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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 08:16

 

Dune de terre et de ciel.

 

DUNE [1024x768]

                                             Photographie : Thierry Chiès.                                           

 

  C'était un matin de neuve lumière. Les arbres étaient levés contre la brume, leurs fragiles silhouettes noyées dans le plomb et la cendre. Les ramures de la Ville faisaient leurs circonvolutions d'ombre, leur densité de suie. Il y avait si peu de bruit et, cependant, on sentait tous ces mouvements tapis, ces gestes repliés sur leur ombilic, ces impatiences gagner les membres engourdis. L'heure native était là qui guettait, s'arc-boutait avant que ne déferle la grande vague humaine. Tout dans le repliement, l'attente, la disposition à l'éclosion. Le jour viendrait bientôt et, avec lui, les clameurs, les surgissements aux angles des rues, le clignotement des feux, la longue agitation polyphonique.

  On était un Existant ordinaire, on se confondait avec la ligne claire de l'horizon, la fuite du vent sur le marais, la longue éclipse grise des oiseaux migrateurs. On était un simple Passager, pareil à une brise, seulement occupé à se fondre, à faire osmose avec ce qui allait advenir. Il n'y avait d'autre alternative que celle de progresser sur sa propre ligne de crête, entre adret et ubac, là où tout pouvait arriver mais, aussi bien, se retirer dans une souveraine mutité. 

  Le sentier, parmi la reptation des racines, le tapis d'aiguilles jonchant le sol, serpentait selon de douces mouvances. Le vent faisait son roulement de houle dans le massif des pins, sorte de brouillard vert-de-gris, floraison d' odeurs épicées, alors que la clarté se diffusait en coulées pareilles à l'ambre.  Au-dessus des cabanes de planches des Résiniers montaient, dans l'air tendu, des filets de fumée grise. On devinait, dans le quadrillage des ouvertures, le grésillement des lampes à pétrole.  On supputait déjà le prochain affairement des hommes, dès que l'air se serait déplissé. On entendait la lame du hapchot faisant sauter les écailles des troncs, on voyait les larmes de résine glisser sur la tôle de zinc, le pot de terre cuite recueillant les gouttes tellement semblables à la pluie lente des stalactites.

  Tout cela on le voyait, en effet, mais avec l'œil  intérieur, celui de l'intuition, de la conscience, avec la vision  toujours affairée à débusquer dans l'ombre ce qui s'y dissimulait. En vérité, on n'aurait guère pu dire si, à tout cela, pouvait seulement s'attacher une once de réalité. Peut-être que ceci avait existé en des temps très anciens, peut-être que cela n'était que l'effet d'une illusion. Peut-être un simple mirage, la Dune était proche maintenant, qui faisait ses buées de sable, son murmure de mica, sa musique d'outre-Océan. Car, la Dune, l'on ne pouvait savoir si elle était de ce côté-ci de l'eau ou bien, à l'opposé, sur quelque rivage inaccessible, un genre d'hypothétique  Farghestan, un lointain "Rivage des Syrtes" qui  nous serait parvenu dans l'indistinct, l'indicible.

  Car, avec la Dune, le propos est toujours le même. Jamais nous ne nous y retrouvons vraiment. Tout y est affecté d'impermanence, de métamorphose, tout s'y décline selon la variation, la mouvance rapide, l'agitation perpétuelle. Tout y apparaît en même temps que tout y disparaît. Les nervures grises du sol ondoient pareillement à des ruisseaux de lave; les hautes falaises entaillées de vent s'écroulent sans bruit, dans un genre d'indifférence géologique. Le temps est si long qui décrit la dérive de la terre sous les clameurs insistantes du ciel. La Dune n'est que cela, un combat, un polemos, une guerre d'usure, une lourde insistance des éléments à faire se fondre la minéralité dans une simple évanescence. Constante dialectique d'une apparition-disparition, balancement immémorial, règne fluide du nycthémère, coulée des saisons, effilochement à l'infini de l'instant se perdant dans les mailles de l'écheveau existentiel. Comme si rien de tout cela n'avait jamais existé. C'est pour cette raison d'une entreprise tenace, méticuleuse, acharnée, durable que le sable nous apparaît, toujours, comme la métaphore ultime du temps. Magnifique sablier disant la longue épopée de la nature, de l'homme, de l'éternel écoulement, du passage continu dont nous sommes de simples fragments, de minces aventures.

  Si la Dune nous attire tellement, si elle paraît douée d'une telle force d'aimantation, c'est bien parce qu'elle nous met intensément en rapport avec nous-mêmes, dans un jeu complexe où se réverbère notre monde intime, notre microcosme confronté à l'immensité du macrocosme : cosmos contre cosmos. L'effigie humaine est si minuscule ramenée à la dimension de cette majesté pierreuse dont le lent effritement nous dit notre propre mesure, notre modestie à être parmi la grande dérive de l'univers. Avec la Dune, il faut accepter de se fondre, de sourdre en son intérieur, dans le réseau serré des linéaments ombreux, parmi le grouillement des rhizomes, jusqu'au profond de la silice où, sans doute, peut se lire la si belle histoire du monde, l'étonnante épopée anthropologique.

  Bientôt, apparaissent sur le fil entre le ciel et le sable les premières déambulations des hommes, des femmes, des enfants lançant contre le ciel les figurines de papier de leurs cerfs-volants. Mais, malgré le surgissement de la multitude, jamais la voix des Existants ne couvre la rumeur d'eau, de sable, de vent dont la Dune est tissée. Ainsi chaque chose reprend sa place, aussi bien la destinée humaine que le voyage au long cours de celle qui, toujours, nous toise de son impériale silhouette afin que nous, les Passagers, prenions conscience de ce que nous sommes. La  connaissance que nous pouvons avoir de nous-mêmes est à ce prix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                              

 

 

     

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4 octobre 2020 7 04 /10 /octobre /2020 08:14
Comme une terre de Sienne.

Octobre 2015© Nadège Costa

Tous droits réservés

***

 « Te chercher Mais où Parmi les couleurs de la terre L’argile et les odeurs brunes La plaine allongée sous le vent Est mon corps rempli d’attente Un matin Tu me feras pousser sous le feuillage Déjà Je guette le premier vent ». Martine Roffinella.

  Ta photographie, je l’ai dénichée dans le coffre duvieux grenier. Comme un souvenir exhumé d’une très ancienne mémoire. Emotion d’archéologue qui découvre au bout de son grattoir l’antique fresque, peut-être « Les petits chevaux de Tarquinia », cette belle déclinaison du cheval faisant corps avec son cavalier dans de belles teintes de noir, de sanguine et d’ocre. Oui, je sais, ton amour pour l’œuvre de Duras, mais ici, c’est de couleurs dont je parle, ces variations un peu usées, ces images qui inclinent doucement vers l’automne, vers ce qu’il y a de plus précieux, ces ors, ces rouille, ces bruns qui virent à la mélancolie. Un été finit, un hiver n’a pas encore commencé que déjà nous sommes en deuil de nous-mêmes, errants au bord de quelque vertige. Cela fait si longtemps que notre route commune s’est partagée en deux branches parallèles, lesquelles, bien sûr, ne se rejoignent jamais. Cela, cette impossible rencontre, depuis toujours je l’ai sue. Depuis le premier jour où, sur les bancs de l’université, nos regards se sont croisés. Une impossibilité d’être à deux dans le cadre étroit d’une même passion amoureuse. Ce à quoi nos corps se refusaient, la fusion dans l’unique, nos esprits le réalisaient dans cette littérature où se révélait le creuset de nos affinités. Longues étaient les discussions, enflammés les points de vue sur Proust, Baudelaire, Rimbaud. Nous nous divisions sur la nécessité de l’absinthe, de sa coulée verte dans la gorge du poète afin que, sublimée, la création parvînt à octroyer ce que jamais le réel ne dispense qu’avec parcimonie, la beauté en ses faces de cristal. Je disais l’alchimie de l’alcool, tu disais la plongée en soi dans la clarté et la pureté d’une méditation, l’exigence d’une contemplation. Ce sur quoi nous nous accordions, la persistance et le recours, y compris avec excès, à ces étonnantes « intermittences du cœur », à ces déchirements intimes, à toutes ces pertes des êtres chers qui, un jour ressurgissent et fondent les linéaments d’une œuvre. Jamais celle-ci ne s’exhausse du pur présent, fût-il singulier. Il faut à l’écriture l’espace d’une perte, le temps d’une longue incubation, la douleur d’une résurgence pour que s’annonce ce qui est rare, qui aurait pu être perdu et tire de cette éclipse sa force d’évocation, son caractère infrangible. Il faut l’imminence d’une turgescence, l’impatience de l’apaisement d’un désir : ici sont les conditions requises qui conduisent à une voie royale. L’art est la résultante de cette démesure. Oui, combien le poète est démuni lorsque, dans l’isolement de sa mansarde, venant tout juste de subir l’éblouissement d’une rencontre, une belle jeune femme au regard si troublant, il s’échine à poser sur la page blanche les signes de sa ferveur. Mais le temps est trop court qui sépare de la révélation et ne s’inscrivent dans la voyance du créateur que de fuyantes métaphores, des bribes de vers qui ne font nullement image, seulement le crissement incongru de la plume sur la plaine de papier.

  Certes ces considérations sur la sortie de soi en direction de la signification sont bien oiseuses. Ceci est à une telle altitude que seul le silence, le retrait et le refuge dans le secret du corps. Cette photographie, je me souviens, je l’avais dérobée à ton insu lors d’une de mes visites dans la minuscule chambre de bonne que tu occupais sous les toits de Paris. Une manière de rapt de ce qui, jamais, ne m’appartiendrait, le luxe que tu étais dans le cortège étroit des jours. Mais à quoi bon mesurer le passé à l’aune du ressentiment ou bien du simple regret ? C’est si vain de croire que les jours anciens, tout comme le phénix, pourraient renaître de leurs cendres. Maintenant l’automne est là comme un point d’orgue avant que tout ne disparaisse dans l’ennui et l’anonymat des terres dénudées. Regarder ton image, ses teintes sépia, les tavelures qui, de loin en loin en altèrent la surface, c’est comme de parcourir le temps à rebours pour y retrouver la lumière initiale, la promesse du jour, l’arche de clarté que porte en soi tout sentiment de l’avenir. Mais laisse-moi seulement décrire cette feuille de papier avec laquelle tu te confonds à la manière des feuillaisons que leur chute reconduit à une ineffable présence.     Dans le fond, je reconnais bien le mur de lèpre et de plâtre usé que tu sembles avoir rejoint dans une sorte de mimétisme. Je crois me souvenir de ton besoin d’unité, d’osmose avec le réel qui t’entourait. La laine de tes cheveux coule librement dans de belles clartés si proches de l’éclat de la douce châtaigne. L’ovale de ton visage, cette gemme qui reflète si bien ta vie intérieure, voici qu’elle est toujours un insondable mystère. Et ces yeux dont le cerne profond est comme un hymne à la joie, mais à une joie inapparente fêtant l’en-dedans des choses avec l’évidente souplesse d’une plénitude. Et cette bouche carmin à la limite de disparaître tellement l’ombre la préoccupe, la distrait au regard ordinaire. Il faudrait être bien égaré de soi et de la vérité ici présente pour n’en point observer la supplique muette, cette demande d’amour que tu adressais aussi bien au monde, aussi bien aux auteurs qui étaient tes amants de passage. Et ce creux de ta gorge, cette voix doucement retenue, ce poème lové en soi jusqu’à l’ivresse d’être et de sentir le bruit immaculé des choses. Et cette épaule dont la courbe se confond avec la douceur du vent sur quelque colline, du côté de Sienne dont la terre est précieuse aux peintres pour sa transparence, sa solidité. Cette même terre qu’utilisait Rembrandt dans la si belle texture de ses clairs-obscurs, ces infinies variations de l’âme. Celle aussi, sans doute, à laquelle avaient recours les artistes pour imprimer sur les murs de Tarquinia l’élégance et l’immortalité des chevaux chantés par Duras. Et cette gorge troublante que soutient une dentelle noire comme pour la soustraire au regard alors même que ses fruits étaient à portée du désir. Oui, pour moi, tu demeureras cette ardeur d’inscription à même le beau langage, cette subtile efflorescence que seule la littérature, le poème, la musique peuvent porter au-devant de nous avec la marque d’une fascination. Vois-tu, je crois que la vérité, la sincérité ne s’inscrivent jamais mieux que lorsque, retenues en soi, elles ne franchissent pas la frontière de notre peau. Et puis à quoi servirait après tant d’années mon signal pareil à un sémaphore perdu dans une mer de brouillard ? Ton image, je la punaise sur l’anonymat de mon mur et la confie au temps afin qu’il l’aménage selon son bon désir. Fût-il une reprise du mien !

