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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 15:01
J’ai écrit ton nom

Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

 

J’ai écrit ton nom

sur de hautes falaises,

là où le ciel n’avait

 plus d’appui.

J’ai écrit ton nom

aux cimaises du jour,

à l’heure levante

où dorment les hommes.

J’ai écrit ton nom

dans le sable des dunes,

sur les sentiers semés d’herbe,

au creux des blanches dolines.

 

J’ai écrit ton nom

aux margelles des fontaines,

là où l’ombre devient blanche,

où parle le silence.

Ton nom je l’ai gravé

 dans le marbre doux de la glaise,

sur les clartés étoilées du bronze,

dans les coulures d’encre.

Ton nom je l’ai chanté

parmi le conciliabule

des mouches,

au plein

des fêtes dionysiaques,

 au revers des feuilles.

Ton nom j’en ai fait

de subtiles vrilles

pareilles à ces lianes

qui épousent les rameaux.

 

Ton nom, oui,

 l’Imprononçable,

celui toujours en fuite de soi,

 je l’ai murmuré au sein

 des conques marines,

dans la pulpe verte des oasis,

sur les hauts plateaux

où glisse la lumière.

 

Toi à qui je destinais

mes gestes,

ma voix,

 le lac gris de mes yeux,

 pouvais-tu, au moins,

en saisir la fugue,

en goûter la singulière fragrance ?

Ton nom je l’ai vu surgir

 au bout de mon stylet,

creuser la feuille de cuivre,

mordre le métal,

 puis fondre au loin

dans une brume légère.

 

Toi, l’Impalpable,

 sais-tu au moins

qu’à chaque instant

qui passe,

des milliers de lèvres

prononcent

les contours de ton être,

que des milliers de gorges

se serrent à seulement

évoquer qui tu es,

que des milliers de larmes

sont chaque jour versées

pour insuffisamment

 t’amener à la présence ?

 

 Ton nom de vent,

nul ne peut s’en dire

possesseur.

Ton nom de feu,

bien des quidams

 s’y sont brûlés.

Ton nom de glace

se consume telle l’étoile

 au fond de la galaxie.

Ton nom de rien,

pourtant,

 emplit le vide

qui devient

 pure offrande de soi.

Ton nom,

chaque heure qui passe,

trouve son écho

tout en haut d’un parchemin,

connaît son rayonnement

dans l’espace

entre deux âmes,

brûle dans le rougeoiement

du désir.

 

Qui n’a jamais prononcé

ton nom

vit un enfer sur Terre.

Qui n’a jamais entendu

ton nom

est comme le paralytique

soudé à son immobile lieu.

Qui n’a jamais rêvé

ton nom

est pareil au mendiant

aux mains nues.

 

J’ai écrit ton nom

sur les pages de mes livres,

sur mes cahiers d’enfant,

je l’ai inscrit

sur mes plumiers d’écolier.

Encore il résonne

dans le vestibule

de ma mémoire,

 il fait ses belles

confluences,

il fait bourgeonner

ses somptueuses

réminiscences.

 

J’ai écrit ton nom

au fronton des musées,

 sur le marbre luisant

des péristyles,

sur le tranchant

des silex,

dans l’hélice de gemme

des fossiles,

sur les cailloux bleus

des moraines,

sur les bâtons percés

de nos ancêtres.

Je l’ai écrit sur le seuil

des jardins,

sur la pierre

des portiques,

j’en ai fait

de brefs aphorismes,

des formules lapidaires

 presqu’effacées

sur quelque évanouissante Babel.

 

Je l’ai fait résonner

dans les boyaux des grottes,

sur les draperies de calcite,

sur les colonnes de cristal

où repose le vaste pied du monde.

Vois-tu, Toi qui fuis

à l’horizon des choses,

as-tu bien conscience de ta valeur,

connais-tu l’amplitude

de ta puissance,

as-tu seulement

l’idée du royaume

dont tu es le héraut ?

 

Ou bien es-tu si Illisible

que tu ne parviens nullement

 à ton propre déchiffrement,

hiéroglyphe flottant

dans l’immense nacelle

 de l’univers ?

Mais pourquoi donc,

lorsque les hommes s’essaient

à écrire ton nom,

leur main tremble-t-elle ?

Mais pourquoi donc,

lorsque les femmes

t’inscrivent dans leur voix,

se lève un bruit

pareil à un sanglot ?

 Pourquoi, lorsqu’un enfant

 balbutie ton nom,

ce dernier devient

 si évanescent,

 tout juste un ris de vent

à la face d’un lac ?

 

Aujourd’hui, vois-tu,

 au seuil de l’année nouvelle,

 j’ai décidé de t’écrire

 un court poème,

un genre de rituel,

peut-être de vœu intime

qui m’accompagnera

et, je l’espère,

me comblera.

 

Au seuil de l’An Neuf

Magique Présence

Oseras-tu encore m’ignorer ?

Un seul geste de toi, pourtant,

Rimerait avec bonheur.

 

Oui, avec BONHEUR

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 14:57
Où, la beauté ?

                               « En Malepère »

                        Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

   Longtemps les hommes avaient tourné à l’entour d’eux-mêmes. Longtemps ils avaient voyagé sur des ferries immenses comme des immeubles. Les cheminées fumaient, haut dans le ciel, deux cordes fuligineuses qui cinglaient l’écume des nuages. Longtemps ils avaient longé les longues coursives blanches, passant d’une cabine à une autre, d’un salon chargé de stucs multicolores à une salle de jeux où, sous la lumière d’aquarium des vertes opalines, de méticuleux croupiers faisaient glisser, au bout de leurs rateaux, des piles de jetons marqués du chiffre aigu de la convoitise. Les hommes étaient descendus à Dubrovnik ou bien à Venise, ces « Perles de l’Adriatique », ils avaient visité tout ce qu’il y avait à visiter, les cafés, les musées, les restaurants, les magasins chargés de souvenirs. Ils avaient vu les gondoles en plastique avec leurs proues levées, les Ponts des Soupirs en plâtre peint, les églises baroques et les palais en bois polychrome. Ils avaient vu « la beauté » sur les catalogues aux pages glacées des voyagistes, ils avaient vu, en réalité, son envers, sa face brillante qui lustrait les yeux mais ne pénétrait nullement les âmes. Ils pensaient avoir vu mais demeuraient logés au cœur même de leur nuit. Ils n’étaient nullement sortis de leurs propres et étroites enceintes.

