté d’une intuition.

   Quant à ma saisie première, j’y vois essentiellement la touche blanche de l’Hiver, son nécessaire dépouillement, sa rigueur essentielle, le travail de la Blancheur qui fait d’un possible Infini, l’image étroite d’une Finitude.

 

Ce que j’aime imaginer,

eu égard à la loi des contrastes

et des oppositions de l’exister,

 

une Foule dense qui se presse

dans le tube d’acier du Métropolitain,

puis le Carrefour d’une ville d’Asie

où les Passants pressés

me font penser à une fourmilière

 aux mille mouvements,

puis une Plage de sable

blanc de Polynésie

où les corps humains

font leurs taches brunes,

le sable en devient invisible,

déflagration de la

Marée Humaine

à même la générosité et

le retrait de la Nature

en son originel silence.

 

   Écrivant ceci « originel silence », ces mots proférés ne le sont nullement gratuitement. Déjà en leur teneur simple, ils font signe en direction d’autre chose que ces grouillements urbains, que ces symphonies estivales. Car la plus grossière erreur que commettent les Hommes et les Femmes, le plus souvent sans qu’ils en soient conscients, prendre la surface pour la profondeur, l’écume pour la lourdeur des abysses. Toujours la signification des choses, tout comme la Nature d’Héraclite « aime à se cacher ». C’est un constant jeu de dissimulation, un éternel manège de dupes, une amusante frivolité du « faire-semblant », que de ne porter son attention qu’à ce qui brille et éblouit à défaut de se montrer à nu, d’exhiber son « âme », si vous préférez.    

   J’ai déjà beaucoup écrit sur les œuvres de l’Artiste Allemande, j’ai déjà dit, à maintes reprises, combien son art est spontané, sans concession, un jet d’acrylique, un rapide crayonné, quelques ébauches rapides et le sujet est posé, ici devant et il ne cessera de nous interroger que nous ne lui ayons attribué une explication vraisemblable, au moins une destination plausible dans le lieu de notre « Musée imaginaire ». Certes, parfois l’esquisse trouvera-t-elle la dimension de l’œuvre arrivée à son terme sous la forme d’une esthétique plus aboutie, au lexique plus précis. L’œuvre y gagne-t-elle quelque chose ? Certes les points de vue seront, sur ce point, infiniment divergents. Je crois cependant que cette configuration minimale, ce jaillissement, cette projection des pulsions de l'Artiste sur le papier ou la toile présentent un évident intérêt. Cette manière de tout jeter sur le subjectile, sans qu’aucun filtre n’en atténue la puissance, le rayonnement, contribue à laisser apercevoir cette non-dissimulation qui est l’autre nom de la Vérité évoquée ci-dessus.

   Plus le geste est prompt, impétueux, plus l’objet est donné près de sa source, plus il possède l’éclat d’une donation soudaine, sans ajout ni retrait. Dès l’instant où le premier geste est contrarié, modifié, il perd son initiale valeur de témoignage d’un profond ressenti, il gomme ses traits les plus saillants, il se voile de pellicules, de strates qui lui ôtent toute prétention à nous montrer le soudain, le vif, l’inattendu, le fulgurant. Parfois faut-il, à l’œuvre, cette marge immense de liberté qui la singularise à l’extrême au simple motif que tout geste soudain issu de son roc biologique n’est jamais reproductible, il est unique et cette unicité est ce qui concourt à la rendre exquise, insolite, étrange, cette œuvre, et c’est en ceci qu’elle nous ravit comme si elle nous faisait assister sans délai à la naissance d’un nouvel être dont, jamais, nous n’aurions pu esquisser le moindre projet, tracer la courbe de son avenir, imaginer le phénomène à nul autre pareil de son destin.

   Picasso ne disait-il pas : « Tout acte de création est d'abord un acte de destruction », or y aurait-il « destruction » plus magistrale que celle qui consiste à ne poser sur la toile que les premières traces d’un geste qui, plutôt que de trop affirmer, laisse en suspens, en rétention ; la synthèse se donnant aux Voyeurs de l’œuvre telle la tâche singulière qui leur incombe ? Il y a une grande beauté en même temps qu’une grande générosité de l’Artiste à se retirer du mouvement de sa genèse, à le confier à d’autres qui en assureront, en leur for intérieur, une des possibles complétudes. Tout Contemplatif, face à l’inachevé, se met en chemin, au moins imaginativement, de façon à donner une suite aux points de suspension, à investir l’espace de la parenthèse libre, d’un sens qui les détermine et en légitiment l’être, seulement cette imposition du Soi à l’œuvre la rendant compréhensible, vraisemblable. Nul paradigme d’une possible connaissance ne saurait demeurer dans cette zone d’invisibilité qui est zone inconsciente, investie symboliquement, sinon d’un danger, du moins de « l’inquiétante étrangeté » des choses insues.

