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5 novembre 2020 4 05 /11 /novembre /2020 08:46
Joie, uniquement joie

      Mesures de l'Hymne à la joie de Beethoven

 

***

 

 

  «joie », on prononce le mot, seulement, on le prononce avec une minuscule et rien ne nous parle et ce mot, tel un autre, se fond déjà au milieu des turbulences du lexique humain. Puis on dit « Joie » et alors tout s’éclaire et cette simple énonciation nous porte en dehors de nous, en des espaces qui nous sont inconnus, dont nous soupçonnons qu’ils ont une inestimable valeur. Alors nous nous enhardissons, gonflons notre poitrine et proférons le mot « JOIE », tout en Majuscules et c’est comme un vaste horizon solaire qui nous enveloppe et nous dit la radiance du jour, son coefficient d’inépuisable ressourcement. Ce mot est si ample, si majestueux, que nous clignons des yeux, ne pouvant soutenir, en un seul empan du regard, sa totale plénitude. C’est ainsi, parfois le langage, fût-il constitué d’un vocable simple, nous questionne infiniment et nous invite à la fête indicible de la compréhension. Alors il nous faut creuser, interpréter et donner ainsi des gages à notre éternelle soif de connaissance. Ne le ferions-nous point et nous serions semblable à l’animal en quête de sa seule proie, à la plante demandant sa terre et son eau.

   Donc nous disons « JOIE » et déjà nous savons que nous ne sommes  plus dans la coursive étroite du quotidien. Une autre dimension s’est ouverte à laquelle nous sommes conviés, sans possibilité aucune de nous y soustraire. C’est la loi de notre essence que de nous constituer en tant que pensants, ce dont nous devons assurer la charge. Ce mot est habité d’une telle phosphorescence que, de partout, il déborde le cadre de notre sensation. Il se dilate et se donne tel un oiseau des cimes qui flotterait haut, gorge blanche épanouie tout contre le dôme d’azur. Un vol si hauturier que nous serions saisis de vertige à la seule pensée de l’envisager, c'est-à-dire de lui donner visage. Car donner sens est toujours donner visage. Que serait, en effet, quelque réalité - pierre, feuille, fleuve -, sans qu’un visage, une face, puissent leur être accordés comme le fanal par où les reconnaître ? Oui, les choses ont un visage, grâce auquel nous les reconnaissons et les plaçons à l’endroit exact de leur vérité.

   Mais la « JOIE », qu’en est-il de la « JOIE », si ce n’est chercher à se saisir d’un fantôme qui, partout recule, et dissimule les contours de son être ? Car toute JOIE est abstraite, n’est-ce pas ? Qui donc, un jour, pourrait se vanter de posséder la JOIE, tout comme l’on possède une pierre précieuse ou bien une automobile ? JOIE est pure abstraction. Ce faisant il nous est demandé de lui attribuer une présence identique à un objet. Donc nous disons : «Cette pomme est JOIE » ; « Cette Belle est JOIE » ; « Ce tableau est JOIE ». Nous, en tant que Sujets, visons l’objet JOIE à la mesure de notre conscience intentionnelle. Nous lui conférons site, présence et l’amenons sur le plan d’une possible réalité. Et le sens qui résulte de notre confrontation à la JOIE est simple passage de nous à elle, passage qui nous détermine tous les deux comme deux vis-à-vis dont les êtres coïncident l’espace d’un instant. Toujours fugace car il est dans la nature de la JOIE de ne point durer. En serait-il autrement que son essence hypostasiée se confondrait avec l’arbre ou la racine ce, qu’évidemment, jamais elle ne consentirait à être. Car la JOIE a une volonté, celle de rencontrer un étant afin que, conduit à son ultime accomplissement, ce dernier puisse découvrir l’être qui lui est consubstantiel et le fait tenir debout parmi la multitude des phénomènes terrestres.

   Disant la JOIE, nous disons toujours en dehors de nous pour la simple raison que nous ne nous croyons nullement éligibles au titre d’une telle félicité. La visant, nous croyons parler de Pascal et de son Mémorial « Joie, joie, joie, pleurs de joie », paroles surhumaines adressées à son Dieu. Nous croyons parler de Zarathoustra, de son chant au sein duquel  « TOUTE JOIE VEUT L’ÉTERNITÉ ». Nous croyons encore parler de Spinoza pour qui « la joie est le passage de l’homme d’une perfection moindre à une plus grande ». Nous croyons parler de Beethoven transcrivant en symphonie le poème de Schiller. Mais qu’en est-il de l’homme ordinaire qui, lui aussi, voudrait approcher cette expérience de la JOIE ?

   Alors nous pensons à l’humble, au simple. Nous pensons au jardinier qui abrite amoureusement ses semences du vent et du froid, les flatte du creux de la paume et sent le végétal rayonner en lui, déployer ses ramures de chlorophylle à l’intérieur de son corps : JOIE.

   Alors nous pensons au potier qui façonne un vase. Ses mains sont si intimement liées à la matière qu’il fait corps avec elle, comme si aucune division ne s’instaurait entre la chair et la chose produite : JOIE.

   Alors nous pensons à l’enfant qui caracole et s’envole en imaginaire avec son cerf-volant bariolé : JOIE.

   Bien des penseurs prétendent que la JOIE est immanente à sa propre essence, qu’elle n’a nul besoin d’un objet en vis-à-vis afin de paraître. Clément Rosset abonde dans ce sens en affirmant que : «…la joie est un plein qui se suffit à lui-même et qui n’a besoin pour apparaître d’aucun apport extérieur». Ainsi, un homme dans le secret de sa chambre connaîtrait cette sublime ascension-expansion sans que quelque objet que ce soit n’en ait déterminé l’apparition et le cours. Mais, ici, c’est faire abstraction de toute l’empirie humaine, postuler l’existence d’une conscience vierge du monde, de toute forme préalable, sur laquelle soudain s’imprimerait l’ineffable et sourdrait, à la manière d’une eau fossile mise au jour, délice et volupté, sans raison, en quelque sorte simple phénomène dépourvu d’un enchaînement de causes et de conséquences.

   Mais cette abondance, ce soudain excès ontologique ne naissent pas d’une façon spontanée car, alors, il faudrait supposer la brusque émergence d’une « crise mystique » ou bien d’un acte de piété qui en révéleraient la prodigieuse apparition. Bien plutôt il semble toujours s’agir d’expériences intériorisées qui n’attendaient que l’instant de leur résurgence. Une sorte de « Petite Madeleine » faisant sa belle éclosion au plein d’une profondeur bouleversée. C’est parce que, dans le pli de notre être, subitement, le processus des affinités avec le monde a trouvé sa correspondance, son union, que le sentiment de cet envahissement heureux peut se produire et nous ébranler. Nous ne pouvons donc écrire, simplement, toute Joie, Joie dans le genre d’un pur jaillissement dont jamais on ne pourrait connaître le lieu de la provenance. Tout au plus pourrions-nous écrire Toute JOIE ne survient qu’à la condition d’y avoir été préparée. Toujours nous sommes disponibles pour son accueil. Toujours les mains de l’homme sont ouvertes qui attendent les offrandes. Toujours !

