(Laetitia, détail, huile sur toile)
Œuvre : Assunta Genovesio
(Sujet d’une « nouvelle »)
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Puisque la catégorie ici abordée concerne les « Nouvelles », il faut aller voir du côté des nouvelles littéraires afin d’approcher correctement le sujet traité. Et d’abord en donner une définition telle que celle précisée dans Wikipédia :
« Une nouvelle est un récit habituellement court. Apparu à la fin du Moyen Âge, ce genre littéraire était alors proche du roman et d'inspiration réaliste, se distinguant peu du conte. À partir du XIX° siècle, les auteurs ont progressivement développé d'autres possibilités du genre, en s'appuyant sur la concentration de l'histoire pour renforcer l'effet de celle-ci sur le lecteur, par exemple par une chute surprenante. Les thèmes se sont également élargis : la nouvelle est devenue une forme privilégiée de la littérature fantastique, policière, et de science-fiction. »
Si je tiens compte des caractères qui inscrivent à la cimaise d’une écriture le terme de « nouvelle », alors mes écrits recevant un nom identique constitueraient, en quelque sorte, une manière « d’anti-nouvelle », tant mes textes s’éloignent des multiples codes qui semblent en régir les conditions d’effectuation. Rien n’est plus contraignant que de s’inspirer d’une « grille d’écriture » dans le simple souci de correspondre à l’architecture de tel ou tel genre imposé par des normes qui seraient devenues de pures conventions. Ainsi de nombreux concours d’écriture, le plus souvent du reste de « nouvelles », demandent-ils à l’auteur de s’inscrire dans une structure fixée à l’avance, ce qui, bien évidemment, ne peut que mettre à mal l’autonomie de l’écriture et l’activité imaginaire qui lui est le plus souvent associée.
Les textes que je propose au lecteur, à la lectrice, sous la rubrique de « nouvelles », méritent donc cette dénomination au seul prétexte de leur brièveté. Quant à « l’inspiration réaliste », si mes histoires semblent presque toujours partir d’un thème réel, elles n’en sont pas moins des créations imaginaires, sinon singulièrement fantasmées. En quelque sorte un genre « d’idéal » qui trouverait, en un certain temps privilégié, en un lieu utopique, les conditions de sa réalisation. Pour ce qui est de « la chute surprenante », elles invalident le plus souvent cet aspect de couperet final qui semblerait constituer la spécificité de ce type de narration. Non seulement mes « contes » ne chutent pas mais ils demeurent dans une manière de flottaison, demandant au lecteur de prolonger la lecture au seul gré de son imaginaire.
Et mes textes ne s’inscrivent nullement dans le droit fil de la littérature fantastique (il faut aller voir, dans « La chair du milieu », du côté de « néo-fantastique » pour en trouver quelques exemples), pas plus qu’ils ne sont intrigue policière ou œuvre de science-fiction. Il me paraît toujours très dommageable d’enfermer une écriture (dont le critère majeur semble être celui d’une pure disposition de soi à soi) dans les rets d’un formalisme qui n’apporte rien, sinon la répétition conventionnelle de stéréotypes sociaux ou culturels qui en restreignent singulièrement la portée. Rien de plus agréable, pour le lecteur, la lectrice, du moins j’en fais l’hypothèse, que la rencontre d’un récit où souffle la libre parole de l’invention. C’est du moins le choix que j’ai fait dans l’écriture de ces « instantanés ».
Brève incise sur la nouvelle « classique ».
Ce que je dis de mes « nouvelles », peut-être n’en méritent-elles le nom, n’infirme en rien la valeur de ce genre dont Guy de Maupassant fut l’un des maîtres les plus avisés. Je prendrai seulement l’exemple de « Boule de suif », que Gustave Flaubert qualifia de « chef-d’œuvre », de manière à faire ressortir, par simple effet de contraste, les différences essentielles entre cette écriture que l’on pourrait qualifier « d’historique » (située dans le courant historique littéraire) et celle qui a cours dans ces « brèves » (sans doute ce prédicat eût-il été préférable ?), que je publie à intervalles réguliers. L’avantage d’une telle nomination se trouve essentiellement dans la valeur générique qu’elle propose dans sa connotation même. Tout peut y trouver le lieu de son expression à la simple exigence d’un exposé limité dans le temps et l’espace.
