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15 octobre 2020 4 15 /10 /octobre /2020 08:14
Toi nommée Ombre

                                                                              Im raum

                                                                          Barbara Kroll

 

 

***

 

 

 

Toi nommée Ombre

 

D’où te venait ce nom

Qui t’assignait à demeure

D’où venait-il qui te clouait là

Sur la dalle immense

Et glacée de l’indéterminé

Était-il seulement

Le bourgeonnement

D’une provenance

Avait-il la consistance

D’une haute pensée

Le souffle

D’une puissance imaginative

Ou bien n’était-il

Qu’une manière de désaveu

La lumière d’une lame

Traversant ton corps

Ton corps de nulle similitude

Il n’avait d’apparence humaine

Que le flou d’une encre jetée

Sur le papier

Flottait en-deçà des choses

Quelque part en des erres

De haute solitude

Peut-être même n’était-il

Que ballon captif

Relié au réel par un fil si ténu

Qu’on n’en voyait

Que la fragile tension

Il était fluence injouissive

Dont on ne pouvait tracer le cercle

Il était mot mésusé

Qui ne pouvait connaître

Le chiffre énigmatique

De son signe

 

*

 

Quelqu’un sur Terre

Avait-il été alerté

De ta présence

Présence sans doute

Un bien GRAND mot

Quelle empreinte laisse-t-on

Lorsqu’on est tout juste parvenu

À lisière de son propre rivage

Les flots tout autour

Battent leur coulpe

De n’avoir su porter

Les eaux lustrales

Qui t’eussent installée

Au plein de ton être

 

*

 

 Im Raum  est l’invite du titre

Mais fait-il signe vers Chambre

Et alors c’est image de claustration

Ou bien s’agit-il d’Espace

Et c’est égarement ivresse

Le cosmos est si grand

Qui nous reconduit à l’infinitésimal

Nous cloitre dans la graine originelle

Ce curieux ombilic pareil

A l’infructueux désir

Ce pli maculé de mutité

Cette lettre tronquée

Avant que le mot n’émerge

De son étrange berge

La signification est là

Qui hésite palpite et se retient

Le don de la Parole

Est si urgent

Dans le rugissement du monde

 

*

 

Ton baptême parmi les hommes

Ta survenue dans le champ

Des consciences

Est bien au-delà de toi

Dans cette aire

Qui ne te convoque à paraître

Qu’éloignée

Indistincte

Énigmatique

Obscure forme en partance

Pour le Rien

Oui je sais la force d’attraction

Du Néant

Son indéchiffrable magnétisme

La faille radieuse

Qu’il ouvre dans les âmes

Des Poètes

Des Saltimbanques

Des Rêveurs

Tous chercheurs de Vérité

Qui ne font que girer

Autour de leur propre réalité

N’es-tu toi aussi en quête

De cette flamme

Qui toujours vacille

Qu’on craint de voir

Étincelle

Puis cendre

 

*

 

Que je te dise le Bleu dont tu viens

Quelque Ciel étendu

Quelque vaste Océan

Et le Noir te frôle

Cette nuit qui peine

 À se détacher de toi

Cette ombre qui t’obombre

Cette feuille de deuil

Qui éparpille ton corps

Aux quatre vents

De l’obscur désespoir

Ce sont les amers qui t’égarent

Avant même que ton Nom

Soit connu

Ton Nom d’Ombre

Que traverse une liane de sang

Elle dissémine en toi

Les spores de la vie

Sauras-tu en faire bon usage

Toi la Fille si sage

Qui demeures en retrait

Ne sollicite rien

Que cette absence

Que les Nombreux

Nommeraient démence

 

*

 

Séjourne donc en ce passage

Peut-être de la durée

Ne connaîtras-tu jamais

Que l’aride contrée

Cependant il est trop tôt

Pour mourir

Pour qui vient de naître

Tu es seulement en voie de toi

En voie de connaître

Au seuil douloureusement inscriptible

De l’exister

Y aurait-il d’autre chemin

Que cet escarpement

Tout est franchissement

Qui se dit en joie

Qui se dit en douleur

Qui donc pourrait savoir

Hormis les Visionnaires

Et les Sages

Qui donc

Tu es en partance

Ceci suffit à te combler

La Voie est ceci

Qui brille au loin

Oui

Au loin

 

*

 

 

 

 

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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 09:13
L’infinie douceur des choses

‘Courge et poire’

Huile sur Arches, 43X35 cm

François Dupuis

 

***

 

   Ce que, d’abord, il faut faire, se reporter aux hautes lumières d’un été encore présent, en ressentir les lames de chaleur, en éprouver jusqu’au profond du corps l’océan de clarté, le grésillement d’étincelles. On est tout imprégnés de cette onction lourde, on est immergés dans ces ondes qui nous clouent à la falaise inhospitalière des murs. On cherche un refuge hors de soi, on le cherche en soi mais on ne trouve jamais qu’une manière d’abattement, de spirale de feu, de langue mortifère qui pourrait nous conduire à trépas si elle persistait en son être. On cherche, sur le palimpseste usé de sa mémoire, le souvenir d’une fraîcheur, la réminiscence d’une source, la poussée d’un frimas qu’un vent nous apporterait afin de renaître à nous-mêmes.  On est hébétés. On ne comprend plus rien au mouvement du monde. On se tient immobiles dans son esquisse de chair au cas où quelque chose d’aimable voudrait bien se montrer. On se hisse sur les ailes du songe.  On attend.

   Voici, l’automne est arrivé en avance. Il a effacé tous les mauvais souvenirs des mois privés d’R. Il nous a ressourcés à la confluence de ses eaux lentes, attentives à l’éclosion du jour, à son aventure fondatrice de joie, au tremblement de sa lumière d’or, au frissonnement de ses feuilles dans l’eau étale du ciel. Ce que l’on voit, c’est ceci : un tableau d’immédiate félicité. L’instant, qui aurait pu être pétrifié par les gerçures de la chaleur, le voici qui s’annonce sous des voiles d’éternité. En lui nous sommes immergés comme l’est la brindille dormante sur l’eau qui la berce et la conduit sur les rives d’un large estuaire, là où tout est ouvert qui profère le libre jeu des choses et des hommes.

   Nous observons et nous voyons, sur le dais apaisé de la toile, la neuve rutilance du temps. C’est pareil à une ombre qui se serait vêtue de la parure d’une immatérielle présence. La marche sur le bord d’une margelle, un bruissement au contour d’une épaule, un à peine scintillement sur le cercle d’une clairière. Le fond est de pure connivence avec des restes nocturnes, à moins qu’il ne s’agisse des prémisses du jour, les ténèbres s’éclairent déjà du motif de leur disparition. De ceci qui est occulté, qui est muet, se laisse voir le cuir fauve d’une courge. Son attache est une courte spirale qui appelle, demande la courbe légère d’une amitié. Des méridiens plus soutenus en traversent l’écorce à la manière d’un chatoiement, il n’y a nulle blessure à ceci, le simple effleurement d’une ligne d’affection, un trait qui unit, jamais ne partage, un mot d’amitié gravé dans l’écorce des jours, le clignotement d’un iris dans la nuit de l’œil. Ça bouge à peine. Ça a la grâce d’un monde lent. D’une eau de lagune sous l’étain du ciel. D’une amitié qui accueille et sourit. Une ombre légère s’allonge qui dit l’être du fruit en sa native faveur. Un double silencieux, une irisation, une voix voilée dans le calme d’une crypte. Ce fruit si majestueux n’est pas seul. Une belle poire à la forme incurvée s’y repose en confiance. Appui contre appui. La poire, en son vert lumineux, presque phosphorescent, diffuse lentement sa clarté, la communique à qui veut bien la prendre. Or, ils ne sont que deux au monde, les deux fruits-compagnons que relie la touche légère des affinités. Nul besoin de parole. Nul besoin de mouvement. Présence contre présence. Amour contre amour. De Poire à Courge, nulle distance. Mariage d’amour plus que de raison. Deux cœurs battent à l’unisson sous le velours de la peau. Diastole pour diastole. Systole pour systole. Des battements tissés d’harmonie. Des battements à l’unisson.

   Nous avons dit, en mode langagier, le doux surgissement de ces deux êtres tissés d’infini. Qu’en est-il maintenant, de la perspective picturale, de cette beauté qui se donne en partage de la même façon que le fait la source en son mince clapotis, l’oiseau en son battement d’aile, le ciel en son unique transparence ? Car il s’agit de peinture avant tout, de son lexique, peut-être de souvenance car toute œuvre joue en mode pluriel avec les autres œuvres du monde. C’est ceci même qui fait, tout à la fois son individualité, sa singularité et son caractère indissolublement universel. Si elle n’était ceci, alors il lui faudrait renoncer d’emblée à se placer dans le cadre des manifestations esthétiques. Se limiterait-elle à sa pure forme autarcique et elle tomberait dans le premier nihilisme venu, la schizophrénie en sa coutumière geôle.

   Il ne peut qu’y avoir échange, transitivité, reconnaissance réciproque. Telle œuvre particulière fait écho avec telle autre, sur le plan formel, à la hauteur de ses significations internes, de ses conceptions du monde. L’art est une constellation en laquelle s’inscrit toute tentative suffisamment accomplie pour mériter cette épithète. Il y a nécessaire spécularité, renvoi, réverbération, confluence des thèmes et des manières de peindre. Ceci ne veut nullement dire que la trace dans une œuvre, d’une empreinte antérieure, serait pure mimèsis, travail de copiste. Non. Tout Artiste s’est livré avec passion à la tâche, non de reproduire ses Maîtres, bien plutôt de les reconnaître pour tels. Et ceci est heureux au simple motif que les œuvres artistiques doivent constituer une architecture unique au sein de laquelle chaque individu vient apporter son obole. Un genre de Tour de Babel picturale édifiée, pierre à pierre, au cours de l’Histoire.