  

 

 

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3 novembre 2020 2 03 /11 /novembre /2020 08:40
En chemin

« Le chemin le plus long

     est celui où l'on marche seul »

  Œuvre : Dongni Hou

 

***

 

 

Le chemin le plus long

 

Disait-elle

Et elle demeurait en silence

Sur le bord du cadre

Blanche dans sa pose virginale

Si peu affectée par les lunaisons

La chute du givre sur le lac

La fuite des jours

Sur l’infinie corolle de l’heure

La perte du soleil

Derrière l’adouci de la dune

 

Est celui où l'on marche seul 

 

Répondait Echo

Disaient les nuages aux lèvres d’albâtre

Répétaient les Oiseaux de Paradis

En leur élégante parure

Sussuraient les grillons

Aux noires tuniques

Depuis leurs trous

Où l’air stridulait pareil à

Une garnison

De lucanes cerfs-volants

 

 

Le chemin le plus long

 

Disait-elle

 

Est celui où l'on marche seul 

 

Répondait Echo

 

 Et Blanche en sa stupeur

De Jeune Apparition

Tendait l’oreille

Mais Echo ne lui renvoyait

Rien d’autre que sa propre image

Narcisse en sa boîte

Esseulée en sa pure présence

Cet à peine paraître

Dont elle était

Le touchant lumignon

L’étincelle venue

Du plus lointain des âges

Une beauté en soi

Qui n’avait nul besoin

De faire effraction

Dans le Monde

 

***

À elle seule elle était

Presqu’île Île Continent

Elle était Cosmos ordonné

Ciel d’Etoiles

Et de brillantes Planètes

Elle était qui elle était

En son unique splendeur

 

Le chemin le plus long

est celui où l'on marche seul 

 

Elle marchait en elle

Au devant d’elle

Derrière elle

À côté d’elle

Dans toutes les voies

De l’espace

Car elle était

Une

&

Multiple

Avançant dans les belles contrées

De la Terre

Cette Disposée à bien être

N’épuisait jamais les formes

Selon lesquelles elle apparaissait

Car Seule elle était l’Autre

À seulement l’évoquer

À seulement en penser

L’irréfragable esquisse

 

***

 

Sa modestie de Blanche

Enclose en son cadre doré

Elle en excédait

Toujours les limites

Cheveux d’or

Robe de Communiante

Bras unis qui tenaient

La plante urticante vénéneuse

Elle en adoucissait

Les coupantes morsures

Les métamorphosait en baume

Elle Blanche Solitude

Qui tenait en soi

Tous les pouvoirs

Du Monde

Être Soi

Être l’Autre

Être Ici et Là-bas

Dans l’instant qui naissait

Être le Temps

Qui est Soi

Qui est l’Autre

Dans l’inouï événement

De la présence

Oui

De la

Présence

Unique

Multiple

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2 novembre 2020 1 02 /11 /novembre /2020 09:33
Coefficient de silence

  Arunachala, Tamil Nadu

 

   Photographie : Thierry Cardon

 

***

 

Le Seigneur Shiva a déclaré:

« Quiconque regarde cette colline

d'où elle est visible

ou même la pense mentalement de loin

peut atteindre ce qui ne peut être acquis

sans grandes douleurs -

la véritable portée de Vedanta

(réalisation de soi)».

 

Arunachala Mahatmyam

 (Skanda Purana)

 

*

 

   Nous regardons cette image et nous disons sa grande pureté. La pointe de la montagne s’élève dans le ciel teinté de gris et devient presque invisible. C’est là le destin de toute hauteur insigne que de s’évanouir à même son céleste voyage. Nous regardons et nous rêvons puisque toute activité onirique est par essence si diaphane que seul l’évanouissement peut en témoigner. Non en rendre compte  car alors il s’agirait d’une rationalisation, d’un début d’explication et la Nature en sa grandeur se livre seulement à l’intuition, échappe aux calculs, se dissout dès lors que l’on veut en saisir la spatialisation, en fixer la temporalité. C’est ainsi, certaines réalités n’infusent  la lactescence des étoiles et les mystères de la cosmologie qu’à devenir illisibles et muettes, clouées d’un éternel silence. Certes, bien des tentatives auront lieu, de l’ordre du chant sacré, du magistral poème, de l’indéfinissable méditation pour accéder à ces cimes qui toujours se soustraient à la vue au prétexte d’un nuage, d’un mince brouillard. Mais l’estompe n’est nullement matérielle qui pourrait se donner en tant qu’entité physique, elle est bien plus tissée de spiritualité, de fils de la Vierge, de choses qui nous échappent et ne savons nommer. De riens, en quelque sorte. De néant vêtu de transparence. D’apparitions-disparitions qui clignotent tels d’inutiles et risibles sémaphores.

   Ici, depuis ce modeste appentis gravissant au gré de ses balustres tournées les degrés qui mènent dans quelque domaine situé au-delà de nos communes préoccupations, nous sommes en attende de l’indéfinissable. Je ne sais si ce réduit est l’ermitage du sage Ramana Maharshi, ce que je sais cependant c’est que cet homme dont le but était de réaliser son Soi ici et maintenant, se contentait de ce qui venait à lui comme la source surgit de terre dans la grâce du jour. Sans effort. Sans paroles. Sans bruit. Peut-être toute vérité est-elle assimilable à cette simple métaphore de ce qui coule de soi et ne demande rien d’autre que de couler, de faire sa rigole inaperçue parmi les tiges où habitent les lucioles.

   Nous, les Occidentaux, nous les couchés sous l’astre déclinant, sommes facilement aveuglés par la première illusion qui tremble à l’horizon. Il nous faudrait nous « orientaliser », remonter à l’origine du jour, éprouver le bleu glacé de l’aube, puis le sang rubescent de l’aurore, puis le blanc du zénith comme des phénomènes qui, non essentiellement nous seraient extérieurs, mais comme des états internes qui trouveraient leur écho dans la grande giration universelle. C’est parce que nous ratiocinons et argumentons, nous dispersons en vaines paroles que nous établissons une limite, traçons une frontière entre le dehors et le dedans, disons le sujet ici, l’objet là. Il faudrait écrire le réel avec un seul et unique bout de craie qui ferait le tour de la Terre et gagnerait la froide nuit cosmique. Il faudrait !

   En réalité il n’y a nulle différence, nulle césure qui place le soleil, loin là-bas dans son inaccessible forme, alors que la nôtre, forme humaine, serait à mille lieues d’en pouvoir éprouver la belle et infinie présence. Le soleil à l’aube, c’est NOUS en notre pause hésitante avant que le monde ne s’agite. Le soleil à l’aurore, c’est encore NOUS et notre rivière de sang qui s’impatiente de faire son flux écarlate. Le soleil blanc au zénith, c’est encore NOUS quand la connaissance nous illumine de l’intérieur et nous porte à l’incandescence. Bien évidemment, poser une égalité du soleil et de son propre Soi, en termes de rationalité, serait pure démence ou bien paranoïa portée à l’acmé de sa propre puissance.

