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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 09:29

   Burri - Klein - Fontana

  

   Cette limite physique, mais aussi éthique (le meurtre n’est plus en acte mais en puissance), les artistes regroupés sous le vocable, outre-Atlantique, de « Destroy the picture », cette sauvage transgression d’un contrat passé avec le vis-à-vis qui est supposé recevoir la forme et la porter à sa lisible parution, des Artistes donc comme Alberto Burri avec ses sacs rapiécés, troués, Yves Klein brûlant ses panneaux au chalumeau, Lucio Fontana lacérant ses toiles, tous ces novateurs ont provoqué le réel jusqu’à le dissocier, le réifier à tel point qu’il n’apparaît plus qu’à la mesure d’une simple contingence, d’un objet du quotidien usé (voir Arte Povera), initiant en un seul geste la chute de l’objet esthétique transcendantal en sa pure immanence, autrement dit en son atteinte mortelle.

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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 09:28

   Ici, il faut poser la thèse suivante : si toute œuvre d’art peut s’illustrer comme mise à mort de ce qui est à faire surgir, mise à mort de la toile vierge, mise à mort de la page blanche, mise à mort de la pierre, du bloc d’argile, rien autant que la gravure et de manière décisive, radicale, ne vient offenser le support à partir duquel donner quelque chose à voir avec cette surprenante énergie, pulsion de mort à l’œuvre, trajet en l’artiste d’archétypes qui creusent (gravure) les sillons de la tragédie dont toute existence porte l’empreinte.

  

   Certes « Guernica » de Picasso et son effrayante impression d’écartèlement, « Le Cri » de Munch et son irrésistible pouvoir de dissolution, les incendies colorés de la toile « Paysage aux arbres rouges » d’un Vlaminck, impriment, chacun à leur manière, dans la psyché humaine, le sceau indélébile de la destinée en ses plus insupportables apories. Mais ces artistes, malgré la violence de leur témoignage, demeurent en-deçà du subjectile qu’ils maculent certes, qu’ils malmènent, on croirait entendre leurs coups de brosse rageurs, cependant ils n’ont nullement franchi la ligne de partage que constitue le support même, ils restent de ce côté-ci du réel, ils ne traversent pas la zone de feu et de flammes au-delà de laquelle c’est l’acte de création lui-même qui s’abolit en proférant la mort du Sujet, à savoir la Surface censée recueillir la sève d’une parole, non l’acide qui la dissout et la reconduit au Néant. Autrement dit l’œuvre d’art comme néantisation.

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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 09:26

   L’artiste qui grave sa plaque de cuivre est, bien évidemment, le simple écho des artisans ici évoqués (il se rapproche aussi du dinandier dessinant ses arabesques sur le plateau de cuivre, de l’orfèvre logeant dans l’intimité du métal le luxe de l’intelligence et de l’habileté, le précieux d’une immémoriale patience), l’artiste donc est confronté à ce minutieux travail de destruction grâce auquel, plus tard,  son œuvre fera phénomène au grand jour. Mais il s’agit toujours d’un combat, d’une lutte, d’une polémique.

   Le vocabulaire de la gravure en est la belle et immédiate illustration. Quel que soit le support, on l’entaille, on le mord, on l’incise, on le ronge, on l’attaque, on le creuse, on y imprime des sillons, on le coupe, le rainure, y introduit des scarifications, y ménage des échancrures, y fait apparaître de minces failles, on le blesse, le taillade, on y fait naître des raies, des gerçures, des écorchures, on y soulève des copeaux, y soustrait des vrilles comme s’il s’agissait d’une peau humaine (de l’Artiste, du Voyeur de l’œuvre ? ), comme s’il fallait passer outre la résistance des choses, y imprimer le sceau de la volonté du créateur.

  

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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 09:25

   Il n’est certes pas indifférent qu’un des outils destiné à la gravure soit le burin. Et, bien entendu, ce terme n’est nullement réservé à la taille de la plaque de cuivre mais s’illustre en tant que médium de façonnage de bien des matériaux, à commencer par la pierre et l’on pense inévitablement au geste du maçon, mais aussi du sculpteur, figure que hante l’image de Rodin faisant surgir du bloc de matière l’image méditante du « Penseur » qui domine « La Porte de l’Enfer ». (En réalité le célèbre Penseur ne médite nullement un concept métaphysique ardu mais tente de se soustraire de toute son âme et de son corps en tension à son désir que fouette la figure féminine). On évoque aussi la haute stature d’un Brâncuși  sa lutte à mort contre ce qui résiste et finit par être vaincu, d’un  Brâncuși donc érigeant ses colonnes sans fin (les bien nommées !) comme de vivants antidotes à une disparition annoncée.