 

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3 octobre 2020 6 03 /10 /octobre /2020 08:32
Nuit, là où brille le génie

La Nuit étoilée (1889) au MoMA à New York.

 

***

 

1889 - Saint-Paul-de-Mausole. Asile d’aliénés.

 

   8 Mai - Vincent quitte Arles. Il sait qu’il n’a plus d’autre solution. La démence frappe à sa porte, des hallucinations l’assaillent, des visions le harcèlent. Lui qui a tout peint, veut encore s’essayer à tenter l’impossible en peinture : peindre LA NUIT. Cette pensée de la représentation de l’invisible ne le laisse nullement en paix. Son sommeil, ou ce qu’il en reste, est zébré de la rapide lumière des étoiles qui se détachent sur la suie nocturne. Mais qu’est donc sa folie ? L’excès de lumière qui rongerait son corps de l’intérieur ? Ou, au contraire, s’agirait-il des impalpables mains de la nuit qui le saisiraient, menaçant de le conduire à trépas ? Lui seul pourrait le savoir mais sa conscience est altérée, sa raison vacille sous les coups de boutoir de la folie. Il sent cette ‘folle du logis’ tourbillonner tout autour de lui, menacer de le conduire à la cécité et alors plus rien n’existerait puisque la peinture elle-même - son oxygène - serait dissoute, partie dans l’illisible contrée de l’absurde dont il redoute tellement d’être la prochaine victime.

    

   S’appeler Vincent ?  Être possédé de la couleur, du rythme des formes. Tout simplement la vocation à une disparition prochaine. Vincent souhaite-t-il mourir ? A la vérité il ne pourrait rien dire sur sa propre disparition. En tout cas, ce qu’il voudrait, c’est une illumination, le pur jaillissement d’un feu de Bengale, un ruissellement de lumière plaqué sur l’ombre de la nuit. Comme l’éclat d’une conscience s’exilant du Néant, appelant la raison, la lucidité, la plénitude du regard face à l’incompréhensible destin du Monde. Il a une arme pour cela. Elle s’appelle PEINTURE. Elle est sa maîtresse la plus fidèle, mais aussi la plus exigeante. Se nommer Vincent, c’est peindre ou mourir. Sans ses tubes de couleur, sans sa palette maculée d’huile, sans son chevalet, Vincent est réduit à n’être qu’un spectre qui ne se détacherait nullement des ténèbres, s’y confondrait bien plutôt, les épouserait et alors il y aurait indistinction, Vincent serait la nuit, la nuit serait Vincent. Alors, avant d’en rejoindre la mortelle hébétude, il veut lancer un cri, faire flamboyer au plus haut du ciel l’étendard de l’Art. Il n’est Vincent qu’à cela : broyer des pigments dans l’huile, plonger ses doigts dans la pâte onctueuse, couvrir la toile de ces mille et un signes qui la révèlent, la toile ; le porte au jour, lui, le Peintre.

  

   Donc la nuit, non seulement dans sa nature opposée au jour, non dans sa fonction de nourrice des songes, non dans la parure qu’elle offre à la Terre. Non, la nuit comme dernier refuge de la Peinture, comme dernier flamboiement avant que les yeux clos ne puissent plus percevoir que l’infinité d’un chemin sans horizon, sans portée, sans avenir. Un chemin perdu, en quelque sorte, égaré dans le pluriel fouillis de l’Univers. La nuit comme obsession. Dernière, en réalité. Mais ceci il ne peut le savoir, son état de santé est trop altéré pour qu’il puisse prendre le recul nécessaire à une juste considération des choses. Comme toujours sa correspondance est soutenue. A ses correspondants il s’ouvre de ses derniers tourments, de ses constantes hantises. Il veut représenter ces fameux « effets de nuit » sans lesquels sa peinture n’aura trouvé nul aboutissement, un simple bégaiement de thèmes qu’il veut outrepasser, porter son œuvre à cette incandescence qui est la marque du génie, mais aussi sa souffrance, sa brûlure dont rien ne saurait venir à bout, sauf la création tutoyant des monts élevés, arrivant à son acmé, un indépassable en quelque sorte.

  

   Ecoutons ce qu’il faut bien considérer comme des implorations, des conjurations. Au travers de l’œuvre nocturne, c’est soi-même qu’il faudra dépasser, transcender sa propre nature, connaître la flamme, l’éclair, le coup de semonce du tonnerre, après il n’y a plus qu’un silence éternel puisque tout aura été dit du monde, que ses limites auront été franchies, qu’il se sera disséminé en millions de fragments plus lumineux les uns que les autres. Un Soleil étincelant sera la seule Réalité, la seule Vérité.

 

   Des lettres donc :

A son frère Théo :

 

« Il me faut une nuit étoilée avec des cyprès ou,

peut-être, au-dessus d'un champ de blé mûr. »

 

Au peintre Emile Bernard :

 

"Mais quand donc ferai-je le Ciel étoilé,

ce tableau qui, toujours, me préoccupe ?"

 

A sa sœur :

 

"Souvent, il me semble que la nuit est

 encore plus richement colorée que le jour. »

 

      

       Une nuit de Mai 1889

 

      Vincent est dans sa petite chambre de l’Asile. La pièce est blanchie à la chaux. Elle est de dimensions modestes, mais suffisamment grande pour que Vincent y entrepose ses dernières toiles, y dispose un chevalet, y range ses tubes, sa palette saturée de couleurs. Il est assis sur son lit étroit bordé de ferrures noires. D’une main distraite il éprouve le rugueux de son couvre-lit de coton, des franges retombent vers le sol de tomettes rouges. Vincent est en méditation. Il est planté au cœur du silence comme une épine serait fixée dans l’opaque d’une chair. Sa respiration est calme, mesurée. Elle paraît coïncider avec le grand rythme de l’Univers. Ce soir la nuit est plus un clair-obscur qu’une sombre étole. Vincent, de temps à autre, regarde par la fenêtre aux battants ouverts. La nuit entre en lui, tel un fleuve qui s’écoule dans sa rainure, sans peine, avec discrétion, mais avec la certitude que, bientôt, l’estuaire sera rejoint, que commencera la fête immense de la course maritime. Lui, Vincent, entre en elle, la Nuit. Il en sent la consistance d’étoupe, les douces fluctuations, les flux et les reflux, ils sont pareils à ses états d’âme, ses soudaines marées, ses retirements, ses étiages parfois quand l’angoisse frappe à sa porte, s’insinue dans les fibres serrées de son corps. La nuit, étrangement, il la sent fraternelle, disposée à l’accueillir, tout comme elle reçoit les rêveurs, les astronomes aux yeux inquiets, les jongleurs d’impossible, les elfes diaphanes, les esprits de l’ombre. La nuit est, en quelque sorte, l’écrin dans lequel sa folie, au moins provisoirement, trouvera à se poser, ultime exutoire avant que la tempête ne se déchaîne, qu’elle ne déracine le Peintre, signe sa dernière toile des stigmates de la souveraine Mort.

  

   Soudain, Vincent a quitté son lit, s’est approché du chevalet qui se trouve tout juste devant la fenêtre grand ouverte. Un instant il respire fort, s’emplit des effluves immenses de la nuit. Il en sent la belle fragrance cheminer en lui, une manière de serpolet odorant qui viendrait des hauteurs de la garrigue voisine, planerait infiniment, le féconderait de cette ablution florale infiniment délicate. Sous la clarté du ciel, le paysage s’ouvre à lui. On dirait l’illustration colorée d’un livre pour enfants. Du reste, Vincent habité de nuit, ne sait plus s’il est un enfant, un adulte, un fou en son Asile, un homme en prière, un saint en contemplation, l’architecte de ce monde qui s’offre à lui avec toute l’intensité des choses sublimes.

  

   Oui, c’est bien de sublime dont il s’agit. A la manière de l’effroi des Romantiques face à l’Insondable, à l’infiniment déployé, au vertige de l’abîme, chacun pourrait y disparaître, comme requis par le lointain cosmos. Où donc est la folie de Vincent en cet ici et maintenant prodigieux ? Existe-t-elle encore ? Ne se confond-elle avec l’acte même de peindre ? Est-elle l’envers du génie comme beaucoup le prétendent ? Qu’importent ici, la Raison et son souverain principe, la Folie et ses assauts meurtriers, ses coups de dague, ses essaims lumineux ? Ici, c’est de peindre dont il s’agit, de devenir, soi-même, ce fragment rutilant de l’Art, de devenir une brillante comète en quelque sorte. Ensuite, advienne que pourra. L’événement aura eu lieu, le phénomène aura trouvé l’écriture de son accomplissement.

 

    La nuit est ouverte, infiniment ouverte aux effusions lyriques des fous et des créateurs. Elle ne comprend, n’entend, que ceux-ci et les rêveurs d’impossible, les magiciens aux mains d’albâtre, les tout jeunes enfants qui rient aux anges, les Déracinés de la Terre, ceux qui dorment sous les étoiles et refusent qu’un toit leur serve de refuge. Ils veulent être des Sans-Abri dans l’essentialité de leur communion avec la quintessentielle Nature, la donatrice de tout ce qui est, vit, respire, chemine ici et là dans les cannelures fixées par le Destin, une fois pour toutes. Liberté de vivre sous le ciel malgré les décisions de ce dernier, le Destin, d’orienter les hommes de telle ou de telle manière. Liberté immense de Vincent de tutoyer la Nuit, cette ivresse, cet éthylisme, cette ‘Noire Idole’, ce narcotique puissant dont s’abreuvent les Amants au plus fort de leur passion, cette sublime ambroisie que ne connaissent que les esprits occupés d’Infini, puisant à la margelle fascinante de l’Absolu.

  

   Qu’importe la souveraine raison lorsque le feu et la flamme surgissent au bout du pinceau, que les yeux deviennent des diamants qui incisent l’inconnu, que le carrousel des mains, leur étonnante chorégraphie, posent sur la toile les signes les plus patents d’une Vérité ? Oui, d’une Vérité. Elle ne se montre qu’aux Aventuriers des formes, aux thaumaturges qui changent la cendre en braise, qui métamorphosent l’immanence en transcendance, aux esthètes qui décryptent dans le réel tout ce qui peut faire sens, tracer les lignes d’une esthétique. C’est là, au plein de la nuit, dans le creuset d’ombre que se créent les grandes œuvres. Elles sont tissées de silence en même temps que leur chant emplit l’univers de son ineffable splendeur. Vincent est en-lui, hors-de-lui. Vincent est le fils de la Terre qui vogue au Ciel. Vincent est une vive lumière inondant de son flot la gorge étroite des ténèbres.