   Ce qui est à saisir, simplement, c’est que nous sommes toujours auprès du monde, nous sommes ce fragment qui trouve sa correspondance dans les yeux aigus des étoiles, les spores infinies de l’amour, les œuvres d’art qui flamboient aux cimaises des musées. Nous ne pouvons nous en détacher qu’à éprouver matériellement notre finitude. Vivants, nous sommes reliés, infiniment reliés à tout ce qui croît sous le ciel et, aussi bien, végète sous les plis de la glaise. Pourquoi donc serait-il nécessaire d’exercer notre volonté (le plus souvent de puissance) pour gagner l’écrin qui, un jour, nous a été offert comme le lieu de notre existence ?

   C’est à force de concepts, de procès d’intellectualisations, d’édifications de catégories, d’élévations de prédicats que nous nous sommes séparés d’avec le monde. Regardez donc le bouton de rose dans sa belle innocence. Vous demande-t-il donc de produire un effort afin d’en rejoindre la beauté ? Certes, non, la beauté se donne à la seule condition que le regard soit éduqué à en saisir l’exception. Être éduqué est plaisir, non nécessité. Il semblerait que cette évidence se soit perdue, comme certains ruisseaux disparaissent soudain pour ne jamais connaître le lieu de leur résurgence.

   Cette image est calme, empreinte de douceur. Elle ne témoigne d’autre chose que d’elle-même. Il suffit d’un simple acte de vision pareil à celui de la déglutition ou bien d’une sensation à fleur de peau. Le « lâcher-prise » est à la mode, c'est-à-dire qu’il n’est l’adjuvant d’un rapide bonheur que pour ceux qui croient aux artifices et aux ficelles qu’il suffit de tirer pour faire s’agiter la marionnette humaine. Encore une fois, il n’y a rien d’autre à faire que d’être totalement présent, sans reste, sans quelque lambeau de peau qui demeurerait en arrière de nous dans un pseudo-monde ne vivant que d’artifices et de faux-semblants. Être présent est ceci : l’emplissement de sa conscience hors toute règle, hors toute injonction.

   La conscience a à être libre si elle veut s’affranchir de tous les conditionnements qui en obèrent le souple cheminement. Il n’y a pas d’exclamation de joie ou bien de manifestation d’étonnement dans le simple fait de regarder un spectacle qui porte en lui une manière de ravissement. Il y a simple jonction de la « chose » à Soi et toute considération ne peut être qu’adventice. On disait  Ramana Maharshi comme indifférent au monde alentour, immobile, peut-être perdu dans ses pensées.

   C’est bien là la force d’une vraie et authentique spiritualité que de fusionner entièrement avec ce qui est présent. La rivière s’écoule, l’air frissonne, le soleil chauffe et le Sage navigue de conserve si bien qu’aux yeux des sophistes il semble absent du monde. Mais c’est bien du contraire dont il s’agit. Il est dans chaque chose, il est la manifestation même des processus avec lesquels il vibre, est en harmonie, en symbiose. Le divers alors s’efface pour laisser la place à l’unité. Il n’y a plus d’agora bruyante nécessaire pour que quelque chose se dise qui fixe la quadrature de l’être. Celle-ci va de Soi et se confond avec sa propre essence. Voilà, rien d’autre à éprouver qu’un éternel silence et les oiseaux croiseront dans le ciel et les nuages feront leurs voiles indistincts et les algues flotteront à mi-eau. Voilà : faire SILENCE !

   

 

 

 

 

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1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 09:27
Lumière de l’absence.

La luce dell’assenza…

Œuvre : André Maynet.

 

   On était trois Hagards à marcher sur le chemin de poussière dans ce pays de pierre et de vent. Le vent soufflait avec force, traversait les vêtures, remontait le long de la jointure blanche des os, s’immisçait dans la toile des aponévroses, vibrait dans l’étoilement des dendrites. C’était comme d’être envahis de l’intérieur par quelque force mystérieuse, un abrasant tellurisme qui vous dépossédait de votre propre corps. C’est à peine si on tenait dans sa voilure de peau et on flottait longuement dans l’air bleui de fraîcheur. Parfois on s’arrêtait au bord d’un ruisseau, on buvait de longues goulées d’eau fraîche, on mâchait quelques racines de gentiane et l’on repartait avec, dans la bouche, l’amertume du jour à paraître. Les articulations grinçaient, les genoux ployaient sous la fatigue mais il fallait continuer à avancer, à creuser sa voie dans le corridor du Destin qui, peu à peu, se resserrait comme pour plonger dans la gorge sombre d’un puits sans fin. On arrivait bientôt en haut d’une crête. Face à nous un cirque de collines planté d’euphorbes et de broussailles vives. Puis, en bas, dans la vallée, un large tumulus sur lequel repose le Bourg, genre de forteresse médiévale rongée par la lèpre et l’humidité. Partout poussaient les vrilles du lichen, partout les murs usés par les siècles se délitaient, se déchaussaient comme d’antiques incisives sur une mâchoire percluse de vieillesse. Empilement de ruines comme dans les gravures antiques à l’enclin si métaphysique qu’on eût pensé à une allégorie, non à une réalité architecturée.

Maintenant on est sur une plage de graviers et de galets face au Pont du Diable dont l’arche haute enjambe la rivière. Face à nous les trous réguliers des fenêtres dans les hauts murs. Les trous noirs, pareils à des regards vides, à des bouches édentées à l’haleine froide, aux remugles semés de terreur. Cela fait de longs frissons dans le dos, cela noue le plexus au centre de la poitrine, cela cloue le sexe dans une immatérielle crucifixion. Là, en bas du Désastre, on est si peu présents, à peine des feuilles mortes dans la morsure muriatique de l’hiver. Malgré la répulsion on se lève, comme aimantés par une irrésistible envie de vivre malgré tout. Respirer encore l’espace de quelques heures, regarder de toute la force de son âme, faire crisser entre les molaires les pépins des mûres sauvages, les prunelles acides et âpres qui nous diront encore la vie, peut-être ses dernières esquisses. On entre par la porte en ogive du Bourg. Les ruelles sont vides où glissent les plaques de schiste. D’étranges traces de main ici et là, sur les portes, les seuils, les margelles des puits comme pour dire les stigmates de l’homme, conter leur histoire, commencer un travail d’archéologie, de mémoire. Nulle âme qui vive, pas même un chien errant, pas même un chat famélique en quête d’une maigre pitance. Seuls, là, au centre du monde avec les lames d’air qui abrasent les têtes, s’emmêlent à la jungle des cheveux, aux fils de barbe hérissés. Les pavés des rues résonnent au rythme de notre progression hasardeuse.

Oui, on le savait. Un jour cela devait arriver. C’était gravé de toute éternité dans la conscience humaine. Un jour les Ombres surgiraient par surprise avec leurs yatagans affûtés, leurs shurikens effilés, leurs dagues mortifères. Elles n’auraient de cesse de poursuivre les Lumières, de les assiéger, de souffler leur haine fétide dans la cannelure de leurs nez, d’instiller le poison dans leur esprit, de faire couler le venin sur l’étrave de leur âme afin qu’ils périssent et ne paraissent plus jamais. Car les Ombres exècrent les hommes lumineux, l’art, la culture, l’amitié, la joie. Partout elles veulent répandre la terreur et planter l’oriflamme noire de leur folie. Détruire … disent-elles. Détruire puis installer sur l’ensemble de la Terre le régime de la terreur, ligoter les membres, faire couler du plomb fondu dans l’antre des bouches, taillader les sexes afin qu’ils ne puissent plus enfanter. La « logique » des Ombres, répandre l’inconnaissance, abattre les arbres de la liberté, réduire au silence tout ce qui pourrait proférer, chanter, réciter une fable ou bien dire un poème. La « logique » des Ombres, la Mort Majuscule et rien d’autre que le vide et le néant.