    Parvenus au seuil de cette réserve, de cette annonce tronquée, de cette parole qui s’ourle de silence, il devient nécessaire de tracer à grands traits l’esquisse d’un dénuement de manière à faire apparaître l’étonnante injonction plotinienne, aussi elliptique qu’impérative.

 

« Retranche tout »,

« Supprime toute chose »

 

   Certes l’injonction est éthique mais, ici, je vais tâcher de l’appliquer à une esthétique. Il n’y a de divergence, entre ces deux notions, qu’apparente pour la simple raison qu’une œuvre digne de ce nom ne saurait affirmer son être qu’au double prix d’un essai d’y affirmer quelque beauté et une beauté authentique, ceci va de soi. Si nous faisons face à « Printemps » (qui, pour nous est l’Hiver), d’une façon aussi immédiate que sa forme le suggère, nous nous apercevrons vite que sa qualité, bien plutôt que de nous offrir du famélique, du nu, du vide, de l’émacié, emplit notre esprit d’une infinie provende qui sera celle du sans-limite. Car, partant de ce Sublime Rien, tout pourra se donner dans l’ampleur, tout pourra revêtir la figure de la plénitude. Il en est de certaines réalités comme des arbres, l’essence n’en est atteinte qu’à la chute de leurs feuilles. Là, et là seulement, ils sont disponibles, nous livrant sans arrière-pensée, la blancheur de leurs racines, la netteté de leur écorce et, pour qui sait voir, ce fragile aubier qui, sans doute, constitue leur nature la plus foncière mais aussi la plus secrète.

   Nous nous approchons de « Printemps » et, sitôt effleuré, nous nous trouvons envahis d’une onde bienfaisante, nous en ressentons la subtile pluie de gouttes sur le lisse de notre peau, nous en vivons la félicité dans le mystère même de notre derme. Alors nous méditons longuement le mot de Plotin « Retranche tout », « Supprime toute chose » et notre étonnement est à la hauteur du phénomène qui envahit notre âme, en décuple la puissance. La neige, les bancs, les arbres dans leur plus sobre apparition, se donnent non seulement dans le rare dont ils sont porteurs (ce qui serait déjà une grande chose en soi), mais ils sont atteints d’une grâce qui les multiplie, les ouvre à l’universelle présence de lointains archétypes dont ils portent la trace, dont ils révèlent la sombre grandeur.

 

Chaque élément de la scène,

Neige, Bancs, Arbres

fait signe vers une sorte

de genèse triadique,

Solitude, Conscience, Lucidité

dont chacun est porteur en soi,

dont la synthèse explique

la dimension hors-sol

de notre ravissement.

 

  Depuis cet espace essentiel, c’est un genre de ruissellement qui se produit, lequel féconde notre vision. Et c’est bien parce que Neige, Bancs, Arbres sont affectés d’une pure Présence, que rien n’en divertit la nécessité interne, qu’ils viennent à nous sur le mode de la condensation, de la focalisation, de la cristallisation. Ils sont, ces Essentiels, de la nature des gemmes, de la texture de l’éclat, de la substance d’une pure épiphanie. Ils sont des êtres de pur paraître. Ils sont des phénomènes de pure irradiation. Ils nous fascinent et nous assemblent en un lieu unique de notre Être, cette imprescriptible étincelle qui est le site même de notre savoir de nous le plus accompli.

   Vous n’aurez nullement été sans remarquer l’accentuation récurrente du prédicat « pur », ce qui, bien évidemment, loin d’être une fantaisie « purement » graphique est l’essence selon laquelle les choses de l’Art se disent dès l’instant où elles nous touchent au plus intime, au plus dissimulé, au plus ténébreux, une lumière y scintille soudain dont le futur sera atteint pour un temps immémorial. Seules les choses matérielles, physiques, organiques meurent un jour de leur propre logique. Seules les productions de l’esprit connaissent le domaine du surréel, son illimitation car rien ne s’éteint qui a été porté au jour de la conscience.