    Et le burin n’est pas seulement l’instrument que l’on convoque pour maîtriser, dompter la matière mais il est également cette lame biseautée dont use le chirurgien pour façonner l’os et réparer les dégâts qui s’y sont accidentellement imprimés.

  Donc, partout, dans des gestes aussi divers en apparence que ceux du maçon, du sculpteur, du chirurgien, un même effort, un même combat, une identique douleur et, au terme des actes, la mise en échec ou le simple fait de différer les assauts de la finitude.

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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 09:23

Toute forme portant en elle les traces de significations anciennes, il convient, en premier lieu, de se pencher sur la réalité étymologique du mot « gravure », son sens étant attesté dès le XIII° siècle sous le terme de « graveure » ou « rainure d'arbalète », cette première nomination dans l’ordre de la balistique lui confère, d’emblée, une orientation toute particulière. Si, à la rainure, est destinée une flèche, alors on saisira mieux l’enjeu « guerrier » d’une telle encoche par laquelle destiner le jet d’un projectile à un éventuel ennemi. Déjà, dès les signes originels du lexique, se donne à voir le geste d’agression, lequel n’est que l’art de la guerre, lequel, à son tour, consiste en l’art de donner la mort. Il existe une évidente chaine sémantique qui conduit de la rainure à la gravure en passant par la blessure qui est le signe annonciateur d’une négation de l’être. Une formule ramassée pourrait donner à comprendre l’acte latent qui fomente de bien sombres desseins, sous l’équivalence : gravure = blessure = mort. Et ceci n’est nullement violence interprétative. Chaque mot du langage est chargé de cette polysémie que l’Histoire a remaniée au cours de ses avancées temporelles.

 

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13 mars 2019 3 13 /03 /mars /2019 15:50
Hommes de l’eau et du ciel

                Photographie : François Jorge

 

***

 

 

   Ils sont les derniers d’une longue lignée, peut-être celle des antiques peuples lacustres, ces magnifiques pêcheurs-cueilleurs qui ne vivaient que du simple et de l’immédiat. L’heure est calme, solitaire, qui ne connaît que son flux lent, son écoulement d’éternité. Nul bruit. Nul vent qui agiterait les touffes hirsutes des tamaris. Nulle aigrette qui fendrait l’air de son vol blanc. Alors que la longue meute des filets s’éclaire du premier soleil, les hommes sont au repos qui, bientôt, rejoindront le lieu de leur tâche. A peine arrivés ils frotteront leurs mains les unes contre les autres en signe de joie. Il n’y a pas de plus grand bonheur que de regarder la lumière neuve, de voir les arcs lumineux des filets. Pas de plus grande félicité que de les poser, ces filets, dans l’embarcation, de ramer doucement en direction de l’endroit où l’on pêchera.

   Tout au fond, dans le noir des abysses, dorment les cordes noires des anguilles. Elles font leurs nœuds de suie, leurs éclats de sourd bitume. Elles sont prêtes pour la cérémonie qui les disposera au centre des mailles serrées, dernier lieu de leur séjour avant qu’elles ne découvrent le verre translucide de la surface, le souffle si léger, aérien, le fin liseré de la rive et, là-bas, au loin, sous le voile des nuages, le dôme du Canigou baigné dans une clarté de cristal. Mais qui donc sera le plus à la fête ? Les pêcheurs possédant la finalité de leur labeur ? Les anguilles tirées de leur torpeur pour connaître autre chose que les eaux lourdes et aveugles de l’étang ?

   Ils sont les derniers d’une longue tradition, les premiers à saisir les images de beauté. Le fruit de leur pêche est le remerciement qu’ils adressent à l’eau, au ciel. En eux, l’essentiel !