   Comment cette belle peinture, au subtil chromatisme automnal, peut-elle s’inscrire dans la polysémie de l’Art ? Comment peut-elle témoigner pour elle, mais aussi pour les autres puisque, je viens de le préciser, elle est nécessairement une parmi la symphonie des natures mortes, des portraits, des nus, des scènes pastorales, des paysages bucoliques ou romantiques ? Sans doute, comme toute interprétation, y aura-t-il des approximations, des hypothèses confluentes là ou d’autres ne verront que divergences, des identifications ne reposant que dans le lit d’une pure subjectivité. Et quand bien même, ce qui vient à nous le fait sous le sceau de la multiplicité, de la foule bigarrée, de la vêture d’Arlequin. Et il est heureux qu’il en soit ainsi. Rien n’est pire que la monotonie, le conformisme, la mode suivie d’une façon toute grégaire.

   Dans cette œuvre de François Dupuis, je perçois comme des présences anciennes, des classicismes picturaux, des coloris fonctionnant sur le mode de l’analogie, des inspirations, sans doute plus inconscientes que conscientes chez un Artiste dont l’œuvre est vraie, ce qui ne peut que lui éviter des écueils ou la reprise à l’identique de quelque chose qui fut et trouverait ici, les conditions d’une apparition nouvelle. Je reconnais, convoquer les grands noms de la peinture est toujours geste risqué, parfois même entreprise iconoclaste. Ici je ne propose nullement des recouvrements d’œuvres, je ne procède nullement par homologies qui seraient inappropriées, j’essaie d’extraire des œuvres ce qui peut faire sens commun : une lumière, une ambiance, un état d’âme, la douceur d’une climatique, l’émotion devant ces chefs-d’œuvre que la Nature nous offre, que les Artistes magnifient de l’extrémité de leurs brosses. Du fond généreux de leur passion.

   Ici dans ce que nous pourrions nommer du terme générique ‘d’automnales’, j’aperçois les motifs d’un identique ressourcement. On regardera ceci en guise d’hommage aux Maîtres, non à une quelconque sujétion. Regardant ‘Courge et poire’, je pense aux clairs-obscurs Du Caravage ou de Rembrandt pour ne citer que les plus connus, au jeu subtil de l’ombre et de la lumière qui en constitue la trame. Je pense à la palette terre de Sienne, grège et paille assourdie des ‘Glaneuses’ de Millet. Je pense à la ‘Nature morte à la pastèque’ de Luis Eugenio Meléndez, pour le motif qui y est représenté. Je pense aux couleurs des terres naturelles de certaines peintures rupestres du néolithique. Je pense enfin à la tonalité nocturne de quelques natures mortes de Chardin. L’Art ainsi, pareil à des ruisseaux issus de la même source, coulant vers d’identiques estuaires. Ici il n’y a plus de hiérarchie à reproduire, de choix à effectuer puisque tout participe d’une même intention, donner au beau un cadre pour sa manifestation. Que pourrait-on souhaiter d’autre qui serve mieux la cause de l’Art ? Je suis sûr, pour ma part, qu’en nos songes d’automne, ce multiple flamboiement nous visite. Au réveil l’on ne se souvient plus de rien. Pourtant ces choses ont existé. Nous en portons la trace au fond de nous. Elles sont ineffaçables. Elles ruissellement à bas bruit. Essayons d’en deviner le précieux. Qu’aurions-nous d’autre à faire qui soit si pressé ?

 

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13 octobre 2020 2 13 /10 /octobre /2020 08:53
Ces  ombres, il y avait ces  ombres.

 

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

Ô vacuité des choses présentes

O incendie de l’âme

O ignition de l’esprit

Ô dispersion du corps

Ecartèlement quand le temps

Vient

De si loin

Une à peine parole

Dans l’inconsistance

Du Monde

Une faille

Inconnaissable

Insaisissable

Livide telle la bougie

Qui se consume

Dans la crypte

Qui grésille

Dans le Temple

Pour des dieux absents

Pour des immolations

Dont le nom

Le sens

Ont été perdus

Dans l’indolence du jour

Sa lente irrésolution

Son labyrinthe

Où ne souffle plus

Aucun langage

 

 

***

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

Ces ombres qui rampaient

Au ras du sol

Pareilles

À de mauvaises consciences

A de malins génies

Plantant

Dans la détresse

De la chair

Leurs canines d’effroi

Plus RIEN ne paraît

Plus RIEN ne se manifeste

Que l’aile sinistre

Du vide

Plus RIEN n’arrive

Que l’haleine froide

Du Néant

 

 

***

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

Que nous ne pouvions faire

Nôtres

Tellement leur haine était

Grande

Démesurée

Leur silence

Hurlant

Dans les spires de la cochlée

Leurs lames s’invaginant

Autour de l’ombilic

Cette graine originelle

Qui s’étrécissait à la taille

Du microcosme

Et demeurait cloîtrée

En sa bogue

Sans jamais pouvoir en offenser

La translucide paroi

Mot dans mot

Qui refuse de s’ouvrir

Peau contre peau

Qui refuse de se distendre

De déployer son oriflamme

Dans la nuée de l’heure

Ô douleur incantatoire

Qui ne rencontre

Que son étique mélopée

 

 

***

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

La colline bougeait

À l’horizon

La plaque d’eau luisait

Dans le bleu

L’argile allumait son feu

Couleur de pain

Le buisson en touffe verte

En vert amande

Se souvenait de l’autre

De l’Ardent

De la révélation

Du Dieu Eternel

Mais Dieu était mort

Disait le Gai Savoir

Il n’y a plus de pays de Madian

De contrée où asseoir la pliure

De sa foi

Plus de lieu où prier

On n’idolâtre plus les idoles

On a brisé les icônes

On a détruit le palais de cristal

Des Mythes

On a broyé l’Imaginaire

Sous les coups de boutoir

De la possession

On a renié jusqu’à son être même

On a vidé la substance

De sa substance

 

 

***

 

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

La Bible

En des temps immémoriaux

Nous annonçait l’Exode

La fuite hors d’Egypte

Des Hébreux

Leurs longues errances

Dans le Sinaï

Leur quête de la Terre Promise

Mais de Terre Promise

Il n’y a que SOI

Enfermé dans la geôle étroite

De SON corps

Cette sombre monade

Sans portes ni fenêtres

Ce minuscule cosmos

Où à la manière

D’un oxymore

Ne règne que le désordre

Où ne croît

Que l’herbe mauvaise

Des jours

Cette piètre savane

Couleur de destin biffé

Là ne se laissent entendre

Que

Feulements

Barrissements

Rugissements

Ils sont l’architecture de notre peur

La quadrature de notre angoisse

La démesure de notre existence

Sous les fourches caudines

De la Finitude

Oui de la Finitude Majuscule

Qui signe le terme

De nos illusions

Décrète l’arrêt

De la Grande Pantomime

Frappe les trois coups

Au-delà desquels

Plus aucun Jeu

Ne sera permis

Brigadier

Sans indulgence

Cerbère

Sans complaisance

Guillotin

Sans état d’âme

Seule la lame définitive

Et son sifflement ophidien

Qui fait de nos têtes

Ces pitoyables boulets

Qui s’écrasent contre

La lourde barbacane

De l’incompréhension

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

Les ombres étaient

Au Passé

Au Présent

A l’Avenir

Il n’y avait plus

De temps

Pour le Temps

Plus de lieu

Pour l’Espace

Plus de parole

Pour le Langage

Plus d’ombre pour l’ombre

Plus de clarté pour la Lumière

On s’essayait

À une effraction

À se divertir de soi

À s’exonérer de ce

qui nous enfermait

Ligaturait notre voix

Attachait nos gestes

Faisait de notre amour

Le site d’une pure autarcie

SOI

On n’aimait que

SOI

SOI

On ne voulait que

SOI

Le pur égoïsme faisait

Ses empreintes délétères

Ses traces arbustives

Ses déploiements

De griffes de sorcières

Ses menuets

D’espoir afin de se soustraire

A sa propre inconséquence

Il ne demeurait

Que peau de chagrin

Bribes de cotonneuses envies

Copeaux de frivolité

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

Voilà à force

D’errer

D’omission en omission

De renoncement en renoncement

De dérobade en dérobade

On était arrivé

Dans le sas indissoluble

De l’ultime aporie

On hissait sa silhouette

Dans le cadre étique

D’une Porte

Etroite

Sur le seuil

Non en tant

Que passage

Translation

 Vers autre chose

Que Soi

NON

 Dans l’immobilité la plus totale

La plus dévastée de signes

La plus illusoire qui se pût concevoir

On était arrivé dans la certitude

D’être au Monde

Et de n’y être point

Comme affirmation d’un

Non-retour

A quelque chose de signifiant

Seule l’aire de la dévastation

Déployait l’emblème

De sa présence

 

 

***

 

 

Ces ombres il y avait ces ombres

 

 

On regardait l’en-dehors de Soi

A la manière d’une pure étrangeté

On ne questionnait plus à l’aune

De quelque Vérité

Les Choses étaient devenues

Choses

Irrémédiablement

Choses

Jusqu’en leur extrême

La réification partout

Etendait l’épouvantail

De son insolence

Ce qui n’était NOUS

Nous ne pouvions que le nier

Qu’était donc ce banc

Que nulle présence n’habitait

A commencer par la Nôtre

Qu’était ce flot bleu

Que notre corps ne rencontrait

Qu’était cette terre

Dont nous ne foulions pas la poussière

Qu’était ce buisson

Qui n’allumait le feu de notre être

Qu’était cette ombre

Qui nous était étrangère

Sinon l’image même de la Mort

Celle-ci

OUI

ASSUREMENT

Nous pouvions la ranger

Au nombre de nos avoirs

Nullement de notre être

Mais se possède-t-on jamais

Soi-même

Se possède-t-on

JAMAIS

 

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13 octobre 2020 2 13 /10 /octobre /2020 08:43
« Ce n’est plus le même silence ».

Pointe de flèche – Rhodézien

Source : Wikipédia

***

Libre interprétation du poème de

Nathalie BARDOU.