  

   Le ciel est haut, très haut, le ciel est un tourbillon, une giration infinie. Le ciel appelle et fascine, le ciel est pur miracle, sustentation de l’esprit au-dessus des soucis immenses des hommes. Il oscille du gris de lin, aux touches turquin plus soutenues, en passant par la gamme aérienne des rehauts pervenche, des fluides glacis lavande. Sous les pulsations du pinceau, comme surgies du Néant, naissent des étoiles, des myriades d’étoiles. Elles font un étrange halo lactescent, les pleines pâtes jaunes, solaires - soleil, le signe le plus patent, l’emblème le plus affirmé de Vincent -, les pâtes donc vibrent de l’intérieur, flamboient, écument, irradient, traversent leur être pour rencontrer celui du Peintre, attiser sa folie, combler sa recherche de l’Illimité, du Sur-réel, de l’inouïe présence des choses. Les auréolins fusent, les orpîments crépitent, les pailles brûlent comme au milieu des chaumes de la Provence. Le croissant de la Lune, ce vif orangé, diffuse des ambres, des mousses, des vert-de-gris. L’immense champ du ciel est parcouru de la griserie, parfois du délire des Étoiles. Vincent est parmi elles, au centre même de la fusion corpusculaire, dans l’œil du cyclone, là où tout fuse à la vitesse des comètes. Sa folie s’abreuve à la nuit que la nuit étanche avec une belle fougue. Folie humaine contre folie nocturne.

 

    Les flammes vert-bouteille des cyprès gagnent le ciel, l’obscurcissent en partie. Sont-elles le symbole des maux terrestres, des insuffisances et des trahisons des hommes, ? Sont-elles le chiffre du Mal dont nul n’est encore venu à bout, dont vingt siècles de civilisation n’ont suffi à atténuer l’ardeur ? Vincent lui-même le sait-il ? Ou bien sa peinture outrepasse-t-elle sa capacité de savoir ce qui se loge au cœur même de son œuvre ? Ce qu’elle veut signifier en son fond, si elle est plus que la sombre métaphore de sa tragique condition existentielle ? Les montagnes violettes escaladent le ciel, couvertes, dirait-on, des lignes régulières de champs de lavande. Des boqueteaux vert-olive et bleu moutonnent au fond de la plaine. Des maisons se fondent dans le paysage comme si elles en étaient une simple émanation, une fable en quelque sorte, des logis sans âme puisque personne n’apparaît que la Souveraine Nuit en ce que l’on penserait être son ultime monstration.

  

   La flèche d’une église s’élance vers le haut, dans une manière d’inutile prière. N’est-ce pas nous, Spectateurs muets, qui nous abusons sur la signification de cette terrestre contrée ? Peut-être ne voulons-nous voir les maisons qu’en tant que maisons, les arbres qu’en tant qu’arbres ? Nulle indication de ceci. Le réel est aboli, usé jusqu’à la trame par le génie de l’Artiste. En effet qu’importe à Vincent l’olivier dans sa parure avec ses troncs tortueux, ses feuilles vernissées d’argent ? Qu’importent les demeures ? Qu’importent les hommes, eux qui ont condamné le Hollandais à la faible lueur de la compréhension de l’œuvre, la pensant celle d’un fou ? Oui, d’un fou, mais d’un fou au regard qui portait loin, bien au-delà des sentiers des Existants, là où brûle le pur magnésium de la création, là où l’alchimie connaît son oeuvre au Rouge, la transmutation sublime des éléments, la pierre devenue gemme rare dont l’éblouissement n’est supportable que pour les êtres de tulle du Ciel, les penseurs des profondeurs, les explorateurs d’abysses. ’Van Gogh, le suicidé de la société’, avait énoncé Antonin Artaud, un génie s’inquiétant d’un autre génie. Deux flammes qui se rejoignent par-delà le temps et l’espace, sous le verre de la lampe magique de la création.

  

   Le temps est venu d’abandonner Vincent à son sort, ce que, du reste, le Temps lui-même a amené à son entière complétude. ‘La Nuit étoilée’ est terminée. Le jour ne tardera à se lever sur l’Asile de Saint-Paul-de-Mausole où les Déshérités sont encore dans leurs rêves étroits, pareils à des camisoles de force. Ils ne savent rien du monde. Le monde ne sait rien d’eux. Ils sont quelque part, dans le recoin obscur de la mémoire des hommes. Leur part nocturne, si l’on veut. Ils meurent en silence sous le chant des étoiles, tout comme Vincent que son génie a consumé jusqu’à l’extrême limite de ses forces. Il a lui-même cerné son tombeau, à coups de brosses vigoureux, à coups de pâte pareils à des flagellations du vivant, à coups de bleus-marine et d’orangés solaires, à coups de génie qui ne sont jamais que le cristal surgi des plis les plus ténébreux de la nuit. Un an plus tard survient la dernière ‘nuit étoilée’ pour le natif des Pays-Bas. Après avoir peint son ultime toile ‘Racines d’arbres’, Vincent se tire une balle dans la poitrine. Il mourra deux jours plus tard à l’âge de 37ans. Destin en forme d’éclair ! Son génie nocturne (qui n’était que l’envers de celui, solaire, que chacun lui connaît) l’avait reconduit là où il avait toujours été, parmi la rumeur immense des étoiles et la vibration invisible des comètes.

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 octobre 2020 6 03 /10 /octobre /2020 07:53

 

La passion du paysage.

 

 tpeup

Photographie : Blanc-Seing.

 

    Le paysage dans son face à face nous interroge. D'abord sur lui, qu'en est-il de sa nature, quels sont les rapports que nous entretenons avec lui, en quelle langue nous parle-t-il ? Ensuite, sur nous : comment fait-il phénomène en venant à notre encontre, comment l'intégrons-nous à notre propre vécu, qu'a-t-il à voir avec nos sentiments, nos émotions ?

Non seulement nous ne pouvons éviter ce type de question mais l'interrogation sur la Nature est coalescente à notre existence même. Et la représenter revient à se représenter soi-même. Nous n'avons pas attendu l'arrivée de la psychanalyse pour en faire le constat. Toute création est la projection de l'Artiste à même la chair dense de son œuvre. Plus même, l'Artiste s'incarne dans son tableau : chair contre chair. C'est de sa propre substance dont il s'agit. Et, du reste, comment Celui qui peint pourrait-il s'abstraire en quelque façon de la tâche à laquelle il se livre corps et âme. Il faut cette démesure, cette turgescence, cette infinie tension afin que le subjectile puisse recevoir l'empreinte de Celui qui fait effraction. Toute peinture porte les stigmates vifs, effervescents, vibrants de l'âme qui a infusé la toile, s'y est projetée avec exactitude, parfois avec violence.

  Et peu importe le style, la facture selon laquelle l'œuvre se déploie. La représentation apollinienne du temple grec est aussi bien investie de cette ardeur existentielle que la giration follement dionysiaque de "La Nuit étoilée" de Van Gogh. Par définition, le support est à l'image des célèbres taches du Test de Rorschach, ce sont les traces visibles de sa création qui y figurent et que nous interprétons comme art. L'art, parfois, souvent, n'est que cela : la mise en scène d'une pathologie, ou à tout le moins, d'une préoccupation existentielle, d'une angoisse. Vincent peignant à Arles les cyprès torturés ne peint que son âme en proie aux affres de la folie qui, déjà, étend ses membranes vénéneuses. Du reste la partie terminale de son œuvre est identique à un électroencéphalogramme sur lequel s'impriment les coruscations de la folie. On peut en suivre la vibration, la diffusion rhizomatique, l'enserrement racinaire, la prolifération arbustive. Une lente agonie de l'homme, laissant place à la dimension confondante, sublime de l'art. Plus le Hollandais s'enferme dans les contingences de tous ordres, plus son œuvre signifie magistralement, phénomène de balancier livrant la transcendance à même la progression du mal, de la douleur, de la souffrance. Etranges vases communicants selon lesquels chaque contenant se nourrit de la perte de l'autre : perte de l'âme, gain de l'art. Ce qui, formulé autrement pourrait s'énoncer : toute création en sa vérité suppose le renoncement à soi de l'Artiste.

  Pour l'Ecrivain, par exemple, le texte est la contrepartie d'un don de soi. Le langage ne fait ses efflorescences qu'à la mesure d'une privation, d'une ascèse. Faute de cet impératif, le texte ne s'éclaire que du lumignon de l'insuffisance. Il y a, à l'évidence, pleine affinité et convergence entre l'entrée du texte en littérature et la perte à soi du créateur. C'est le langage qui est premier, l'homme ne parlant qu'à sa suite pour employer la rhétorique heideggérienne. C'est l'œuvre "qui mène le bal" et ceci résonne comme une tautologie car, si tel n'était pas le cas, il n'y aurait pas œuvre, il n'y aurait pas art. Car c'est toujours de ce qui fait sens, à savoir la peinture, le roman, le poème que surgit l'œuvre d'art. Celui qui en est la source, sans doute réel épicentre, mais hautement interchangeable. Par la pensée, supprimer ProustRousseau ou bien Voltaire et la littérature n'en demeure pas moins. Mais, a contrario, ôtez la littérature et, du même coup, vous n'avez plus une seule de ces hautes figures de l'histoire des Lettres.

 

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Paysage de Cagnes (La Gaude)

Chaim Soutine, 1923

 Source : artlover.me

 

   Mais revenons au paysage et à l'un de ses plus sublimes interprètes, Chaïm Soutine. Et voyons ce qu'il y a à connaître de cette vision torturée du monde. On conviendra, en présence de cette peinture paroxystique, qu'il s'agit là d'utiliser une clé de compréhension différente, par exemple, de celle, classique, des peintres contemporains des anciens Grecs pour lesquels la "mimèsis" , - l'imitation de la Nature - constituait les prolégomènes d'une peinture juste. Ici, certainement, aussi, pouvons-nous saisir une "mimèsis", mais elle l'est à l'aune de l'histoire personnelle du Peintre. Toute la série des paysages soutiniens est une large historiographie d'une existence livrée à la démesure du tragique. Les paysages, c'est Soutine en peinture. Les paysages c'est une autobiographie de la dérision, la mise en scène de l'inconcevable, l'allégorie de la condition juive toujours condamnée à errer de diaspora en diaspora, manière de satellite faisant ses révolutions autour de soi sans jamais pouvoir en apercevoir le centre, l'illumination qui ouvre la voie et donne acte à l'aventure de la vie.

  S'appeler Soutine, c'est cela même à quoi il faut se livrer : se défaire de ses ramures de chair, se dévêtir de ses oriflammes de peau, racler jusqu'à l'os afin de retrouver son âme, pure, claire non affectée par les mouvements du monde, les atteintes à l'esprit, les assauts en direction de l'humain. Retrouver son âme, c'est peindre inlassablement, projeter sur la toile ses obsessions, se détourner d'une dette mémorielle, oublier sa situation juive, les souffrances de l'enfance. Être Soutine, c'est fuir les gens, lesquels sont parfois porteurs de ruine, c'est éviter de réaliser leur portrait, c'est confier à la Nature, au paysage la lourde tâche de sauver ce qui encore peut l'être; c'est, sentant la mort proche, brûler ses toiles, juste autodafé d'une existence détruite avant même que de parvenir à son éclosion. Être Soutine, c'est projeter violemment sa passion - sa tragédie - contre le mur de son histoire personnelle, cette taie infiniment tendue, opaque que jamais l'on ne traverse et qui, identiquement à un miroir dément, vous renvoie l'image anamorphique, étrange, incompréhensible de votre présence au monde. La création comme suicide, moyen d'en finir. Chaque nouvelle toile, plus d'art, plus de perte; chaque nouvelle toile moins d'existence, comme la disparition d'une substance intime, l'écoulement continu d'un sang devenu blanc, l' égouttement d'une lymphe lunaire, la fuite d'humeurs vitreuses  et ainsi, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Et Mort s'ensuit toujours, la seule certitude qui soit.