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10 mars 2019 7 10 /03 /mars /2019 10:00
YEUX

                            Source : Pinterest

 

 

***

 

 

   Yeux, vous êtes sans doute la partie la plus précieuse du corps. Yeux de beauté qui recevez et donnez. La lumière est haut placée dans le ciel qui fait son halo blanc. Vous la buvez et, soudain, tout fait sens jusqu’à la limite du monde visible. Vos en êtes sublimés car vous êtes de la matière des phosphènes, immense convertisseur qui traduit en éclairs et luminescence tout ce qui, de l’univers, vient à vous. Tantôt la clarté ricoche, rebondit sur l’arc blanc de votre sclérotique et vous êtes deux diamants aux éblouissantes facettes. Tantôt elle s’insinue dans le lacis de votre humeur vitreuse et gagne le plus profond de qui vous êtes, deux globes radieux qui témoignent de l’exception des choses. Voici, la lumière a franchi vos pupilles, ce point aigu, attentif, scrutateur et vous vous êtes retournés, allumant des feux dans chaque partie du corps. La matière grise est parcourue de mille ruisseaux, de mille éclats dont on pense que, jamais, ils ne s’éteindront. Les poumons se dilatent selon de belles et rutilantes arborescences. Le cœur trouve son expansion et projette des gouttes de rubis qui n’en finissent de s’éployer. Le plexus s’épanouit et vibre tel l’arc tendu, si près de se rompre et si  accompli au risque même de sa rupture.

   Yeux, vous êtes cette matière à la fois dense, compacte et translucide. Vos iris sont parcourus de taches claires ou sombres, traversés de failles, ourlés de broderies. Il y a des fulgurations, de longs feux de Bengale, des étincelles qui fusent et n’en finissent de s’épandre dans le mystère que vous êtes. Le jour vous vous abreuvez de l’éclat du soleil, la nuit de la brillance des étoiles, du trajet lumineux des comètes, des filaments qu’elles déroulent sur la toile noire du ciel. Rien, en vous, n’est jamais au repos. Il vous faut du mouvement, des sauts de cascades, des sourires au loin, d’autres yeux par lesquels vous connaissez la gloire d’être et de regarder toute chose dans le pur émerveillement. Vous êtes la lampe d’Aladin d’où sort le génie aux pouvoirs infinis. Vous êtes le phare qui balaie la côte de son faisceau et sauve les marins du naufrage. Vous êtes la gemme qui éclaire le ventre de la terre et lui donne ses plus belles émotions.

   Yeux multiples, fascinants au regard de votre étonnante multiplicité. Yeux du caméléon s’orientant dans tous les sens. Yeux des mouches aux millions de facettes. Yeux des félins pareils à un ambre, la pupille est un point noir qui guette sa proie. Yeux des chats et la mince meurtrière noire en traverse la matière claire. Yeux des sauriens, simple fente attentive au sein d’une mare verte. Yeux des insectes, ronds, protubérants, curieux de tout ce qui vit et se déplace. Yeux des huskys de Sibérie, deux lacs transparents où se reflète le ciel. Yeux pluriels, cercles parfaits, globes rayés aux teintes si vives mais parfois, aussi, couleur gris ardoise ou cendre ou plomb. Ou éteints mais toujours prêts à s’éveiller, à sourdre dans la texture serrée du jour, dans le suspens des secondes, dans l’échancrure accueillante de l’espace.

   Yeux des hommes. Parfois ils disent la noblesse, le pouvoir, l’élégance. Parfois ils condamnent et ouvrent les portes cernées de fer des geôles. Yeux d’autorité. Mais aussi yeux de misère et de dénuement. Ils portent sur le bord des paupières de gros bubons qui signent la misère du monde. Yeux des femmes. Yeux qui consolent et appellent. Yeux qui désirent et basculent dans la fosse ouverte de la volupté. Yeux qui rassurent et pansent les plaies. Yeux-baume. Yeux-ambroisie auxquels s’abreuvent les amants. Yeux-confidence qui recueillent les secrets. Yeux-étoiles, beaucoup y succombent qui ne sauraient résister à leur flamboiement. Yeux-diamants on ne peut en connaître l’envers, ils sont trop durs, trop aiguisés. Yeux-lacs, ils tremblent d’une infinité de reflets. Yeux-cibles, ils nous fascinent et nous demeurons sur le bord, inquiets de ne pas être les élus qui en connaîtront le royaume, soucieux de ne devenir l’unique  flèche qui en gagnera la pulpe. Repos infini après la quête finie. Yeux des enfants, ils sont des signes infiniment vacants. Ils veulent savoir. Ils veulent découvrir. Ils veulent archiver dans la fraîcheur de la mémoire la moindre chose, le plus mince objet, le sourire dont ils sont en attente. Yeux qui interrogent et n’ont de cesse d’engranger les myriades de fourmillements de l’existence. Yeux qui, parfois, fixent le sol, ils n’ont d’autre endroit où s’arrimer lorsque la misère les assaille et les soumet à une vie végétative, arbustive, aux racines si étroites, emmêlées. Yeux d’espoir qui questionnent. Ils demandent juste un peu de bienveillance, de considération. Ils veulent qu’on voie leur beauté. Ils veulent être regardés selon la vérité dont ils témoignent. Dont ils sont le centre de rayonnement. Bien peu les voient qui vaquent à leur vie d’homme dans la plus évidente distraction. A peine s’ils s’aperçoivent eux-mêmes dans la brume qui macule et soude  leurs paupières. Elles sont pareilles à des cocons dans leurs tuniques de carton.