(NB : Les mots en gras et italique

sont ceux que j’ai choisi d’accentuer

afin d’amener au jour une possible

compréhension du poème.)

Ce n'est plus

le même silence.

***

« Ce blanc

Sans cadre

Dans la courbature du mot

Lorsque la nuque au bord du puits

Il faut aller au livre d'herbes.

Là où le monde bavard

Celui des regards encore aux murs

Celui du royaume de sable bâti sur l'ombre

Celui du jardin antique

Là où le monde bavard

S'est tu,

Sais-tu

Ce n'est plus le même silence.

Ce n'est pourtant pas un jeu

De frotter des mots-silex

Les champs secs

Ont pris feu.

Les mains ont reculé

Vives et sèches

Les mains

Sur un visage

Sur un souvenir

Les mains ont reculé.

Et la maison-corps

A applaudi à ce vacarme

A enfin Tout ce vacarme

Des dents qui mordent le vide

Des os lancés

Contre les muscles.

Pendant la sortie de l'eau

Dans son grand bruit de mers.

Puis le silence

Qui n'est plus le même silence

C'est ce silence qui touche au bleu

Le bleu loin dedans

Têtu - dans les cendres ».

 

Nathalie BARDOU - 24 mai 2015

*

  Avec le poème, c’est toujours s’affronter à un problème que de vouloir l’interpréter. Soit on le soumet au scalpel de la raison discursive et alors il perd son âme pour ne laisser paraître que ses coutures. Soit on le laisse flotter dans les arcanes de l’imaginaire et alors on se pose la question légitime de savoir si l’on a encore affaire à ce poème ou bien plutôt à une pure fantaisie. Sans doute existe-t-il une voie médiane, laquelle s’appuyant sur le contenu réel tout en tâchant d’extraire les significations latentes, cherchera à éviter la « démonstration » pour faire droit à la « monstration », à savoir faire briller le langage dans l’essence du paraître. C’est ce que nous essaierons de mettre en exergue dans le cadre de ce bref article. Donc, à partir de maintenant, c’est un « saut » à quoi il faut se disposer afin que, nous exonérant des perceptions immédiates, nous puissions nous saisir de ce qui traverse le poème tout comme l’éclair illumine le ciel alors qu’il n’est plus visible dès qu’apparu. Il en est ainsi des choses essentielles de la Nature - dont l’éclair est la fulgurante apparition -, aussi bien que des paroles fondatrices qui révèlent plus que ne le laisserait supposer la modestie des mots convoqués à l’espace-disant. Ici, aucune autre parole ne nous éclairera mieux pour l’entrée dans le vif du poème que la belle assertion de Paul Klee qui dit le tout de l’art dans une forme si verticale qu’elle semble ne pouvoir être dépassée en direction d’une plus ample compréhension de cette vérité fondamentale : « L'art ne reproduit pas le visible. Il rend visible ».

  En effet, tout est question de visibilité, autrement dit de remise à soi de la chose dans la clarté de ce qu’elle est. Et, ici, nul doute qu’il soit question de la poésie elle-même dans son principe ouvrant-déployant un monde. Et, ici, nul doute que soit énoncée la fragile condition du poète en ces temps « où le monde bavard » fait cliqueter, à l’infini, les paillettes du « on ». « On » se conforme à l’avis général ; « on » se dispose à emprunter les sentiers battus afin de ne pas s’écarter d’une opinion commune. Le poème, quant à lui, s’opposant à cette progression horizontale dans la glaise mondaine, en établit l’exact contrepied, à savoir l’élévation du langage dans sa pure verticalité afin que, transcendant le domaine des contingences, il puisse flotter entre ciel et terre, un vers dans l’empyrée, un autre en direction de ce réel qu’il sublime à mesure de sa profération.

  Mais, alors, comment surgir dans l’espace du poème puisque, aussi bien, ce dernier, le poème, utilise les ressources du langage commun à tous les humains ? Mais, tout simplement, en utilisant ces « mots-silex » qui portent en eux le plus noble destin de l’homme. Ceci, correctement métaphorisé, s’inscrira dans la conscience comme la grande marche de l’homo habilis vers l’homo sapiens, soit, de l’homme habile à manipuler les outils à celui habile à les mener à la clarté d’un savoir dont le langage est la pointe la plus extrême, imitant en cela la flèche indicatrice de SENS que les hominidés taillaient à même la pierre sans en saisir l’immense portée ontologique. C’est seulement parce que l’homme, dans sa lointaine préhistoire, est passé du statut d’une simple horizontalité (l’immanence), à celui d’une pure verticalité (la transcendance) que des choses comme le langage, l’art, l’intentionnalité déployante d’un mode des significations a pu réaliser sa propre efflorescence. Le langage, dans son évolution, suivait la même courbe ascendante, partant du simple borborygme préhominien pour déboucher dans l’aire constituante d’une essence de l’homme. Ainsi s’établissait la distinction entre la prose du monde en ses laborieux commencements et le poème dont elle était tissée depuis l’origine et qui demandait à être porté à la révélation.

  Tout cet immense paradigme du connaître, depuis l’outil primaire jusqu’à la fonction langagière élaborée, le poète le porte en lui comme son bien le plus précieux, en même temps que le lieu de son intime déchirure. Comme si son corps, divisé par un mystérieux raphé médian, le scindait selon deux univers opposés, deux topiques à jamais irréconciliables : d’un côté le tumulte et le chaos précédant l’apparition du langage et des fonctions supérieures; de l’autre l’harmonie d’une parole organisée en sublime cosmos, dont le poème est la source et le recueil. De cette position de funambule entre un ubac versant vers une possible disparition et un adret par lequel réaliser son assomption, le poète est transi jusqu’en sa chair frissonnante. Le pathos est toujours là et son double aiguillon, celui de la chute, celui de la montée infinie vers ce qui appelle et veut soustraire au « silence », au « blanc » dont « la courbature du mot » est le symptôme le plus évident, qui se dit en termes de somatisation, de corps, les seuls à même de rendre compte de la prégnance de la douleur.

  Le poète est toujours situé « à l'intersection de deux plans au tranchant cruellement acéré, celui du rêve et celui de la réalité », tel que Pierre Reverdy les définissait dans « Le Gant de crin », le titre étant amplement évocateur en lui-même de la lucidité à y entendre. Ou bien le poète s’attache à la réalité et perd sa liberté créatrice, ou bien il vogue dans le rêve jusqu’à y perdre le fil d’Ariane qui lui permet de rencontrer la Muse. Ou bien il n’écrit pas, « la nuque au bord du puits » dans le vertige de sa propre disparition, de l’attrait de l’abîme, ou bien il écrit, frottant ses « mots-silex » mais alors « les champs secs ont pris feu » nous dit le poète et, de peur, « les mains ont reculé vives et sèches » car la brûlure de l’écriture en est toujours la plus immédiate illumination qui soit. Regarder brûler Rome, à la manière de Néron est pure fascination, d’abord, frayeur ensuite des conséquences de son geste. Il en est à l’identique pour tout créateur qui procède à sa propre perte tout en élevant le piédestal qu’il tend à sa propre effigie comme une possible Arche de Noé. Mais, en filigrane, apparaît le « Radeau de la Méduse » et les flots contraires qui le conduisent à sa perte.

  Beau poème en tout cas, qui dit en termes essentiels ce que l’habituelle prose du monde profère dans le bavardage et l’imprécation. Ecriture labyrinthique, écriture à chiffre qui ne livre son secret qu’à être manduquée jusqu’à son terme de manière à ce que se dévoile cette « chair du milieu » qui est l’essence même des choses, dont nous sommes tissés de l’intérieur, à notre insu, mais que nous hélons sans cesse depuis notre cheminement hémiplégique et qui se nomme aussi « le bleu loin dedans », cette corde infiniment vibrante que, parfois, l’on appelle « âme », sans bien savoir ce qu’elle désigne mais dont la cessation de la vibration nous reconduirait, toutes affaires cessantes, à la densité et à l’opacité de la pierre de silex avant que l’intelligence de l’homme n’en taille les arêtes transcendantes. Ceci nous ne voulons pas le voir. Renoncer à être nous l’écartons de nous grâce à la force vive de l’art. Nous souhaitons, avec raison, qu’il en soit toujours ainsi ! Comment pourrions-nous exister autrement puisque les mots nous constituent comme notre substance la plus intime ? Faire silence parce que l’on n’a rien à dire et faire silence car empêchés à la profération par quelque cause, fût-elle fondée en logique, sont deux situations opposées aussi inconciliables qu’éloignées. Après que l’on s’est retiré de soi dans un mutisme où hurle le désir de dire et que l’on dit enfin dans la hauteur, dans la juste mesure de soi, autrement dit dans la vérité, alors « ce n’est plus le même silence », alors les choses s’ouvrent de soi jusqu’à la démesure toujours souhaitée : celle du poème installant son site dans la lumière. C’est cette incandescence que nous voulons, ce vertige qui creuse jusqu’à la frontière visible du corps. Oui, ceci nous le voulons et y parvenons à la force de notre être désirant. Il n’y a pas d’autre voie possible ! Pas d’autre voie !

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Published by Blanc Seing - dans Mydriase
12 octobre 2020 1 12 /10 /octobre /2020 08:26
L'Amour en cage

                                                                          Ce dimanche d’Octobre

 

 

 

                     Chère Solveig

 

 

 

« L'amour est un piège dans lequel je suis tombé. »

 

   Tu sais combien ce type de ritournelle fait ton siège sans que, jamais, tu ne puisses en arriver à bout. Tu crois l’avoir chassée au loin, la petite phrase, là-bas au-delà de l’horizon, derrière la colline qui moutonne et se désespère de n’être que ceci, et la ritournelle te revient, habille ta tête des dentelles d’un évident bonheur alors que tu la pensais ennuyeuse, insistante, pour tout dire une éclisse logée au profond de ton oreille, une épine fichée dans ton cœur. Toi, l’avisée, sais-tu au moins la raison de cette persistance, la nature de l’intérêt qu’on lui porte, sa fuite pour plus loin que soi et, déjà, l’on regrette de ne plus l’entendre, de l’avoir perdue comme on a perdu un ami ? C’est curieux, tout de même, cette fixation sur de l’instantané, du mouvant, du contingent. On penserait avoir saisi quelque chose de l’existence, la corolle d’un sentiment, la douce chair d’une saveur, l’onctueux d’un souvenir mais l’on se rend vite compte que la petite antienne est brodée d’air, que jamais nous ne la retiendrons, qu’elle est déjà au passé alors que nous sommes, nécessairement, à l’avenir. Mais il faut que je te dise l’origine de ce qui pourrait passer pour simple caprice.