Une rue en pente raide progresse entre des murailles étroites. Nous marchons comme des félins, avec l’échine courbe et de rapides sauts de carpe afin d’éviter les encoignures, les failles d’où les Ombres pourraient fondre sur nous, leurs dents de vampires aiguës comme le vice. Mais rien ne paraît que le silence et le mutisme des pierres. Un escalier très étroit, une tour en partie effondrée puis une pièce ronde faiblement éclairée par d’étiques oculus. Des mannequins cathares constituent la dernière assemblée des vivants dans leur pose figée, tels des échappés du musée Grévin. Puis une autre pièce circulaire envahie d’ombres avec, contre un mur partiellement décrépi, une étrange créature dont nous comprenons bientôt, qu’elle doit être la seule survivante du peuple des Lumières. En réalité nous ne comprenons pas bien de qui il s’agit, quelle est sa nature, femme ou bien homme, tellement son image est indéfinie, à la limite d’une illisibilité. Des cheveux en partie désordonnés dont émerge ce que nous croyons être une rose séchée. Epaules carrées où court l’armature des clavicules. Poitrine si menue qu’elle fait penser à l’anatomie gracile d’un éphèbe. Nervures des côtes que prolonge la dépression de l’abdomen avec le pli discret de l’ombilic. Puis un linge blanc que retiennent les mains, la partie basse du corps demeurant voilée, comme rendue à une possible virginité si ce n’est à une manière de volontaire chasteté.

Lumineuse ne bouge ni ne parle. Ne voit ni ne regarde. Car ce qui est le plus frappant c’est la porcelaine blanche des yeux qui enclot les orbites et les dissimule derrière une singulière épaisseur cornée. Comme si cristallin et pupilles s’étaient retournés, s’étaient invaginés dans le massif de la tête de façon à ce que le procès de la vision, en s’inversant, se dispose à ignorer l’extérieur au profit du seul intérieur. Cécité du dehors, biffure des Ombres, contemplation du dedans où s’agite et croît la belle Lumière. Longtemps nous restons sur le seuil de cette perception et nous questionnons longuement sur le sort de l’humain confronté à l’impensable barbarie. C’est curieux, tout de même, la façon ouverte dont cette Apparition est porteuse, cette plénitude qui semble venir de loin, sans doute du centre du corps, avec son rayonnement qui lisse les joues, fait sa résurgence d’aube sur la plaine de la poitrine. Nulle lumière ne s’éteint fût-elle soumise à une extinction volontaire. A l’intérieur, tout contre l’arc du diaphragme, le gonflement du cœur, c’est la beauté qui palpite et ne veut pas mourir. Luxe plus fort que la balle de l’arme. Fluence plus longue que l’incision de la lame. C’est ainsi, certaines choses de l’ordre du sens qui ressemblent à l’effusion du pollen lorsque la saison venue, l’air tiédi, tout se dispose à être dans la multiplicité, le rayonnement, la généreuse efflorescence de la vie. Longtemps, nous les Egarés avons regardé Lumineuse qui ne nous voyait mais nous devinait sans doute, comme alertée par un sixième sens. Celui que l’on prête aux aveugles et aux extra-lucides.

Nous quittons le Bourg lorsqu’arrivent les premières brumes. Déjà le pont du Diable est cerné de longues ombres violettes. Nous le traversons et, en peu de temps, nous sommes sur le versant opposé du cirque, à l’endroit où se déploie une vaste vue panoramique sur le village et ses environs, sur la vallée qui en longe les sévères forteresses. Chez nous, les Perdus, il y a un genre de transmission de pensée ou bien de subites affinités visuelles qui nous relient en un seul et même bloc compact. Nous devons ressembler aux grappes de moules soudées à leur bouchot de vase. Ce que nous voulons, car nous venons de retourner la sclérotique de nos yeux, c’est oublier les Ombres, les enfouir au plus profond de notre inconscient, ne plus jamais avoir affaire à elles. Et, subitement, nous comprenons Lumineuse. Plus même, nous communions avec elle dans une étrange vision commune. Derrière la falaise de nos fronts, dans les emmêlements du chiasma optique où se métabolisent les images, voici que se déplie l’écran sur lequel le paysage nous apparaît. Ce que nous voyons, c’est ceci. Le Bourg perché tout en haut d’un promontoire pareil à un marbre de Carrare dont les sculptures déroulent leurs gemmes dans une mélodie sans fin. Oui, les pierres chantent. Oui, les pierres ont un rythme, celui de la joie contenue dans toute chose dont l’esthétique heureuse est un signe de l’intelligence du monde. Tout en bas, l’harmonie verte des peupliers, la touche plus claire des aulnes, la fuite de la rivière pareille à un ruban étincelant. Ce qui nous étonne surtout, c’est cette luminosité surgie de nulle part, qui féconde tout, porte tout à son acmé. Douce clarté venue de l’intérieur même de l’arbre, du ciel semblable à une aquarelle, du nuage qui déroule son talc jusqu’à l’horizon dans la teinte indéfinissable de ce qui se dit dans la nuance et la discrétion. Là, dans le soir qui chute, nous sommes infiniment reliés avec Ceux, Celles qui portent en eux l’étincelle, la flamme, le miroitement, le reflet. Tous ces fragments de lumière sont les forces vives de l’intelligence, les pointes de la lucidité, les diamants qui forent la compacité du réel et débusquent le précieux, l’intime, le sublime. Alors, dans cet état d’hyperesthésie, comment pourrait-on ménager une place aux Ombres, se douter même de leur présence, les accueillir fût-ce dans la geôle la plus sombre du corps, dans les oubliettes où la mémoire biffée ne se souvient même plus d’elle-même ?

La luce dell’assenza… la lumière de l’absence, tel était le titre de l’œuvre, mystérieux au premier abord. Oui, lumière de l’absence parce que Lumineuse, pareille aux masques cérémoniels des Incas, ces effigies dépourvues d’yeux qui n’indiquent nullement l’absence de vision mais, bien au contraire leur acuité - ils regardent les dieux -, ce qu’à sa manière humaine réalise Lumineuse à la mesure de son éclairement intérieur. Parfois faut-il consentir à différer du monde, à s’éclipser afin qu’une réalité jusqu’ici dissimulée se mette soudain à parler. Mais il est vrai que jamais les Ombres ne parlent. Sauf la langue de la violence. Il vaut mieux faire silence !