   Le jour n’est pas complètement le jour, la nuit n’a encore renoncé à étendre la toile noire de son prestige. C’est un étrange mélange des deux principes, du clair et de l’obscur, un sortilège subtil, une rencontre qui se fait dans la manière d’une osmose. En ses plis de suie, la nuit porte encore la mémoire du temps qui vient tout juste de bourgeonner. En ses écharpes boréales teintées de gris, le jour annonce le temps futur, celui qui nous surprendra, nous les hommes, nous les femmes, à peine issus du monde des songes, projetant déjà mille menus projets qui ourdiront les mailles d’un bonheur grésillant dans le lointain, nous en sentons déjà la moisson dans la conque docile de nos corps. C’est si heureux d’être là, parmi l’esseulement du monde. Rien ne saurait nous distraire de la tâche de voir. Oui, de « la tâche » car il y a exigence à porter sur les choses le regard qu’elles sollicitent afin qu’exactement connues, elles puissent nous parler ce langage de la vérité qui est immanent à la Nature juste et belle, cette exception que trop peu perçoivent, leurs yeux perclus d’objets de pacotille qui les attirent, les fascinent et les clouent à demeure, dans l’étroit réduit des envies d’usage et de maîtrise, ces liens qui enserrent les esprits et les maintiennent « dans les fers ». Nul ne peut être libre dont la condition est de dépendre de ceci ou bien cela qui ne se donne jamais qu’en « monnaie de singe ». Désirez intensément cette babiole qui vous aguiche et vous n’aurez alors plus grande certitude que de contribuer à votre inévitable aliénation.

   Ici, en Malepère, ce haut pays qui fait tellement penser au paysage buriné de Hurlevent, à sa dense austérité, à ses vastes étendues de lande, à ses herbes folles couchées sous le vent, à ses caravanes de nuages rôdant au ras du sol, ici donc, est le domaine de la pure liberté, de la vérité si elle possède un lieu et, conséquemment, de la beauté inaltérée de ceci même qui a été préservé de toute souillure, de toute invasion, dont le silence et l’âpreté de la géographie sont les tensions essentielles qui animent son constant voyage vers l’illimité, le ressourcement immédiat, peut-être l’infini, cet horizon si bas qu’il semble en peine de proférer son propre nom.

   Il en est ainsi des perspectives simples, elles viennent à nous avec tant de naïveté, de spontanéité que notre peau en est touchée sans même que nous en éprouvions le délicat glissement, quelques cercles posés dans le frémissement de l’air. Nous, les adultes, dont les yeux ont été usés par tant d’images virtuelles, dont les oreilles ont été envahies par des nuées de percussions diverses, peut-être sommes-nous les derniers à pouvoir nous ouvrir à cette sensation purement minérale, géologique, primaire en quelque sorte. Seuls de jeunes enfants doués d’une saisie instantanée des phénomènes pourraient en témoigner. Ils sont purs, inaltérés, et leur naturelle innocence constitue le réceptacle même au gré duquel ce voile de nuages, cette mer noire du ciel, cette pente à peine proférée du sol, cet arbre perdu dans la vastitude de l’espace, ce pli de terrain pareil au cerne qui délimite une figure, cette herbe rase qui se perd dans le proche illisible, apparaissent avec toute la profondeur dont ils sont investis. Peut-être est-ce le peuple doué de candeur et d’ingénuité, l’enfance aux mains vierges, qui pourrait être à même d’en mieux décrypter le sens ?

   Nous, les adultes, devant ce pur prodige de l’être-Nature en sa plus fraîche donation, sans doute serions-nous tentés de rajouter, à cette beauté, des cortèges de mots dont nous penserions qu’ils pourraient se donner en tant que commentaires mélioratifs de cette réalité-là, posée devant nous dans sa plus grande sobriété, dont nous souhaiterions exhausser le caractère singulier. Usant du langage à la façon d’un simple cosmétique. Mais combien ceci est erroné, combien ceci est lié à une perception exacerbée des vertus anthropologiques. Ne dire mot, tel l’enfant dans sa première découverte du monde, voici la seule attitude qui vaille. La seule qui ouvre la matière sourde, qui fasse sa constellation d’esprit, qui métamorphose le réel en cette troublante cosmopoétique qui atteint les rêveurs d’idéal, les alchimistes du sens, les magiciens des rimes et les jongleurs de prose.

   Les lieux où se donne la beauté sont entièrement autonomes. Nul besoin d’une hétéronomie - une parole, un dessin, une esquisse -, qui serait commise à en majorer la présence. C’est du centre même de leur être que tout rayonne. Nous n’accroissons nullement les prédicats du ciel, de l’arbre, de l’herbe au simple motif que nous en constatons l’émergence. Nous n’apportons rien de plus que ce qui, déjà, s’y trouvait, inscrit en creux, logé au plein de sa propre manifestation. Nul besoin d’un bavardage supplémentaire. Peut-être suffirait-il de créer des espaces intouchés, libres de toute atteinte, en quelque sorte de dresser des conservatoires où la beauté se regarderait comme dans un miroir. Nullement narcissique, cependant, l’ego n’est qu’une détermination de l’être humain dont il use avec la prodigalité qu’on lui connaît. Nous questionnons ainsi : les territoires vierges de toute incursion, ne seraient-ils ceux qui, en toute sérénité, diffusent le plus grand éclat, l’essence la plus  accomplie ? Nous interrogeons.

 

 

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 14:54
Sortir du jeu

 

« Conte de fées »

Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

                                                                                  Le 6 Décembre 2019

 

 

                        Très chère Etoile du Nord,

 

 

   Voici une éternité que je n’ai eu de tes nouvelles. Le temps passe, s’étire, s’allonge dans tous les sens avant même que nous n’en ayons repéré la fuite prolixe. Ici, sur mon Causse couru de longs frémissements, les jours sont blancs et livides que ne trouble, parfois, que le cri du geai surpris au bord de son nid. Chez toi, dans le Grand Nord, les paysages doivent être poudrés de blanc, les nuits longues traversées du murmure des étoiles. Te tiens-tu auprès de ta cheminée que je devine rougeoyante du feu de la passion ? Te réfugies-tu toujours autant dans les pages de tes livres, eux qui sont les précieux gardiens de tes jours, les figures tutélaires de tes nuits ? Mais je n’ai nullement besoin d’une réponse, mon imaginaire suppléera aux vides qui, ici et là, dessinent l’orbe dans lequel tu mènes ton existence si mince, si éphémère, comme si elle était réfugiée au plein de tes forets d’épicéas, de mélèzes et autres sapins.

   Mais, aujourd’hui, je veux t’entretenir d’une peinture qui n’existe qu’à me questionner. Te connaissant au centuple de ta propre conscience, je sais que cette image te parlera, que peut-être même, tu la feras tienne, tellement elle paraît être l’écho de qui tu es. Je te sais si retirée dans la mutité de ta chair, si sensible aux mouvements de ton âme, aux mille sensations qui irisent ta peau des frissons du doute, de l’angoisse d’exister, toujours. Pourquoi sommes-nous ici sur terre ? Quel est donc le sens de notre cheminement ? Avons-nous une mission à accomplir dont nous n’aurions éprouvé l’urgence ? Voici les interrogations qui t’animent, toi la Métaphysicienne Boréale. Tes aurores d’émeraude, ces immenses crinières qui balaient le dôme du ciel, te délivrent-elles de tes errances ou bien, au contraire, attisent-elles en toi la braise vive des soucis ? Non, ne me donne nulle réponse, mon intuition suffira à te cerner mieux que tu ne pourrais te décrire toi-même. Par rapport à notre singulière essence, nous sommes les-sans-distance, c’est pourquoi nous atteint une myopie constitutive qui nous laisse dans la plus abrupte des inconnaissances.