  La passion du paysage est cette démesure par laquelle le Peintre consent à son propre évanouissement alors que nous, les Voyants, ne pouvons qu'assister, impuissants à cette magnifique implosion qui en est la condition de possibilité.

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 octobre 2020 5 02 /10 /octobre /2020 08:47
L’instant auroral.

Photographie : François Jorge.

 

 

 

 

   Les journées de Felicidad commencent toujours ainsi. Dans sa hutte de planche et d’écorces, tout en haut de la colline habitée par les vieux arbres, chênes-lièges, oliviers décharnés par le vent, Felicidad vient au jour avant que celui-ci ne s’éveille. Dans le corps du jeune enfant (il vient tout juste d’avoir douze ans), c’est soudain comme un tumulte, un étrange remuement qui déploie ses ondes. La nuit est encore enracinée, soudée au socle de la terre. Elle fait ses mailles noires parmi le lit de mousse et de feuilles. Elle serpente, sinue, s’enlace aux chevilles qu’elle entoure d’un lien pareil à un anneau de métal. Felicidad en sent le magnétisme, en éprouve le long frisson alors que le sommeil rôde encore dans le massif alourdi de ses yeux. C’est comme une gangue, une étrange présence qui sourd du limon pour dire au jeune garçon la survenue de l’instant fugitif, le don surpris de l’heure native, l’offrande sans cesse renouvelée dont il faut se saisir avant que le vertige de l’exister ne s’en empare et n’efface tout dans la touffeur d’un futur sans mémoire. Cela n’attend pas. Cela s’impatiente. Cela fuse dans les membres, fourmille dans les doigts, allume dans la roche grise du cortex ses millions de bulles, cela répand ses solfatares dans les replis complexes de la conscience.

   Felicidad se lève, rafraîchit son visage à l’eau limpide d’une cruche. Se vêt d’une chemise légère de toile, d’un bermuda usé dont la trame révèle le dénuement du jeune garçon. Sous ses pieds nus, sur le sentier qui court vers le village, des chutes de glands, des éboulis de cailloux sombres comme l’étoupe. Du chemin, tout est connu, le moindre replat, les courbes, les plis de glaise, les billes érodées qui glissent sous les pieds. Descendre, ici, sur le chemin en lacets, au milieu de la forêt de romarin et de serpolet est un luxe inouï alors qu’en contrebas, les cubes des maisons sont teintés d’un bleu profond identique aux rêves des hommes qui les habitent. Nul bruit qui viendrait troubler le silence, sauf, parfois, la chute d’une poussière, l’envol d’une feuille à contre-jour du ciel. Felicidad n’a rien mangé. Au creux de son abdomen il sent l’outre vide qui s’emplit des fragrances nocturnes, friselis de lavande, lacis musqué de l’humus, effluve des pins qui se dissimule encore dans la fraîcheur. C’est de cette manière que doit s’accomplir le rituel : devenir léger comme la clarté, confier sa nasse de peau à la poussée de l’air, faire de son corps le réceptacle de tout ce qui veut bien s’y loger, déployer l’harmonie des sens, ouvrir le spectacle du monde. C’est alors comme d’être oiseau, sterne fonçant dans l’entaille du jour, chute de la mouette vers le dôme noir au-dessus des flots blancs, goéland à la forteresse de plumes dont l’œil gonflé, circulaire, prend acte du monde à même la grâce de son vol.

   Maintenant le chemineau est sur la bande de bitume et de schiste brun qui quadrille le village. A droite la grande bâtisse couleur d’écume ternie de l’Amistad. Il lui semble entendre, pareille à une incantation, la rumeur des Joueurs de Tarot dans la grande salle à la lueur de crypte. Puis la minuscule place cernée d’arbres exotiques (personne n’en connaît la provenance) où, des heures durant, les Vieux vêtus de noir déroulent leur vécu si semblable aux filets qu’ils jetaient, autrefois, dans la baie pour y pêcher de quoi faire succéder le jour au jour dans la monotonie d’un temps circulaire, toujours renouvelé. Puis les arcades blanches du Pitxot avec, sur la hauteur, la forteresse de l’église qui veille au repos des hommes. Le Cafe La Habana est muet derrière ses rideaux tirés, sa herse de métal qui en défend l’entrée. Felicidad aime cette heure solitaire qui lui fait penser au début d’un univers, à l’étonnement qui doit en couronner la survenue, au bonheur simple de connaître les choses dans leur immédiateté, leur origine, pure comme l’eau de source.

   Après avoir dépassé les barques bleues et blanches couchées sur le flanc, un lit de cailloux plats en guise de flots, Felicidad s’engage sur un sentier qui longe la baie. Suite mouvementée de roches trouées de bulles qui escalade et descend, bifurque, s’élève en promontoire par où le miroir de la mer se laisse apercevoir jusqu’à la courbe infinie de l’horizon. La nuit, maintenant, est semée de larges entailles bleues. Les habitations sont phosphorescentes. L’air a brusquement fraîchi. Le jeune garçon sait que ce phénomène signe la venue du jour, que, bientôt, le grand dôme liquide s’allumera en des teintes de corail et de cuivre. Une ivresse que le regard aura du mal à enclore. Juché tout en haut d’un éperon se jetant au-dessus du vide, Felicidad est pareil à une vigie qui veillerait sur sa citadelle, peut-être ombre tutélaire protégeant, tel un dieu en clair-obscur, le destin des hommes. Le disque du soleil est à peine une mince lunule émergeant au loin d’un liseré de brume. Le silence est grand qui se tend sous le mystère de l’apparition. Alors on est comme dilaté de l’intérieur. La lumière a pénétré en vous. Vous la sentez gonfler vos poumons, faire se lever les alvéoles, soulever le diaphragme, envahir le visage qui se teinte à la façon d’un masque antique, peut-être d’un fétiche africain ou bien d’un objet de culte Maya à l’éblouissant rayonnement.

   On sent bien que cet événement est singulier, non reproductible, que nul essai mimétique, fût-il le plus accompli, ne portera à nouveau devant la conscience ce qui vient d’avoir lieu et temps uniques, absolument uniques. Même le pinceau magique d’un Vincent, même la roue solaire de ses « Tournesols » seraient en peine de dire la majesté de l’instant. Car la peinture dans son essai de transcender le monde demeure un médium, à savoir un intermédiaire, un signifiant appelant un signifié mais ne s’y substituant jamais. Quoique subtil, élevé, sublime, le temps de l’art n’est jamais le temps de la réalité, le temps irreprésentable de l’instant fugitif, de l’éclair qui illumine la conscience et la ravit à la seule mesure de cet indicible, ce fameux « kairos » des anciens Grecs, « moment décisif » par lequel les choses se donnent sans retenue jusqu’à l’incandescence de leur essence. Dès que l’heure de la manifestation a basculé, aussitôt s’efface la transcendance qui fait place à la sourde immanence des événements quotidiens, à leur mutité, à leur refuge dans l’abîme de l’inconnaissance. Ceci nous le savons de l’intérieur même des fibres de notre corps et c’est la raison qui nous tétanise, nous met en tension, nous fait vibrer dès que l’arc-en-ciel de la beauté s’ouvre en même temps que notre esprit se dispose à en recevoir la généreuse semence.

   Les yeux de Felicidad sont semblables à cette baie merveilleuse qui l’accueille en son sein et lui communique la plénitude dont seul le regard de l’âme peut être gratifié, plénitude qui porte à son acmé chaque chose qui lui est confiée dans le souci de son être. L’eau est une plaque d’or et d’argent, un sentiment d’appartenance à l’immensité. Mystère de l’instant, cette subite intuition aussitôt disparue qu’entrevue, lorsque la grâce d’une révélation la féconde et la métamorphose en éternité, ce temps sans début ni fin que seule peut abriter la mesure illimitée d’une cosmologie. La mer s’irise, se divise en ruisselets multiples, en miroirs qui réverbèrent la pure beauté de cet enfant aux yeux de lumière.  Beauté de son corps diaphane, des pupilles, ces réceptacles pareils à une amphore grosse d’infinies richesses, beauté des mains qui recueillent cette donation comme leur bien propre, beauté de la conscience de soi qui touche au ciel, s’abreuve aux étoiles et regarde tout ce qui paraît avec l’infini vertige d’un sillage de comète. Alors il n’y a pas à distraire sa vue de ce qui se présente à la façon d’un absolu. Nulle part au monde ne se livre une scène identique. Nulle faille de la terre où inscrire la force d’une esthétique, la puissance inouïe qui se révèle, ici et maintenant, comme si, plus jamais, l’ivresse ne devait avoir lieu qui ferait de l’homme le recueil exact d’une vérité. Une dernière fois Felicidad scrute le liquide en fusion, observe de toute la force de son jeune âge la gueule de l’immense convertisseur d’où tout semble surgir comme si l’on assistait à la naissance du monde, cette lave qui n’en finit pas de couler, entraînant avec elle l’inatteignable roue du temps, ouvrant la fluence inépuisable de la matière.

   Déjà l’instant n’est plus qui a replié ses rayons, les a dissimulés derrière quelque mystérieux diaphragme d’où, sans doute, il regarde les hommes en attente de sa prochaine naissance. Le temps est cette énigme qui, jamais, ne trouve de réponse qu’à être recommencée. Le ciel commence à se décolorer. Le jaune d’or vire à l’argent, puis au bleu pareil à la douce efflorescence du myosotis. Loin, là-bas, dans le village, les premiers étals que l’on ouvre, les premières terrasses où, bientôt, se disposeront des hommes bavards, des femmes volubiles, des coupes pleines de fruits et de saveurs. La vie en son inépuisable effusion. Felicidad croise les groupes matinaux. Nul besoin de les saluer pour faire trace et dire son sillage à la face des choses. Les promeneurs, étonnés, voient la lumière ruisseler, couler des yeux de l’étrange enfant, grimper le long des façades blanches, s’enrouler autour des lianes des volubilis, faire sa bannière étincelante sur le fronton de l’Amistad qui, maintenant, se dresse dans la gloire du jour. La journée passera. Le crépuscule fera basculer la clarté derrière l’arc de l’horizon. Dans le ciel teinté de suie, les premières étoiles déplieront le long poème de la nuit. Dans son havre de feuilles et de planches à claire-voie s’endormira l’enfant-prodige qui donne au temps son impulsion à la manière d’un dieu joueur. Demain sera à nouveau l’instant auroral, puis le zénith, puis le nadir, puis la toile noire du firmament comme pour dire le long récit de la marche des hommes. De la marche du monde. Une seule et unique destinée. Une lumière s’allume. Une lumière s’éteint. Le sémaphore est en marche qui, jamais, ne s’arrêtera.

 

 

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1 octobre 2020 4 01 /10 /octobre /2020 10:34

 

   Rien ne m’était plus agréable, en ce début d’automne, que d’attendre les brumes enveloppant toutes choses, les nimbant d’un mystérieux halo. C’était comme de commencer une vie nouvelle, de découvrir le pays des ombres, de pénétrer dans la caverne des songes. De nature essentiellement romantique, il fallait à mon âme ce genre de floculation, de grésil chutant du ciel, nappant la terre d’un impalpable glacis. Dès le premier bleu-marine badigeonnant la fin du jour, je me vêtais d’une laine chaude et parcourais les chemins de la garrigue. Les odeurs, que la nuit déployait, répandaient leurs douces fragrances et j’aurais pu demeurer dans la senteur du romarin ou du serpolet, de longues heures, sous leur lente puissance narcotique. Mais il fallait à mes sens une palette plus ample. Par exemple entendre l’ululement mélancolique d’une dame-blanche, saisir le glougloutis d’une source, sursauter à la chute des glands sur le sol durci par la première fraîcheur. C’est bien là la beauté avant-courrière des ténèbres que de nous donner, dans un dernier éclat, la ramure de l’arbre à l’horizon, le glissement gris d’un chat au ras d’un trottoir, l’étrave luisante d’un bateau fendant l’onde, la rumeur d’un baiser entre l’Amant et l’Amante, dernière empreinte visible au seuil de l’invisible.