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29 octobre 2020 4 29 /10 /octobre /2020 09:34
L’entre-deux des signes

Photographie : Patrick Geffroy Yorffeg

 

"Du bon côté de la nuit qui vient,

une éclaircie d'argent,

métal aux écailles joyeuses

comme une musique

de Thelonious Sphere Monk" (4)

 

***

 

 

   Figure nocturne - Lucile était une enfant dans sa douzième année, déjà dans l’avenue de l’âge, encore un pied dans l’enfance. Sans doute était-ce cette naturelle tension qui l’installait dans une manière d’ambiguïté, caractère singulier dont la pénombre aurait pu constituer la plus exacte des métaphores. Trop de nuit et naissait l’angoisse. Trop de jour et surgissait la brûlure de la lumière. Elle était cette préadolescente de tous les risques, jamais entièrement satisfaite, jamais entièrement désespérée. Il lui fallait le constant passage d’un état à un autre, le clignotement, la pulsation des choses dans l’intimité d’une chambre discrète. La plupart du temps elle feuilletait un album photographique de Robert Doisneau que son grand-père lui avait offert à l’occasion de son dernier anniversaire. Examinant chaque image à la loupe, elle espérait non seulement décrypter le fourmillement des sèmes de la représentation, mais découvrir en quoi chaque proposition pouvait se présenter comme une façon d’actualisation de ce qu’elle était, elle,  en propre. A savoir un mystère dont le plus grand dénominateur commun était, tout à la fois, d’appartenir au corridor de l’ombre, à la fureur de l’éclair sans que, jamais, une situation stable pût s’instaurer entre les deux.

      Ainsi cet « Escalier de nuit » la fascinait, phalène qui aurait tourné tout autour du verre de la lampe au centre duquel vacillait la lueur d’une flamme. C’était une joie pour l’imaginaire de grimper par sa seule vertu les marches de granit luisant. Et cette double rampe de métal qui fuyait vers le haut à la recherche de son propre destin. Tout un pan d’obscur dans la paroi duquel dissimuler ses joies aussi bien que ses peines. Lire l’illisible en sa confondante présence, y tracer par la pensée les hiéroglyphes de ses intimes projections sur le monde. Ô combien Lucile attribuait à cet office nocturne les vertus apaisantes d’un ressourcement de soi au plus profond de sa troublante vérité !

L’entre-deux des signes

Escalier de nuit Paris 1960

Robert Doisneau

Source : Pinterest

 

 

   Comment pouvait-on seulement exister en pleine lumière, accepter de se dépouiller de ses secrets, confier au jour les témoignages de ses rêves ? C’était si rassurant, si enveloppant, là, dans l’eau noire de la nuit, Ophélie survivant à son immersion, déesse de l’obscur en sa subtile donation. Rien ne s’y inscrivait qu’à touches mouchetées, à effleurements d’estompe, à battements de cils sur le globe des yeux tournés vers le dedans du corps. N’était-ce pas là le lieu d’une pure jouissance, l’avant-dire des choses, leur inépuisable ressource à la hauteur de la profusion obscure ? Il y avait tant de possibilités inscrites dans le fondement nocturne, tellement de prédicats en attente avant même que les objets du réel ne reçoivent leur nom et le lieu de leur affectation.

   Gravir l’escalier, remonter vers le jour était se disposer à connaître ce qui, bientôt, serait pareil à une évidence dans la danse de la lumière. Ô signes avant-coureurs du paraître, Lucile vous dédie toutes ses prières les plus ferventes, vous octroie ses rituels les plus clandestins, les plus indicibles. Là-haut brillent de leurs  éclats feutrés les boules blanches des réverbères. Mais certes encore dans l’indistinction, l’approche, le glacis qui recouvre tout événement de son constant paradoxe. Toujours nous doutons de ceci qui se lève devant nous, l’Inconnu, l’Etranger, aussi bien l’Intime car nul n’est donné en son entier sans reste. Toujours une face d’ombre sur le revers de la pièce de monnaie. Lucile éprouvait jusqu’en son corps frissonnant le deuil qui consistait à abandonner sa guenille de peau sur les rivages d’ombre avant que de s’éprouver présentable aux autres en son esquisse la plus vraisemblable.

   Figue diurne -  L’ascension est maintenant réalisée. Dépassée la volée de marches, abolie l’encre des ténèbres. Le jour est là avec ses étincelantes gerbes de clarté. Les yeux se voilent d’une mince pellicule, quelques larmes - perles de résine - se retiennent au bord des paupières. Combien cette naissance est nouvelle, ouverte, bourgeonnant sur l’arc infini du ciel. En réalité une « re-naissance ». Se confier à soi dans un ressourcement qui lève haut le bonheur d’exister.

L’entre-deux des signes

Ardèche |1953 |

 Robert Doisneau

Source : Pinterest

 

  

   On est soi que multiplie quatre. On est soi dans la dimension ouvrante, réverbéré par les consciences alentour. On est Soi, l’Unique, en sa déployante polyphonie. Lucille aux huit jambes, Lucille aux mains en éventail - des bouquets de fleurs s’y étoilent -, Lucile courant quadruplement sur la pente de la colline, en haut du peuple d’herbes, Lucile connaissant en un seul empan de sa présence la confluence des altérités. Etrange phénomène de la métamorphose, miracle de la photosynthèse. Oui, Lucile est une plante que traverse la lumière, que féconde la joie assemblée tout autour d’elle. D’elle aux Autres, seulement le sans-distance, une identique source coule dans les anatomies bondissantes, dans les chairs que transfigure l’appartenance à une même communauté. Lucile-d’Ombre, Lucile-de-Lumière : un saut de l’immanent au transcendant sans qu’il soit possible d’en repérer la césure, la limite, les pointillés d’une frontière. Tout fait efflorescence de tout sans effort, sans question inopportune qui viendrait ternir l’exception de l’événement.

   Ainsi bondissent, le plus souvent, d’enfer au paradis, passant par le purgatoire les délices de l’âge adolescent. Une eau morte, de lagune, puis, dans l’instant qui suit, l’éblouissement du blanc névé, la rutilance du magnifique glacier. Mais nous disions le tiers terme, le médiateur de toutes ces antinomies apparentes. Mais nous disions le purgatoire, autrement dit le clair-obscur.

   Figure de l’entre-deux - Qui n’est jamais que celle du purgatoire. On se lave de la nuit maléfique, on se prépare à accueillir les lumières célestes. On est à l’intersection de deux mondes, à la confluence de deux réalités complémentaires. Fusion des contraires, médiation de l’aube synthétisant le Noir et le Blanc, la Fermeture et l’Ouverture, Le Silence et la Parole, le Non-être et l’Être. Lucile, en ce matin de connaissance, est au bord de l’étang. Elle a juste mis un body en coton, un short de toile, chaussé des tongs légères. Elle est au paysage tout comme le paysage est à elle. D’elle à la nature c’est comme un écoulement de clepsydre, une évidence temporelle faisant ses doux attouchements. La jeune pré-nubile - les noces définitives avec le réel seront consommées plus tard -, se laisse effleurer par toute possibilité de révélation. Sa peau se couvre, d’instant en instant, d’une levée de frissons. La pulpe de sa chair palpite au rythme lent des secondes. Cela vient de loin ces sensations qui tourneboulent l’âme, c’est un vertige, une hésitation au bord du devenir. En elle, encore des volées de marches, des lueurs de lampadaires qui s’arrachent à la glaise nocturne. En elle, depuis peu, des cris de joie, des bondissements, des fulgurations tout en haut du dôme d’herbe où s’ébattent les enfants. Tout ici se rencontre, fait sens.

