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16 mars 2020 1 16 /03 /mars /2020 20:17
Face à la Beauté

 

" En attendant la pluie... "

 

« Le grand bleu du ciel avait donc une fin...

Elle nous est venue la pluie

Il nous est venu le froid

Ils nous sont venus d'Angleterre »

 

Photographie : Alain Beauvois

 

 

***

 

 

   L’évidente question que nous pose cette belle photographie est de nous placer FACE à la beauté. « Face » veut dire que nous y sommes frontalement exposés sans qu’aucune fuite ne soit possible de notre part. Chacun sait, pour l’avoir au moins une fois expérimenté dans sa vie, que la chose belle nous fascine et nous maintient en son pouvoir tout le temps que dure son rayonnement. Il faut l’arrivée de la nuit, l’appel de l’ami ou bien un événement fortuit pour nous arracher à sa puissance d’aimantation. La chose belle : une femme, un bouton de rose, les veines noires d’une pierre, la nature lorsqu’elle assemble, en une stupéfiante synthèse, formes, lignes, couleurs. Nul ne peut être insensible à la courbe adoucie de la dune, au miroir étincelant des rizières, au moutonnement d’écume de la mer, aux élégantes silhouettes des porteuses d’eau afghanes que rehaussent les montagnes nimbées de brume dans le lointain, qu’essentialisent les maisons d’adobe teintées d’ocre, telles que nous les restitue Charles Luke Powell. Et ceci n’est nullement une digression. Voir « Paysages de la sagesse » de ce pénétrant photographe et, longtemps, les images nous hanteront de ses ciels, de ses terres, de ses hommes. C’est là la force d’une représentation devenue rare telle l’icône. Son horizon nous habite comme le vol de l’oiseau dans l’illisible éther.

   Tout là-haut, au plus loin des hommes, le ciel est une mer d’encre et de cendre rehaussée de touches identiques aux éclats d’un métal sombre. La palette est infinie qui assemble turquin et bleu-vert, qui joue sur persan clair alors que denim vient renforcer l’impression quasi-nocturne de fin du monde. La nuance est si riche, si préoccupée de fournir le langage exact de ceci qui vient à la rencontre de l’œil. L’œil est une gemme ouverte sur la pureté des phénomènes, la pupille un diamant noir aux facettes immensément aiguisées, rien ne lui échappe de la joie, de la douleur aussi. Car ces deux émotions sont coalescentes, jouent en écho la belle aventure de l’humaine dimension. Si nous regardons ce paysage avec une entaille à l’âme, c’est en raison de son insoutenable beauté. Oui, il faut parler en termes d’oxymore, faire s’affronter dans un même combat ce qui nous élève et nous terrasse d’un même geste de la vision. Apercevoir l’Aimée est toujours pur bonheur que vient saper, en sourdine, la crainte de la perdre. Rien n’est jamais précieux que ce qui peut se distraire de nous, échapper à notre pouvoir, se diluer et ne plus être qu’une trace ineffable quelque part dans un souvenir aux contours flous, incertains. En une certaine façon une « petite madeleine » dont la saveur se serait enfuie dans la nuit du passé.

   Ciel et eau sont à peine séparés, seulement une longue ligne noire qui semble disjoindre imaginaire et réel. Imaginaire du ciel où disparaissent le vol des mouettes et des sternes. Réel de l’eau, de la terre. On peut les toucher, palper leur texture, enduire son corps d’une chape de sable. Ils nous rassurent, nous amarrent à un sol qui, à force d’être foulé, devient une manière de lieu originaire. Il n’y a plus de hiatus entre celui qui regarde et ce qui est regardé. Le front est un fragment de l’infini. Les doigts sont des rayons de lumière bleue. L’ombilic est la graine où le monde entre et essaime sa belle floraison. Les pieds sont les spatules qui connaissent l’intimité du concret, sa densité, le tremplin par où s’essayer à un possible chemin.

   La mer est agitée, parcourue de sillons d’eau blanche, des remous s’y inscrivent comme pour nous rappeler qu’à tout ciel lisse, limpide, de l’été, succède, dans un cycle immémorial, l’automne avec ses contrariétés, ses brusques orages, ses tempêtes, son subtil et équivoque équinoxe où le jour ne le cède à la nuit qu’avec regret, des rébellions y impriment la riche symbolique du paraître et du disparaître. L’automne est un point de bascule, une perte (du moins le croyons-nous), et c’est pour ceci que la nostalgie nous atteint avec ses brumes mélancoliques, duo inséparable qui nous requiert à l’intérieur même de notre enceinte de peau. Bientôt, tel le loir, nous hibernerons. Notre chair aura oublié l’embrasement de la lumière. Nos gestes seront plus gourds, nos instincts ralentis. Nous serons si près d’habiter un terrier, de renoncer à l’effusion, de regagner une grotte primitive, celle-là même que nos ancêtres hantaient de leurs silhouettes de suie.