Développant la thématique de « Boule de suif », voici ce qui apparaît dans la conception exposée dans Wikipédia :
« […] l'histoire, inspirée d'un fait divers, se déroule pendant la guerre de 1870 : dix personnes fuyant Rouen envahie par les Prussiens ont pris place dans une diligence. Parmi elles, Élisabeth Rousset, prostituée surnommée jadis « Boule de Suif » à cause de son embonpoint, se donnera à un officier prussien pour sauver les autres voyageurs qui pourtant la méprisent. L'espace clos de la diligence fait ressortir les faiblesses de ces personnages de différents milieux sociaux (nobles, bourgeois, commerçants, religieux, populaires) confrontés au malheur des vaincus : fausseté et bassesse se révèlent alors. Les thèmes évoqués dans ce cadre de la guerre sont l'obsession alimentaire, le sentiment de la liberté perdue, la crainte de l'occupant et surtout l'hypocrisie de la société de l'époque ».
Décrire le réalisme de cette scène revient, tout simplement, à en explorer les facettes éminemment concrètes (un document en quelque sorte), lesquelles facettes plongent leurs racines dans le labyrinthe souvent étroit des convenances mondaines de la quotidienneté. Ainsi, du réel, rien ne nous est épargné. La période est datée, 1870 : on est en pleine guerre franco-prussienne, bientôt la Commune de Paris et sa « Semaine sanglante ». Dans le domaine des arts plastiques, Paul Cézanne peint « L’Estaque » ; Claude Monet « L’Hôtel des Roches Noires » à Trouville ; Edouard Manet « Effet de neige à Petit-Montrouge ». Le réel est donc exalté, la nature radiographiée, l’histoire de la nouvelle n’est pas seulement vraisemblable, elle est vivante, incarnée en des existants dont, chaque jour, on peut croiser la route. La prostituée a un nom, Elisabeth Rousset, elle n’échappe nullement à sa condition puisque c’est son corps qui constituera la monnaie d’échange, le Prussien épargnant ainsi la vie de ses compagnons de voyage. Les sentiments ne sont rien moins que communs, sinon plongeant parfois dans la ténèbre et la fange humaine, les préoccupations se situent dans la sphère de l’immédiateté et d’une survie à assurer coûte que coûte.
C’est donc en prenant, en quelque manière, le contrepied de cette entreprise littéraire que mes courts récits pourront trouver à se situer. Si, chez Maupassant, les personnages sont liés les uns aux autres, enchaînés par leur logique sociale, aliénés par la loi d’airain de leur destin, dans «La Chair du milieu», ils sont infiniment libres d’eux-mêmes, entièrement indéterminés car ils n’ont guère plus de consistance que la fantaisie de leur imaginaire. C’est pour cette raison que leur « quête amoureuse » ne trouve jamais la logique qui ferait que leur désir se solde par un acte, mais au contraire, celui-ci demeure en puissance, seule empreinte théorique, image contemplée sur l’écran d’un cinéma symbolique. Pour ainsi dire ils n’ont nul destin, se confient aux étranges et bienfaisants hasards qui les portent ici où là (ils n’ont pas de lieu, d’espace qui les riverait à un sol, les contraindrait à la possession d’une terre), ils sont libres chacun de soi et ceci ne peut avoir lieu que parce qu’ils ne sont que les reflets l’un de l’autre, de pures existences narcissiques.
Sans doute ce caractère volontiers « fantasque » résulte-t-il des effets de la modernité. Si le classicisme, tel celui de la tragédie antique, situait ses acteurs dans l’irrémissible d’une situation sans issue (Ils DEVAIENT FAIRE ceci ou bien cela), les protagonistes de la « brève », au contraire, flottent dans une perpétuelle indécision qui est leur faculté la plus immédiate. Se dégageant de la sentence sartrienne « l’enfer c’est les autres » (le regard de l’autre, toujours, m’aliène), ils dérivent vers un infini qui les accueille et s’ouvre au fur et à mesure qu’ils en parcourent les coursives de cristal. L’on pourrait dire, à seulement observer leur longue dérive, souvent leur irrésolution à exister : « l’enfer c’est moi ». Or les personnages, le narrateur-homme, la rencontre-de-hasard-femme, sont des êtres qui, sans doute, ne se justifient qu’à susciter une brève réunion, pensant peut-être, à leur insu, que deux enfers peuvent faire un paradis.