   Peut-être te souviendras-tu ? On prétend, d’ordinaire, que les femmes archivent mieux les souvenirs que leurs compagnons. C’était il y a longtemps. J’étais au printemps de ma vie, tout comme toi. J’en suis maintenant à l’automne. Mes tempes ont blanchi. Des rides traversent mon front qui disent, un jour, le souci de ne plus être qu’une illisible trace effacée par la confondante marée des jours. Souviens-toi, si tu peux. L’été est lumineux. Je viens tout juste d’arriver dans ton beau pays, cette lointaine Suède semée de lacs que cernent de tremblants bouleaux, leurs écorces sont d’argent, leurs feuilles des écus dorés dans l’air qui tremble. Nous marchons au bord du Lac Roxen dont l’eau frissonne, un genre de cendre dans le jour qui n’est guère encore assuré. Je te connais encore si peux, ma correspondante du Nord, mais je sais que des affinités nous réunissent, que des goûts identiques nous rassemblent. Je ne sais pourquoi, au détour d’un chemin, sortant de ton sac un amour en cage, son cœur orange brille d’une étrange lueur derrière sa résille blanche, tu me dis : « Toujours l’amour sera en cage, jamais il ne sera libre ! ». Je ne sais pourquoi cette phrase teintée de mélancolie traverse la barrière de tes lèvres, se dissout dans les remous de l’air. Aussitôt, peut-être sans cause réelle, sans quelque rapport avec ton propos, germe en moi, telle une herbe sauvage, cette phrase non moins étonnante : « L'amour est un piège dans lequel je suis tombé. »

   Oui, j’avoue, il fallait que nous fussions jeunes, naïfs, pour tresser ce dialogue digne du plus léger des vaudevilles. Tout ceci paraissait si convenu, lissé à l’eau du poncif, manière d’agaceries dont de jeunes enfants sont coutumiers, histoire de meubler le temps, de le placer sous le sceau du jeu gratuit. On jette une phrase en l’air, attendant qu’elle ricoche, fasse ses joyeux bonds dans l’espace puis disparaisse à la façon d’un papillon qu’effacerait soudain un pli de vent. Mais alors, s’il s’agissait vraiment d’un jeu, quelle était sa nature, poursuivait-il un dessein particulier, existait-il un message codé dont, peut-être, nous n’étions même pas informés ? Sur le moment je n’aurais pu répondre. On ne se précipite nullement sur la braise quand le feu couve encore. On attend l’œuvre du temps. On espère un éclaircissement, une justification, une liaison logique des événements.

   Sais-tu combien aujourd’hui, après que tant de temps a passé, tout devient limpide, pareil à l’eau tranquille d’une source ? Bien sûr, dans notre enthousiasme de la rencontre récente, les choses ne pouvaient être dites que du bout des lèvres, à ‘fleurets mouchetés’, si l’on peut dire. Cet amour qui naissait avait besoin d’ombre, de fraîcheur. L’aurions-nous exposé à une trop vive lumière que, sans doute effrayé il se fût résolu à s’en retourner de là où il venait, c'est-à-dire de l’illisible contrée des choses indicibles. Tu le sais bien, à l’amour il faut le temps de se déployer. Faute de ceci, il ne fait que flamboyer telle une gerbe d’étincelles, puis s’absente de la scène, souvent pour toujours.

   « L'amour est un piège dans lequel je suis tombé. » Je crois qu’aujourd’hui, à l’âge de la maturité accomplie, sachant la relation purement platonique qui a été la nôtre au cours du temps, jamais nous ne nous sommes revus, seulement occupés à une correspondance suivie des années durant, je crois que je pourrais la faire mienne mais dans la plus pure positivité qui soit. Oui, nous avons été amoureux à distance et notre amour s’est accru, précisément, de cette impossibilité. Autrement dit, il a été vrai du simple fait qu’il s’est soustrait aux événements de tous ordres, les plus heureux, mais aussi les plus fâcheux qui eussent pu ternir notre relation. Parfois, peut-être, la qualité des sentiments est-elle inversement proportionnelle à la distance qui sépare les amants. Plus loin, plus beau, en quelque sorte.

   Et puis, tu en conviendras Sol, pourquoi les pièges seraient-ils toujours entourés d’une valeur négative ? Je crois qu’il en existe, mon expérience de notre longue liaison épistolaire en témoigne, de doux, de satinés, une sorte de corail qui en atténuerait la possible rigueur. Pour moi, en tout cas, il prit l’allure de cet ‘amour en cage’ dont tu agitais la fragile cellule dans le vent du septentrion, un soleil brillait au centre d’une claie d’un invincible éclat, si bien que seul le rayonnement demeurait, la cage s’était perdue dans les mailles d’un temps d’immédiate faveur. Dire l’amour tel un piège, c’est simplement s’adonner au jeu primesautier des oxymores, c’est dire le feu qu’une eau aussitôt éteint. D’autres diraient : ‘Jeu de l’amour et du hasard’, mais il ne s’agirait ici, non de l’amour en son essence plénière, mais d’un simple marivaudage, d’un déguisement des sentiments où chacun, en guise de vérité, ne ferait que se donner la comédie. Solveig, je le sais depuis le plus profond de qui je suis, du plus sûr de qui tu es, jamais notre rencontre n’a été jeu d’acteurs. Un amour réel car l’amour ne peut être que ceci, sinon il peut, effectivement, devenir un piège. C'est-à-dire métamorphoser sa belle présence en ce qu’il ne sera jamais, un jeu de dupes, un rôle à la Tartuffe, un sourire qui dissimulerait la lame d’une trahison.

 

   Voici, remontant d’un lointain passé, une source réactivée qui, en réalité, n’a jamais cessé de jaillir. Puissions-nous encore la porter en nous aussi longtemps que notre chemin pourra tracer son destin ! Merci Solveig pour cet amour libre de lui. Sans doute n’est-il de plus grand bonheur ! Si tu vas te promener autour du Lac Roxen, si tu y penses, cueille donc une écorce d’érable, joins-là à ton prochain courrier. Ainsi tu seras présente à même sa douceur nacrée, ainsi que la forêt, ainsi que ce tout de l’être qui vibre dans toute chose essentielle.

 

Ton amoureux des lointains.

 

 

 

 

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10 octobre 2020 6 10 /10 /octobre /2020 08:32
Peuple des Esseulés

   Solitaire calligraphe

  Œuvre : Marc Bourlier

 

***

 

 

   Ainsi, depuis longtemps, les Petits Boisés faisaient le tour de la Terre, observant ici le bleu foncé de la mer, là les pics de montagnes enneigées, ailleurs de vastes plaines où courait le peuple d’or des épis. Dire leur émerveillement ne se pouvait qu’à la mesure de leurs yeux ronds comme des billes qui roulaient de toutes parts car il s’agissait d’emplir la vision des milliers d’images qui se présentaient sans en omettre une seule. L’une d’elles eût manqué et, sans doute, un constant désarroi se fût fiché dans leurs corps de bois, telle une vive écharde. Il fallait donc être attentif, aussi bien au mouvement des marées qu’au vol des mouettes ou aux longs convois d’automobiles qui sillonnaient la planète selon tous les méridiens. Lorsqu’on est un être de l’espace doué de simplicité et de sensibilité, il convient de tout archiver dans sa mémoire pour le cas où, un jour peut-être, l’on se déciderait à rejoindre la « société » des Terriens.

   A bord de l’embarcation céleste, on s’était partagé les tâches. Certains vaquaient aux occupations telle la cuisine (on se sustentait de peu, un courant d’air, une mousse de nuage, quelque goutte de pluie cueillie au hasard de sa chute), aux divertissements tel le ménage (certains jouaient du plumeau, d’autres poussaient la poussière par-dessus bord), enfin aux loisirs studieux telle l’observation (quelques Boisés ayant affûté des tiges de sureau - oui, il y en avait au milieu du ciel ! -, vissaient leur œil rond sur l’orifice afin d’observer les allées et venues du peuple des Lointains). Et, comme ils pratiquaient l’art rare de l’observation, ils consignaient sans délai toutes leurs remarques sur des feuilles de bois qu’ils gravaient à la manière des picots du Braille. Aussi avaient-ils hérité du surnom de « Boisés-calligraphes », ce dont ils ne tiraient nulle fierté, classant tout le jour durant quantité de menus détails au hasard de leurs étonnantes découvertes. Ainsi apprirent-ils que les Humains avaient des mœurs bizarres : ils circulaient dans d’étranges boîtes qui semaient des nuages de fumée après qu’ils étaient passés. Ils stationnaient en longues files devant des vitrines où brillaient des milliers d’objets qui semblaient les fasciner. Ils se hâtaient dans des salles de restaurants enfumées, y dégustant mille denrées rares, mille vins qui brillaient comme des rubis dans des carafes de cristal. Ils s’agglutinaient dans des pièces obscures où défilaient des cohortes d’images animées et vivement coloriées. Sur leurs têtes, ils vissaient d’étranges casques dont, parfois, il sortait des myriades de sons incompréhensibles. A tout bout de champ ils pianotaient sur d’extravagantes machines, captivés, comme attirés par quelque vigoureux aimant.