   La plage est en demi-teinte. Une zone claire, une autre sombre. Qui semblent jouer la partition entre un temps donateur de joie et un autre spoliateur de liberté. L’eau s’y alanguit à la façon d’un échouage. Tout en bas, des graviers amassés signent la frontière du continent aquatique. Dernier rempart qui protège encore des assises du quotidien, de son habituel ennui, de sa monotonie souvent. Les villes sont si stéréotypées avec leurs codes mondains, leurs rituels consuméristes, leurs longues caravanes de gestes qui se répètent à l’envi. Cette barre diagonale des brisants glissant sous la lame d’eau est comme la projection des soucis de la terre qui viendraient chercher, dans l’eau lustrale, une manière de ressourcement. C’est à son exact point de rupture que surgit la question de la beauté. Une dague de bois fichée dans la plaine marine, y ouvrant un pertuis par où tout ce prodigieux et fragile équilibre pourrait trouver son brusque épilogue. C’est le point focal de l’image, celui grâce auquel le Photographe construit son œuvre et nous sollicite tel un Voyeur lucide. C’est le noyau germinal d’où tout part, où tout arrive. Toute beauté ne peut qu’être une pointe, la partie acérée d’une lame, un épi de faîtage ouvert à la lumière, disposé à l’éclair, accordé au tonnerre. La beauté est interrogation. De notre présence à nous les hommes qui se doit d’être une éthique accueillant une esthétique. Beauté est vérité ou bien n’est pas. Nul faux-semblant n’en peut circonscrire l’être, nulle affèterie en déterminer l’essence.

   La beauté est une totalité qui nous englobe, tel le langage pour l’homme. Nous dépendons de la beauté de la feuille, de celle des ocelles du léopard, de celle du rubis des lèvres d’une Inconnue. C’est elle, la beauté, qui nous guide et nous appelle. Elle se donne à nous dans un geste d’oblativité si rare que, parfois, nous ne l’apercevons pas. Nous ne faisons que lui correspondre, non l’anticiper et créer les voies de sa venue comme le croient les ingénus. Beauté est lumière. Nous ne sommes qu’étincelles. Il y a perpétuel aller et retour entre ce qu’elle est et qui nous sommes, à savoir ses déchiffreurs, ses Champollion. Toute beauté-vérité est de nature hiéroglyphique. Elle demande l’incision du regard, la libre disposition de l’esprit, l’emplissement de l’âme à son coefficient le plus accompli. Là seulement peut avoir lieu l’épiphanie du sublime. Oui, ces termes qui paraissent emphatiques sont ceux-là mêmes dédiés au Sacré. Mais que serait donc la beauté si elle ne faisait appel à ce « sentiment de présence absolue » que Rudolf Otto désignait sous le terme de « mysterium tremendum », terreur et mystère réunis qui nous arrachent temporairement à notre condition humaine afin d’en connaître la quintessence. Ici, il ne s’agit nullement de religion, de foi en un objet mystique, seulement de notre propre possibilité de nous élever à la pointe de notre être. Si rares en sont les circonstances.

   FACE à cette belle image, il nous est demandé de prendre la place du Photographe, d’en rejouer la subtile émotion (peut-être le frisson), cette jouissance de soi, de l’autre (le paysage), dans le creuset  d’une identique naissance. En cet instant d’intense solitude la nature ne se donne en tant que belle qu’à l’aune du regard qui en parcourt le prodigieux registre. Nature me regarde que je regarde : la beauté en est la singulière confluence. En cet instant de cette évocation, comment ne pas penser (cette référence est récurrente dans mes articles) à « Voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich, image-archétype de la beauté portée à son incandescence, à savoir posant et déployant largement la porte du sublime.