   J’avais longuement marché parmi les carrés vert-de-gris des pâturages, traversé des haies aux feuilles d’argent, aperçu, au loin, la dalle fuyante de la mer, parfois trébuché sur une pierre de calcaire. J’avais allumé une lampe acétylène qui, parfois, crachait dans le vent, lançait des éclats pareils aux étoiles du magnésium. Dans la vallée, tout en bas, les maisons du hameau se serraient les unes contre les autres. Un filet de fumée s’élevait des cheminées que l’air frais dissolvait rapidement. Je voulais aller jusqu’à la ‘Croix de Seillan’, ce haut sémaphore d’où je pouvais découvrir un large panorama, la courbe lente de la côte, le poudroiement des lumières des villes, le tournoiement régulier des éoliennes, la ligne de la frontière et les premiers rochers  derrière lesquels les villages espagnols s’abritaient du vent. Soudain, arrivé au détour d’un chemin qui, après un dernier lacet se lançait en direction de la ‘Croix’, sur une colline toute proche du sommet, une vision s’imposa à moi sans que je puisse, en un premier instant, décider de ses contours. Il me semblait bien qu’il s’agissait d’une silhouette frêle, peut-être celle d’une toute Jeune Fille, mais l’hypothèse était si invraisemblable que je pensais être victime d’une hallucination ou bien d’un tour que m’aurait joué mon imaginaire.

   Cependant, ayant emporté avec moi une longue-vue et un trépied pour la fixer, je fis halte sur un petit promontoire, installai le système optique et commençai à balayer l’espace qui ne comportait guère de point de repère, sinon le ‘Plateau de Seillan’, la structure de fer de sa ‘Croix’ jetée en plein ciel et, ici et là, quelques levées de pierre qui balisaient le terrain. Au début, je ne découvrais guère que de vastes zones nocturnes, le feu lointain de quelques étoiles et, surtout, le disque plein de la Lune qu’entourait un vibrant contour de lumière. Enfin, au terme de mes investigations, s’inscrivit dans le cercle de ma lunette d’observation, le spectacle le plus étonnant qui fût. Un genre d’elfe se tenait là, dans l’illisible matière de l’éther. Comment aurais-je pu nommer différemment cette forme indistincte et fluette qui s’inscrivait dans le champ de ma vision ? Sans doute l’effet de fantastique était-il amplifié par les lentilles qui m’en restituaient l’étonnante figure. Mais oui, il s’agissait bien de ceci : Celle qu’instinctivement je nommais aussitôt  ‘Alba de la Nuit’, dansait à contre-jour de la Lune et sa chorégraphie était si grâcieuse, si aérienne, qu’en comparaison le vol du martinet eût paru emprunté comme si une glu en entravait les arabesques.

   A n’en pas douter j’étais bien en présence d’un pur mystère. Ici, en ces terres désolées uniquement parcourues par le fleuve blanc des moutons, sillonnées par quelques rares Bergers, nul ne vivait dans ces hameaux de pierre à l’écart du monde. Je n’étais guère loin de penser qu’il s’agissait d’une ‘Pierre de Lune’ détachée du plein de son astre, une sorte de neigeuse météorite venue dire aux Terrestres la souveraine beauté de l’espace, les aérolithes du songe dont sa vastitude était habitée, tant il y avait d’étrangeté dès que l’on s’éloignait du sol qui accueillait nos hasardeuses marches. J’avais lu, avec avidité, les belles et étranges pages de Gérard de Nerval dans ‘Les Filles du feu’, où il mettait en scène une étonnante Octavia, être toute de grâce, blonde, élancée, aussi à l’aise dans l’eau qu’une sirène. D’Alba à Octavia, il y avait une sourde parenté. Ce que l’une tirait de l’onde, l’autre le tenait des espaces célestes. Ainsi, je demeurais un long moment à observer la pure magie, comme un enfant fasciné par la chute d’une neige dans ces boules de verre simulant un paysage de Noël.

   Cependant, je ne pouvais passer le reste de la nuit à admirer une Etoile. Il me fallait, coûte que coûte, gagner la ‘Croix de Seillan’. Je souhaitais y découvrir, depuis son haut sommet, l’une des vues les plus admirables qui soient. Je poursuivis donc mon ascension, ne quittant que très rarement des yeux la Constellation nocturne qui avait chauffé mon âme à blanc. Je la vis, soudain, abandonner sa lumineuse danse. Elle adopta une posture des plus simples, sinon des plus farouches, comme si elle avait deviné mon intrigante curiosité. Boudait-elle ? Était-elle contrariée au motif que je paraissais ne plus m’intéresser à elle ? La danse l’avait-elle fatiguée ? Je savais bien que toutes mes conjectures n’étaient que de fragiles châteaux de sable et je décidai de ne plus m’encombrer l’esprit de ces élucubrations de songe-creux. Comment vous dire alors le sentiment ému qui s’empara de moi en la voyant si menue, si chétive ? Maintenant elle était assise à même le sol, nue entièrement, casque de cheveux auburn que pâlissaient les rayons de la Lune, une sorte de cendre, bras arrondis en arceaux qui emprisonnaient les tiges des jambes, corps tellement exposé à tous les dangers que je craignais devoir le perdre au moindre souffle de vent.

   J’étais parvenu sur le large Plateau qui s’ouvrait sur tous les horizons. Une légère brise soufflait qui couchait les herbes jaunes, on aurait dit la belle texture d’une savane. Ma lunette fixée sous la « Croix », je parcourais ce que j’étais venu chercher : un immédiat fragment de la puissante beauté du monde. L’essaim d’îles mauves bourdonnait sur le brillant de la plaque d’eau. Des bateaux de pêcheurs glissaient lentement, suivis des cercles éblouissants de leurs lamparos. Alba était toujours là, étonnamment clouée dans cette pose hiératique comme si elle s’adonnait à quelque rite secret, seulement connu d’elle. Peut-être communiait-elle avec des êtres de la nuit, des funambules du rien, des esprits si arachnéens qu’on n’en pouvait percevoir que la vibration, le corps astral en quelque sorte, l’aura de lumière noire. Les villes, sur la côte, faisaient leur traînée de Voie Lactée, des guirlandes de lumière dessinaient la ligne flexueuse du rivage, une manière d’infini qui aimantait mon regard.

   Maintenant Alba s’est légèrement tournée, si bien que nous regardons, tous les deux, les mêmes choses, sans distance, sans différence. Je suis un peu en Alba, tout comme Alba est en moi. J’en sens le doux palpitement et il s’en faudrait de peu que je ne saisisse son spectre diaphane dans la nacelle de mes bras. Voyez-vous, c’est un songe qui se réalise, un vœu qui prend effet, un souhait qui rayonne au plus haut de sa destinée. Il n’y a plus rien sur Terre que cet écho bleu qui nous sépare en même temps qu’il nous unit. Deux en un. Sans césure aucune.

Le vent parcourt la plaine de nos corps, on dirait le vol des demoiselles. Le ciel, pointillé d’étoiles, se reflète sur la nacre de nos peaux.

   Soudain, je m’aperçois dévêtu, identique à un miroir qui reflèterait la courbe du firmament. Une musique monte de la mer, on y reconnaît le souffle continu, modulé, de la flûte, les coups d’archet du violon, la percussion des cymbales. Ce sont de laineux effleurements, de soyeux attouchements. On est si légers, pareils à des flocons dansant dans la clarté verte des aurores boréales. On est si unis dans l’écume nocturne. On est si heureux, privés d’attaches, dépourvus de monde. Il y a des abysses profonds, oui, mais ce sont les lacs de nos yeux qui se réverbèrent. Il y a des bruits qui s’élèvent, mais c’est l’accord de nos souffles apaisés. Il y a des éblouissements, mais ce sont les glacis de nos peaux qui boivent l’eau indolente des comètes. Il y a des paroles, mais ce sont les alphabets de l’amour. Il y a des surgissements de couleurs, mais c’est le rose aux joues, la teinte du bonheur.

   Il y a eu une grande déchirure dans le ciel. De fins nuages sont apparus. Ils venaient de l’Espagne proche, remontaient en direction du nord. J’ai relevé le col de ma pelisse. Un air frais s’élevait de la mer. Il portait quelques brumes. Les villes étaient encore dans leur étoffe native. Peu de mouvements, hormis, là-bas, à l’horizon, la lente giration des éoliennes. Nul bruit, sauf, parfois, le gazouillis d’un oiseau s’éveillant, le son d’un seau que l’on remontait de la gorge d’un puits. Voulant me lever, j’ai pris appui sur le sol. J’avais dormi à même l’herbe jaune qui portait encore la trace de mon sommeil.

   J’ai senti, sous la paume de ma main droite, une consistance de papier glacé. C’était une photographie de taille réduite. Dans un flou que je dirais savant, dans une pose d’intime recueillement, Celle qui m’accompagna tout au long de cette nuit. Elle est belle de simplicité, élégante dans son dénuement. On dirait une friandise, peut-être une dragée dont la saveur fond tout contre le palais avec un chuchotement de source. Une manière de commencement, si vous voulez. Au dos de la photographie quelques arabesques sans doute tracées de sa main : Alba de la Nuit. Je suis heureux, mon intuition ne m’avait pas trompé. Je savais que c’était Elle. Que son heure était venue. Que notre rencontre était le but. Que notre séparation était la fin. Maintenant il me va falloir apprendre à vivre SEUL. Jamais ce mot n’a résonné dans ma tête avec tant de douleur vacante, mais aussi avec la certitude d’avoir connu la Beauté en son ineffable réserve, en son inépuisable ressourcement. Ma solitude sera habitée. Lors des longues soirées d’hiver, sous la pesée de mon toit de lauzes, sous le regard des étoiles, plus haut que la ‘Croix de Seillac’, bien au-delà de la chute des Albères dans la mer, je saurai ce que peut être nul ne sait : que la joie est à portée de main. Oui, à portée et je m’endormirai sous la veillée de Jupiter, d’Antarès, de la Lune au plus haut du ciel !  

  

 

 

 

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30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 08:47
Un amer pour la conscience.

"Sémaphore alangui".

avec Emilie June.

Œuvre : André Maynet.

On avançait dans le froid glacial, mains nues, tête prise de vent, visage fouetté par les embruns de la solitude. Car ici, il n’y avait plus rien pour nous rattacher à quelque signification repérable, chrome d’une voiture, ourlet flottant d’une jupe, milliers de signes noirs sur la page d’un livre. Ici l’on était vraiment seul, comme si l’on était arrivé au bout de soi, à la pointe extrême de son finistère de chair, dans les derniers plis de son maroquin de peau. On n’était même plus cet incunable sur lequel, en des temps anciens, les scribes inscrivaient à la plume, sur de remarquables parchemins, les traces du sacré, la vie d’un saint ou bien l’admirable gravure entourée de signes gothiques de « La chronique de Nuremberg », par exemple. Cet ouvrage qui prétendait, à partir de la Genèse, conter l’histoire du monde, donc la nôtre puisque c’est bien de nous dont il s’agit, de la pointe de notre conscience qui enfonce sa braise dans tout ce qui peut briller et faire sens. C’est à notre propre chronique que nous travaillons continûment, le sachant ou à notre insu, assemblant patiemment les fragments du divers afin que, synthétisés, ils puissent dresser l’histoire qui est la nôtre et l’inscrire dans une durée, la seule entité par laquelle nous paraissons et lançons, un instant, notre éclat de luciole dans la savane des jours.