   Å l’initiale de cet article, nous parlions de la pullulation du divers, de son immense polyphonie, nous parlions de la Foule entassée dans le Métropolitain, nous parlions des Carrefours surchargés des villes tentaculaires d’Asie, nous parlions des Plages de Polynésie essaimées des corps de la multitude Humaine. Nous parlions de l’existence, de son vertige permanent, de sa lecture, le plus souvent illisible. Et maintenant, si nous revenons au dessin de l’Artiste, c’est bien d’une totale antinomie par rapport à cette multiplicité dont il s’agit. La pure esquisse d’une essentialité. L’économie des moyens employés, quelques traits, du blanc, du gris, du noir, quelques présences, bien plus évoquées que marquées, ce travail à « fleuret moucheté » correspond en tous points à la méthode phénoménologique de la « réduction » qui, par retraits et effacements successifs, séparant le « bon grain de l’ivraie », sacrifiant le superflu au profit du fondamental, de l’éminent, du central, ignore la périphérie pour se situer au foyer, là où la Signification fait son point fixe, là où rien ne saurait être retranché qu’à s’immerger dans le Néant.

   Ainsi, si nous voulions appliquer cette grille de lecture minimaliste qu’utilise souvent Barbara Kroll au travers de ses esquisses, le Monde, bien plutôt que d’être cette confusion, ce hourvari, ce chamboulement, ce tohu-bohu, serait porté à l’extrême même de son dénuement, tout ou presque y aurait été « retranché », tout ou presque y aurait été « supprimé » :

 

un Homme Seul dans le Métropolitain,

une Femme Seule traversant le carrefour,

un Corps, un Seul sur le blanc d’une plage.

 

Encore ici, un mot se détache

 de la confusion ambiante « Seul »,

l’explication étant simple.

 

C’est à partir de la Solitude

et à partir d’elle seule que l’œuvre

se donne en tant que ce

qu’elle est en son fond :

Solitude de la création,

Solitude de la vision.

 

   Là est son habitat le plus propre. Au-delà, spectacle, jeu de dupes, agitation de commedia dell’arte, masques et bergamasques comme au Carnaval de Venise. Cependant rien n’empêche la fête, rien ne la condamne à disparaître.

 

Il existe un temps pour la Fête

qui est celui de la Multitude ;

il existe un temps pour l’Art

qui est celui de la Solitude.

 

 

 

 

 

 

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13 février 2023 1 13 /02 /février /2023 09:48
L’Oeuvre d’Art et son aura

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   L’œuvre ? C’est toujours une lente et douloureuse parturition qui lui donne jour avant que des regards ne s’y abîment dans un essai d’explication avec ceci qui est pur mystère, sinon total miracle. Oui, « miracle » car surgir du Néant et se donner pour Réel, voici qui est étonnant, voici qui nous interroge au plus profond. Quelque chose n’avait ni lieu, ni temps, ni langage et voici qu’un espace éclot, qu’un instant se déplie, que les mots d’une prose ou d’une poésie viennent nous tirer, Nous-les-Voyeurs, d’une torpeur native dont, à notre tour, il nous faut éclore. Il n’y a nulle autre issue que de nous confronter à ce qui nous fait face et, en tant qu’émergence de l’Art, nous questionner à son sujet. Ne le ferions-nous et nous demeurerions en-deçà de qui-nous-sommes au motif que l’œuvre nous constitue, tout autant que nous la constituons et l’amenons sur les rives de l'exister. Mais alors, qu'en est-il de l’antériorité de l’œuvre, de sa genèse, de son origine ? Je crois qu'il est nécessaire de poser l'hypothèse qui lui attribuerait une manière « d'éternité ». En termes aristotéliciens, avant sa parution, elle était « en puissance », après sa parution, elle est « en acte ». Si l’acte est existentiel, doué de quelque positivité, de déterminations précises, la puissance est indéterminée, simplement avant-courrière de l’œuvre, aussi faut-il l’envisager douée de toutes les virtualités qui, un jour, sous le pinceau de l’Artiste, trouveront les motifs de leur réalisation.