   Yeux au prisme de l’art. Yeux à peine visibles du rhinocéros pariétal, un grain de café dans le dessin serré, impérieux de la roche. Il faut survive à tout prix, dresser dans la nuit de la caverne ces dessins qui amènent la présence tout en la domptant. Œil Oudjat ou œil d’Horus, manière de hiéroglyphe bleu, symbole de la vision. Œil de verre et d’émail du scribe accroupi, celui du Louvre, la lumière en franchit la claire paroi sans qu’elle ne s’y arrête. Yeux immensément agrandis des mosaïques byzantines, ils appellent l’au-delà et témoignent de l’élan religieux. A eux seuls ils sont le signe que grave la spiritualité en ceux qui cherchent à voir l’invisible.  Yeux de La Joconde, si mystérieux dans la brume de leur sfumato. Personne, à ce jour, n’est encore parvenu à dire le chiffre de leur être, à dévoiler l’âme à laquelle ils correspondent, l’esprit auquel ils donnent son éclaircie.  Essentialité du génie lorsque, de ses yeux de braise, il voit ce que d’autres tutoient sans même percevoir l’exception de ce qui jaillit et s’impatiente de trouver un site qui l’accueille. Mais les consciences sont pressées qui archivent des foules de perceptions, sitôt évanouies qu’apparues.  Conflagration des yeux  pluriels dans « Vanité au portrait » de David Bailly où tous les regards rejaillissent, se réverbèrent, se répondent les uns les autres, comme pour signifier l’indépassable de leur présence. Yeux exorbités, sur le bord d’un possible jaillissement  chez « Le Désespéré », tableau de Gustave Courbet, réalisme si troublant que le regard de l’artiste, dans son autoportrait, semble sur le point de nous transpercer, nous les voyeurs atterrés. Œil traité à la manière surréaliste, il sort d’une porte en plein cintre, entouré de deux doigts qui paraissent le prendre en tenaille. Pareil à un individu qui aurait renoncé à sa liberté, serait captif à jamais. Yeux immenses d’une peinture murale, dans une rue anonyme, déserte, un jeune enfant regarde la scène comme fasciné. Il pourrait s’y engloutir en totalité sans même que le moindre signe de ce rapt ne se soit jamais manifesté. Procession d’yeux fragmentés sur les cimaises d’un centre d’art contemporain ; ils semblent vouloir signifier l’émiettement de l’homme, sa désespérance dans les coursives  de la société postmoderne. Photographie conceptuelle de Giuseppe Mastromatteo qui nous invite à faire l’étrange expérience d’une déréalisation de la perception commune, un modèle féminin arborant un œil sur son bras gauche, comme si ce dernier, transparent, laissait voir l’œil véritable, celui de chair qui hésite à trouver le lieu de son effectuation. En quelque sorte un genre de métamorphose qui pourrait bien affecter le genre humain tenté par le libidineux Satan des manipulations génétiques. Toutes ces œuvres vues dans la même perspective, dans un temps condensé, donnent un évident vertige. Le vertige d’être lorsque les repères s’habillent de brume, que les aberrations visuelles égarent, que les astigmatismes vous placent ici et là sans que vous ne puissiez rien à la conduite de votre étrange destin.

   Yeux. Les yeux sont beaux. Sans cesse il faut le proférer afin que les falaises humaines en soient atteintes et qu’elles renvoient l’écho de ceci qui ne saurait s’effacer, se perdre dans le labyrinthe des occupations, se diluer le long des galeries où les hommes mènent leur vie de fourmis, brindille après brindille sans même redresser la tête et parler aux étoiles. Les yeux sont multiples. Ils nous convoquent au jeu du monde. A notre propre jeu et au miroir de l’altérité. Ce qu’il faudrait : une attention soutenue, un exercice de la conscience qui leur accorde l’infinité à laquelle ils peuvent prétendre. Car, jamais, un œil ne saurait s’éteindre. C’est trop précieux, un œil. Trop saisi de précellence. Trop transi de juste transcendance. Cela n’a rien à voir, ni avec un sentiment de religiosité, ni avec un tour de passe-passe de quelque chaman. C’est tellement au centre de l’événement humain pour la simple raison que le regard, en sa stance méditative-contemplative, nous conduit immédiatement là ou l’être flamboie et demande son obole. Nul ne saurait en refuser la lumineuse présence. Œdipe le savait lui, ce bonheur du regard, son prix que rien ne pouvait égaler, lui condamné à se crever les yeux pour avoir commis l’irréparable, l’inceste avec sa propre mère. Certes involontaire, mais inceste tout de même dont l’idée devient insupportable.