   Et ce qui surprenait le plus la communauté des Petits Boisés, c’était le bizarre sentiment de solitude qui planait là-dessus, comme si chaque être sur Terre avait vécu enfermé dans sa petite boîte, muré dans son silence, au milieu d’une foule qui était composée de milliers de fragments semblables sans qu’aucun pût communiquer avec tel autre. Ils semblaient si occupés d’eux-mêmes que plus rien ne comptait que leur propre univers, l’île minuscule sur laquelle ils vivaient tel Robinson Crusoé. Ils pensaient qu’il s’agissait de mœurs bizarres, eux qui n’avaient jamais vécu que dans la concorde et l’harmonie. Il n’était pas rare que les discussions des Terriens pussent s’envenimer et qu’ils en vinssent aux mains afin de régler leurs vénéneux conflits.

   Alors une idée s’empara de leur assemblée. Un soir de clair de lune ils atterrirent en douceur dans l’ovale d’un golfe, posèrent pied sur une plage, firent la rencontre de bouts de bois flottés, leurs semblables mais non encore devenus l’un des membres de leur aimable confrérie. Ils avisèrent, dans le coin le plus reculé de l’anse, au milieu d’un tas de gravats et des lianes emmêlées de goémon, une Volige de bonne taille sur laquelle ils clouèrent une tête, ligaturant le corps au moyen d’un lien de coton, fixant sur le buste du Grand Etonné, une manière de résille de fer qui symbolisait sa supposée aliénation. Par là ils évoquaient l’immense solitude, ainsi que le virulent désarroi qui frappaient les habitants d’ici dont, sûrement, ils n’auraient voulu partager la précaire existence.

   Ils remontèrent à bord de leur vaisseau cosmique, arrimant leur effigie solitaire au centre de leur aérienne navigation. Ceci voulait dire qu’eux, les Petits Boisés, étaient unis par les liens indéfectibles de l’amitié, alors que le Peuple d’ici-bas (dont témoignait la Grande Volige) vivait dans le dénuement et l’esseulement que rien, jamais, ne pourrait effacer. Ainsi ils faisaient leurs milliers de révolutions diurnes et nocturnes, bien éloignés des tracas de la tribu des Séparés, s’estimant habités des plus belles faveurs qui fussent.

   Lecteur, Lectrice, si, un soir de pluie d’étoiles, observant le dôme du ciel, tu aperçois une étrange embarcation portant, en son milieu, un fétiche de grande taille faisant fond sur une nuée de visages soudés, alors tu pourras être assuré(e) de voir ce peuple heureux des Petits Boisés. Montre-les donc à tes semblables et qu’ils s’inspirent de tant de joie vacante. Peut-être n’attendent-ils que cela. Les hommes sont si bizarres en ces temps de grande incertitude !

 

 

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8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 08:32

 

L’Île Muséale.

 

l-im1.JPG 

Photographie : Christopher Broadbent. 

 

 

(Libre méditation sur un propos de

Milou Margot).

 

 

 « Avant toi, tout était sans couleur.

Soleil ! Soleil ! Fleur sans ombre dans cet ailleurs immobile, lumière de frissons, fluide gravité transparente, lanterne qui nous éclaire dans la traversée de ce jour terne, braise du jour consumé. Dans cette fine pénombre tiède, tu es la stupeur de cet espace solitaire que nous portions sans espoir.
Au musée, nous reviendrons ! »          

                                                                                                           MM.

                                          

 

  Franchir le seuil, c’est toujours aller au-devant de soi, comme si une clarté naissait des choses pour venir à notre encontre. C’est-à-dire pour que nous puissions surgir dans un espace de révélation. Lumière fécondée par le territoire singulier qui nous ouvre son site, lumière nous atteignant au plein même de l’intériorité. Dans la densité de la  chair, les ombres s’espacent, jouent dans une manière de demi-jour, les tissus relâchent leur maille, les fibres libèrent leur tropisme étroit, le sang se charge de bulles cristallines. Tout se rassemble, tout se médiatise dans un avant-langage, dans un pressentiment de l’œuvre à paraître. Il y a un silence accordé aux choses, à l’air, au sol où s’atténue la couleur, Gris dominant tout de sa stature permissive - le blanc est à venir, le noir est repoussé jusqu’à la limite de sa disparition -, Gris intimement immergé dans un silence fondateur. Métaphore du Gris, ce Médiateur - jamais on ne le dira assez -, qui tient dans l’espacement de son signe, aussi bien la lumière bourgeonnante que l’obscurité régnante. C’est de cette tension que naît tout dialogue, donc toute œuvre. Donc tout signe. La couleur est toujours de surcroît, identique à une aberration de la vision. Les couleurs mentent toujours qui magnifient le réel, le portant à sa parution dans un genre de gloire. Trois valeurs seulement jouant dans l’espace dialogique. Le Noir disant la fermeture, l’encre néantisante de la ténèbre. Le Blanc ouvrant les rémiges d’ombre afin de les porter à la claire lecture de ce qui veut bien proférer. Le Gris s’installant dans l’abîme entre les deux parois tendant toujours à se rejoindre dans une confondante occlusion.

  S’il n’y avait le Gris, alors tout s’effacerait et nous n’aurions plus de territoire où dresser nos urticantes questions, où faire bourdonner la scansion de la vie. Rien de lisible sans la discrète présence d’une pénombre, sans le clair-obscur vibrant dans les toiles de Rembrandt, sans le sfumato brumeux de Léonard - ce qui rend énigmatique le troublant sourire de La Joconde -, sans cette glaçure d’outre-noir qui sourd des bitumes de Soulages avec une étrange persistance à être. Que l’on comprenne ceci : le Gris est la respiration de l’œuvre. C’est par lui que le vase en raku obtient le gonflement qui le fait s’arquer autour de son vide, lequel est son expansion, son rayonnement, sa courbure contre le visage du monde. Le Gris est le souffle du poème, cette même absence entre les mots qui les installe dans la signification. Supprimez, par la pensée, ce rythme du noir et du blanc des signes et vous n’obtiendrez que le vertige de « l’in-signifié », autrement dit vous aurez remplacé un cosmos par un chaos. Le Gris est le rythme de la musique, le pas de deux ménageant la rencontre des danseurs, la distance ouverte par la flèche de l’archer en direction de la cible.

  Une fréquente perception des choses prête allégeance d’abord au réel, ensuite au temps. Comme si ces deux principes suffisaient à accorder à la totalité de l’existence les deux seules jambes requises pour la marche. Mais aussi bien le réel que le temps ne sauraient parvenir à leur être sans le recours à cet espace qui d’abord les sépare, ensuite les relie dans une indispensable sémantique. Le réel est toujours spatialisé, faute de quoi sa densité naturelle finirait par se confondre dans une nuit infinie. Le temps est, lui aussi, criblé d’espace, sinon il n’apparaîtrait qu’à la manière d’un jour sans limite, d’une clarté jamais refermée et l’on ne peut longtemps regarder une trop vive clarté. Donc, l’ayant reconnu pour sa valeur fondatrice, nous sommes dans ce Gris qui fait reculer aussi bien le temps que la réalité bien au-delà de l’enceinte des murs, du seuil que nous n’avons franchi que pour mieux nous en affranchir. Nous sommes dans le lieu à lui-même alloué comme sa signification ultime. Rien n’existe hors de cela qui nous  fascine et nous exonère de notre corps en même temps qu’il nous y ramène comme dans le premier espace, la conque originelle faisant sens avant même que notre cri primal n’ait surgi dans la densité mondaine. Le cri est un espace, de même que l’œuvre qui nous intime l’ordre d’une révolte intérieure. Révolte qui, bien évidemment peut aussi bien s’annoncer sous l’espèce d’une plénitude. Car toute plénitude est, par définition, excès. Mais ici n’est pas le lieu pour l’exercice d’un quelconque pathos. Il suffit seulement de se laisser aller à cette primordiale affinité qui nous attache à la nomination d’un site chargé de sens.

  Mais délaissons ce discours abstrait pour gagner les rives de la photographie et tâchons de voir ce qui y fait phénomène. Observant l’immense toile qui fait fond et aussitôt nous sommes dans l’évidence du gris. La religiosité qui s’y dévoile est éminent espace de médiation. Du séculier en direction du Transcendant. Les Pénitents blancs sont en prière alors que les ombres alentour - ce sont des personnes, mais qui ont valeur allégorique -, disent la toujours possible perte dans les séductions de l’exister. Cendres peccamineuses qui, souvent, entraînent l’homme dans l’aventure d’une chair oublieuse de sa dette. Car la chair, son impérieuse densité font oublier la lumière divine qui, seule, doit indiquer le chemin. Ici, dans le lexique de l’œuvre, dans ce site de recueillement, a lieu la confrontation de deux arts : celui en direction du Divin, celui dédié aux œuvres des Hommes. Vérité contre vérité. Car jamais nous ne saurons quel chemin conduit à un éclairement.

  Ici, dans la toile, tout joue en s’opposant, en se différenciant : l’Exil et la Grâce ; l’Angélique et le Démoniaque. Violente dialectique du Blanc et du Noir. Rythme immémorial du nycthémère, balancement du jour et de la nuit dont l’aube et le crépuscule - ces « griseries » - sont les points d’équilibre, les clés ouvrant la compréhension, les symboles portant bien plus de sens que leur caractère éphémère ne voudrait le laisser supposer. Mais l’affrontement est également de l’ordre d’une altercation entre vie intérieure et vie mondaine, entre essentiel et inessentiel. Mais la fable ne s’arrête pas là. Elle a son contrepoint dans les Voyeurs de l’œuvre. Qu’indique donc ce Magister que ses disciples  ne veulent pas voir ? Le geste est identique à celui de Platon dans le tableau de Raphaël et c’est pourquoi il faut procéder par analogie sémantique.

 

lilm2.JPG 

Raphaël.

La vérité rationnelle ou l’école d’Athènes.

Source : transmettre et réfléchirO. Jullien.