   Mais, l’image. Voici : la pièce est noyée dans une teinte vert bouteille comme celle que, sans doute, l’on peut trouver au fond des abysses marins. Ou alors il pourrait s’agir d’un cuivre vieilli qui aurait séjourné dans un sombre réduit, oubliant jusqu’à la transparence du jour. Oui, cette nuance, je l’avoue, est ce qui s’approche le plus d’une démesure de la condition humaine. Sans que rien n’y apparaisse jamais, l’on pourrait dérouler, sur l’écran de son imaginaire, soit des cohortes de pauvres hères progressant dans le boyau d’une obscure mine, soit l’ambiance d’une banlieue glauque poissée de brume, au bord de quelque canal aux eaux éteintes. Vois-tu, une atmosphère à la Beckett avec, pour seule toile de fond du destin humain, la désespérance et le gouffre du sexe ou bien la violence de fascinants narcotiques.

   Puis un mystérieux nuage (le dehors assiègerait-il le dedans ?), couleur de soufre, en sustentation au-dessous de ce que l’on suppute être un plafond. Au sol, deux assises, sans doute d’antiques chaises ne possédant plus que les montants, posées là dans leur propre effroi. Auraient-elles un esprit, elles se demanderaient la raison de leur présence dans ce site étrange qui pourrait bien ressembler au décor dépouillé d’une pièce de théâtre contemporain animé de sourdes convulsions existentielles. Vois-tu, écrivant ceci, il me vient à la pensée cette chose bizarre du nouveau paradigme de la modernité ne trouvant ses fondations intimes qu’au travers des drames particuliers ou universels qui tissent les mailles de l’Histoire et se gravent au plein de la psyché des hommes : l’exclusion de l’autre, la famine, les génocides, les atteintes à la liberté, la manipulation des consciences et mille autres travers qui sèment le sol de la grande lande humaine. Oui, tu me trouveras bien ténébreux en cette veille hivernale qui, certainement, évoquera pour toi le tableau de Bruegel l’Ancien « Paysage d’hiver », on n’y voit que désolation et tristesse comme en une manière de fin du monde.

   Sais-tu, j’ai gardé pour la fin le motif qui synthétise le tout de l’œuvre : la teinte crépusculaire de la toile, l’inquiétant nuage (on pourrait le trouver dans une composition à la De Chirico), les chaises vides, le dénuement total de la pièce, eh bien voici, à l’extrême droite du subjectile, si près de franchir la clôture du cadre, une forme féminine inquiétante, s’enlevant elle-même sur ce fond constant d’inquiétude. Casque de cheveux noirs plaqués sur la tête. Visage de marbre qu’on penserait venu d’outre-tombe, corps fluet à la teinte de mastic, à peine le voile d’une vêture légère pour abriter le haut du corps. J’en conviens, ce projet artistique est noir, doué de pouvoirs thanatogènes réels, mais je sais combien il ne pourra atteindre ton intégrité. Malgré l’apparence du cristal, tu as la résilience de ces bouleaux qui défient le froid de la taïga et fleurissent tous les printemps au milieu de la débâcle des glaces et des torrents furieux qui se fraient un chemin vers l’aval du temps.

   Mais pourquoi donc t’entretenir de ces sujets qui te hantent tout naturellement ? Précisément, pour offrir une nourriture substantielle à tes pensées. Je te vois, méditant tout ceci près de l’âtre où grésille un feu couronné d’étincelles. Un instant seulement, le temps d’un éclair, j’ai cru te reconnaître dans cette fuyante effigie qui, nuitamment ou peu s’en faut, paraissait se diriger vers les coulisses, sortir du jeu théâtral, peut-être même s’absenter définitivement des coursives de l’existence devenues soudain trop étroites, insupportables. Je savais la projection de mon esprit sur ce réel-là, fantaisiste ou bien extravagante, extrapolant, de toute forme faisant irruption, les plus illusoires rêves. Tu le sais, je suis un genre de romantique attardé, de Musset cherchant dans les événements d’un siècle passé, les motifs d’un possible présent, les hypothèses d’un futur vraisemblable. Comment aurais-je pu, même par un geste involontaire de ma pensée, réduire ton destin à telle peau de chagrin ? Tu mérites bien mieux que cette évasion du monde, ce retrait dans le néant. Peux-tu seulement imaginer, du plus loin de ta steppe septentrionale, l’écrivain que je suis, penché sur sa table, grattant le papier de signes aussi illisibles que fantasmatiques ? Tel Musset composant « Nuits de mai » et ne rêvant que de « Nuits de Décembre », tout juste contre l’équinoxe qui gronde et promet le plus terrible des avenirs. Sans doute, en plus d’un sentimentalisme profondément enraciné dans mon être, je crois être atteint d’un tropisme nocturne, hermétique qui m’oriente vers la fascination de l’obscur, la recherche du drame et, pour finir de la Mort, afin de nommer Celle qui me donnera le dernier baiser. Mais t’avouant ceci, je ne suis nullement triste. C’est la farce, le comique, le bouffon qui sont tristes, eux qui ne rient jamais que du malheur des autres. Eux qui ne trouvent sens à la vie que dans la moquerie et la plaisanterie légère.

   T’apercevant si proche malgré la distance qui nous sépare, je suis auprès de toi, plié dans ta nuit boréale et j’écoute avec joie le feu qui crépite. Oui, tu es là bien vivante, pétillante telle une eau vive. Vraiment il faut que j’efface cette image de toi que mes songes avaient tracée au charbon sur le vierge de la page. Oui, j’efface et je demeure pareil à l’enfant lové contre l’épaule douce et accueillante de sa mère. La mienne disait : « Tu seras toujours un enfant ! ». Il sera toujours temps de s’enfoncer dans le marécage de la maturité. Viens donc, faisons ensemble le voyage de l’amour. Nous avons la vie devant nous !

 

 

 

 

 

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 09:34
Révélation

Troupeau au bercail

Oued Nu’eima

Palestine

Photographie :

 Charles Luke Powels

 

***

 

 

  « Ma révélation, que j’attends. Je sais qu’elle viendra, un jour ou l’autre. Je ne suis pas pressé. Mais quand elle viendra, quand en moi naitra et se formera cette colonne, quelle joie, quelle ineffable joie, faite de tant de douleurs et de plaisirs réunis, qui montera solide et inébranlable, qui me jettera vers le plus haut et m’offrira éternellement à moi-même. »

 

                                                     J.M.G. Le Clézio - « L’extase matérielle »

 

*

 

   « Révélation », le mot lui-même est déjà empreint de cette dimension d’inconnu, de mystère, de dévoilement de vérités soustraites à la raison et ceci, cet horizon qui peut se vêtir de toutes les chamarrures possibles nous convoque irrémédiablement à la fête du songe éveillé. Car, sous ce mot magique de « révélation », nous voulons mettre tout ce que nos frustrations successives ont ôté à notre préhension du monde, nous voulons connaître cette « ineffable joie », nous voulons nous dépasser nous-mêmes, arriver en cette « Terre Promise » dont, toujours, nous avons poursuivi l’évanescente image sans jamais pouvoir la saisir en son entièreté. Faut-il le redire, sans cesse, faut-il se morfondre à cette irréfragable réalité, nous sommes des êtres du fragment, nous en sentons le vertige permanent, nous sommes des genres d’individus qui, peut-être, ont un jour connu un bonheur qui s’est effacé, qui s’est fondu dans les étroites fondrières de la mémoire ? Nous nous vivons tels ces êtres amputés d’un membre, nous en souffrons toujours, son absence est, paradoxalement, cruelle présence. Rien n’est plus éprouvant que d’avoir connu quelque gloire dont l’étiage actuel nous désespère au sombre motif que nous ne pourrons nullement en réactualiser l’heureuse forme. Mais, vraisemblablement, avons-nous mieux à faire que de nous désoler et d’incliner vers une tristesse permanente qui ne ferait que mieux nous assujettir aux contraintes du siècle !