On avançait dans le froid glacial car il n’y avait pas d’autre alternative pour dévoiler quelque pan de vérité. La tiédeur est toujours mauvaise conseillère qui dispose à l’indolence et laisse les idées dans leur cocon de brume. Les pensées ne surgissent jamais que dans la rigueur et l’austérité. Il fallait donc avancer à la limite de soi, comme si le bout de la Terre était le seul exil possible, qu’il n’y avait aucun moyen de faire retour, de rétrocéder en direction d’un euphémisme existentiel. Ceci, cette exigence à la limite d’une éthique, chacun en avait conscience mais nul n’osait l’affronter de peur que la vie ne se métamorphose en un cruel théâtre de marionnettes où Guignol succomberait sous les coups de butoir de la destinée et alors le castelet se refermerait et il n’y aurait plus de jeu mais un simple drame dont les dieux eux-mêmes seraient absents. Cela, on l’avait inscrit dans le buisson de la tête, au milieu de la doline des épaules, cette urgence à se manifester dans l’exactitude, et l’on en faisait un savoir indigent à défaut de le quintessencier, de le porter à la dignité d’un miel, d’une lumière fondatrice de l’être-au-monde. En réalité on avançait en traînant les pieds, comme un condamné va à l’échafaud, connaissant son heure dernière.

On avançait dans le froid glacial. Sans bien y voir. Un peu comme une taupe lance son museau chafouin dans la meute de glaise sans bien savoir où elle ressortira à l’air libre, à quoi ressemblera le paysage qui la recevra et la fécondera du sceau d’une si belle Nature, fût-elle inaperçue, effleurée seulement, hallucinée parfois. On avançait et l’air, tout autour était dense, minéral, au grain serré de granit. On avançait et c’est comme si l’on était allé au bout du monde, quelque part dans un endroit perdu de la belle Irlande, du côté de cette mystérieuse île d’Inishvickillane, cette réalité archipélagique si disséminée dans la vastitude océanique, si confrontée à la puissance de l’eau qu’elle eût pu s’y dissoudre sans que nul ne s’en inquiétât. Identiquement à notre propre perdition humaine, lorsque, confrontés à l’inconnu de quelque désert ou bien d’une vaste savane, nous ne savons même plus qui nous sommes, quelles sont nos polarités, si nous disposons encore d’une mince cosmologie personnelle qui nous dirait la ressource du lieu et la réassurance à trouver réconfort dans un nid, sous le toit d’une chaumière ou bien dans la demeure du berger en forme de cairn dressé contre les vents.

On avançait dans le froid glacial. On se croyait si loin de toute civilisation, comme souvent dans les moments de désarroi, et l’on était pourtant si près des hommes, des villes où brûlait le feu dans l’âtre, si près des bars où buvaient les Existants pour se réconforter à la flamme de l’amitié. On était peut-être, tout simplement, à la pointe nord de l’île d’Oléron, là où les rochers disposés en platier glissent sous la meute des vagues dans des gerbes d’écume. Loin, là-bas, au-delà du gonflement de l’horizon les déserts du Nouveau-Monde que Chateaubriand évoquait dans sa langue lyrique, gonflée comme une baudruche, scintillante de beauté, dans « Le génie du christianisme ». Juste en arrière de soi, dans le diaphane d’une brume irréelle, le fût noir et blanc du phare de Chassiron, tel une hallucination, une image sortie d’un rêve, une élévation surréaliste à l’orée de l’inconscient, un poème de Mallarmé faisant sa percée symboliste sur l’écran têtu de l’univers fermé des hommes. Car les hommes sont aveugles qui, souvent, s’absentent de la beauté, lui préférant l’impéritie d’une satisfaction immédiate, le repas plantureux dans le luxe d’un hôtel, l’écran de cinéma sur lequel brille l’illusion de la gloire et la figure trompeuse du succès. Mais il faut, maintenant, mieux percevoir ce phare, mieux sentir sa force symbolique, l’amer qu’il constitue pour les marins s’aventurant dans le pertuis d’Antioche semé de quantité de récifs tranchants comme la lame. Voir Chassiron, sa jambe gainée de noir et de blanc, pour le matelot, c’est comme de voir l’Ange bleu, cette envoûtante Lola-Lola qui charme le professeur Rath, cette Marlène Dietrich qui fut ce mythe indépassable, cette entité si belle qu’on ne savait plus si l’on avait affaire à Femme ou Démon, tellement sa présence donnait sens à la vie, la transfigurait en un lieu de joie, sinon de plaisir sans limite.

Apercevoir Chassiron, c’est d’un même empan du regard être l’Ange bleu soi-même, être aussi cette inimitable icône dont André Maynet nous fait le don dans sa manière si singulière. Cette turgescence des choses qui glisse sous la lame simple d’une esthétique heureuse. Un pépiement d’oiseau, un gazouillis au creux du corps, la cymbalisation d’une cigale alors qu’à regarder l’image nous musardons comme Alexandre le bienheureux couché dans son hamac sous le soleil de Provence et que, dans l’eau claire des glaçons, flotte la haute note jaune de la divine absinthe. Il s’en faudrait de peu que, sous l’effet du charme, nous ne devenions Baudelaire lui-même embrassant les vénéneuses et adorables Fleurs du mal. Mais revenons à Sémaphore, cette manière de perdition dans les eaux hauturières lors des pleines eaux lorsque le pertuis devient l’antre même du chaos et que, Marins devenus, nous attachons notre regard de naufragés à l’écueil du rocher, à la poutre de bois qui flotte, à l’étrave qui nous indique la possibilité d’un chemin vers lequel cingler, à savoir exister dans les flots complexes et contrariés de la destinée humaine. Nous sommes là, sur la vitre de l’eau, et nous adressons une supplique muette afin que le regard de Sémaphore sollicité nous gagnions le droit de devenir ses superbes et inconscients rejetons. Alors nous escaladons la jambe gainée de coton, nous jouissons de ses harmoniques en noir et blanc (noir nocturne d’où naît le poème, d’où s’élance la beauté de l’œuvre ; blanc aérien, tache d’aube par laquelle connaître le jour et faire se dilater la membrane de sa conscience), nous frôlons la fente du sexe, la superbe grenade emplie d’une ambroisie à laquelle nous nous abreuvons comme à l’eau de la source (nous en sommes les héritiers), nous escaladons la colline du mont de Vénus (nous entendons le chant des angelots bandant leurs arcs), nous contournons la bonde de l’ombilic (dans laquelle nous voudrions tant nous abîmer !), nous glissons le long des nervures des côtes (que ne sommes-nous ces alvéoles qui vivent au rythme des courants intérieurs, qui aspirent et rejettent les alizés du songe ?), nous hallucinons la double éminence de la poitrine, les pierres dures des mamelons nous en savourons le grain serré, nous en sentons les effluves de café alors que, plus haut, sont les traces des bretelles, ces geôles qui emprisonnent et dissimulent la naturelle splendeur (mais il n’en reste que l’empreinte légère, la mince mémoire comme pour témoigner du geste exact de la libération), nous sommes là, tout en haut, dans la lunule de clarté de Chassiron, dans la cloche de verre où brille l’œil du Cyclope, mais d’un Cyclope amoureux qui indique aux navigateurs le lieu de leur havre et la dimension de la joie. Longtemps nous girons dans les millions de phosphènes de la lanterne magique (ici siège l’intelligence, ici flamboie l’imaginaire, ici étincellent les gerbes de la spiritualité), nous sommes si près de l’essence de l’être, de cet être dans son immense singularité et c’est alors une manière d’ivresse, d’extase, de flamboiement qui s’empare de nous et nous sommes incandescents tout comme les filaments de la lampe qui s’exonèrent de leur prison de verre, dessinent de subtiles arborescences (les ramures du sens gagnant leur aventure célestielle), déroulent un étendard de pure lumière, cette longue flamme pareille à un coton, à un drapeau de prière virginal flottant dans l’air pur du Népal comme pour dire la magnificence de l’instant dans la courbure infinie du monde. Alors nous ne savons plus qui nous sommes, humain ou bien oiseau aveuglé par la puissance de l’azur, parole se déployant dans l’espace, nappe d’air gonflée de signification, fragment de gemme détaché de sa gangue brune témoignant de la nécessaire liaison de la Terre et du Ciel, de la matière et de l’esprit. En réalité, nous ne sommes que cela, une forme de passage, l’étincelle entre deux électrodes, la vibration à peine irisée qui extrait l’aube de la nuit proche, l’espace entre les secondes, le clignotement dialectique naissant de la rencontre du noir et du blanc, l’intime pulsation, l’essor qui pousse notre conscience à gravir les degrés de Sémaphore, cette Déesse dont nous implorons la grâce, un simple regard à l’ombre duquel, enfin reconnus, la pliure de notre être gagnera la voûte sans limite des espaces infinis. Nous sommes sémaphores. Nous voulons demeurer sémaphores. Fût-ce à l’aune d’une minuscule parution, d’un clin d’œil, d’un simple battement de cil. L’extinction de la lampe viendra toujours trop tôt. Nous voulons la brûlure, oui, la merveilleuse brûlure !

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29 septembre 2020 2 29 /09 /septembre /2020 08:51

    Vois-tu, souvent l’on m’a parlé de toi, on m’a vanté tes nombreux mérites, ta silhouette si changeante selon les saisons, parfois tes caprices, tes sombres humeurs, tes joies aussi, la lumière que tu émets, la chanson que tu pousses qui se mêle au bruissement des feuilles, aux rumeurs de la ville. Avant de t’avoir aperçue, je pensais que tes zélateurs exagéraient, qu’ils étaient amoureux de toi, aveuglés par ton étrange beauté. Depuis peu de temps me voici installé dans un appartement du Quai aux Fleurs, face à l’étrave de l’Île Saint-Louis. Depuis mon balcon j’ai le loisir de t’admirer. A l’aube, lorsque l’air est un à peine dépliement bleu, au grand midi dans les assauts de la verticale lumière, au crépuscule quand ton visage prend les reflets du cuivre. Les Naïfs me demanderaient à quelle heure je suis le plus ébloui par ta présence. Mais il ne s’agit nullement d’un moment particulier. Est-on plus amoureux sous la poudrée du printemps, dans la rutilance d’été, la mélancolie de l’automne, la rigueur de l’hiver ? Combien ces questions sont oisives qui ramènent les sentiments aux motifs du temps qui passe ! Tu le sais, l’amour est éternel, il n’a ni temps, ni espace particulier, mais il embrasse tous les temps, tous les espaces. Il est cette ritournelle qui monte d’une rue étroite, ce carillon qui fait ses trilles au loin, là-bas, ce simple mot posé sur l’écorce vert-de-gris des platanes. Un cœur y fleurit qui enferme tous les secrets des gens simples et heureux.

   Sais-tu, je t’observe en silence, je prends des notes, je les consigne dans un carnet recouvert de cuir fauve. Un genre de manie de collectionneur, d’esthétique de graphomane, de passion qui ne rutile que de sa propre clarté. Je te dessine aussi et la pointe de graphite crisse sur la feuille comme pour signifier l’imprononçable nom qui est le tien, ta fluente figure, elle fuit à mesure que l’on s’approche de toi. Mais laisse-moi donc tracer ton portrait, sans m’interrompre, tu pourras amender mes impressions à la fin, comme bon te semblera. A simplement te regarder, aux premiers jours de mon installation si près de toi, je me trouvais dans une confusion bien compréhensible. J’avais quelque difficulté à te saisir. Je dois dire, tout au début, je te trouvais farouche, fantasque, sans doute indomptable. Tu t’inscris en permanence sous le signe de la métamorphose. Tes longs cheveux, on dirait des fils d’argent ou d’or, parfois se teintent de la note sourde de la cendre ou bien du plomb, ou encore du zinc, ce métal si parisien, il jette au ciel ses lueurs qu’on penserait perdues pour toujours. Que dire de ton visage, sinon qu’il est pareil à une terre semée d’ombres en cet instant, puis en un autre instant, inondée de soleil, où glisse, par intermittences, le grésil de fins nuages ? Un genre de présence jamais mieux affirmée qu’à l’aune d’une constante fuite. Je crois pouvoir fixer ton image, mais comme dans un bain révélateur photographique, voici qu’elle s’auréole de gris, se déforme, se développe selon des traits qui se fondent à seulement paraître. Ceci, cette inconstance, te rend d’autant plus précieuse. On n’aime jamais tant que ce qui menace de se perdre. On visse son œil à la margelle du puits et l’on ne sait si ce reflet d’argent, en bas, on ne l’a inventé à la force de son imaginaire. Mais on veut encore le voir et éprouver ce si radieux prestige.