   Dès lors, toute perte de la vue se vivra tel le châtiment suprême. Ceci hante les consciences et jamais nul archétype ne renonce à sa puissance, jamais ne s’éteint son infini pouvoir. La nuit, lorsque nous dormons, que nos yeux sont clos, que revivons-nous en sourdine que nos rêves réaménagent à leur façon ? Que rêvons-nous dont le symbole à nous révélé serait trop lourde charge à porter, intolérable fardeau ? Nous, les hommes, sommes hantés par d’insondables images qui nous terrassent, ce dont notre inconscient nous abrite. Le matin, lorsque l’aube enfin levée, l’aurore s’éclaire des premières lueurs du jour, grande est notre joie d’ouvrir nos yeux sur le miracle renouvelé du monde. Alors, tout comme de jeunes enfants émerveillés par le spectacle qui vient à notre rencontre, nous distillons mille perspectives différentes, toujours réactualisées. Jamais nous ne pouvons épuiser l’immense carrousel des possibles. Nous applaudissons au prodige d’exister. Sans réserve. Toujours nos yeux témoignent de ceci. Toujours !

 

 

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3 mars 2019 7 03 /03 /mars /2019 10:08
SEUL

                   Solitaire...en Malepère !!!

                  Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

« Il faut savoir se donner des heures d'une solitude effective,

si l'on veut conserver les forces de l'âme ».

 

Bossuet

 

*

 

   Il faut sortir des villes aux foules denses. Il faut s’extraire des rues où bourdonne la ruche humaine. Il faut s’éloigner autant que possible de tout ce qui fait groupe et se donne comme la mesure habituelle de notre être. Il faut partir et cheminer longuement. On traverse des banlieues aux multiples ramifications, aux ponts et aux voies souterraines, aux métros et aux tramways qui glissent sur leurs rails avec un bruit de métal. Il faut s’arracher à tous ces nœuds de béton où filent les automobiles avec des éclairs qui fusent sur les carrosseries. Il faut renoncer à se perdre parmi la foule, à s’asseoir sur les terrasses de café bavardes. Il faut se dégager de tous ces mouvements, de ces brillances qui accrochent les yeux, de ces rumeurs qui montent des trottoirs et des caves où habite le peuple des rats. On traverse de gros bourgs avec leurs lourdes églises de briques, leurs clochers-murs pareils à d’immenses frontons de pelote basque, leurs écluses où se jette l’eau glauque du canal, où se reflètent les feuilles vert-de-gris des hauts platanes. Sur les collines que visite le vent d’autan, d’aériens et blancs moulins font tourner leurs ailes, sans bruit, seulement un mouvement perpétuel qui brasse les eaux du ciel et tutoie les grands oiseaux ivres de liberté.

   Au loin sont des coteaux, des levées de terre et de roches qui se prennent pour des montagnes. Un air bleu les entoure pareil à un lac perdu dans des écharpes de brume. Une vaste plaine, le jaune des chaumes, les haies de cyprès-chandelles, on dirait les sentinelles du paysage. Un lac fait sa tache scintillante qui paraît irréelle, comme s’il s’agissait d’un mirage. Des bosquets rythment l’espace. Des rangs de vigne dessinent la géométrie exacte de ce sol si authentique. Les villes sont loin. Certes une citadelle se montre, ses hauts murs couleur d’argile, les toits d’ardoise de ses nombreuses tours, ses merlons et ses créneaux qui festonnent son architecture. Mais il s’agit d’un monde clos, presque d’une survivance du passé et les pierres se mêlent aux larges bouquets des pins parasols, s’y fondent presque selon une juste harmonie. Il est un village oublié dans les replis de l’Histoire.