   Aussi convient-il de dire que l’oeuvre a, de tous temps, assumé quelque présence, qu’elle est devenue visible, cependant portant toujours avec elle cette réserve d’invisibilité qui l’accomplit en tant que témoin de l’Art et ici, je pense bien évidemment à la célèbre formule de Paul Klee :

 

« L'art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. »

 

   Et que « rend-il visible » ? Une Forme qui lui préexistait, une Forme qui était en attente de sa manifestation. Ainsi l’Artiste aura-t-il été le Médiateur, le Passeur de l’Invisible, ce qui signe l’essentialité de son geste. Seul l’Invisible peut se porter à la hauteur d’un concept, d’une intellection, d’une perspective imaginative. Le Visible est bien trop lesté de lourdeur, arrimé à un sol dont il ne peut s’extraire, qui le destine à l’étroitesse d’une contingence. Il faut à l’Art, plus de légèreté, plus de diaphanéité, de transparence, d’élévation. C’est pour cette raison que Nous-les-Terrestres, les Terriens, les Hommes et les Femmes pétris dans la glaise, avons tant de mal à pénétrer les œuvres, à en éprouver la subtile fragrance, à nous enivrer de sa pure ambroisie.

   C’est à un véritable travail sur Soi que nous sommes conviés qui, en même temps, est travail sur l’œuvre. De concert il devient nécessaire de faire ce voyage en direction de l’Invisible, de l’Impalpable, de l’Ineffable. C’est au terme de cette ascension, si proche d’une extase, que les choses artistiques se déploieront et nous inclineront à les rejoindre dans cette sublime ouverture, dans cette échappée à nulle autre pareille, échappée de nous-mêmes qui ne nous dispersera nullement mais, bien au contraire, nous assemblera au sein même de notre être, nous disant le lieu d’une possible unité. Si notre cheminement en l’œuvre se donne comme premier, originel, pur, véritable, alors entre l’œuvre et nous, la distance se réduira au point que, occupant un lieu unique et singulier, nous serons en l’œuvre, nous confondant en elle, une seule ligne continue qui sera la ligne d’un sens imprescriptible, d’un sens parvenu à l’acmé de sa profération. Certes ma formulation est emphatique, lyrique, brodée, comme toujours, des pampres vives d’un Romantisme exacerbé, mais je crois que c’est à ceci qu’il faut s’attacher : métamorphoser la sombre prose du quotidien en ce rayonnement, en cette lumière, en cette provende qui enflamment l’esprit et le portent au plus loin, dans cette onirique contrée où il n’y a plus ni différence, ni contrainte, ni opposition entre des termes étrangers.

   Certes, pour des Rationalistes purs, pour les Normatifs de la Science, mon discours passera pour de la mystique, de l’exaltation, pour une passion débordée de toutes parts par son flux.  Mais peu importe la critique, c’est le cœur même de cette expérience sans-mesure qu’il faut retenir et « laisser le temps au temps » pour retenir de Cervantès sa belle méditation sur le mûrissement des idées, sur leur lente maturation depuis les semailles jusqu’à la récolte. Pénétrer au cœur d’une œuvre nécessite cette longue patience, cette abstraction de Soi dans l’ombre de laquelle la germination trouvera à s’accomplir, à fructifier.

   Mais après ces considérations générales, il faut en arriver à « Venue-à-Soi », tel est le prédicat que j’affecterai, aujourd’hui, à cette œuvre insolite de Barbara Kroll. Cette Artiste Allemande nous a habitués, depuis fort longtemps, à nous livrer, d’une manière spontanée, les strates de son travail pictural, les phases successives qui conduiront la peinture à son terme. « Work in progress », si l’on veut sacrifier à l’anglomanie galopante. Pour ma part, et de façon bien plus hexagonale, je lui préfèrerai l’expression simple et immédiatement perceptible de « travail en cours ». Comment qualifier cette lente « parturition » dont je parlais au début de mon article ? Esquisse ? Ébauche ? Canevas ? Essai ? Brouillon ? Premier jet ? On voit que le lexique est amplement polymorphe et qu’il traduit l’embarras dans lequel nous sommes d’attribuer à l’œuvre en devenir, tel qualificatif de préférence à tel autre. Cet embarras est l’écho de celui de l’Artiste lorsque, dans le silence de l’atelier, il s’agit d’extorquer au Néant cette signification qu’il porte en lui et qu’il retient comme la marque insigne de son secret.