 

  Dans la fresque, Platon tient dans sa main gauche le « Timée », lequel met en scène le mythe cosmique exposant l’origine de l’univers, alors que son index de la main droite fait signe vers le ciel, tandis qu’Aristote portant « L’éthique » indique la direction d’une voie terrestre.  Voie qu’à l’évidence semblent préférer les Petits Canotiers, ainsi que les deux Visiteuses qui préfèrent  emprunter d’autres voies que celles du Seigneur. Les regards, clairement orientés vers la lumière, s’excluent de la scène religieuse par l’effet d’une pure délibération. Mais, l’objet de leur distraction étant hors-champ, le jeu des supputations demeure ouvert. Nous pouvons supposer des préoccupations rien moins que contingentes alors que tout incline à la piété, au recueillement et, à tout le moins, à une observation attentive de ce qui se donne à voir. Ici se manifeste, d’une manière métaphorique, ce que le concept laissait entrevoir, à savoir cette spatialité en bascule qui tantôt appelle la lumière, tantôt l’ombre alors que le juste point d’équilibre du fléau est cet équilibre du Gris, de la médiation, du passage d’une réalité à une autre, d’une vérité à une autre si l’on veut situer le débat dans le champ philosophique. C’est en tout cas toujours d’espace dont il a été question, de cet espace singulier auquel nous avons affecté le prédicat « d’Île Muséale », tant il est vrai que, l’habitant, nous sommes des Îliens entourés d’infini alors que la terre sur laquelle nous marchons nous relie au siècle, l’éloignant seulement le temps d’un ravissement. Pour cette raison, nous pouvons faire nôtre la parole du Poète qui dit en poésie ce que nous disons en prose, le Poète,  cette « lanterne qui nous éclaire dans la traversée de ce jour terne » avant que n’arrive la Nuit, son domaine, celui où, s’accouplant à la Muse, il nous délivre de notre sort inquiet. Nous buvons ses paroles !  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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7 octobre 2020 3 07 /10 /octobre /2020 08:41
                             Le tout du monde depuis ma fenêtre

***

 

      Depuis plusieurs années déjà je vis au Danemark, dans sa partie septentrionale, celle qui jouxte la Mer du Nord et la Baltique, le Jutland. Je suis correspondant de ‘Meridiens’, mon Journal sis à Paris. C’est bien là mon choix de solitaire que d’avoir élu domicile dans le ‘Råbjerg Mile’, autrement dénommé ‘ Désert du Danemark’, étendue sablonneuse située entre Skagen et Frederikshavn. Et non seulement la destination est osée, mais elle est portée au centuple en raison même de l’habitat qui m’accueille : un ancien phare maritime dont l’optique a été déposée, ce qui vaut au lanterneau d’avoir été élu pièce d’observation, celle où je passe le plus clair de mes journées lorsque mes articles sont bouclés, mes livres lus et que mon imaginaire se dispose à connaître les plus folles aventures qui soient. J’ai installé, dans la cage de verre, une longue-vue puissante qui me permet de découvrir tout ce qui s’illustre ici, sous le ciel changeant de cette contrée nordique devenue, en quelque manière, mon double, la muse à laquelle je confie mes états d’âme. Ma fenêtre est donc cette lumineuse coupole qu’armorient de discrets losanges, bâtis métalliques dans lesquels sont enchâssés les panneaux des vitres. Tout autour le balcon de veille entouré d’un garde-fou pareil à une dentelle. Vous dire le prodige de la vision ? Le presque tout du monde à portée de la main, à portée du regard.

   Le phare qui, autrefois, était dressé en bord de mer, s’est trouvé reporté à l’intérieur des dunes en raison de la mobilité de ces dernières que le vent du Nord ne finit de drosser, de faire reculer, sorte de lutte de Titans dont les collines de sable sont les constantes victimes. Ici, rien ne résiste au vent. Il souffle en maître, décide de la position des éléments naturels, de la vie des hommes aussi qui tâchent de s’en protéger. Il faut vivre avec lui, plutôt que contre lui. Aujourd’hui est jour de relâche pour moi, aussi ai-je décidé de contempler ce qui m’est offert avec une belle générosité. La Nature est prodigue lorsqu’on sait en saisir les multiples donations, en apprécier les minces événements, ici la chute d’une feuille, là une montagne de sable qui poudre le ciel de légère semence. Le temps, comme souvent ici, est très variable. De lourds nuages couleur de neige et de cendre flottent là-bas, sur la plaine liquide de la Mer du Nord. Quelques cargos se découpent sur l’horizon, jouets d’enfant oubliés parmi la rumeur des vagues. La marée basse a découvert l’immense territoire de l’estran. Des bulles s’en échappent, des cortèges de bernard-l’hermite escaladent les monticules de boue, des vers font leurs délicats tortillons, des mollusques émergent à peine des vasières. Des barges à queue noire picorent inlassablement de leurs longs becs toute la surface qui brille comme un miroir. Le contre-jour discret en révèle la beauté simple, la marche syncopée, une sorte d’hésitation à poser son empreinte sur le sol du monde.

   Tant de délicatesse, tant de pure venue à soi que nul ne voit, les hommes sont trop loin, abrités dans la ruche étroite des villes. Je demeure un long moment à regarder le long poème maritime, à contempler la danse des cheveux des oyats, la fine résille de sable qui court le long des crêtes, un genre de fiançailles de la Terre et du Ciel. C’est si émouvant d’être le témoin de cette vie plurielle, de cette respiration des éléments, de cette pulsation presque inaperçue de la Nature. Des prodiges à chaque seconde, des rayonnements, des éclats pareils à un étain, des bruits semblables à des paroles d’amour, des clignotements, des surgissements d’étincelles, des lueurs solaires presqu’éteintes qui nous disent la fragilité de nos êtres en cet ici et maintenant qui nous envahit du flux continu de ses sensations. Souvent les événements sont partis et nous n’en avons même pas perçu le précieux, le non-reproductible, le don inestimable. C’est ainsi, nous sommes des êtres de la fuite et de l’impatience, des genres de feux-follets s’épuisant à la contingence de leurs propres flammes. La beauté s’en est allée et nous l’attendons comme si elle était un dû. Mais il faut aller la chercher la beauté, la convoquer, la poser au creux de ses pupilles, l’inviter à visiter notre peau, lui confier la conque de nos oreilles, le tumulte de notre chair, se faire recueil attentif dans la levée du jour.

   La lumière, la belle lumière escalade patiemment les marches du ciel. Elle fait ses dégradés, ses points brillants, ses faisceaux de rayons qui, parfois, traversent les nuages, le fécondent et c’est un subit gonflement depuis leurs ourlets qui claquent dans l’air gris, s’auréolent d’étranges présences. On dirait des elfes venus les taquiner, peut-être jouer à saute-moutons. En effet, ils sont identiques à leurs frères terrestres, ces beaux animaux laineux qui parsèment la lande de leur lenteur blanche. Ils sont le contrepoint de la mer agitée, violente, ils sont image de paix que rien ne semblerait pouvoir altérer. J’aime leur douceur, l’application qu’ils mettent à cueillir des bouquets d’herbe, à en mâchonner consciencieusement le suc sans doute savoureux. Ils sont de calmes esprits de ces lieux reculés, ils sont à eux seuls une pastorale, ils disent la vie au ras du sol, la longue patience, ils disent les bergers silencieux aux silhouettes fuyantes effacés par la brume venue de la mer, ils ressemblent à des spectres dressés par l’imaginaire des hommes.

   C’était l’heure de la mer, voici venue l’heure de la terre. Je fais pivoter ma lunette. Je parcours les cimes de la forêt primaire, j’y rencontre la rareté de leurs essences multiples, les grands hêtres aériens aux feuilles claires, les immenses ramures des chênes, le sombre, presque nocturne des conifères, les majestueux érables, leurs feuilles sont de cuivre et d’or dans la splendeur automnale. J’observe patiemment. Je dispose en mes yeux des formes connues. J’en anticipe avec plaisir et émotion la venue qui ne saurait tarder. C’est d’abord la flamme d’un renard au ras du sol, sa queue tachée de blanc, sa disparition dans un fourré. Bientôt c’est une harde de daims qui montre, dans le clair-obscur d’un sous-bois, les grandes palmures des mâles, ces solitaires qui ne rejoignent le groupe des femelles qu’à la période du rut. Les daims sont rassemblés. Ils ressemblent à des peluches pour enfants avec leurs pelages biscuités semés de points blancs, leurs écussons clairs sur les fessiers, les lignes noires qui les cernent, leurs queues en perpétuel mouvement, balanciers du temps animal.

   Plus loin, dans une clairière, une laie couchée sur le flanc allaite ses marcassins. Ceux-ci sont gloutons qui se précipitent avec une belle ardeur sur les mamelles de la mère. Combien son calme est étonnant chez cette race fougueuse, volontiers agressive. Voyez-vous, combien il est heureux de se plonger dans cette vie naturelle que rythme seulement la nécessité de s’alimenter, de se reposer ou de dormir. Les observer est déjà substantiel repos. Ici, je ne pense plus à rien. Ni aux soucis épileptiques du monde, ni aux discords des peuples et mes manuscrits peuvent dormir en paix sur ma table de travail, c’est un peu comme s’ils n’avaient jamais existé. Ils vivent en dehors de moi, dans une zone d’ombre, ils sont aussi discrets que le vol du faucon parmi les flocons du vent. Plus tard, lorsque le crépuscule aura teinté de gris la toile du jour, ce seront les cerfs qui seront les maîtres du territoire, leurs bois claqueront contre les tiges des taillis, peut-être feront-ils entendre leur étonnant brame si la saison des amours est venue. Parfois, accoudé à mon balcon de veille, j’écoute cette sourde rumeur surgir des entrailles des bêtes. Je pense alors que leurs cris si puissants nous ramènent aux motifs archaïques qui habitèrent nos ancêtres de la préhistoire. Quelle devait être leur frayeur dans ces consciences qui n’étaient encore venues à elles-mêmes, de simples réflexes de fuite au profond des cavernes !