   Il suffit, en quelque sorte, de « cultiver son jardin » ou, mieux, de donner jour à d’agréables pensées qui se révéleront comme l’envers de toute infortune. C’est bien là la tâche de toute conscience intentionnelle que de se consacrer à sa permanente édification, de créer les conditions de ses propres possibilités, de dresser cette « colonne », de hisser cette stalagmite dans l’espace serein de la liberté. Oui, de la liberté. Certes cette vertu est rare, elle court le plus souvent à bas bruit sous une faille de limon ou une strate de roches, elle profère dans la discrétion cette félicité qui serait nôtre si nous savions en ourdir les invisibles fils. Que la liberté ne vienne que de nous, qu’elle irradie telle une flamme au sein de notre libre arbitre, ceci est une évidence et n’a nul besoin d’une longue démonstration. Les événements du monde qui nous rencontrent percutent constamment la cible de notre entendement, il nous faut en faire des choses libres et c’est à NOUS, uniquement, qu’incombe cette belle et noble action. Postuler sa liberté est déjà être libre.

   Cependant toute révélation ne saurait dépendre de nous. Nous n’avons nulle autonomie en ce domaine. L’aurions-nous, nous serions identiques à ces autistes enfermés dans les cloisons de leur geôle, n’apercevant guère du monde que de rapides esquisses, comme au travers d’étroites meurtrières. Puisque l’essence de la révélation est de dévoiler « quelque chose de caché, d’inconnu », il est entendu que ces réalités-là nous sont extérieures, qu’elles outrepassent notre frontière de peau, qu’elles vivent quelque part en un lieu hors d’atteinte qui, lorsque la brume de l’inconscient se déchire, nous envahit au même titre qu’une marée déverse sur le rivage sa belle et éblouissante crête d’écume. Alors, le propre de la révélation est aussi bien emplissement d’une félicité que foudre d’un chagrin trop vite arrivé.  C’est bien là le fond de la nature humaine que de « trier le bon grain de l’ivraie », de mettre du côté éclairé du soi, les charges positives et d’ignorer les négatives, de les refouler en quelque sombre réduit dont on espère que la ténèbre finira par en venir à bout.

   Mais oublions un instant la mortalité des Existants, mettons en une parenthèse « enchantée » la lame aiguë de la finitude. Remisons les tristesses au fond d’un puits. Faisons des contrariétés de simples ris de vent bientôt effacés par l’avancée du jour. Déployons, tout à l’extrémité de notre navigation hauturière, la grand-voile blanche, ouvrons le foc qui nous tirera en direction des terres inondées de lumière, là où ne paraît ni l’oubli meurtrier, ni le souci incisif, ni ce mal à l’âme constitutif de tant d’erratiques figures. Ce qu’il nous faut dire, maintenant, c’est que la révélation n’est nullement l’effet de quelque baguette magique agitée par le Sourcier d’un divin bonheur. La révélation, fût-elle extérieure, éloignée, invisible, c’est NOUS qui la fabriquons, c’est NOUS qui lui fournissons les ingrédients au terme desquels elle s’éploiera, comblant en ceci nos manques les plus secrets mais aussi les plus urgents.

   Nul ne peut vivre sans révélation, celle-ci se ressourçât-elle à l’Histoire, à l’Art, à la Religion ou bien à la Philosophie. A notre insu et parfois le sachant, pour les plus lucides d’entre nous, nous sommes constamment traversés par les étoilements de ces universaux, notre chair en est abreuvée, notre esprit illuminé. Nombre de nos semblables s’en défendent pour la simple raison qu’ils n’en perçoivent que le thème religieux dont ils veulent à tout prix s’exonérer. Mais en ceci ils se trompent, être soi-même révélé par la contemplation d’un paysage, d’une œuvre d’art ou la rencontre d’une altérité est simplement une manière de processus alchimique qui opère notre métamorphose et démultiplie la richesse de notre regard, façonne à nouveaux frais les contours de notre expérience du monde. Toujours avons-nous à nous confronter à cette nécessité d’un renouvellement de notre substance, d’une réorganisation de notre chair intellective.

   Notre pensée est hautement tissulaire, soumise au régime du métabolisme, influencée par les variations chromatiques, les nuances qui, ici et là, essaiment leur subtil rayonnement. Découvrir cet invu, connaître cet insu, entendre cet inouï des choses, c’est non seulement vivre selon la loi de la nature, c’est exister selon sa propre loi et déplier la spirale des révélations. Admirer le vol plané du rapace sur le miroir lisse du ciel : révélation. Apercevoir un liseré de lumière sur la silhouette d’un animal sauvage : révélation. Goûter le suc d’un fruit, en apprécier la singulière saveur : révélation. Cependant la révélation n’est pas le produit d’un simple regard qui connaitrait l’univers de la présence dans une manière de distraction heureuse. La révélation ne se donne qu’à l’issue d’une recherche, non nécessairement inquiète, mais assidue, constante, exigeante. La plupart des étoffes de l’exister sont occluses, refermées sur leur propre secret, non accessibles en une immédiateté de leur saisie. Il convient de percer le mur des apparences, de le franchir, d’examiner ses coutures, de lire la profondeur du derme, sa complexité dissimulée sous la résille unie de la peau.

   Mais, soit, la révélation nous fût-elle expliquée, nous ne savons vraiment en quoi consiste son être, la raison particulière que telle chose l’ouvre, telle autre chose la laisse en l’état et nous poursuivons notre chemin sans avoir été alertés par quoi que ce soit de remarquable ou bien de précieux. Ce qui, je crois, est à relever, ceci qui constituera la thèse minimale de sa compréhension : c’est parce qu’en nous, en notre tréfonds le plus intime, existe une niche ontologique disposée à l’accueil de sa forme que la révélation peut donc faire phénomène et dilater notre conscience au point que cette dernière s’accroîtra de manière décisive. « Décisive », telle est la qualité supposée du prédicat dont nous pouvons l’affecter. Toute posture qui serait en-deçà ramènerait sa présence à la simple fonction d’un objet contingent parmi une foule d’autres. Et quelles sont les briques qui édifient sa structure si ce ne sont les singularités de nos goûts, les particularités de notre vision, les facettes multiples de nos expériences, les choix que nous effectuons en permanence dans le domaine du réel, en un mot le réseau serré de nos affinités qui sont nos points d’affleurement au monde ?