   Toute création est, par essence, douleur. Parfois la naissance se pratique-t-elle au forceps. La plupart des Artistes répugnent à exposer les degrés successifs de leur travail, sans doute au motif que se révèlerait là leur échec relatif, leur impuissance, parfois, à tirer de la matière cette marge d’Invisible qu’ils retiennent en eux, qui est le motif même de l’Art comme il a été dit précédemment. Bien évidemment, dans la conscience de l’Artiste, ou bien dans les corridors de son inconscient, c’est son image même qui se joue ici, en raison d’une identification, d’une projection du Créateur en son œuvre, un identique mouvement de retour ayant lieu depuis cette dernière en direction de Celui, Celle qui ont procédé à son émergence.

    

   L’œuvre, telle qu’en soi elle se donne au premier regard

 

   La chevelure est Jaune-Paille, une moisson sous le soleil. Mais elle n’est nullement l’image d’épis dressés fièrement dans l’or du jour, loin s’en faut. Ce sont des lanières, des ruissellements de Jaune, des pertes vers quelque possible aven qui en récolterait l’inépuisable ressource, l’inextinguible source. Il y a du désordre, beaucoup de désordre dans ce ruissellement, beaucoup de confusion, une manière de mince Déluge qui bifferait l’épiphanie du Modèle, la ramenant de facto à ce coefficient d’Invisibilité qui se donne pour notre essentielle obsession, pour notre recherche infinie. Et le visage, mais y a-t-il visage, c’est-à-dire présence, possibilité de rencontre, de dialogue ? Nullement et nous sommes désemparés en tant que Voyeurs de faire le constat de ce retrait, de cette absence, de cette fuite. Comme si l’œuvre se refusait à nous, souhaitait demeurer dans une marge d’inconnaissance, demandait la clôture bien plutôt que l’ouverture, le dépliement.

    Alors dépossédés des signes insignes qui définissent l’Être en sa venue, nous nous interrogeons nécessairement sur notre propre présence, sur notre consistance au Monde, sur les assises que nous croyons nôtres et ne sont, en réalité, que ce marais métaphysique, cette ontologie lagunaire dans laquelle nous sommes immergés à défaut de n’en pouvoir jamais sortir. Et, ici, si nous sommes remués jusqu’en notre tréfonds, alors l’Art aura accompli son Œuvre, laquelle ne consiste en rien d’autre qu’à interroger notre propre fondement, à nous situer, dans l’espace et le temps, à cette croisée des chemins qui est notre Destin même. Il en va de notre ressenti intime, de l’inclination de nos sentiments, de l’acuité de nos perceptions, de la profondeur de nos sensations. Certes, ce que je décris ici est bien « Romantique », mais seuls les Délateurs de la sensibilité ne pourraient en supporter la brûlure, ce feu qui n’est pas funeste mais lieu de pure joie. Il devient urgent de ménager une place à la Belle Nature, aux manifestations du moi, à l’amplitude de l’imagination, de donner site au rêve, de faire de la mélancolie l’instrument de nos plus vives émotions, d’inscrire le cheminement spirituel en lieu et place d’une matérialité qui est la croix que nous portons sur nos épaules quoique nous nous en défendions.

   Certes cette œuvre nous désarçonne au vu de son coefficient d’insaisissabilité, du flou, du nimbe dont elle s’auréole qui, du reste, concourent bien davantage à sa gloire qu’à sa possible condamnation. Cette œuvre, tel le symbole,  « donne à penser », pour reprendre le mot célèbre de Paul Ricoeur. Eu un seul et unique mouvement, elle « donne à penser » le Soi, l’Autre, la pure Présence et aussi bien le Néant dont l’on perçoit les linéaments entrelacés dans la tâche de vivre. Que les portes d’entrée de la perception soient occluses ou bien ébauchées, un œil est à peine visible, l’arête du nez disparaît sous une mèche de cheveux, les lèvres sont une à peine naissance de la pâte picturale. « Venue-à-Soi », ainsi nommée dans une manière d’étrange paradoxe puisque, aussi bien cette « venue » est pur retrait, cette parole dont on eût attendu qu’elle nous rencontrât est pur silence, le subtil langage dont nous eussions pu espérer un poème, n’énonce rien, sombre dans une sorte d’aphasie qui nous rend muets à notre tour. Quant aux motifs approximatifs de la vêture, ils viennent consoner avec cette atmosphère d’étrangeté que nous sentons frôler notre peau à la manière d’un illisible courant d’air, il est déjà loin et nous n’en conservons que la touche imprécise, inquiétante, étrange cependant.