En réalité ce n’est nullement le regard de l’autre qui les aliène, c’est leur propre regard qui les condamne à une éternelle errance dont ils semblent tirer, paradoxalement, un genre de profit. Ainsi, demeurer dans la marge, se situer dans une zone de clair-obscur, s’adonner au jeu d’une séduction qui pratique le surplace, autorise tous les futurs, toutes les audaces et plonge les protagonistes dans une vibration d’un désir infini qui, plutôt que d’être fermeture et condamnation, alimente une condition fantasmatique qui pourrait correspondre avec le plus de précision à leur singulière essence. C’est comme si, en fait, ils oscillaient sur quelque câble tendu au-dessus du vide (la liberté) redoutant de tomber dans l’abîme (l’aliénation). Ils sont d’incroyables funambules, des êtres métamorphiques, des nymphes attachées encore à leur état larvaire antérieur alors qu’ils croissent lentement vers le stade final de l’imago que, vraisemblablement, ils n’atteindront jamais pour la simple raison qu’accepter ceci serait l’équivalent d’une chute dans l’exister.
Or ce qu’ils veulent depuis le fondement même de ce qu’ils sont : demeurer dans leur être, se situer au seuil d’une possibilité qui pourrait toujours avoir lieu mais dont ils redoutent qu’elle ne devienne l’équivalent de la geôle d’un choix définitif. Ils se définissent « comme libres » (l’est-on jamais ?), à demeurer sur cette fragile ligne de crête qui les maintient à égale distance de cet adret qu’ils perçoivent trop lumineux, de cet ubac dont ils s’effraient, par avance, de rejoindre l’ombre. Or le lien accompli, l’alliance consommée, les désirs actualisés, voici que se donnent, dans leur plus cruelle envergure, les coups bas et les chausse-trappes, les amours maléfiques dès que consommées, les désirs usés à la pointe du jour dans la lumière aurorale qui dissout la douceur de fruit des étreintes. Maintenant les étreintes sont bardées de contingence, maintenant elles se donnent tel un constant pugilat dont jamais nul ne ressort victorieux. Seulement harassé, dans l’attente que ceci qui a été possédé (rien en vérité qu’un songe devenu chair), redevienne le lieu d’une hypothétique félicité.
Autrement dit, ils ne sont que des images, des miroirs se réverbérant l’un dans l’autre, des axiomes qui se posent sans jamais connaître la fin qui les accomplirait. Ils sont cette essence de la liberté qui, pour être insaisissable, ne peut se loger que dans les rêves éveillés, les songes creux ou bien les manifestations éthérées de la sphère poétique. A ce flou de l’être correspond, la plupart du temps, un érotisme discret, pareil au vol de la libellule. La « possession » de l’autre n’est que possession de soi. Exaltation de la subjectivité, mise en exergue de la solitude qui est le caractère princeps de l’existence postmoderne. Culture et passion d’un style de vie qui pourraient être ceux du stoïcisme (légitimation d’une beauté et d’un bonheur intérieurs qui ne s’accomplissent qu’à l’aune d’une acceptation de ce monde qui est là et se donne tel qu’il est), comportement mâtiné d’une touche d’esthétisme décadent qui se traduit essentiellement par un lyrisme qui, jamais, ne semblerait trouver ses limites, par une manière un peu surannée de pratiquer l’art de l’approche. Une avancée à fleurets mouchetés, un désir qui ne se dit pas, une volonté qui demeure en retrait comme si, la laisser se manifester, compromettrait pour toujours le début d’une mince histoire.
Parfois même, ce jeu de l’immobilité, du sans-parole, du bourgeonnement à fleur de peau induit une façon de sentiment océanique bien proche d’une extase et d’une fusion avec cette nature qui accueille. En une certaine manière un « naturalisme « est rejeté, celui qui résulte du sentiment naïf d’une présence quasiment « physiologique » du paysage, d’une terre-cheville-ouvrière du paysan, d’un ciel traversé d’hommes-machines-volantes, d’une eau que n’habiterait qu’un « Pêcheur d’Islande », document ethnologique à la Pierre Loti trouvant, dans les mailles serrées d’un filet réaliste, les raisons mêmes de son écriture.