   Nécessairement, il doit y avoir connexion entre nos attentes et les événements qui sont censés les combler, il doit y avoir même plus, une sorte d’osmose, d’empathie naturelle, souvent d’aimantation afin que, nos pôles coïncidant avec ceux de la chose élue, puissent se dessiner les éléments d’une architecture « qui montera solide et inébranlable », nouvelle perspective à l’orée d’un nouveau paysage. Et puisque le paysage est en question, cherchons la trame qui y dessine le cheminement des affinités, y destine l’exception d’une révélation. La photographie de cette terre de Palestine qui sert d’introduction à cet article est essentiellement belle, assurément authentique. Mais, pour autant, beaucoup la regarderont sans y attacher d’importance, simple vue du monde parmi la pléthore des représentations du divers.

    Ce qu’il faut croire, c’est que notre histoire personnelle en détermine les conditions actuelles d’apparition. Avons-nous conservé, dans le souvenir, l’empreinte de ces images bibliques lors d’une éducation religieuse ? Sommes-nous sensibles aux formes dépouillées, pures, aux territoires à taille humaine que l’activité de l’homme n’a nullement déflorés ? Est-ce le calme prodigieux d’une telle nature qui nous atteint, sa réserve d’immobilité, son air d’éternité ? Est-ce le contraste entre ces terres érodées, au premier plan et la générosité des pâturages plus loin, les crêtes des montagnes qui semblent parsemées de neige ? Toute une rhétorique bucolique, idyllique, romantique dont notre âme voudrait s’abreuver tout au long des temps qui viennent à nous.

   Ici nous voyons bien que la révélation est de nature principiellement subjective, qu’elle repose entièrement sur le sol que nous avons édifié au cours des âges. Bien évidemment, pour nous, nous sommes, envers et contre tout, le premier maillon interprétatif du monde que nous rencontrons. Tel « troupeau au bercail » qui me fait rêver dans sa belle dimension pastorale en laissera indifférents plus d’un qui trouveront leurs propres révélations à apercevoir le mirage ruisselant des villes ou bien la salle de jeux noyée dans la lueur verte des opalines. Et pourquoi, du reste, une révélation serait-elle supérieure à une autre ? Les motivations sont si vastes qui courent le long de toute psyché, les lignes de force si différentes qui structurent les actes, les énergies internes si diverses qui animent l’exister, la gamme des affects si étendue qui détermine la climatique d’une aventure humaine. Pour l’écrivain Le Clézio, assurément, la révélation est divine surprise, jet de soi dans un fascinant et brillant avenir, trajet de comète à nul autre pareil. Et c’est tant mieux, un écrivain de cette nature a besoin de cette hauteur-là (« qui m’offrira éternellement à moi-même »), afin de persévérer en son être et offrir à ses lecteurs - ces miroirs inversés de l’auteur -, les plus belles pages qu’il soit donné de lire. Ces lignes écrites autour de sa vingt-septième année, étaient-elles prophétiques ? Contenaient-elles, en transparence, ce destin producteur d’œuvres aussi exigeantes que singulières ? Attestaient-elles, par avance, la remise, un jour, du prestigieux Prix Nobel de Littérature ?

   Peu importe le don de vision sous-jacent, quoi qu’il en soit les pages écrites au cours d’une longue carrière sont, je le pense profondément, des « révélations » de haut rang pour ses lecteurs assidus, pour ceux qui savent faire écho au sublime contenu d’une œuvre polyphonique. Que dire d’autre qui ne soit pur bavardage ? Révélation d’un Ecrivain, révélation d’un Lecteur = le même.

  

  

   

 

 

 

 

 

 

 

 

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23 février 2020 7 23 /02 /février /2020 10:13
Chute ou sous le fardeau

Œuvre : Sylvie Cliche

 

***

 

   L’image de l’homme portefaix est toujours un problème. Instinctivement nous avons un mouvement de recul, et c’est une manière d’angoisse interne qui nous envahit. Sans doute au titre d’une identification : c’est nous qui pourrions porter le fardeau et ceci constituerait une lourde concrétude qui, jusqu’ici, n’avait connu d’existence qu’à titre de symbole, autrement dit la consistance d’un songe au loin de notre regard, au loin de notre conscience. C’est toujours ainsi, l’inconcevable, l’irrémédiable, le tragique, nous les postulons telles des hypothèses si floues que, jamais, nous penserions en rencontrer la verticale réalité. Car l’essence de la condition humaine, nous n’en voulons assurer le rayonnement qu’à la mesure de la gloire dont elle est porteuse en son fond. Nous sommes dépossédés dès qu’il s’agit d’affronter les ombres, de progresser à tâtons dans les ténèbres, d’entendre, près de nous, dans quelque corridor étroit, le souffle vide du néant. Notre aventure est toujours le lieu d’une joie, mais aussi bien d’une étrange errance, passages de la lumière à l’ombre, chute de Charybde en Scylla. Ceci nous le savons, au moins inconsciemment, et nous occultons le dôme de nos yeux afin qu’il ne connaisse de la vérité que ses scintillements, non ses ondes fuligineuses.

    Cet homme de l’œuvre - mais s’agit-il d’un homme vraiment ? -, nous le devinons, nous en supputons la forme générale à défaut de pouvoir en dresser l’exact portrait. Son visage, cette épiphanie singulière qui le pose en tant que ce nécessaire Existant, son visage vient à nous comme s’il était issu du cauchemar le plus nébuleux. Visage de terre lourde, visage de pierre, visage d’inconsistante matière, sorte de viscosité en chemin vers on ne sait quel destin ambigu, vers quelle tragédie imminente. Visage, ce signe éminent qui appelle l’altérité afin de trouver confirmation de son être, n’est-il en situation de telle déshérence que seule une immense solitude répondra à son appel silencieux ? « Silencieux », oui car tout drame est tissé de ce sans-voix, de cet élan dans le désert qui ne saurait recevoir d’accusé de réception.

   Les orbites sont vides, les yeux, ces sentinelles avancées de la personne, se sont absentés, peut-être ont-ils reflué dans un endroit du corps seulement accessible aux humeurs, aux rumeurs aussi d’illisible facture ? Le nez, où devrait se poser le rythme subtil des fragrances, le voici réduit à n’être qu’un vague tubercule que nulle réminiscence olfactive, émotive, ne sauraient visiter. Antre innommé, cloué à sa propre et inconcevable vacuité. Et la bouche, elle qui porte haut le merveilleux langage, elle qui dit les mots d’amour, aussi bien de compassion, elle qui est le bien le plus précieux des Amants, elle qui distille l’ambroisie des pures sensations, elle s’est retournée à la façon d’un gant, elle s’est invaginée dans cette pâte existentielle anonyme, elle a fondu, phagocytée par une chair qui demande son dû et ne veut être que matière au sein d’une pesante matière.