   Dans la haute famille des roseaux, encore, la frappe lourde de l’inconscient, le chuintement des songes chargés de filasse, les reptations des fantasmagories qui s’agitent en tous sens avec leurs gueules noires de suie, leurs langues goudronnées. Dans la plaine du ciel que parcourent des essaims de nuages denses, une même quête d’inconnaissance, de refuge dans d’insondables failles, dans d’incompréhensibles ornières. Là est le deuil en son irrémissible dessein. Que doit-il nous faire oublier qui, autrefois, tissa notre tristesse, arrima notre esprit au désespoir, ouvrit les portes du Néant ? Quoi donc ? Lucile, en son âge transitif, en éprouve le divin effroi dans la moelle même des os. Mais aussi l’irréel bonheur car rien ne se montre mieux qu’à être écartelé par la lame du doute. Rien n’est donné sans effort, aucune grâce ne s’annonce à l’horizon des pleutres et des inconséquents. Tout se gagne à la hauteur d’une flamme. Il faut être capable d’en supporter la vive lueur, d’en éprouver la brûlure.

   Tout en haut de l’étang, près du partage du ciel, Lucile s’est assise en tailleur, bas du corps dans la nuit, haut du corps dans le jour. Le milieu, là où règne l’originel ombilic, est traversé d’une dague de lumière qui est l’annonce de la vérité. Car c’est là, et seulement là, dans l’ajointement du jour et de la nuit, dans le basculement, que le sens va se mettre à grésiller, pareil à la stridulation du grillon dans le foin d’été. Mais que veut donc dire le chant du grillon, si ce n’est appeler sa compagne, se disposer au prélude de l’accouplement, autrement dit ouvrir l’événement par lequel le monde pourra trouver sa propre continuité, son inépuisable ressource ? Il est de bien modestes manifestations qui recèlent en leur sein de grandes leçons. Donc Lucile est tout ouverture à la possibilité d’être. Elle ne peut être que cela ou bien retourner aux fonts obscurs dont elle provient qui, pour un peu, pourraient la priver de tout mouvement, de toute parole.

   Ce que Lucile cherche, ce que nous cherchons tous dans notre confrontation à un évènement du type de l’aube, c’est à faire surgir la beauté. Et, ici, bien évidemment, le cercle herméneutique dévoile sa course folle, enclenche son éternel cycle qui, de la beauté, au sens, à la vérité nous annonce en termes multiples une seule et même réalité, la nôtre dans une justification qui soit suffisante afin que nous puissions faire tenir debout notre esquisse d’homme.  Être humain est ceci : donner sens à la beauté du monde de manière à ce que la nôtre s’y réverbère en écho, seul moyen qui nous soit donné d’échapper aux serres du nihilisme. Être debout ramène l’absurde à une simple hypothèse. S’allonger est faire le lit sur lequel il prospère.

   Il y a une telle harmonie dans ce subtil équilibre des ombres et de la lumière, une telle répartition rigoureuse des tâches, une telle correspondance de tous les éléments que le temps paraît infiniment suspendu, longuement immobile. Il en est toujours ainsi de la grande scène du monde qui laisse le rideau baissé avant que la représentation ne commence. Ici, dans les coulisses d’herbe, là dans le gonflement gris des nuages, encore là dans la fente de lumière qui sépare en unissant, se trouve inscrite l’adolescence des choses : une immaturité native, un accomplissement réalisé, l’éclair d’une lucidité qui décide de tout destin. Tous nous avons été des Lucile, tous nous sommes, tous nous serons car Lucile, étymologiquement « lux », « lumière » veut dire ce par quoi nous sommes au monde et y demeurons avant que la nuit ne vienne éteindre les infinies bannières du sens. Or nous voulons le sens. Sur le dais pleinement tendu de notre peau. Dans le massif ténébreux de notre chair. Dans les rivières de sang qui nous parcourent. Dans l’air qui gonfle notre poitrine. Dans la sève qui ondoie dans nos sexes. Jusque dans les tubes des os à la douce phosphorescence. Eux aussi revendiquent la lumière. Eux aussi ! Nous devons être des Lucile jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à la perdition. Seulement ceci veulent dire l’Homme, la Femme en leur commune exception.

 

 

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:47

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

   EPILOGUE

 

   ‘Je marche dans la ville’, cette phrase si simple revenant à la manière d’un leitmotiv. Mais que veut donc dire ‘Je marche dans la ville’, sinon le parcours hasardeux de l’homme au sein de sa propre existence ? Ici, le Narrateur a choisi d’effectuer un périple que l’on peut qualifier ‘d’ontologique’ puisque, aussi bien, il dessine les stations que l’être parcourt tout au long de sa destinée. Je disais ‘Le Narrateur a choisi’. Bien évidemment le terme qui affirme le choix n’est possible que dans le cadre particulier d’une narration. Fondamentalement nous ne sommes pas libres, au seul motif que les deux bornes qui limitent notre existence, notre naissance, notre mort, nous ne les avons nullement ‘choisies’, qu’elles nous ont été imposées par ce Hasard que nous ne pouvons nommer autrement puisque nous n’en connaissons rien. Alors l’écriture peut être d’un grand secours pour la raison même qu’elle fixe, elle-même, et les bornes du récit et le contenu qui s’y illustrera. Liberté relative, me dira-t-on. Certes mais liberté tout de même puisque ce Narrateur (il est sans doute la projection de qui je suis), l’espace d’une fiction sera à même de tracer son chemin, d’emprunter telle voie par rapport à telle autre, décider de telle action qui convient à son esprit, de méditer en tel sens selon l’inclination de son âme. Oui, seuls ‘esprit’, ‘âme’ sont des espaces de liberté. Ils ne sont nullement entravés par la pesanteur d’un corps. Idéalisme ? Oui, et quand bien même ! Romantisme ?  Sans doute. Naïveté ? Elle est la marque des lieux originels, ceux qui, par essence, sont les plus proches d’une vérité que le temps se complait à maquiller, à métamorphoser si bien que son être n’est nullement reconnaissable, qu’il se confond avec la fausseté.

   Ce parcours, je l’ai voulu placé sous le libre flux des affinités. Les affinités, ces voisinages qui nous sont naturels, innés, coalescents à qui nous sommes, dont nous ne pourrions faire l’économie qu’à la mesure d’une perte. Ce, qu’ailleurs, j’ai défini comme mes ‘points de contact avec le monde’, les voilà qui apparaissent en plein jour, telle une résurgence émotive, conceptuelle, esthétique. Nous sommes, que nous le voulions ou non, traversés par ces courants subliminaux qui dessinent notre esquisse, rendent compte de notre singularité, font que nous sommes Untel et non Tel Autre. Aussi ces cheminements personnels, frappés au coin de la subjectivité, sont-ils précieux. Ils élaborent une ‘Carte de Tendre’ qui nous dit bien mieux que nous ne saurions nous dire au gré d’une parole qui, toujours, se dilue dans les mailles urticantes du réel. Nos affinités aiment la lenteur de la rêverie éveillée, le souple d’une méditation, la flânerie d’une écriture printanière sur le bord d’une éclosion.