Face à la Beauté

« Le Voyageur contemplant une mer de nuages »

Caspar David Friedrich

Source : Wikipédia

 

  

   Le personnage vêtu de noir, pantalon et redingote austères, est le parangon même du Romantique confronté à son propre destin. Enigme de ces rochers sombres qui surgissent tels de funestes annonciateurs de faits qui, toujours, pourraient menacer d’advenir. Leur socle repose sur de bien étranges abysses. Jaillissement de l’eau claire qui manifeste la vie en son éclat, sa gloire, cette constante effervescence traversée, parfois, souvent, des convulsions du doute. Pyramide de la montagne dans la brume du devenir et le ciel, au-delà, qui fait son bruissement céleste pareil à la venue d’une Terre Promise. Confronté à ces brusques dialectiques existentielles, ce Voyageur est celui qui erre entre les deux pôles identiquement aporétiques du fini et de l’infini, de l’ouvert et du fermé, de la joie et du tragique.  Son sort est d’être balloté entre deux flots. Il n’est jamais que ce courant, cette polarisation qui se crée entre deux tensions adverses, celle de la naissance, celle de la mort. Or, regarder le sublime EN FACE, c’est interroger cette tête de Janus à deux faces, une d’ombre, une de lumière, c’est, sous le masque de la comédie et du burlesque, déceler la grimace sépulcrale qui en anime les provisoires facéties. Peut-être beauté et sublime sont-elles les deux figures essentielles au gré desquelles faire se dévoiler la chair intime du monde avec laquelle nous avons affaire puisque nous participons de son événement.

   Que dire en conclusion qui ne soit ni trop léger, ni trop entaché de tristesse, sinon que cette photographie est belle, que les hommes sont beaux, que la Terre est offerte, que l’harmonie est partout disponible. Et c’est bien parce que nous sommes mortels que nous pouvons affirmer ceci. Serions-nous, tels les dieux de la mythologie, éternels, la beauté ne nous atteindrait nullement. A toute chose il faut un terme. Des limites. Une figure qui en cerne les contours. Qui donc pourrait parler de la beauté de l’infini ? Qui donc ?

 

« Le grand bleu du ciel avait donc une fin...

La beauté pouvait venir ! »

 

 

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16 mars 2020 1 16 /03 /mars /2020 20:16
Faire silence

                     Source : Bernard Clavière

 

***

 

 

   « Pas un souffle de vent murmurant dans les créneaux ou entre les branches sèches des oliviers; pas un oiseau chantant ni un grillon criant dans le sillon sans herbe : un silence complet, éternel, dans la ville, sur les chemins, dans la campagne ».

 

                                                                                 Lamartine - « Voyage en Orient »

 

*

 

« Un silence complet, éternel, dans la ville, sur les chemins, dans la campagne ».

 

   Que pourrait donc souhaiter un poète hormis ce silence sur lequel se poseront les mots du poème comme la brume flotte sur les eaux du lac ? Car toute tentative de ce genre ne peut naître que d’un retrait, d’une blancheur, d’une divine abstraction. Imaginerait-on le versificateur composant ses odes dans « le bruit et la fureur », au milieu des allées et venues des hommes pressés, sur quelque vaste agora parcourue des paroles bavardes des hommes ? Non, il faut à la rêverie son propre espace qui, toujours, consiste en une évocation imaginaire. Cette dernière est une manière de vacillation au-dessus de la multitude humaine, le site d’un isolement, la faveur d’un lieu se ressourçant à sa qualité propre, à sa dimension unique. De quoi nous entretient donc Jean-Jacques Rousseau dans sa « Cinquième promenade », sinon de cette recherche  d’un état de paix, de repos que seule une généreuse nature peut offrir ? :

   « …mais qu'il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s'enivrer à loisir des charmes de la nature, et à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement des torrents qui tombent de la montagne ».

   Pour l’auteur de « L’Emile », cette perpétuelle âme inquiète, un paysage paisible est le seul écrin dont il soit en quête pour s’assurer vraiment de son être. Et peu importe si quelques oiseaux ou la chute des eaux d’un torrent en troublent la tranquillité. « L’état de nature » suppose qu’on soit en accord avec elle, la nature, dont il s’agit de différer le moins possible.