   On a laissé sa voiture sur le bord d’un sentier qu’habitent trous et nids de poule, un chemin vaguement bitumé. On n’a rien emporté qui puisse distraire, seulement un appareil photographique avec son œil panoptique. Pour nous, il enregistrera toute la beauté du monde en un même lieu concentrée. On se sent un peu pèlerin. Non en quête d’une lointaine crypte où reposent d’antiques et saintes reliques, mais en chemin vers soi. Le plus court sentier mais qui ne se découvre qu’au terme d’une longue marche. Ce que l’on veut ici, ce pour quoi on martèle la terre avec la semelle de ses chaussures, c’est la rencontre de soi avec soi, la solitude pour la solitude. Comme le vent qui regarderait sa fuite, le soleil sa brûlure, la lune son pâle halo dans la nuit qui monte.

   Faire l’expérience de la solitude. Combien l’ont tentée qui, jamais n’y sont parvenus. Ou bien imparfaitement, c'est-à-dire dans l’approche, jamais dans la verticalité d’une vérité. Ermites dans le désert, moines perchés en haut de leurs météores, marcheurs de l’impossible quelque part dans l’étendue d’une savane ou bien parmi les cathédrales de glace du Grand Nord.  Terrible épreuve que celle de la solitude ! Pourtant la seule voie pour se connaître et ne nullement se dérober aux habituelles compromissions de l’âge moderne. Toujours une invitation à portée de main, une vitrine qui brille, un objet qui fascine, un rendez-vous ourlé de promesses. Seul à seul avec le paysage, lui-même solitaire. Il faut une grande force d’âme, un caractère bien trempé pour ne pas céder à la moindre convoitise, se laisser happer par la première distraction venue. Il faut s’affermir en soi, lancer un regard en direction du simple, le faire revenir jusqu’au massif de son corps et n’attendre rien d’autre que cette vision en miroir qui nous dira notre être, tout autant que celui de cette nature dont nous provenons, vers laquelle nous retournerons. Un être s’accroît de la présence d’un autre être. Méditation-contemplation, ceci constitue l’unité indépassable au terme de laquelle s’appartenir vraiment et savoir la nature en son exception. Sans doute tout ceci relève-t-il d’un idéal, d’un point inaccessible dont nous souhaitons faire notre horizon, conscient que ce dernier ne sera jamais atteint, espéré seulement. Sans doute les illusions sont-elles utiles, elles nous sauvent du désespoir.

   Vaste est le paysage qui ne saurait dire son nom. Un lieu seulement ôté au vertige du monde. Un lieu qui se suffit à lui-même quand bien même nul regard humain ne le porterait à la conscience. Il semblerait même qu’il s’agirait d’un autre univers, placé bien au-delà des soucis et préoccupations quotidiens. Le ciel vient de très haut. Il paraît n’avoir nulle origine pas plus qu’une finalité précise. Peut-être est-il cette étincelle venue de l’infini pour nous dire la taille du microcosme que nous sommes, perdus dans une immensité dont notre imaginaire, fût-il fertile, serait bien en peine de rendre compte. Il y a un genre de champignon faisant penser à quelque emballement nucléaire. Il n’en finirait de retomber, comme autrefois sur les lagons transparents du Pacifique. Alors se lève un état de sidération qui renforce notre sentiment d’abandon, de séparation d’avec cet environnement qui constitue le seul amer dont nous disposions. Vision fantastique dont l’étonnant surgissement renforce notre inquiétude. Puis la ligne d’horizon, doucement pommelée, sinueuse, rencontre de la courbe de deux collines. Puis la terre au premier plan, la terre labourée non encore porteuse de récolte mais ensemencée par le geste de l’homme. Nous devinons sa présence, de l’homme, mais atténuée, illisible, que nous renvoie l’écriture grossière des mottes, son effervescence de glaise. Au milieu de toute cette scène d’immense désolation UN SEUL ARBRE, mince, frêle, qui semble défier les lois du temps et de l’espace. Soudain, pour nous qui l’observons, il prend un caractère tragique pour la simple raison que nous projetons en lui les nervures de notre intime détresse. C’est ainsi, parfois il nous faut un élément opposé qui nous renvoie l’écho de notre propre questionnement. Or celui dont nous sommes présentement affecté, jusqu’en notre tréfonds : la solitude, sa vrille qui creuse un trou au sein de notre condition mortelle, qui ouvre le vortex par lequel tout risque de s’effondrer jusqu’à ce qu’il ne demeure plus la moindre once de sens. Car, avant tout, il s’agit de signification. Si l’artiste seul dans son atelier, le saint dans sa retraite, le pèlerin dans sa longue marche trouvent encore les ressources de leurs actions respectives, c’est au regard d’un remplissement de leur être, d’un comblement de leur conscience.