Cette nature que l’on recherche, avec laquelle on fait corps, comme on fait corps-symbolique avec la probable amante, est objet de fusion immédiate, de chair comblée dans l’attente qu’une autre, celle hallucinée, entrevue dans l’éclair d’une porte sur le point de se refermer ou aperçue entre deux trains sur un quai de gare vienne se loger, sinon dans cette chambre-ci, dans ce boudoir-là, mais dans l’aire infiniment ouverte d’un espoir qui se confond vite avec son contraire, cette désillusion qui est la flamme négative que toujours les amants veulent rallumer afin que la mort de leur union ne se révèle en tant que seul objet clôturant la scène. Alors se crée cette étrange lumière qui crépite, cette clarté ubiquitaire qui se donne selon le rythme alterné d’une illusion précédant une désillusion, ce cycle ne semblant jamais pouvoir refermer son cercle que dans le néant de la mort.
Mais « à rebours » des décadents qui rejettent la nature, cette dernière doit être esthétisée, poétisée et le Solitaire des « brèves » l’identifie, en fin de compte, à la puissance féminine qu’il cherche et redoute à la fois. Ne pas la connaître, en quelque sorte, consiste à mourir, mais la connaître parvient au même résultat car tout fantasme réalisé métamorphose l’amour qui était censé s’y abriter en redoutable arme de destruction : le rêve qui le tissait devient soudain le réel qui en déchire la toile et en montre les hideuses coutures. C’est comme la promesse d’une offrande qui vire au cauchemar lorsqu’elle ne se révèle qu’en tant que piège. Mais, afin de ne nullement disserter dans le vide, quelques extraits de textes commentés tâcheront de cerner de plus près la « réalité » de cette écriture.
Extrait de « Silenzia »
« Jamais personne ne s’immisçait dans la solitude de Silenzia. Jamais personne ne la distrayait dans l’écoute des sons qui la traversaient et la portaient au plein de son être. Il y avait une telle concordance, une telle effusion, un jeu si subtil de vases communicants. Silenzia ne s’éloignait de son corps que dans la proximité car les bruits l’habitaient de l’intérieur et ceux du dehors étaient des voix blanches, des vols de phalènes, des pliures de soie dans l’air exténué de beauté. Sa beauté à elle était tout intérieure, pareille à la chair couleur de corail qui dormait dans la conque d’une nacre et ne souhaitait que ceci, être disponible au flottement infini des choses ».
Commentaires - Ce qui me paraît l’essentiel, ici, c’est bien que l’écriture se livre, dès l’abord, à un exercice de style. Poético-décadent pour dire vrai. Un style qui avance pour ne rien dire puisque, en tout état de cause, la situation qu’il est chargé de décrire est simplement l’irréel en son constant étonnement, en son illisible fluence. Ce qui, d’emblée, est évincé, c’est le cadre spatio-temporel qui permettrait de situer, d’identifier ce mystérieux personnage. Son nom est déjà une gageure, Silenzia, celle d’une nomination atypique qui le renvoie, ce nom, dans l’instant, au songe dont il semble provenir. Car ces « personnages » n’ont de sûre effectivité qu’à disparaître aux yeux des lecteurs. Le thème orphique de l’insaisissable rôde toujours tel un voleur à l’horizon de la brève. Toujours il s’agit de l’errance d’Orphée cherchant jusqu’à la folie son Eurydice. Toujours il s’agit, pour le narrateur (ces histoires, dans leur quasi-totalité, se disent à la première personne), d’évoluer au sein même de son propre état d’âme que lui renvoie, brillant et fascinant miroir, cette femme-ci ou bien cette femme-là qui ne sont en réalité que de rapides et éphémères incarnations d’une quête onirique permanente. A l’évidence, ce qu’apportent le rêve (fût-il nocturne ou bien diurne, éveillé), la fluctuation imaginative, c’est cet incroyable espace de liberté qui, cependant, connaît son inévitable revers d’ombre parce que le protagoniste qui s’y illustre ne revêt jamais que la figure d’une éternelle absence. La narration est constamment sur le mode de la fuite, sur celui de l’enchâssement, l’un en l’autre, de moments qui n’ont guère d’épaisseur, semblables à ces murs de papier qui habillent les parois des maisons de thé.