 

   Être silence 

 

   L’idée de nature est associée au silence.  Quand bien même le ressac des vagues, l’éboulis de pierres, le cri d’un animal ou la chute d’un arbre en troubleraient la subtile harmonie. Le bruit naturel n’offense pas le silence pour la simple raison qu’il est « naturel », qu’il va de soi, ne recourt à aucun acte de volonté, ne procède nullement d’une intention de nuire ou d’obtenir un quelconque résultat. « Naturel », étymologiquement : « produit par la nature seule, sans que l'homme s'en mêle ». Ici, la précision d’une action produite hors de l’homme n’est pas gratuite, elle témoigne du fait qu’aucune réelle présence n’en a décrété l’effectivité. Il y aurait donc une espèce d’innocence  originelle affectant la pierre, l’oiseau, le fleuve, le vent. La rumeur se produirait à leur insu, sur leurs marges et n’impliquerait leur être qu’à titre d’unité surnuméraire. Aussi pouvons-nous dire :

 

Montagne est silence

Mer est silence

Forêt est silence

 

   Car, pour qu’il y ait émission réelle d’une onde sonore et, de proche en proche, profération d’un langage, il faudrait qu’il y ait intention. Or il va de soi que la nature est muette sur ce plan, sauf à considérer cette dernière animée d’un panthéisme qui lui octroierait esprit et possibilité d’une conscience. Outre le fait que la matière ne saurait procéder à quelque assertion que ce soit, la vision par l’Homme des Grandes Œuvres de la Nature tend à le sidérer.

 

Nous demeurons muets face à la belle et régulière pyramide du Mont Cervin.

Nous sommes sans voix devant l’Océan s’étendant à perte de vue depuis la Pointe de Pen-Hir.

Nous sommes sans parole devant la marée de la Forêt des Landes vue depuis les dunes.

 

   Et lorsque le spectacle qui s’offre à nous s’espacie jusqu’à la limite de la vision, c’est par là que se montre le sublime qui n’a nul besoin de murmures ou de grondements pour nous livrer l’entièreté de sa puissance. Le regard paraît tout effacer jusqu’à dissoudre les autres sens, comme si, soudain, il n’y avait plus de place que pour un immense vertige visuel, l’audition ayant rétrocédé en quelque endroit secret.

 

   Faire silence

 

   Seul l’homme le peut puisque, en ce cas, c’est sa conscience qui en a décidé l’effectuation. Au sens propre, ceci veut dire que le sujet procède en personne à l’émergence du silence. Du silence en lui, bien évidemment, car il ne saurait se transformer en démiurge et forger, de ses mains, un monde à sa mesure. Ce qu’il peut faire, tout au plus, lui dont l’essence est de parler, c’est de faire cesser le flux du langage et d’y placer quelque chose qui, pour un instant, en tienne lieu. Or tenir lieu du langage est pur prodige qui ne peut s’actualiser que selon des événements et dans des domaines bien précis. Le quotidien est continuellement traversé de discours, de propos, de déclarations multiples et variées si bien que l’on ne trouvera refuge en ses aîtres. Bien au contraire, c’est seulement en s’éloignant de l’affairement habituel que pourront s’allumer quelques promontoires sur lesquels installer le silence. Il s’agira de l’y maintenir le temps de la lecture d’un poème, le temps de la méditation d’une pensée, le temps d’une incursion dans les parages du sacré.

   Nous avons nommé le silence comme manifestation et surrection de l’Art, de la Philosophie, de la Religion.

 

 Le silence dans l’art du poème         

 

André du Bouchet (« Ajournement ») :

 

« J’occupe seul cette demeure

blanche

où rien ne contrarie le vent

si nous sommes ce qui a crié

et le cri

qui ouvre ce ciel

de glace

ce plafond blanc

nous nous sommes aimés

sous ce plafond ».

  

   Poésie comme cri d’amour puisque « nous nous sommes aimés sous ce plafond ». Mais tout amour est déchirure et le cri, pour l’homme, témoigne de son immense solitude. Or, qu’y a-t-il d’autre dans la solitude que le silence ? Mais ce cri dont seul l’homme est en possibilité, ce cri qui déchire la toile du réel, comme chez Munch, il n’est qu’une exacerbation du silence, son vibrato porté à l’ultime de son être. « J’occupe », seul le JE est en question. « Cette demeure », là où, précisément « demeure » la blancheur. Et l’on pense au Mallarmé de « Brise marine » : « Sur le vide papier que la blancheur défend ». Blancheur, vide, silence l’immobile et indéfectible trinité par laquelle le poète se donne au monde, attendant la reconnaissance du mot.