   Le motif est entendu, on ne saurait aller plus loin au titre de la désespérance. Dire l’aporie humaine est ceci : inciser dans la matière les griffures, les excoriations, les stigmates de la vie lorsqu’elle n’est que bourgeon occlus, substance pareille à une sourde résine, trame fibreuse tissée des fils de l’inquiétude. Mais ici le motif outrepasse le cadre de la simple représentation, ici, le motif est spectral comme s’il était éclairé de l’intérieur, exposé à la faible lueur d’une crypte. La vie n’a plus de possibilité de débattement, d’effusion pour plus loin que soi. La vie est profondément enkystée, identique à un bubon rongeant le corps. Mais que reste-t-il à l’extérieur qui soit visible, compréhensible, traduisible en un lexique immédiatement saisissable ? Rien que ces superbes haillons qu’il nous faut nommer selon la figure de l’oxymore. C’est bien là le miracle de l’art, nous faire aimer ce qui pourtant ne devrait l’être et nous conduit aux portes de la finitude, cette élégance pour dire la Souveraine Mort, le dernier et le plus fastueux don dont chacun, un jour, sera comptable, à son corps consentant. « Consentant » puisque aucun choix ne pourrait être différé, aucun faux-fuyant appelé à notre secours, la trappe est ouverte qui fait son bruit immémorial de rhombe dans l’air dévasté de souci.

   Cette image de la ruine devrait nous désespérer et pourtant elle ne le fait, elle nous procure même une sorte de jouissance à bas bruit, elle fait lever en nous la source prolifique du sens, elle n’éteint nullement notre volonté de vivre, elle en décuple la possibilité. Certes il y a toujours fascination de la souffrance, de la mort, en ce sens que, placées sur un versant inconnu, un ubac envahi de ténèbres, nous souhaitons en percer le mystère. S’il y avait un sens après le sens ordinaire, quotidien, familier ? Non nécessairement religieux ou bien mystique, mais anthropologique au sens strict, une autre dimension insue couvant sous la cendre. L’homme, par nature, est toujours en quête de cette pierre philosophale qu’il hallucine en permanence pensant qu’un jour elle trouvera le lieu de son surgissement.

   « Portefaix » est saupoudré, talqué de cette étrange beauté qui nous visite lorsqu’une chose soudain issue du néant fait figure nouvelle dans l’espace de notre vision. Combien ces fers qu’il porte sur l’épaule sont les vrilles mêmes d’une simple et heureuse esthétique ! Toujours la simplicité, le dénuement, doivent être à l’œuvre afin de signifier dans l’exactitude, de ne tomber dans le piège des apparences faciles qui occultent notre désir de savoir avec justesse ce qui fait phénomène, questionnement sans quoi nous ne serions que des machines, des ombres agitées par le vent.

   Car nous voulons savoir. Savoir la vie aussi bien que la mort, l’espoir aussi bien que son envers, le plaisir aussi bien que son antonyme. L’existence est hautement dialectique, elle nous tire à hue et à dia, elle nous hisse tout en haut des Montagnes Russes puis nous précipite, la seconde d’après, dans la gorge profonde de l’abîme. Ce qui est sans doute à considérer, ceci : la figure de la joie dont une peinture serait objectivement porteuse n’est nullement la garantie que notre bonheur en résulte. L’image du désarroi peut aussi bien nous élever que l’image de la félicité. Il n’est nullement en notre pouvoir d’éclipser telle partie du réel au profit d’une autre dont nous jugerions qu’elle est plus satisfaisante. L’avers d’une pièce ne saurait être détaché de son revers, que leur séparation, cette fine carnèle, dit aussi bien la face que l’inscription de sa valeur.

   Que dire ensuite de ce fourreau végétal qui lui sert de vêture, si ce n’est que la condition de « Portefaix » est éminemment racinaire, affiliée à l’espèce des tubercules qui dorment sous la terre, assignable à une posture chtonienne qui semble disparaître dans la confusion de quelque sol de tourbe, parmi le chaos des sphaignes et les plissements du brouillard ? Ce que le haut du corps ne profère qu’à l’aune d’un approximatif visage, le bas l’accomplit en quelque manière à la hauteur de sa confusion. L’assemblage des matières, leur rusticité organique, leur indigence foncière, le dernier degré auquel elles semblent puiser leurs sources, tout ceci concourt à doter l’espace d’une tension qui ne pourra éventuellement trouver sa résolution qu’à l’abri de tout regard, dans le lacis complexe de l’inconscient, dans la mouvance labyrinthique des archétypes. Le sens ne pourra donc qu’être médiatisé par une instance qui nous dépasse et nous enjoint d’être homme parmi les hommes. Et c’est bien parce que le sens n’est nullement perceptible d’emblée que nous avons à le chercher dans cette chair des choses qui toujours nous échappe et nous dit en ceci le précieux de son être.

  

  

  

 

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21 février 2020 5 21 /02 /février /2020 10:06
Fugue en Noir et Blanc

À Paratge de Tudela

Cadaqués, Espagne

Hervé Baïs

 

***

 

 

   Sait-on jamais la raison pour laquelle un paysage nous plaît ? Une simple harmonie des formes ? Le souvenir d’un cadre identique perdu au loin de la mémoire ? La rencontre de cette Etrangère qui imprima en notre âme l’ineffable palme de la langueur ? Il y a tellement de motifs qui peuvent tracer en nous le chemin de la beauté ! Mais aussi tant d’autres qui ne recèlent que des manières d’égarements en lesquels nous pourrions chuter si nous n’y prenions garde. Aussi convient-il de garder en nous ceux-là et d’oublier ceux-ci. Toujours tresser autour de nos têtes les lauriers de la joie, les fleurs vénéneuses nous pouvons les oublier sans crainte, elles ne feraient qu’assombrir nos humeurs et troubler la limpidité de nos jours.

   Cette photographie d’Hervé Baïs, riche parmi tant d’autres, nous convie à la pure fête des plaisirs visuels, des emplissements esthétiques. Celle que je nomme volontiers « Cadaqués-la-Blanche », en raison du visage nacré qu’elle nous adresse, aussi bien que du thème virginal qu’elle déplie, ne saurait laisser indifférent. Voir le village perché sur son promontoire, voir son essaim de maisons serrées autour de l’Eglise Santa-Maria, voir le ruissellement de l’eau bleue, les chapelets d’ilots noirs, c’est pur émerveillement, c’est comme de regarder pour la première fois. Arriver dans les rues pavées de schiste noir, avec le brillant soleil de Catalogne, sinuer dans les ruelles étroites, découvrir ici des jarres couleur de chair, là l’étrave des barques bleues allongées sur les plages de galets, plus loin le passage à arcades du Riba Pitxot, c’est découvrir certes une partie de l’Espagne, mais aussi se découvrir tant ce lieu authentique ne saurait tolérer quelque approximation. Ou bien l’on est de plain-pied avec ce qui se donne ici avec tant de générosité et l’on demeurerait sa vie durant à contempler ou bien l’on est en porte-à-faux avec l’esprit du lieu et l’on déplace plus loin ses intérêts.