    Consentir à être seul et réunir les conditions de sa finalité, à savoir déboucher dans l’ère même ou une révélation de soi devient possible, nécessite le recours à une sorte d’abandon, le renoncement au confort du quotidien, l’énonciation, en son intérieur, d’une parole qui soit une parole assurée de ses convictions. Par la pratique de la solitude l’on peut parvenir à un dépassement de soi, donc déboucher dans le site éclairé de la vérité. Encore faut-il que cette dernière fasse partie de nos projets les plus secrets. Seul face à soi, nulle liberté de tricher sauf au risque de tomber hors de soi. Enrichi d’un tel face à face nous regagnerons la ville des hommes, rasséréné, ressourcé, empli de la conviction que le simple, l’authentique sont ce par quoi nous nous approchons au plus près de notre nature. Seule manière de connaître la vraie Nature, celle qui toujours nous attend telle notre mère. Alors solitude rime avec complétude. Il ne saurait y avoir de plus grande félicité !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 17:48
Petit Prince et la Beauté

" Ici, tout s'arrête et tout recommence "

 

« Grande marée, la semaine dernière

flux et reflux

la mer a disparu

flux et reflux

c'est l'étal, le vent s'est tu

flux et reflux

ici, tout s'arrête et tout recommence... »

 

Photographie : Alain Beauvois

 

***

 

 

   Comme chacun le sait, Petit Prince vivait sur une étrange planète nommée « l'astéroïde B 612 », laquelle planète n’était guère plus grande qu’une modeste maison.

   Comme chacun le sait, Petit Prince passait ses journées à ramoner la cheminée des volcans et à faire la guerre aux baobabs qui menaçaient de tout envahir.

   Comme chacun le sait, Petit Prince décida un jour de quitter sa planète et d’aller vers les étoiles en quête d’amis. Il découvrit la Terre, le serpent qui ne s’exprime que par énigmes, une fleur « à trois pétales ».

   Mais ce que nul ne sait, c’est le lieu de sa présence et la tâche qui lui était affectée afin que, Terrien devenu, rien ne lui parût plus naturel que le paysage qui l’accueillait comme l’un des siens.

   « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Voici la première parole que le nouveau venu entendit sur ce sol si étrange que nul, encore, ne semblait en avoir éprouvé la multiple dimension. Chacun pensera, sans doute à bon droit, qu’un étranger venu de si loin ne connaît rien à la beauté, pas plus qu’il n’est familier des choses de l’art ou bien des aventures du bon goût. Eh bien, que les chicaneurs retiennent leur langue aussi bien que leur pensée, quand on est Petit Prince, venu de si loin, on possède un savoir qui dépasse de plusieurs coudées le peuple des novices et l’on ne rêve que de choses simples mais belles.

    « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». La voix venait de loin, mystérieuse, un peu tremblante car la Beauté est si impressionnante que, toujours, elle oblige ceux qui la veulent voir à ciller des yeux, sa lumière est si brillante.

   Dans son sac de voyage Petit Prince avait pris soin d’emmener quelques pierres de chez lui, deux ou trois brins d’écorce de baobabs mais aussi des pinceaux et de la couleur car il aimait peindre ce qu’il voyait de manière à en conserver le souvenir. Après avoir entendu l’étonnante demande de nouveau réitérée, Petit Prince fit accomplir à ses yeux un cercle parfait dans lequel ne s’inscrivirent qu’un genre de plaine basse et une eau qui filait à l’horizon. Ceci, pour ne pas le contrarier, ne le satisfaisait qu’à demi et c’est alors qu’il se mit en devoir de dresser la beauté telle qu’il l’envisageait, c'est-à-dire le bien le plus précieux qui se pût concevoir.

   Le ciel, tout d’abord, il le représenta tel un voile léger, dans des teintes de bleu qui allaient du denim à l’électrique, dans une manière de vibration que seules peuvent avoir les choses irréelles. Juste au-dessous il posa une touche de glacis, un jaune rosé proche du safran (cela évoquait la cheminée des volcans lorsqu’elle s’éteignait), puis, prenant un brin de recul, se décida pour faire de la ligne d’horizon ce ton plus soutenu qui disait le sérieux des préoccupations de la Terre. Il aimait par-dessus tout cette bande nette, ce genre d’application muette de la couleur qui évoquait le silence de ces lieux déserts.