   Et maintenant, avons-nous au moins fait le tour de l’image ? En avons-nous inventorié toutes les significations qui la détermineraient de façon à nous la rendre perceptible ? Non, nous n’avons fait qu’approcher, ce que seule permet toute chorégraphie esthétique autour de son énigme. Et l’œuvre, dans tout ceci, que nous dit-elle d’elle ? Que nous dit-elle de l’Art ? Elle nous dit ce que nous nous en disons en notre for intérieur, c’est-à-dire une méditation qui semble n'avoir ni début, ni fin. C’est bien là l’essence de l’Art que de nous placer face à un paradoxe, donc à une lecture toujours amputée de la totalité de son être. Nous la livrerait-elle en totalité et ce ne serait plus de l’Art, une simple positivité parmi l’océan des positivités et des plurielles déterminations du réel. Il se confondrait avec la première réification venue, il ne serait guère différent du statut de la Chose, une contingence soudée à sa propre hébétude. Si l’œuvre se manifeste sous les traits d’une toile, d’une pâte, de couleurs, tous éléments hautement tangibles, l’œuvre donc, tel le lourd iceberg, ne nous montre jamais que son étroit continent, l’essentiel se dissimule sous la ligne de flottaison, dans les complexités de la glace bleue et des chemins d’eau qui y sinuent, de la profusion des bulles d’air qui en dilatent la matière. C’est bien là que l’essentiel de notre vision de Voyeurs doit se concentrer, tâchant patiemment de décrypter les hiéroglyphes, d’en interpréter la belle et irremplaçable complexité.

   Le plus souvent, Regardeurs inattentifs aux motifs de la profondeur, distraits au point de confondre la corolle et son nectar, nous avançons parmi les œuvres, nous limitant à leurs contours, aux apparences qu’elles nous tendent comme si, image reflétée en quelque miroir, nous n’en percevions que la buée, l’évanescence bientôt dispersée aux quatre vents de l’insouciance. Il nous faut donc nous disposer au négatif, à la réserve, à la dissimulation, à l’absence. Tels des saumons qui fraient, il nous faut remonter à la source, là où naissent les eaux en leur originelle pureté, toujours remonter vers l’amont, scruter l’en-deçà, interroger l’a priori, se mettre en quête de l’antériorité de l’antériorité, se confronter à l’impossible, à l’indicible et tresser, tout autour de l’œuvre, identique à une couronne de lauriers étincelant sur le front de quelque dieu, cette Invisible aura qui est le Tout de l’œuvre en son irremplaçable nature.

   Car l’œuvre ne saurait se limiter à l’actuel visage qu’elle offre à notre curiosité. L’œuvre, sûre de soi, qui paraît ici et maintenant s’affirmer dans sa présence, elle n’est pas unique, terminée une fois pour toutes. Elle s’abreuve à mille esquisses, à mille projets contrariés, à mille aventures dont elle conserve  la trace en sa mémoire picturale, en ses configurations plastiques. L’œuvre ? C’est l’Artiste qui lui a donné le jour au carrefour de ses méditations ; c’est elle, l’œuvre en sa manifestation la plus réelle ; c’est Nous qui la fécondons et l’accomplissons à l’aune d’un regard juste. Oui, « juste », car seul ce regard est porteur de Vérité, ceci même qu’expose l’Art à nos yeux incrédules. Nous avons grand besoin d’en déciller l’habituelle cécité. Il faut inciser la cataracte et faire briller la Lumière.

 

L’Art n’est nullement autre chose que ceci,

un éclair qui déchire la nuit et se

retire aussitôt dans sa ténébreuse mesure.

  

   Les œuvres de Barbara Kroll ont cet évident mérite de nous confronter à nos propres ombres, la seule manière, sans doute, de nous extraire de notre gangue de Voyeurs de l’aube ou du crépuscule. Ce que nous voulons, pour les plus lucides, les plus exigeants, tutoyer le zénith, là seulement nous pouvons habiter à la hauteur de l’Art. Ce Vertige !  Ce n’est nulle paranoïa, c’est la demande que formule l’Art lui-même en son exception, en son unicité.

 

 

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