   Certes, de cette beauté que nous offre l’image, il n’y aurait rien à dire tant sa syntaxe est riche qui se suffit à elle-même. Mais c’est toujours une tentation, un divin supplice que de tâcher de tirer de ce réel qui nous questionne sa chair pulpeuse, de boire l’ambroisie du jour jusqu’à sa lie. Le ciel n’est pas le ciel, il est un vaste océan aux eaux profondes où flotte, tels de légers drapeaux de prière, la toison blanche, duveteuse des cirrus. Une éclaircie au loin de l’horizon, une lumière qui serait venue d’ailleurs, peut-être d’un autre monde qui nous convierait aux joies subtiles d’une fête céleste. Les rochers noirs ne sont nullement des rochers, ils sont d’antédiluviennes formes, des manières de concrétions animales, peut-être la mise en scène d’une étrange tératologie. A tout instant, l’on pourrait voir surgir de l’ombre quelque créature innommée tant son destin ne paraîtrait être que celui de pierres sourdes au destin du Monde. C’est toujours dans ce pli obscur que se glisse l’imaginaire, dépliant à l’envi des dentelles songeuses qui, jamais n’en finiraient, si le jour ne venait et répandait partout la semence infiniment renouvelée de la clarté. Les rochers blancs ne sont pas des rochers, ils sont un tumulte de neige, de grosses boules de coton avec lesquelles des enfants taquins feraient un abri pour leurs rêves primesautiers. Ce sont des vagues de gemmes immobiles pour l’éternité, peut-être des falaises de talc qui connaîtraient soudain le lieu de leur dernier repos.

    Tout ce blanc, c’est l’aventure des choses avant même que leur être propre ne leur soit révélé, c’est une touche virginale, la matrice par où les significations vont dire le motif de leur venue, ces milliers de signes minuscules, ces magnifiques hiéroglyphes qui nous font face et nous mettent en demeure de les interpréter. Ce blanc est la représentation de toute conscience juvénile se dressant, ouvrant la question de l’exister, voulant déployer sa marche vers l’avant avec un mince espoir rivé au cœur : tout pourrait demeurer dans cette teinte d’opaline et plus rien alors ne sombrerait dans le chaos, le doute, l’indistinction fondatrice de toute confusion, tremplin de toute douleur.  

    Cette image nous ravit au simple motif de son exactitude. Elle est ainsi et ne pouvait être autrement. Dire ceci est énoncer l’espace d’une vérité. Et pourquoi donc douter de la beauté qui nous visite dans son ineffable grandeur ? Ce lieu est lieu d’évidence, autrement dit nous nous sentons avec lui dans un tel sentiment d’affinité que nous ne pourrions nullement l’envisager -« lui donner visage » au sens strict -, autrement qu’en sa posture noire et blanche, autrement que dans le simple qui vient à notre rencontre et exige de nous une identique esquisse. Une fois encore, inlassablement, à la façon d’une mûre obsession, il faut entrer dans le vif débat qui oppose noir, blanc et leur autre, cet arc-en-ciel coloré qui touche la rétine, la féconde à tel point qu’elle en oublie cette primarité de la vision calquée sur la différence ombre/lumière, jour/nuit, surgissement/retrait.

   Comme le mouvement d’un pendule qui oscillerait des ténèbres à la clarté sans interruption aucune, ne connaissant que la valeur intermédiaire du gris, non en tant que couleur cependant, seulement au titre d’intervalle, de tenseur des motifs essentiels de la représentation. Nous sommes, éminemment, foncièrement, existentiellement, des êtres dialectiques poinçonnés au coin des oppositions fondamentales : joie/tristesse, donation/réserve, amour/haine, ouverture/fermeture, occlusion/désocclusion, santé/maladie, rayonnement/repli et, pour finir existence/finitude. Pour cette raison de constitution intime de notre être, et sans doute à notre insu, nous vivons au rythme de cette immémoriale scansion, de cette « ligne flexueuse », tantôt abreuvée de lumière, tantôt obscurcie par quelque pathos rôdant à notre entour telle une ombre maléfique. Les couleurs - ces fausses félicités -, ne sont que de surcroît comme si un facétieux démiurge les avait inventées afin de nous tromper, de métamorphoser tout pathos en son contraire, toute douleur en constant plaisir.

   Le moment semble ici venu d’appliquer un schéma dialectique au réel qui nous visite, lequel se vêt d’habits d’Arlequin, d’empiècements bariolés qu’un Pierrot blême et blafard à souhait viendrait contredire pour la simple raison que lui, l’Attristé, serait en phase avec ce qui traverse l’homme en sa plus pure effectivité, ce rythme à deux temps, noir/blanc qui est son métronome le plus fondé en justesse, en authenticité. La ligne de partage entre noir/blanc et couleur trouve sa traduction dans le concept métaphysique d’existence et d’essence. L’hypothèse qu’il convient de poser, à notre sens, est celle-ci : les couleurs fonctionnent sous le registre de l’exister, alors que le noir et blanc s’origine dans celui d’essence. Certes ces notions sont abstraites mais ne sont que l’envers des réalités concrètes. Elles s’y logent en creux, elles en déterminent la venue au grand jour. Ici une métaphore pourrait illustrer ce propos, faisant référence à une scène de théâtre sur laquelle évolueraient des acteurs grimés et poudrés, les yeux bleuis et les joues fardées de rose alors que, sous le masque des apparences, les visages ne seraient que de simples signaux noirs et blancs, modulation au plus près d’une affirmation ou bien d’une négation, affirmation du blanc, négation du noir, simple portée musicale, simple fugue puisant à deux sources, mais essentielles, mais incontournables, seulement lisibles au gré d’une « traversée du miroir ».

    Ce paysage évoqué par cette photographie aurait pu se donner en couleurs. Non seulement nul n’y aurait vu d’inconvénient mais ceci aurait consisté en la forme la plus commune des habituelles manifestations du visible. Mais nous prétendons qu’à ceci, la force de l’image, sa correspondance avec la nature profonde des choses en eût été euphémisée. A l’évidence le ciel est bleu, la mer en certaines zones turquoise ou émeraude, les rochers bistres ou bruns, tachés de vert par endroits. Donc une palette variable, sujette à caution, changeante selon l’heure du jour. Le « problème » des couleurs, et c’est ce qui les reconduit à de simples touches de l’exister, ne sont jamais assurées de leur être. Un bleu, par exemple, connaît toutes sortes d’états de la matière colorée qui se modifie en permanence. D’un marine soutenu à sarcelle à dominante verte, en passant par toute la gamme intermédiaire des Tiffany, électrique, denim. Et ainsi pour chaque couleur qui danse sur un éternel rythme chromatique sans jamais pouvoir s’arrêter sur aucun. Pour cette raison nous disons que la couleur « existe » parce qu’elle sort en permanence du néant, s’actualisant à chaque fois selon un aspect différent. Elle ne possède nullement de forme claire et définitive dont l’esprit pourrait se saisir comme d’une certitude. Non, la couleur glisse, dérape sans cesse, dissimulant son origine sous une pluralité de facettes qui déconcertent et troublent le regard. Paratge de Tudela qui, un jour, se donnera selon azur, un autre jour versera dans persan ou bien givre.