   Puis, trempant sa brosse dans l’eau du ciel qu’il venait de peindre, la chargeant de pigments marron à la belle couleur d’argile cuite au feu, il traça des aires foncées que traversaient des nuances plus claires, plus lumineuses (elles ressemblaient à l’atmosphère qui tournait autour de son astéroïde), c’étaient des genres de minces lacs ou bien d’étendues de lagune où la clarté de l’espace imprimait son chemin lumineux (il se dit que la Terre était aussi belle que les troncs de ses baobabs), puis, au bas de son tableau, il appliqua une couche épaisse de terre de Sienne qu’animaient des empâtements plus légers et termina enfin par une plaine bleue qui imitait celle, immensément étendue, du ciel (il pensa à ses observations de l’éther au-dessus de B 612 à l’aide de la longue vue qui, jamais, ne le quittait).

   Satisfait de son œuvre, sans pour autant en tirer quelque vanité, il se plaisait à découvrir ce coin de mer qui jouait avec les bancs de sable et de gravier. Chez lui, c’était si étroit que ne pouvaient nullement se loger un océan avec ses côtes, ses marées, les allées et venues des belles vagues aux crêtes frangées d’écume. Aussi rêvait-il depuis longtemps à ce que, en cet instant précis, il découvrait avec bonheur, cette étendue sans fin de l’aire maritime, les bancs de sable qui bougeaient continuellement, pareils à des squales joyeux qui auraient trouvé le jeu idéal les assurant de leur félicité.

   « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Cette phrase revenait avec l’insistance d’une ritournelle et il ne savait toujours pas qui la prononçait ainsi sur un ton qui, loin d’être autoritaire, se donnait avec calme, ourlé d’une persuasion qui le rendait plaisant. On aurait dit la grâce d’une comptine pour enfants qu’auraient entonnée, tour à tour, le ciel, l’eau, la terre et le battement incessant des vagues. Petit Prince s’assit tout au bord de l’eau. De minces ondes léchaient la plante de ses pieds et il frissonnait de plaisir. Oui, là-bas, chez lui, c’était plus sec, plus minéral, mais ceci ne le dérangeait nullement car il aimait toutes sortes de pierres et de métaux. C’était vraiment une expérience nouvelle qu’il faisait ici et il en sentait l’insigne faveur jusque dans les plis de sa chair. Puis, gagné par une douce somnolence, il s’endormit alors que l’eau commençait à gagner la terre ferme. Il se réveilla soudain et se mit à gambader joyeusement parmi les éclaboussures et les jaillissements primesautiers des gouttelettes. C’étai bien d’être là avec le luxe du silence et l’immensité de l’espace tout autour !

  « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Il entendait cette petite antienne qui voltigeait autour de sa tête tel un essaim d’abeilles. Ce qu’il ne pouvait savoir, c’est qu’il s’agissait de la voix de sa conscience. Toujours la beauté nous concerne mais nous n’en ressentons, le plus souvent, qu’un vague mouvement interne. Cependant elle habite tout homme comme la lumière habite le ciel, tout comme Petit Prince habite la forêt de nos têtes depuis la nuit des temps. Beauté est immortelle. Beauté est éternité. Petit Prince en est l’un des dispensateurs. Remercions-le d’avoir fait un si long voyage !

 

 

 

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 10:13
Alors voici ce qu’en tant qu’esquisses humaines

Alors voici ce qu’en tant qu’esquisses humaines il fallait faire afin de se départir de cette constante animalité dans laquelle nous entretenait une inclination aussi primitive que propice à tout remettre dans le cornet du Destin, avant même que le temps ne s’inverse et ne nous dépose de l’autre côté du monde, condamnés à errer indéfiniment à la recherche d’une hypothétique Terre Promise.

Disons, c’est un Matin des Origines et rien ne se distingue de rien, si bien que la vision est encore operculée, pliée dans sa bogue de tissus. On est au milieu de la mangrove, emmêlé aux lourdes racines des palétuviers, parmi les battements de l’eau lourde et les vagues de limon. Des crabes aux pinces levées, nous ne percevons guère que les déplacements ambigus, les claquements de pince et il s’en faudrait de peu qu’ils ne procèdent à notre extinction. Cependant, de ceci nous ne saurions être affectés, notre conscience embryonnaire s’essayant à associer le puzzle primitif avec des gestes hésitants, encore poinçonnés de néant. Le jour n’est encore qu’une brume compacte, gélatineuse et tout bouge avec des flottements de poulpe. Longue dérive à la consistance de résine alors que les rumeurs de la Terre ne sont que des boules d’étoupe chutant dans le vide.

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