   Instinctivement j’ai fait pivoter la longue-vue. Je ne peux rester longtemps sans me replonger dans la sphère marine, sans en percevoir les effluves, sans en distinguer cette profusion de vie qui l’anime et la rend si fascinante. Sur la grève, une colonie de phoques s’ébroue lourdement. Les plus jeunes s’affrontent dans des luttes amicales. Ils sont touchants, gênés par leur naturelle maladresse, ils évoquent des culbutos qui auraient chuté et ne sauraient se relever. Sur un ilot, un groupe de cormorans bavards façonne un nid de branchages et d’algues. Les taches grises, floconneuses, des oies bernaches, têtes noires que traverse un golfe blanc, avancent à pas mesurés, suivies de leurs poussins, boules de plumes claires presqu’inapparentes dans l’air qui bleuit et se tache de parme par endroits. Maintenant c’est un vol éblouissant d’étourneaux qui balaie le ciel de sa somptueuse chorégraphie. Etonnant tout de même ce ballet si bien réglé ! Comme si une seule et même conscience reliait entre elles ces existences séparées, comme si un lien invisible commandait leurs mouvements, les synchronisait. Un grand moment j’admire leur spectacle, scrute leurs infinies draperies, essaie de deviner leur prochaine figure. Mais la troupe est si prompte à réagir qui gravit les degrés du ciel et les redescend à la vitesse d’un fouet lacérant l’air.

   Le vent fraîchit. La lumière baisse. Elle est un falot au ras du sol. Elle tache les bruyères d’une teinte indistincte, illisible. Je pousse le losange de verre de la fenêtre. J’entends la houle de la mer qui remonte et recouvre l’estran d’une écume lumineuse. J’entends le vent qui cogne aux vitres. J’entends le sable crépiter contre l’arrondi du lanterneau. La tête emplie d’images, le cœur léger, je descends les degrés de l’escalier qui me conduisent à la pièce unique, circulaire, qui me sert tout à la fois de lieu de vie, de cuisine, de bureau. Mes documents, mes livres veillent sur ma table dans la douceur de la pénombre. Je vais dîner de peu, lire quelques pages d’un livre en cours. Lorsque je serai couché dans mon lit étroit, je sais que je verrai le cercle blanc de la Lune s’encadrer dans le rectangle de mon étroite fenêtre. Je sais le bonheur qui sera le mien de regarder, depuis mon balcon circulaire, le vol d’une aigrette, d’entendre le roulis de la mer, d’écouter la chanson de la forêt, là-bas, dans son événement de feuilles toujours nouvelles, toujours ressourcées à leur prodigieux pouvoir. Je sais que le sommeil viendra « sur des pattes de colombe » comme disait le Philosophe. La nuit sera féconde, une ombre traversée de lumière.

  

 

 

 

 

 

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6 octobre 2020 2 06 /10 /octobre /2020 08:58
Autoportrait : poser les contours de l’être

Croquis pour un autoportrait.

Huile sur arches, 45 X36 cm

François Dupuis

 

***

 

   Regarder une œuvre est toujours la prendre en soi, la soupeser à l’aune de sa subjectivité. Il n’y a pas d’autre ressource que celle-ci, nous sommes cloîtrés à l’intérieur de nos propres frontières, ces dernières fussent-elles poreuses. Cependant ceci ne veut nullement dire que nous devions porter sur les choses un regard purement subjectif, sinon tendanciellement orienté, irréductible à sa propre visée. Prenant acte de ce bel ‘Autoportrait’ de François Dupuis, nombreux seraient ceux qui pourraient l’interpréter en tant que simple valorisation de l’Artiste par lui-même montré, selon telle esquisse qu’il aurait choisie. Autrement dit, l’autoportrait, chez les Artistes, ne serait que pur décret solipsiste, mise en évidence d’une singularité qui, par son rayonnement, effacerait bien des choses alentour. Œuvre égotiste en quelque sorte. Je crois ce type de jugement entièrement fallacieux car il ne prend en compte qu’une perception au premier degré qui, toujours, est parcellaire, sinon partiale. A notre regard, il faut un nécessaire recul. Le réel correctement visé ne se donne que dans la mesure d’un écart, d’une faille à creuser entre ce qui nous fait face et notre propre conscience.

   Existe-t-il, chez l’Artiste, une différence fondamentale de nature entre le traitement d’une œuvre quelconque - nature morte, paysage, nu -, et celui qu’il destine au motif de sa propre représentation ? Si la réponse à cette question est affirmative, si l’autoportrait est valorisé, surexposé par rapport à l’ensemble de l’œuvre, alors on peut craindre, chez tel Artiste, une tendance à vouloir briller au détriment de toute autre chose qui végéterait dans l’ombre et ne mériterait que cette part nocturne. Bien évidemment, cette référence ne constitue qu’un cas d’école saisi à des fins de démonstration. Dans la venue au jour de l’œuvre, quelle qu’elle soit, il ne saurait y avoir de hiérarchie pour la simple raison d’une nécessaire analogie de valeur : toute création en vaut une autre car c’est la notion même d’Art qui est en question. Ecartons donc, d’emblée, toute commedia dell’arte, toute tentation de jonglerie contingente, toute falsification d’une matière qui ne peut se montrer que dans la perspective de son exigence. Mais regardons deux autres œuvres de François Dupuis et tentons d’y déceler ce qui y figure en filigrane, à savoir une même volonté de dire l’exactitude du monde aussi bien que la sienne. Ceci se nomme ‘Vérité’, demande une constance, appelle une éthique.

Autoportrait : poser les contours de l’être

La coquille, gravure de François Dupuis.

Plaque taille 5.9 ′′ x 3 ", 2020.

 

   Chaque jour qui passe, cet Artiste trace infatigablement les lignes et les formes qui constituent son œuvre. Cette belle régularité ne peut se fonder que sur une passion réelle, alimentée par un impératif de tracer un sillon qui ne déroge pas à une visée première, de fournir du monde, une image aussi précise, détaillée que possible. Donc un souci de réel qui est, de facto, souci de vérité. Une telle assiduité en est la mesure formelle. Nul ne peut longtemps demeurer dans la contrefaçon sans, un jour, ôter son masque, se mettre à nu.

   

   Les enjeux de la représentation : une coquille, un nu, l’autoportrait

 

   Ce que je voudrais monter ici, la nécessaire implication d’altérité qui traverse chaque œuvre de la même manière. Or, s’il y a altérité, y compris dans le traitement de son propre portrait, ceci signifie que l’Artiste place le tout de sa création dans une perspective unique au centre de laquelle l’épiphanie de son visage n’est nullement réductrice à un problème d’ego, qu’elle contribue à sa façon à la poursuite d’une même quête artistique, le souci premier étant l’Art et non ce qui pourrait en tenir lieu si quelque complaisance pouvait se déceler dans telle ou telle figure. Nous-mêmes, en tant que Voyeurs des énoncés plastiques, nous sentons bien qu’il y a une homologie de traitement de tous les sujets. ‘La coquille’ se montre à nous dans la pureté de sa forme qui est pureté de son être. Elle surgit de l’ombre de l’inconnaissance, vient à nous avec ses reflets de nacre, son bord finement ourlé, ses avancées, ses retraits, ses zones d’ombre et de clarté. Le plat qui la recueille n’est pas seulement un reposoir, il est un exhausseur de sa présence, il joue avec elle en mode de relation. Rien n’est laissé au hasard qui voilerait notre perception, nous conduirait au doute. Bien évidemment, ‘La coquille’ est le tout autre de l’Artiste, une chose du quotidien qui a croisé son regard, a jeté son appel afin d’être reconnue parmi la complexité du monde. Elle est cernée d’une évidence qui nous la fait adopter intuitivement comme un objet de notre propre univers.

   ‘Le nu’, en sa composante humaine est le presqu’autre de l’Artiste, une manière de décalque de son propre corps, une vibration à l’entour de son être, un satellite de son aura, une projection de ce qu’il pense, de ce qu’il est. Bien évidemment le coefficient de proximité est ici proche. Le nu pourrait être un nu réel tissant, dans la vie de l’Artiste, la trame pulsionnelle d’un amour, la résille dense d’une relation. Qu’il le soit ou non n’a aucune importance pour l’Artiste lui-même, pas plus que pour nous les Voyeurs puisque l’horizon est celui de l’Art, donc de l’universel qui s’oppose au singulier, au particulier. L’Artiste, traçant au fusain le geste flou du visage, la chute des épaules, l’éminence de la poitrine, la fuite des jambes, trace, en quelque sorte, l’écho de sa propre forme, il rejoint la grande marée des Existants, cette altérité complexe, multiple dont il est l’un des fragments. Toujours en lui, dans le moindre de ses gestes, l’immémoriale présence de la condition humaine.  

  

Autoportrait : poser les contours de l’être

Vingt Septembre

 

   Et, maintenant, qu’en est-il de lui-même ? Comment son Portait peut-il façonner, en quelque manière, la silhouette de l’altérité ? Ceci paraît si étrange. Soi comme un Autre. Oui, c’est bien de cela dont il s’agit, d’un déport de soi, d’une distance, d’un intervalle au sein desquels la conscience conduit à se percevoir soi-même en tant que différent. Se doter d’un regard qui ne soit nullement convergent, autocentré, mais d’un regard divergent, lequel passant par la figure de l’Autre vienne se poser sur lui et lui faire reconnaître son architecture intime, peut-être même le faire naître à qui il est, être d’éternelle incomplétude. Comme nous tous qui sommes fragmentés, divisés, en retard sur notre propre être. En quelque sorte une déclinaison du « Je est un autre » rimbaldien où il faut chercher à l’extérieur de soi les motifs d’une unité propre, d’un possible équilibre, d’une espérée harmonie. Car, si nous voulons nous inscrire dans l’essence de la vérité de ce qui est autre, cet autre, il faut en avoir fait l’expérience dans l’insularité qui est le don qui nous a été originellement remis. Un truisme qui est rarement aperçu, sinon jamais énoncé : ‘Jamais je ne verrai mon propre visage, pas plus que mon dos ou l’entièreté de mon corps. Seul l’Autre le peut qui me place sous la totalité de son regard’. Or nous savons bien, au moins depuis Sartre, que le regard de l’Autre, aussi bien me détruit qu’il me constitue et que je ne pourrais m’en passer qu’à me réfugier dans ma propre folie.