   La marque essentielle de ce parcours se réfère à une déambulation imaginaire. Imaginaire-onirique avec Rousseau. Ici, j’ai voulu rejoindre cette image de simplicité champêtre des ‘Charmettes’, y trouver le lieu d’un ressourcement à l’abri du ‘bruit et de la fureur’ du monde. Avec Léonard, il s’agit d’un imaginaire-symbolique centré sur une manière de mouvement perpétuel, de jeu des formes infinies que médiatise cette belle notion de ‘sfumato’, en somme une ivresse énergétique, une immersion joyeuse dans le temps qui passe, un amour du tourbillon qui réserve toujours une foule de surprises. Ma rencontre avec Platon s’est faite par l’intermédiaire de l’imaginaire-utopique. Créer une Cité en définissant sa morphologie, les lois qui la gouvernent, l’esthétique qui s’y dévoile, la religion qui l’anime, les arts qui y figurent, quelle tâche songeuse pourrait être plus exaltante ? Bien évidemment, tout activité imaginaire porte en soi les motifs de sa propre résolution et le réel nous convoque à de plus justes noces. A la force de notre capacité de rêver, à la mesure de nos plans sur la comète, dans la perspective idéale d’une vision solaire, nous traçons en nous les sentiers au terme desquels une joie sera apparue. Tout comme dans le Tao, ce n’est pas le but qui importe. Seule la VOIE !

 

 

 

 

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:46

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

   A peine la critique de Platon s’achève-t-elle que le Philosophe disparaît, sans doute son âme est-elle convoquée par son corps de chair. Les contours de l’Atlantide vibrent d’un étrange tellurisme. Des éclairs de feu jaillissent du sol, des jets de lave enflamment le ciel, des nuées nocturnes envahissent la totalité de l’éther si bien que, bientôt, l’Île n’est plus qu’un souvenir à mes yeux, qu’une vague trace sur les contours de ma mémoire. Tout en haut, sur le balcon aux balustres solaires, il me semble voir quelqu’un qui agite ses bras en ma direction. Est-ce Platon qui me souhaite bon voyage de retour ? Bientôt voici l’entrée de la Caverne. Elle est une manière de gueule noire dont je redoute de retrouver les ombres funestes. Mais ai-je d’autre choix que de rejoindre le monde des hommes, de renoncer à voir le regard lumineux des dieux de l’Olympe ? A vrai dire, rien n’a changé dans la grotte. Tout est toujours à la même place. Un feu continue à brûler qui projette les ombres des mannequins agités par les Montreurs encapuchonnés sur la paroi qui fait face aux Voyeurs fascinés. Sont-ils, ces Voyeurs, la simple réplique des Atlantes évincés de leur « leur extraction divine », se précipitant eux et leurs coreligionnaires la tête la première dans la fosse de l’erreur et, pour finir, dans celle de l’absurde ? 

    Voici, maintenant j’ai longé à rebours le boyau qui me conduit au couloir ovale sur lequel débouchent toutes les Portes. Passant devant la Porte de la renaissance, j’ai une pensée émue et admirative pour Léonard, ses belles œuvres, sa volonté obsessionnelle de maîtriser les formes, de s’en rendre, en quelque manière, le Maître absolu. Passant devant la PORTE DES LETTRES, j’éprouve un sentiment de proximité avec Jean-Jacques, son goût de la Nature, de l’herborisation, de la rêverie poétique, du romantisme à fleur de peau. Enfin, j’ai rejoint les hauts murs d’argile de ‘La Mystérieuse’. Comme lors de mon arrivée, des silhouettes s’y profilent mais toujours dans la fuite, l’évanouissement, si bien que je pense que cette conduite fait signe en direction d’une allégorie, sans doute celle qui veut montrer notre passage à nous les hommes, dans l’instant, une marche rapide dans la ville, quelques pas de deux, puis l’éclipse au cours de laquelle, peut-être, l’être qui nous habite reconnaîtra l’entièreté de sa nature, un fini entre deux infinis pour le dire en termes pascaliens.

  

   

 

 

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:45

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

   Platon et moi nous sommes longtemps abreuvés à cette fontaine de joie. Nulle parole n’aurait pu rendre compte de ceci qui venait à nous sur des ailes de Phénix, nous renaissions à notre être, nous le comblions des mille et une faveurs que, d’ordinaire, le quotidien abrasait de sa force de destruction, taraudait du bout de son doigt pourvu des griffes acérées du non-sens. Soudain un nuage sombre plane sur le beau site de l’Atlantide. Sans doute est-il prémonitoire de faits qui pourraient nous déranger, nous ôter au spectacle de pure fascination étendu devant nous. Tel l’aruspice, je devine en ses formes convulsives, en ses encres noires, en sa brutale énergie, la pire prophétie qui se puisse imaginer. Je vois un voile de tristesse gagner les yeux de l’Athénien. Je suppose que son âme s’embrume de quelque funeste présage. Qu’il va peut-être rejoindre son corps, son âme connaissant son tombeau. De sa poitrine, que je sens oppressée, contrariée par la lame du chagrin, j’entends monter la voix du Philosophe. Il récite les dernières phrases du ‘Critias’. Après les points de suspension que l’on croirait ceux du doute, du renoncement à poursuivre une entreprise bien au-dessus des forces humaines, plus rien ne se donne qu’une aire de vaste désolation, comme si l’utopie brusquement interrompue chutait dans le piège étroit du réel, comme si l’Intelligible, pris dans de subits vents ouraniens, se métamorphosait en un Sensible têtu qui, désormais ne connaîtrait plus jamais la vérité de son être, seulement une ornière parmi les ornières du monde. J’écoute avec la plus grande attention les propos de Platon. Ils traduisent la blessure de son âme. Ils disent l’absurdité que décrypte la lucidité dans le chemin exigu qu’empruntent les hommes.

   « Telle était la formidable puissance qui s’était élevée dans ce pays, et que la Divinité dirigea contre nous pour la cause que je vais vous dire. Pendant plusieurs générations, tant que les habitants de l’Atlantide conservèrent quelque chose de leur extraction divine, ils obéirent aux lois, et respectèrent le principe divin qui leur était commun à tous ; leurs âmes, attachées à la vérité, ne s’ouvraient qu’à de nobles sentiments ; leur prudence et leur modération éclataient dans toutes les circonstances et dans tous leurs rapports entre eux. Ne connaissant d’autres biens que la vertu, ils estimaient peu leurs richesses, et n’avaient pas de peine à considérer comme un fardeau l’or et la multitude des avantages du même genre. Au lieu de se laisser enivrer par les délices de l’opulence et de perdre le gouvernement d’eux-mêmes, ils ne s’écartaient point de la tempérance ; ils comprenaient à merveille que la concorde avec la vertu accroît les autres biens, et qu’en les recherchant avec trop d’ardeur, on les perd, et la vertu avec eux. Tant qu’ils suivirent ces principes et que la nature divine prévalut en eux, tout leur réussit, comme je l’ai raconté ; mais quand l’essence divine commença à s’altérer en eux pour s’être tant de fois alliée à la nature humaine, et que l’humanité prit le dessus, incapables de supporter leur prospérité, ils dégénérèrent ; et dès lors ceux qui savent voir purent reconnaître leur misère et qu’ils avaient perdu le meilleur de leurs biens ; tandis que ceux qui ne peuvent apprécier ce qui fait le vrai bonheur, les crurent parvenus au comble de la gloire et de la félicité, lorsqu’ils se laissaient dominer par l’injuste passion d’étendre leur puissance et leurs richesses. Alors Jupiter, le dieu des dieux, qui gouverne tout selon la justice, et à qui rien n’est caché, voyant la dépravation de cette race, autrefois si vertueuse, voulut les punir pour les rendre plus sages et plus modérés. Il rassembla tous les dieux dans le sanctuaire du ciel, placé au centre du monde, d’où il domine tout ce qui participe de la génération ; et lorsqu’ils furent tous réunis, il dit : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . »

  

 

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:43

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

      Ainsi, maintenant, avons-nous franchi tous les cercles d’eau et de terre qui nous séparaient du cœur vivant de l’Atlantide et nous voici au point focal de la Cité, autrement dit au point d’intersection de toutes les significations. Cette étonnante acropole présente un diamètre d’environ cinq kilomètres où se rassemble tout ce dont une cité a besoin pour vivre en autarcie. Tout y est organisé, distribué selon un plan méthodique, projection dans le réel de l’Idéal symbolique tel que peut l’envisager le concept le plus exigeant. Je pense qu’il y a là filiation directe de l’Âme, de l’Esprit acceptant d’insuffler dans la matière le principe subtil qui les traverse et soutient leur invisible architecture. Pour ceci, l’Atlantide est un tour de force qui ne peut se maintenir que dans ce fragile équilibre entre une matière qui demande et une énergie qui attribue, modèle, façonne mais sans jamais livrer l’entièreté de son être aux regards et aux mains de ceux qui en altéreraient la singulière nature. Tout à la beauté de ce qui nous est offert, aussi bien Platon, le créateur de cette pure Réalité, que moi qui en prends acte, demeurons muets, sur la frontière qui sépare le silence de la parole comme si les mots que nous pourrions prononcer étaient susceptibles de faire s’effondrer ces périssables murs de Jéricho.

   Nos yeux, fussent-ils curieux, ont du mal à contenir le prodige. Ce ne sont, partout, que temples aux hautes colonnes de marbre, palais aux péristyles finement ouvragés, fresques polychromes ornant les intérieurs, édifices publics aux frontons sculptés, portant des images des dieux principaux du Panthéon grec, parterres de mosaïques aux tracés parfaits. Tout en haut de la Cité, pareil à l’Acropole dominant Athènes, le Temple dédié à Poséidon est pure merveille architecturale, picturale. Façades recouvertes d’un argent étincelant, toits entièrement revêtus d’or, voûtes en ivoire ciselé incrustées de gemmes précieuses, plafond ruisselant de la lumière inégalée de l’orichalque, création sans pareille d’un métal antique dont nulle copie n’a pu, de nos jours, être reproduite. Magnificence portée à son acmé, habileté des artisans dépassant l’imagination. Quant à Poséidon, le ‘Maître des lieux’, son culte lui est rendu au travers d’une sculpture le montrant «se tenant debout sur un char attelé de six chevaux ailés, et d’une grandeur telle que la figure touche à la voûte de l’édifice », comme vient tout juste de me le préciser Platon, l’auteur de ces lignes, à l’instant, sortant d’un long mutisme. Je présume qu’en toute simplicité et grand connaisseur de beauté, le Philosophe était ému de découvrir à nouveau toute ces facettes si éblouissantes. Qu’il les ait faites lui-même à la hauteur de son génie ou qu’elles proviennent d’une activité inconnue des hommes, peu importe, c’est la Beauté-en-soi qui est à remarquer. Peut-être même reviendrait-il à notre condition de Mortels de l’honorer, de la porter au pinacle, de lui destiner des offrandes, d’édifier un culte. C’est toujours ceci que mérite le Rare, une infinie reconnaissance qui, nous déportant de nous, nous extrayant de nos propres insuffisances nous place en regard du vaste Univers, cette splendeur qui rayonne de toutes parts dont, communément, nous ne savons reconnaître le vaste mérite.

 

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:42

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

   Présentement nous avons franchi le pont qui conduit au premier anneau. L’eau est infiniment calme, lisse, que nul courant d’air ne vient troubler. On la penserait, tout à la fois, légère, aérienne et en même temps brillante et solide comme une boule de mercure. Le ciel vient s’y refléter et ce jeu de miroir me paraît ‘piéger’ le réel, le circonscrire à cette sphère qui me fait penser à telle autre, parménidienne, celle de l’Être en sa forme abstraite, parfaite, indestructible.

   Je crois même qu’en ces lieux de pure félicité, la lumière elle-même est sphérique, minuscules assemblages de photons qui jouent l’unité de toute chose jusqu’à se confondre avec les hommes qui l’observent, s’en nourrissent, en sont éclairés depuis leur peau jusqu’en leur centre ossuaire d’éclatante blancheur. Les hommes ? Nous les apercevons déjà mais pareils à des êtres de pure présence que nul prédicat par trop incarné viendrait soustraire à leur caractère d’universalité. Car ici, en cette terre d’utopie, il convient que tout soit référé à l’Idéal, à la Perfection, qualités sans lesquelles l’Atlantide ne serait qu’une terre parmi les autres, du divers parmi le divers qui ne s’élèverait nullement du peuple des continents et autres pays.

   Or l’utopie, cette maille arachnéenne de haute fiction, cette perle brillante de l’imaginaire, ce cosmos parvenu de facto à sa forme la plus sublime ne saurait se confondre avec le banal, l’ordinaire, sous peine de connaître sa mort avant même d’avoir vécu. Donc, les Atlantes fameux, nous ne pouvons les voir avec des yeux de chair, seulement avec ceux de l’âme, ce qui nous concerne au premier chef, Platon et moi. Seulement nous ne voulons nullement abuser de notre vue panoptique, puissante telle celle du lynx. Nous voulons demeurer à distance, éclairer leurs silhouettes à contre-jour, les placer dans la pénombre d’un clair-obscur, dans le paradoxe d’une lumière originelle qui n’a encore rien décidé de soi, ni de remonter à l’ombre native du Néant, ni de surgir sur la scène du monde avec ses projecteurs, ses lampes au magnésium qui risqueraient bien plutôt de brûler que d’éclairer.

   Car pour toute manifestation d’Essence, il convient de se retenir sur le bord de l’exister, de longuement observer depuis sa margelle, il sera toujours temps de se livrer au Grand Saut, de voir les choses selon leurs angles morts, leurs perspectives tronquées, leurs affèteries de carton-pâte. C’est bien trop souvent en raison de leur empressement de connaître, de goûter aux mets de l’exister sans précaution que les Existants s’exposent à toutes sortes de déconvenues, lesquelles parfois prennent le nom de ‘Mal’ et alors la remontée vers le Souverain Bien, l’Astre Solaire devient non seulement un chemin de croix mais se révèle de toute la hauteur de son impossibilité. Une fermeture qui, parfois, ne dit son nom mais que les candidats à une vie sereine ne peuvent ressentir qu’à la manière du malheureux taureau rouge du sang que de maléfiques banderilles ont condamné à ne plus être qu’une plaie face à la gloire immédiate des hommes. Mais laissons là ces considérations ‘inactuelles’ pour de bien plus agréables pensées.

  

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