   Certes, tes cheveux sont flous, ton visage le creuset d’une énigme, mais ton corps, est-il au moins plus réel, incarné, si bien qu’on pourrait l’effleurer des doigts, ressentir dans la pulpe de sa chair un trouble délicieux de cette approche à fleurets mouchetés ? Je n’ose y penser, puisque te penser est déjà, en quelque manière, te détruire. On fixe, on essaie de tracer une topologie, mais c’est une infinie dissolution des choses qui s’annonce et reporte toujours à plus tard la floraison d’une connaissance. Ton corps ? Il est long, fluet, pareil au flottement d’une liane dans la touffeur d’une forêt pluviale. Je le fixe en moi, comme on fixe une feuille de papier sur un mur, les punaises font une guirlande dorée. Mais voici que ton corps grossit, comme s’il était atteint de bouillonnements internes, sans doute un grand désordre. De mince qu’il était, le voici devenu cette nappe étincelante qui semble n’avoir point de limites. Cependant je crois que je me refuse à comprendre les motifs qui animent ta peau, l’étirent, comme les teinturiers le font de cuir qu’ils veulent tendre. C’est un mystère d’autant plus grand que quelques jours suffisent pour que tu retrouves ta forme initiale, cette longue sagesse que je préfère à cette subite expansion, à ce débordement, à cette fluence qui se perd sous l’horizon des êtres et des choses !

   Ce qui, en tout cas, est évident, c’est cette infinie mobilité qui te traverse, elle ressemble à une impatience, à un attrait pour le nomadisme. N’es-tu pas bien, ici, longeant les flancs de cette si belle Île ? Souvent des amoureux enlacés sur un banc viennent t’admirer. Ils te saluent de toute la gaieté dont la jeunesse est capable. Ils font des vœux et soufflent dans leurs mains afin qu’ils te rejoignent, ces vœux, que tu les prennes en ton sein, y apportes tout le soin dont tu es capable. Sans doute pensent-ils que tu pourras les exaucer. As-tu de réels pouvoirs ? Nombreux sont ceux, celles, qui paraissent rechercher ta compagnie. Ton anatomie brillante sous le ciel de plomb est-elle un miroir dans lequel, leur image se reflétant, ils en tireraient un assuré bonheur ? Parfois, en automne, je m’amuse à regarder les longs convois de feuilles mortes qui escortent ton voyage. Ils font des genres de tresses du plus bel effet dont tu ne sembles prendre nul ombrage. Oui, tu es bien Mystérieuse, Toi que parfois je nomme ‘La Passante du Sans-Souci’, pensant au beau roman de Joseph Kessel. Tu sais, le Narrateur depuis le bistrot du ‘Sans-Souci’ à Montmartre, voit passer une belle Inconnue qui semble être égarée. Il est comme fasciné par cette image, tout comme je le suis par la tienne qui s’imprime sur mes rétines avec la force des rencontres soudaines qui mettent le cœur en émoi.

   Ne sois pas surprise par mon trouble. Nombre de mes amis m’ont dit la vie tumultueuse qui a été la tienne bien avant que je ne te connaisse ou essaie d’y parvenir. Tu fus, jadis, on me l’a affirmé, la Muse, sinon la Maîtresse des peintres impressionnistes, au nombre desquels on ne compta pas moins que les prestigieux Monet, Renoir, Sisley, Pissaro. Excuse du peu ! Mais les arts plastiques ne semblaient te suffire, tu élargissais tes subtiles ondes aux grands noms de la littérature, Balzac, Flaubert, Apollinaire, Aragon. Fallait-il que ton charme ait eu des échos, ton talent de profondeur, tes atours d’attraits ! Je m’égarerais presque à épeler tous ces noms, à faire l’inventaire de tous ces Prétendants. Je pourrais même être jaloux, te taxer d’infidèle, moi qui te fais, tous les jours qui passent, une cour silencieuse mais non moins assidue ! Je pourrais même abandonner le Quai aux Fleurs et aller me perdre en quelque coin de nature, peut-être sur le Plateau de Langres, les collines de la Brie et méditer sur l’infidélité, tâcher d’en percer la nature, d’en deviner les motifs.

   Quelques uns de mes plus sincères Amis m’ont assuré qu’ils t’avaient vue, étincelante, une parure d’or ceignant ton cou,  depuis la ruine du Château-Gaillard aux Andelys ; d’autres qu’ils t’avaient surprise, lascive, voluptueuse, épousant les méandres aux alentours d’Elbeuf ; d’autres encore t’ont observée depuis les tours de la Cathédrale de Rouen, partie pour de bien étranges pérégrinations qui n’avaient nullement la piété pour but ; à d’autres enfin tu dévoilas ta plus exacte nudité, dans le rayonnement de lumière de l’estuaire à Honfleur. Mais j’arrêterai ici ce qui pourrait bien te faire croire qu’il s’agit d’une enquête policière, de la filature d’un détective ou bien, plus simplement, de la conduite d’un Amant éconduit en proie à quelque vengeance. Crois-moi, je ne suis rien qui pourrait m’approcher de ces sombres et mystérieux personnages. Je suis tout simplement fasciné par les mille visages qui sont les tiens au fil de l’espace et du temps, fasciné par ton beau corps qu’on croirait fluvial telle la belle Ophélie dérivant dans sa robe de brume au fil des eaux. Et, pour me faire pardonner ces pensées flottantes ne reposant sur à peu près rien de stable, voici que je t’offre le beau poème de Guillaume Apollinaire, cet amoureux de Paris dont il connaissait le moindre recoin. Peut-être t’y reconnaîtras-tu ? Peut-être, un jour, depuis mon balcon du Quai aux Fleurs, me diras-tu ton secret ? Je t’embrasse, tel le Marinier les flots qui le portent.

 

‘Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

 

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure’

 

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

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28 septembre 2020 1 28 /09 /septembre /2020 08:59
« Et ton pas rapide… »

Georges Braque.

Source : Panorama de l’art.

Un bref commentaire

Sur une poésie de

Nathalie Bardou.

   *

« Et ton pas rapide

Dans la foule,

Cette foule comme oiseaux à terre,

Ton pas

Et

Cette main de silence

Déchirant

Le langage.

Sur ce contre nous

La parole du ciel

Le mot sans contour

Lente glissade

Alors qu’alentour

Bruissaient les transparences.

Ce temps

Dévoilé

Ce temps-éclair

Dont je sais l’empreinte

Aux ravines d’un regard.

Ce temps qui dit

Qu’il n’est d’autre recours

Qu’un aller vers

Ce qui n’a pas de murs

Ni d’expression

Vers

Qui n’existe

Que dans ta voix

Posée sur mon visage. »

Nathalie BARDOU 29 avril 2015.

***

Voici une poésie infiniment précieuse. Entendez « à laquelle nous sommes attachés », non à une quelconque « préciosité » qui en affadirait le sens. Les métaphores y sont belles, empreintes d’une étonnante sensibilité. Nous lisons et, soudain, nous sommes ailleurs. Comme « oiseaux à terre » médusés d’y être, en même temps que ravis. Maîtriser ciel et terre. Même les dieux ne peuvent y prétendre qui vivent dans le seul empyrée. Et, à cette subtile maîtrise, la poétesse s’entend avec un rare bonheur. Bonheur du verbe qui porte en lui une pluralité de sèmes ouverts et nos yeux se décillent et nous voyons au loin. Nous sommes alors « aux ravines du regard », tout au bord de l’abîme, tout près du rien par lequel s’ouvre toute poésie. Car celle-ci ne saurait naître que du silence, cette « main de silence » qui nous modèle au rythme de la parole, de « la parole du ciel ». Y aurait-il plus belle image pour dire l’arche immensément déployées du langage, l’appel à la transcendance qu’est tout dire essentiel ?

Il faut reprendre : « Et cette main de silence déchirant le langage ». Combien l’expression est heureuse pour nous arracher à nous-mêmes, êtres de langage qui, habituellement, déchirons les mots à l’aune de perditions mondaines. Alors qu’ici, c’est de l’exact opposé dont il s’agit. Nous sommes conviés à ôter le voile, à le déchirer afin que la vérité de la poésie soit atteinte, le seul lieu où elle puisse résider. C’est lorsqu’il est débarrassé des compromissions et des faux-semblants, que le langage peut faire son bruissement et nous livrer ses « transparences », car le mot du poète ne peut être que cela, pur cristal qui vibre à l’unisson de l’âme. Faute de cette sublime oscillation, il tombe dans la prose et bientôt le bavardage. Et, alors même que le poème avance vers son royaume, ces gemmes qui illuminent l’esprit et le portent à l’incandescence, voici que se dévoile « ce temps-éclair » tout entier pénétré du feu de la révélation et le dire est l’égal de Zeus, le dieu du ciel. « L’œil de Zeus voit tout, connaît tout », disait Hésiode. Omniscience de Zeus, omniscience du langage par lequel l’homme connaît et assure son destin parmi les créatures terrestres. Il est le seul à posséder le langage. Il doit être celui qui chante le poème en direction du ciel.

Non, nous n’avons pas quitté le poème, ce poème, nous l’avons installé dans les seules assises dont il peut être doté, à savoir de magnifier les mots aussi bien que les idées afin de les amener à parution dans le dire exact qui dit l’être et seulement l’être. La poésie est le lieu de l’être, mais ce lieu est sans lieu, sinon il tomberait dans l’existence et ne serait que chose parmi les choses. C’est pour cette raison essentielle « qu’il n’est d’autre recours qu’un aller vers ce qui n’a pas de murs », à savoir ce « là qui n’existe que dans ta voix ». Cette voix n’est sûrement pas « humaine trop humaine » encore qu’un existant puisse porter la voix, cette marque insigne de l’homme, la faire briller à son acmé. Cependant, il nous plaît de penser que ce « là » est le lieu d’une infinie présence : celle de l’être qui nous porte au-devant de nous, nous disposant au-devant de lui. La Poésie avec une Majuscule est ceci même qui nous ôte à nous-mêmes et nous remet au monde dans la plus belle justesse qui soit. Cette poésie disant l’essentiel dans une langue quasiment originaire - silence, langage, parole, ciel, transparence, dévoilé, temps-éclair, regard, aller vers, ta voix, mon visage -, cette poésie, donc, porte en elle l’empreinte d’un vide, d’un souffle, d’un rythme qui la met au diapason de l’univers. A nous de boire l’ambroisie tant que nos langues peuvent s’y abreuver. Ainsi naît toute joie !

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Published by Blanc Seing - dans Microcosmos
27 septembre 2020 7 27 /09 /septembre /2020 09:20
Blanche uniment.

« Mariage (en) blanc ».

Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

« Je voudrais quelque chose qui n’eût pas besoin

d’expression ni de forme, quelque chose de pur comme un parfum,

de fort comme la pierre, d’insaisissable comme un chant,

que ce fût à la fois tout cela et rien d’aucune de ces choses ».

 

Gustave Flaubert - Mémoires d’un fou.