   Pour le noir et blanc la présence sera bien plus assurée. Nulle gradation dans le noir qui le présenterait sous de multiples figures. Nulle nuance dans le blanc qui ne peut être que pur éclat. Noir/Blanc, deux réalités-vérités qui profèrent leur essence et uniquement celle-ci. Noir/Blanc n’ont nulle concession à faire en direction de quoi que ce soit. Noir/Blanc sont immédiatement et définitivement situés au foyer de leur être. Ils y logent entièrement et n’éprouvent nul besoin de connaître un autre habitat, de différer de ce qu’ils sont en leur propre : des immuables assurés de le demeurer tant qu’on ne les aura nullement maculés d’une tache colorée. La grande et inépuisable force des photographies en Noir et Blanc est tout entière située dans cet élémentaire auxquelles elles sont affiliées, comme une source est reliée à la lèvre de terre qui lui donne jour et l’ensemence de pure beauté. « Pure » beauté car c’est bien de pureté dont il est question ici. Rien n’a été affecté d’un quelconque artefact. Tout est à sa place de chose et y vit telle l’idée dans son souverain empyrée. Noir est noir en son essence. Blanc est blanc en son essence. C’est semblable à un finistère, cette étrange presqu’île qui a son assise sur une terre mouvante par nature et prend son envol en direction de l’eau et du ciel à la seule puissance qui l’anime, à savoir demeurer en soi cette unité dont le nom pourrait être « juste mesure ». Ni eau, ni terre, ni ciel, empruntant à tous à la fois mais sertie au lieu même de sa propre définition, cette singularité ne saurait avoir de lieu que le sien.

   Cette photographie d’Hervé Baïs est, en soi, une manière de finistère à l’abri des métamorphoses en tous genres, peut-être même une île située au plein de son insularité, conforme à l’idée même dont elle est l’événement le plus sûr, rayonnante, sise au monde en ce qu’elle a de plus particulier et qui, pour autant, touche à l’universel. Toute beauté l’est par essence. « Cadaqués-la-Blanche » en sa virginale apparition vient de recevoir un écrin à sa mesure. Une image vraie est une image éternelle !

 

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 16:18

   Elle qui se penche sur sa propre venue, nous pourrions la nommer « Suppliante », mais alors nous la cernerions d’une inquiétude qui la vouerait aux gémonies pour avoir demandé la vie avec une insistance peu conforme à sa modestie. Nous pourrions la nommer « Curieuse », mais nous apercevrions vite combien ce prédicat offenserait sa naturelle réserve. Nous pourrions la nommer « Désirante », mais nous anticiperions sur un sentiment qui, peut-être, ne bourgeonne point encore chez quelqu’un qui n’est pas réellement née, qui s’annonce seulement depuis les marges éloignées de l’espace et du temps.

   En réalité il conviendrait de ne nullement la nommer, de lui laisser l’entière liberté d’être qui elle sera, dont encore le sceau tremble à l’horizon du pensable sans que, nous-mêmes, soyons bien assurés de penser. Et la Pensée, ce geste à nul autre pareil, est-il en notre possession ou bien est-ce nous qui l’avons posée, là, au bout de notre pinceau, de notre gouge, de notre plume ?

 

Nous redoutons la page blanche

et, en même temps, l’attendons.

Nous n’existons vraiment qu’à en être

le vacillant écho…

écho…

écho…

 

Serions-Nous écho au large des choses ?

L’Art serait-il écho de qui-nous-sommes ?

L’Être serait-il écho de l’Art ?

 

Echos en abyme

qui ne finiraient jamais

de dire le mystère

de la Présence,

oui, de la PRESENCE !

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 16:15

   Regardée, entendue, reconnue, la chose, quelle différence donc avec nous les hommes qui ne pourrions vivre si de tels actes ne nous visaient et ne nous conduisaient à être qui nous sommes, de tremblantes incertitudes qui, toujours, avons besoin de la confirmation réitérée de notre nature, faute de quoi la page serait infiniment blanche et éternellement divisée quant au destin qui pourrait y figurer ?

Visible, Invisible ?

Parlant, Muet ?

 Présent, Absent ?

 

   Les choses, parfois, sont si éthérées, si diaphanes, si transparentes qui nous communiquent leur fragilité de verre, leur consistance de grésil dans le ciel teinté de gris, leur chute de cendre devant les scories du monde.

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 16:13

Oui, une œuvre existe au même titre que vous et moi. Elle est insérée dans le réel, elle modifie le monde en un certain sens puisqu’elle en métamorphose le cours paisible. En effet, chaque chose tirée de la nasse insondable du néant, a réelle valeur ontologique.

 

Elle est ici et là

en son incoercible présence.

Elle demande à être regardée.

Elle demande à être entendue.

Elle demande à être reconnue.

A être regardée car chaque chose

ne peut venir en présence qu’à être vue.

Ne le serait-elle qu’elle n’aurait plus de valeur

que cette irisation de brume

s’élevant du vallon et se perdant

sur la vitre lisse du ciel,

surface anonyme

qui ne fait face qu’à l’aune

du nuage qui s’y imprime,

de l’oiseau qui en raie

l’immensité océanique.

A être entendue car le langage est le motif

au gré duquel une chose peut se signifier

et dire le dessein de sa venue.

A être reconnue car il est nécessaire

qu’une altérité témoigne d’une chose,

en déploie l’exister si mince,

il pourrait disparaître

au premier souffle du vent.

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 16:11

       Commentons, simplement. Il n’est nullement indifférent qu’au bord de la question de la page blanche et de son angoisse constitutive se tienne, comme en retrait, ce genre de Nymphe gracile et éthérée qui constitue l’habituelle représentation des œuvres d’André Maynet. Sorte d’étrange posture narcissique selon laquelle le Sujet de l’œuvre se pencherait sur le mystère de sa propre advenue au monde des formes et des esquisses signifiantes. Cette image transposée dans l’univers des métaphores humaines se donnerait telle celle de la future petite Eve qui, du fond d’un illisible univers, scruterait sa possibilité de figuration parmi le fourmillement et l’incroyable diaspora du monde.

   Elle, Nymphe, est située au passé, encore dans le trouble et l’inconsistance du non-être, attentive à débusquer en quelque endroit de ce visage de neige et d’écume, l’image, fût-elle hallucinée, de qui elle pourrait devenir à la suite de quelques tracés de graphite, de quelques coups de brosse, peut-être de passages de gomme ou d’estompe qui joueraient de son apparition-disparition, bizarre clignotement faisant paraître l’exister et le néant d’exister au rythme de la temporalité artistique. Combien le pouvoir de tout Artiste est prodigieux, lui qui,

d’un seul trait,

d’un seul mot,

d’un seul geste,

décide de destinées qui étaient en réserve et s’impatientaient de se connaître en tant qu’existences neuves et plénières. Mais combien aussi ce pouvoir se constitue en source d’angoisses continûment renouvelées !

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