Chaque personnage mis en scène est un solitaire qui fait face à une autre solitude. L’association des deux ne fait jamais place au lieu d’une fusion, d’une complétude, mais s’accroît de la désespérance tranquille de l’essence des choses dans leur plus troublante fugacité. Histoires où les sujets se croisent plus qu’ils ne se rencontrent, histoires du rapide clin d’œil, de la connivence soudain entrevue mais qui ne possède nulle durée, histoire sans histoire puisque c’est bien la climatique du sentiment autour de laquelle tout gravite sans que, jamais, le centre, le foyer, en puisse être atteint. Les êtres sont des êtres de papier, des insectes tout juste parvenus à leur imago, oui, ceci il faut le dire à nouveau, le répéter telle une monotone antienne, mais des êtres qui conservent leurs plus profondes attaches à ce stade de la nymphe qui les attire et les livre nus à leur propre métamorphose inaccomplie.
Car cette dernière, toujours en voie de devenir, ne semble guère connaître qu’une temporalité indécise, sans réel fondement. Le passé se fond à même les réminiscences qu’il convoque, le présent vibrionne tel le vol fixe du colibri sans que jamais l’instant qui l’habite ne puisse être révélé. Quant au futur il s’annonce telle l’énigme qui se pose, laquelle ne peut trouver appui que sur « des voix blanches, des vols de phalènes, des pliures de soie », autant dire sur des incertitudes, des sols à la consistance de sable, des vortex qui en travaillent la fragile texture. La plupart du temps, ces fictions mettent en présence un scrutateur de beauté privilégié, écrivain ou journaliste (quelqu’un qui ne vit donc que pour les mots, par les mots, donc se nourrit essentiellement de symboles), lequel observateur porte un regard fasciné sur la femme, le paysage, la femme à l’intérieur du paysage, le paysage à l’intérieur de la femme, le ruissellement d’une grâce infinie que la présence féminine, désirée, porte à son acmé.
Sans doute cette écriture est-elle celle d’une mélancolie, d’une tristesse vacantes mais que féconde l’expérience, à proprement parler extatique, du possible amour qui se trame comme en filigrane, se donne comme l’ultime possibilité de l’homme de se connaître, de réaliser sa propre assomption au travers de cette altérité qu’il perçoit en tant que son propre fragment, exilé de lui. La singularité qui apparaît est bien celle d’une pure subjectivité qui ne demande que le comblement de son propre ego. Seulement ceci n’est qu’un vague ressenti du sujet, à peine conscient de cette entreprise hautement narcissique. Cependant une éthique est convoquée qui laisse dans l’entière liberté le vis-à-vis qui, d’une manière fugitive, aura été perçu comme le comblement d’un bonheur sur le point de se réaliser. Cet autre, aperçu au travers d’un rideau de tulle, fera de sa vie ce que bon lui semble, peut-être demeurer en soi et en goûter la vénéneuse présence. Oui, « vénéneuse » pour la simple raison qu’aucune solitude ne saurait trouver en soi les germes d’une satisfaction. Mais l’attente en tant qu’attente est ce doux frémissement de l’aube qui tarde à devenir jour et tire, de ce suspens, une intime joie.
S’il y a « conquête », de la part de celui qui vit sur le mode de l’affût, elle n’est jamais qu’une théorie, une contemplation, un sentiment se levant à l’horizon de deux consciences qui, bientôt, seront, à nouveau, deux solitudes en quête d’un hypothétique amer auquel confier son erratique forme. Peut-être ne s’agit-il, en définitive, que de deux images se réverbérant l’une en l’autre le temps d’une brève illusion. Peut-être ? Ce procédé de l’anaphore - utilisé à l’instant -, qui conclut sans les refermer mes « nouvelles », constitue-t-il, sans doute, une invitation à poursuivre soi-même la fiction, à tâcher de résoudre un problème demeuré en suspens. Lecteur, « fais ce que voudras ! ». Telle est la devise de l’abbaye de Thélème du bon Rabelais : seulement une utopie. Le lieu d’une libre aventure.