  

Donc soi comme un autre donc cet ‘Autoportrait’ de François Dupuis.

 

Autoportrait : poser les contours de l’être

De la même manière que l’Artiste trace sur le papier les figures de ‘La coquille’, du ‘Nu’, il projette sa propre image sur la surface de la toile. Résumons : tout autre de ‘La coquille’, presqu’autre du ‘Nu’, Soi comme autre dans ‘Autoportrait’. L’Artiste ne se voit pas lui-même, mais, à proprement parler, ‘son Autre’, cette image que lui renvoie le miroir, ce mirage, ce spectre identiques à ceux qui hantent les profondeurs de la ‘Caverne platonicienne’. Se peignant, que fait donc l’Artiste, sinon saisir de soi ce qui peut l’être, soustraire au Néant une figure qui en provient, y retournera dans cet illisible et inconcevable Absolu ? Tenter d’arrêter le fugitif, fixer l’instant, mettre un terme provisoire à la confondante impermanence. Au fond, le Peintre doit faire face à une réalité bifrons à la Janus : une altérité que l’on pourrait qualifier ‘d’objective’, les rayons renvoyés par le miroir ; une altérité ‘subjective’, celle dont il trace la figure sur la face du subjectile. Altérités en abyme, si l’on veut, chacune reflétant l’autre et leur synthèse s’abreuvant à la personne même du Peintre.

   Surgissement d’un être polyphonique, d’un chant à plusieurs voix, Sujet situé au carrefour même d’une parole ciselée par de purs cristaux kaléidoscopiques dont l’étrangeté aussi bien que la source sont bien difficiles à cerner. Esquisses composites dont toutes ont prétention à indiquer une Présence humaine, l’image joue en écho avec la peinture, avec le corps de chair. Sans doute y a-t-il prévalence du corps pour de simples notions physiologiques, mais le contenu ontologique, lui, est pluriel, hautement symphonique. Nous sommes aussi des représentations, des symboles, des allégories. S’il n’y avait ceci, notre propre statue se lézarderait sous les coups de boutoir de la facticité et nous ne nous distinguerions ni de l’animal, ni du végétal.

 

   Lecture lacanienne du soi comme autre dans cet ‘Autoportrait’

 

   Rien plus que la théorie lacanienne du ‘Stade du miroir’ (notion récurrente dans mes textes, au titre de son universalité), ne saurait mieux nous faire comprendre la dimension initiale de l’altérité en soi, puis de l’autre en tant qu’autre s’imprimant dans la conscience du petit enfant. Observant d’abord son image dans le miroir, il la prend pour la présence réelle d’un autre enfant dans sa zone de perception immédiate. Puis, petit à petit, il apprivoise cette image jusqu’à la faire sienne, décréter son Moi, entrer dans le principe d’individuation qui le conduira, en des étapes successives, jusqu’à la plénitude heureuse d’une conscience plurielle de qui il est, parmi le peuple des autres Existants.

 

Autoportrait : poser les contours de l’être

‘Stade du miroir’

 

 

   Or ce paradigme de la connaissance de soi, il faut en poser l’hypothèse, contamine d’une manière positive, non seulement le rapport que nous entretenons avec nous-mêmes, mais aussi avec nos semblables. Si bien que toute création de nature spéculaire, ici l’image de l’Artiste reflétée par le miroir, ne fait que réactiver ce processus natif par lequel une première visée du monde, de soi dans le monde, se donnait à même cette perception princeps, matrice réelle de toutes nos sensations futures d’ipséité. ‘Je suis moi, semblable certes à l’autre, mais dans mon unicité, mon essentielle non-reproductibilité, le foyer de mon être’. Superbe conjonction des esprits : l’interprétation lacanienne rejoint la sublime intuition rimbaldienne. Si l’autre de Rimbaud est la poésie, qu’il cherchera toujours fiévreusement à rejoindre, d’une identique façon, l’autre du tout jeune enfant est le premier nom qu’il portera, qui l’individuera, manière d’initiale inscription poétique au fronton du monde.

   Si nous reportons ce schéma ontologico-existentiel à la sphère de l’Artiste, nous n’aurons guère de mal à énoncer que l’Art en tant que son autre est ce qui mobilise toute son attention, toute son énergie. Bien plus que sa propre image déposée de manière singulièrement égotiste sur la toile, il s’agit de débusquer, à travers cette tension spéculaire, aussi bien spéculative du reste, les linéaments, les lignes de force qui traversent une esthétique et la portent aux cimaises d’une création. Toute une constellation de signes qui concourent à une identique présence, de l’enfant avec son univers à portée de la main, du Poète avec ses voyelles colorées, du Peintre avec son propre microcosme qu’il projette aux limites du dire. Tout, en réalité, est question de langage, au sens étendu de ce qui signifie, pour nous les hommes

   . Nous sommes des mots devenant phrases, devenant textes. Nous sommes des notes de musique sur une portée musicale. Nous sommes des touches de couleur sur une palette. Ainsi le monde se constitue-t-il de gestes d’enfants, de rimes et de vers, d’huiles et de fusains. L’Autoportrait est l’une des déclinaisons de ces modes d’être. Certes il n’en épuise nullement la perspective de donation. Il en témoigne. L’Artiste prend le premier modèle offert sous sa main, à savoir son propre corps. Ni tentative sacrificielle, ni exultation de quelque vanité personnelle, le portrait nous interpelle au plus profond puisqu’il met en jeu qui nous sommes, des incarnations au travers desquelles se laisse saisir l’esprit de l’Art. Une façon contemporaine de destiner une partie de son être à la figuration du monde est entièrement contenue dans l’art du tatouage, parent proche des stigmates et autres scarifications rituelles, il prend valeur sacrée, sinon religieuse et dit notre appartenance commune à la Terre et au Ciel.

   Merci François Dupuis d’avoir prêté visage à ces bien trop rapides méditations. Votre belle œuvre témoigne en permanence de ce souci de tout Artiste de rejoindre son corps éthéré qui, bien évidemment, n’est que celui de l’Art.

 

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 08:24
 Dans le tumulte du jour

                                                       Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

Pourquoi fallait-il

En cette fin d’hiver

Que les choses se donnent

À l’orée des songes

Dans cet inscriptible

Si flou

Si atténué

On aurait dit un rien

Sous des voiles

Dissimulé

 

*

 

Il n’y avait nulle certitude

À exister

Nulle empreinte qui eût dit

Notre évanescent passage

Seule une réalité tronquée

Un regard confisqué

Une plaie ouverte

Suppurant ses gouttes

Une sève oblitérée

 

*

 

Était-ce l’annonce du printemps

Une saison encore inconnue

Un temps indéfini

Une équinoxe arrivait

Une équinoxe partait

Flux reflux

Mortes-eaux

Vives-eaux

Âmes et corps ballotés

Jamais les vagues

N’en finiraient

De faire leur cruel

Va et vient

Tantôt le plein de l’onde

Tantôt le creux du ressac

Et les mains griffaient

Le vide

Que tressait une pluie

De brume

 

*

 

La cimaise de l’être

Etait comme dévastée

Vaste plaine balayée

Par le vent

Les yeux étaient

À la peine

Résilles blanches

À l’angle des paupières

On voyait et ne voyait point

On marchait et demeurait

On espérait et s’attristait

Dans le même instant

Dans le fléau de l’heure

Qui semait

Son  abrasive trille

 

*

 

Ô ivresse du jour

Qui ne s’abreuvait

À rien d’autre

Qu’à sa propre vacuité

Mais regardez donc ces arbres

Ces efflorescences du bois

Fouettées par leur propre finitude

De ceci qu’y a-t-il à dire

Sinon à pleurer

A enfouir son visage

Dans un tissu de larmes

Une pluie abondant

Dans l’abîme

Se révulsant

Dans le néant

 

*

 

Ces arbres qui puisent

À la Terre

Font offrande

Au Ciel

Que reste-t-il de leur puissance

Sinon cette affliction

Cette perte de soi

Dans les ramures d’air

Que reste-t-il

Ce ne sont que torches grises

Flammes consumées

Consternantes dérisions

Plus rien ne fait signe

Qui s’étoilerait

Au noroît

De la conscience

 

*

 

Où donc sommes-nous

Nous qui avons disparu

Car l’on ne saurait se montrer

Sous le dénuement de l’arbre

L’arbre cette lumière

Qui nous dit le luxe

De sa croissance

La force de sa présence

Sous les orages

 Sous les tempêtes

Image de l’homme

En ce qu’il voudrait être

Qu’il ne sera jamais

On ne se mesure

Nullement

À la Nature

À ses hautes dictions

L’arbre n’est arbre

Qu’à sa propre mesure

Étalon de son immense sagesse

Témoin de son endurance

Juge de sa longévité

 

*

 

Que sommes-nous

Nous les hommes

Pour oser nous confronter

À leur grandeur

À leur altière destinée

Nous les adorons

Leur dédions la branche de gui

Arbres de vie

Sources du sacré

Yggdrasil-arbre-du-monde

« Destrier du Redoutable »

Nous les honorons

Les abattons

 En un même mouvement

De l’âme humaine

Exemplaire

Faillible

Immensément faillible

 

*

 

Mais quelle sève nouvelle

Courra donc sous l’écorce

Un simple sang blanc agonisant

La ressource de vives-eaux

Arbre nous t’attendons

Avec confiance

Abaisse donc

Le tumulte du jour

Afin qu’y trouvant place

Nous puissions creuser la nôtre

Hors ceci nous seront absents

Immensément absents

 

*

 

 

 

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