 

 

 

 

   Avant que le monde n’existe.

 

   Pouvez-vous au moins imaginer une vaste surface plane, sans début ni fin, un genre de taie immense, vierge, dépourvue de la moindre trace, libre de toute empreinte, semblable à la toile d’un peintre qui n’aurait pas encore subi les assauts du pinceau ou du crayon ? Son essentiel caractère, bien qu’elle ne soit nullement encore affectée d’un prédicat, le silence avec ses boucles, ses ellipses, ses rotations infinies autour de son propre mystère. Mais à quoi donc peut bien penser cette lisse plaine immobile sinon au vertige de sa propre vacuité ? Silence contre silence. Donc absolu se tutoyant lui-même. Mais, en réalité, est-il si confortable d’être dans l’inapparent, l’ineffable, l’indicible, la pure virtualité s’abreuvant au vide qui en tisse l’être ? Bien évidemment, méditant en tant qu’hommes, nous ne pouvons que projeter nos propres inclinations, ourler de notre coruscant désir ce Rien qui n’existe qu’à l’aune de sa propre vacance. Mais, parfois, il suffit de tendre l’oreille de son intellection pour saisir l’insaisissable en son étonnante énigme. Oui, approchez donc, décillez votre âme, faites-en le réceptacle d’une souveraine confidence. Voici que les mailles du silence se distendent. Voici qu’elles se mettent à proférer à voix basse comme des enfants aussi naïfs qu’innocents, sans doute inconscients de la nature de ce qui les habite et les portera bientôt au seuil d’un déploiement. Mince injonction qui s’immisce entre les lèvres blanches pareilles à une fragile porcelaine. Ce qui s’est annoncé, ceci : la blancheur veut connaître la couleur, veut éprouver la vibration de l’arc-en-ciel, faire tourner la roue polychrome de l’exister. Si douloureux de demeurer au centre de ce point fixe et de n’en jamais percevoir le cercle lumineux qui se teinte de bleu le matin, de blanc à midi, de rouge le soir dans la chute du crépuscule. Si éprouvant !

 

   Zeus.

 

   Zeus, tout en haut de l’Olympe, parmi les hauteurs grises des brumes, les déflagrations convulsives des éclairs, les hoquets des nuages, les sourdes rumeurs du tonnerre, les cataractes de pluie, les congères de neige, le vent des bourrasques, la précipitation des trombes, Zeus perçoit tout, y compris les suppliques des humains, les mots cotonneux du silence. Hésiode n’a-t-il pas dit : « L'œil de Zeus voit tout et perçoit tout » ? C’est, en effet, la moindre des vertus que l’on peut accorder à un dieu, surtout lorsque ce dernier est le premier d’entre eux. Donc, le Maître des lieux confia la difficile tâche d’animer le Rien à deux de ses comparses et non des moindres. Nous avons nommé, par ordre d’entrée en scène, le turbulent Dionysos et le sage Apollon.

 

   Dionysos.

 

   Conforme à son caractère aussi rustique qu’impétueux, le dieu des fêtes bacchanales, des excès, de l’ivresse, le dieu de la vigne et des débordements du corps ne pouvait guère faire mieux que d’offusquer le silence, que de métamorphoser la blancheur en ce qu’elle n’était pas, à savoir une débauche de couleurs et de formes sans pareilles. L’on ne sait si le pétulant Vinicole se servit de grappes mûres à souhait, de sève, de sang ou bien d’urine, tous fluides dont il était l’ordonnateur habituel, mais ce dont on s’aperçut sans délai c’est que la toile vierge était bientôt maculée jusque dans ses moindres recoins. S’y illustraient des arborescences complexes, des végétations exubérantes, des nymphes enlacées à des satyres, des boucs aux fragrances musquées, des taureaux à l’énergie noire, des femmes aux croupes rebondies, des hommes aux sexes virils, des êtres hybrides que l’extase emportait dans de bien étranges chorégraphies. Zeus, alerté par tant de démesure, par tant de puissance formelle, par tant de complexités labyrinthiques, par cette fièvre intensément colorée à laquelle Dionysos avait donné sa sève intime, ordonna sur-le-champ qu’on revînt à l’esprit, sinon originel, du moins à une plus juste mesure des choses. Apollon fut donc commis à la restauration de l’œuvre entreprise par son coreligionnaire. Il y avait fort à faire !

 

   Apollon.

 

   Il va sans dire que le divin Apollon commença par annuler tout ce qu’avait fait le tumultueux Dionysos. De son arc d’argent il décocha une flèche qui porta tout au blanc, cette couleur qui n’en était pas une et les contenait toutes du fond de sa réserve. La seconde flèche dessina un objet rituel, sans doute celui qui préside aux cérémonies du mariage, un bénitier accompagné de son goupillon. Sa couleur en était si atténuée qu’on l’aurait dite d’un vieil or inclinant vers le platine. La troisième flèche traça sur le lisse du sol la silhouette du goéland, cette belle harmonie, ce subtil équilibre entre l’écume éblouissante et le galet qui borde le rivage de sa lumière de cendre. Enfin, la quatrième flèche fit se dresser la belle effigie de Blanche, cette manière de déesse qui semblait flotter dans l’ombre d’un regard, dans la fragilité d’une brume, dans l’auréole de clarté, dans l’aura que possède naturellement, avec grâce, la belle âme qui en est l’émettrice. A la contempler, tout ceci paraissait tenir du prodige. La boule des cheveux était une buée en sustentation au dessus du visage si blanc qu’on l’aurait dit de porcelaine, identique à ces poupées qui trônaient sur une antique crédence dans la clarté en demi-teinte d’un corridor élisabéthain. Les épaules étaient une étole si pâle, sans doute destinée à l’accomplissement d’une liturgie intime. Tout ceci fleurait tellement le recueillement, l’exception de vivre, le sacré et l’on demeurait interdit à l’entrée de la citadelle inconnue. Etait-elle au moins réelle cette jeune Eclosion ? Elle était à peine née. Avançant dans la vie sur la pointe des pieds, telle une ballerine. D’ailleurs n’était-ce pas une blanche chorégraphie ourlée de solitude que cette persistance à être dans le dénuement, l’à-peine diction d’un songe, la fuite dans la fente du temps, la nuance grise, illisible de l’espace ?

   On était captivés. On était cette double pointe brune des seins, ces sémaphores discrets demandant en silence. On était cette fosse minuscule du nombril et l’on entendait son propre glougloutis de source, cette lointaine effervescence pareille à une voix pliée dans l’ombre d’une crypte. On était la douce faille du sexe cernée de rosée, cette double éminence qui fuyait à même le haut des jambes comme pour chercher refuge dans la virginité, cette assurance de demeurer en soi, dans le réconfort de son bastion, de s’abriter des regards, de la curiosité, des fictions qui pouvaient s’y inscrire à la manière d’une douloureuse effraction. On était les deux globes des genoux, ces impénétrables planisphères qui ne voyageaient qu’à l’aune de leur fermeture. On était, enfin, ces fines chevilles qui disparaissaient dans l’imperceptible matière fluide d’un étang comme si la question de l’être se refermait dans cette évanescence même.

 

   Blanche en sa blancheur.

 

   Apollon avait rempli sa mission au-delà de toute mesure. N’était-il pas ce dieu de l’harmonie universelle, céleste et terrestre à la fois, ce dieu investi du sens du rythme ? Il avait célébré la blancheur, tel le symbole inégalable qui se révélait au regard des Attentifs. Oui, le BLANC comme tremplin des significations. Le blanc comme langage en son attente. Le blanc comme signe premier avant que ne paraissent les autres signes, la beauté, l’amour, l’art en ses infinies déclinaisons. « Quelque chose qui n’eût pas besoin d’expression ni de forme », nous suggérait Gustave Flaubert. Sans doute visait-il la même finalité. Le sans-parole, le sans-forme, tels que donnés dans l’amplitude de la blancheur, c’est l’ouverture même à l’être selon sa polyphonie, sa polychromie, son inépuisable chatoiement. Il n’y a que les Inquiets et les Pressés qui réclament l’éventail des teintes, la corne d’abondance des odeurs, la multitude des saveurs, le fourmillement des choses en leur don prodigieux. Alors ils se précipitent. Alors ils choisissent la première forme venue, le premier désir, la première certitude d’être rassasiés : telle fleur, telle amante, telle couleur dont ils font leur emblème pour la vie, comme s’il y avait péril à ne pas posséder dans l’immédiateté de la décision. Ils sont haletants sur le bord du vide. Ils sont assoiffés sur la margelle de la fontaine. Ils sont dans l’urgence d’être.

   Oui, Apollon, ce dieu sublime, sans doute le plus précieux de tous avait œuvré depuis le centre de son génie en direction de ce qu’il avait à saisir d’essentiel. Il avait posé le BLANC comme le fondement premier à partir duquel tout trouvait sens et pouvait rayonner tel l’arc d’argent qui était l’un de ses attributs les plus remarquables. Voici que le blanc délivrait toute sa merveilleuse teneur, se montrait en tant que la manifestation la plus subtile dont le réel pouvait témoigner. Apollon n’était-il pas brillant comme la Lune dont la livide blancheur signe l’irremplaçable présence dans la nuit tachée d’encre ? Dieu solaire, ne diffuse-t-il point cette éclatante couronne pareille à la neige ? La grande étoile qui règne au milieu du ciel possède toujours cette lactescence inaltérable. « Couleur » céleste par excellence. Le rouge, le jaune qui, dans le cours de la journée en modifient l’aspect, ne sont nullement des propriétés immanentes à leur objet, seulement des variations terrestres en altérant la pure manifestation. Unique vibration du blanc. Parmi les animaux consacrés à Apollon, que dire du majestueux dauphin, que convoquer pour décrire les cygnes sacrés qui firent sept fois , en chantant, le tour de l’île flottante, sinon porter à la vision le reflet irisé, opalin dont le dieu diffuse à l’envi l’énergie inépuisable ? Ne vient-il pas du pays des Hyperboréens, là où brille l’astre du jour, où s’élèvent les cathédrales d’ivoire des glaciers, ces géants qui redoublent l’esprit de la blancheur en raison même de leur transparence ?

 

   Tant d’immaculée présence.

 

   Mais combien nos arguments sont faibles au regard de la riche symbolique apollinienne. Combien notre vue est prise de cécité à seulement essayer de scruter tant d’immaculée présence, tant d’irradiation immédiate. Le registre divin est si éloigné du nôtre qui balbutie et cherche laborieusement, dans les mots parfois épuisés d’avoir trop servi, le lexique fabuleux qui permettrait d’en approcher la quintessence. Nous sommes parfois aussi grossiers et rustauds que Dionysos chevauchant son bouc ou son âne à la recherche de quelque outre emplie de vin afin de connaître les promesses magiques de la « dive bouteille». Ce détour par la mythologie n’avait pour but que de porter à la lumière (dont Apollon est le parfait blason), d’abord la beauté simple d’une œuvre, ensuite de faire du BLANC la source d’une brève réflexion. Disant ceci, la nécessité de partir de la simplicité de ce qui se soustrait en s’offrant (peu sont sensibles à la valeur du blanc), nous naviguions de concert avec ce grand réaliste au regard si lucide, magnifique prosateur de « L’éducation sentimentale ». Nous ne faisions que souligner la chose informelle, qu’évoquer la pureté d’un parfum, porter au regard la certitude de la pierre, distiller un chant sans doute inaudible, invisible. C’est de tout cela que le blanc est porteur, souvent à notre insu. Nous naissons tout juste à en deviner la singulière faveur. Toujours nous attendons l’aube (étymologiquement « blanc ; « clair »), cette première levée d’une écume dans la joie de l’heure. Mais, parfois, ne le savons-nous pas !

 

 

 

 

 

 

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