 

   Le silence dans la philosophie

 

   Le silence est ce qui fonde la parole car, n’y aurait-il silence  que tout s’abîmerait dans la confusion, un bruit venant se heurter à un autre bruit. Cacophonie sans fin qui, sans doute, est la caractéristique des Sophistes, chaque interlocuteur s’enivrant du bruit de sa propre conversation. Mais pour ce qui es de causer, Socrate était un incorrigible et la philosophie, loin s’en faut, ne s’est pas toujours abreuvée à la source du silence. Le paradoxe d’une telle discipline est de s’être fondée sur l’amour du logos, raison et verbe sont donc ses deux mamelles nourricières. Descartes, pour sa part, initie sa démarche philosophique fondamentale dans « la solitude d’un quartier d’hiver », et en précise les conditions : « ne trouvant aucune conversation qui [le] divertît…[il demeurait] tout le jour enfermé seul dans son poêle », affirmant sa résolution : « Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous les sens… »

   Il semblerait donc que les « Méditations cartésiennes », aussi bien que les poétiques et les religieuses, pour prospérer, aient besoin de recourir à ce silence sans lequel les pensées ne pourraient trouver à se poser dans le traité, le poème ou bien le livre du croyant.

 

   Le silence dans la religion

 

« Il se tiendra solitaire et silencieux,

Parce que l'Éternel le lui impose »

 

Lamentations 3:28

 

   L’homme pieux ne peut connaître son Dieu qu’à se confier à la solitude et au silence. Solitude qui évite l’égarement parmi ses semblables. Silence parce que le Transcendant implique que l’on devienne muet face à sa surpuissance. Faire la rencontre de l’Autre, l’ami, le voisin, est toujours de l’ordre de la surprise, mais modérée puisque, ici, l’altérité est « à portée de main », connue et reconnue. Il s’agit, en quelque sorte, d’un territoire dont on a déjà fait la découverte, qu’on réactualise à l’occasion de quelque événement. Le surgissement de l’Eternel est d’une nature bien différente. C’est le concept d’altérité radicale qui s’installe ici, dont l’infinie verticalité éblouit et confine le regardant à éprouver « crainte et tremblement », ressentant jusque dans les abysses de son être les étranges ondes du numineux, lesquelles, toujours, sont synonymes d’effroi. Cet ailleurs du sacré, cet empan infiniment ouvert de la différence, ne peut qu’entraîner celui qui en confronte l’insondable  dimension vers, à la fois, et de façon paradoxale, une fascination qui se double d’une incoercible torpeur. Cette tension qui se crée entre la finitude de l’homme et l’infinitude de Dieu crée l’espace d’un abîme  où souffle le vent du néant, où toute parole se dissout, où tout langage perd son orient pour devenir une respiration à peine perceptible dans le vaste cosmos.

   « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie », disait Pascal en une formule elliptique, laquelle synthétise la totalité de l’être pensant face à son propre trouble. Car, à partir d’ici, il pourrait bien ne plus rien avoir de lisible, d’audible. Seul le silence !

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

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15 mars 2020 7 15 /03 /mars /2020 10:35
Jamais loin de l'être-du-poème.

Photographie : Blanc-Seing

***

"La rose est sans pourquoi,

elle fleurit parce qu'elle fleurit,

elle ne se soucie pas d'elle-même,

elle ne se demande pas si on la voit. "

(Angelus Silesius, Livre I, 289)

*

[ Essai d'entente du poème

à partir d'un texte de Nathalie Bardou. ]

"jamais loin"

 

 "Nous ne sommes jamais loin du bruit de ferraille qui alourdit les élans de nos terres.

 Jamais loin du vertige, de la haute falaise dont le flanc est martelé par les vents.

 Il nous faut donc l’attention de l’arrière-regard, de l’œil doré.

 L’attention à la parole du souffle, charriée chaque nuit en pleine clarté.

 L’arrière-regard fouilleur, cet arrière-regard sachant au sein d’un linge humide que tout sens potentiel d’une heure tient au plus juste dans ce qui pourrait trembler d’insignifiance.

 L’œil doré que jamais nous ne voyons mais que nous entendons, telle pulsation mangeuse de soleil qui s’en vient tirer de la forge un sceau invisible.

 Et le souffle, ce bleu de souffle criant depuis le remous des siècles portés aux chevilles.

 Le souffle qui Nous attend.

Il Nous faut l’attention .

Cette attention soutenue par les épaules, les os, la charpente, le sous-cheveux, la couleur sortie des tubes, les mines noires et le sépia d’un corps.

Indissociable mot-vie cherchant à ne jamais s’oublier, ne jamais se noyer, l’appel comme loup seul sous la lune mangeuse de noir.

L’attention

Rempart à l’ombre-corps, la silhouette troublée, aperçue au détour des rêves, chemins, routes et sillons rouges.

Nous ne sommes jamais loin non plus de l’oubli impérieux, du détachement salutaire, de la corolle d’une fleur de papier, d’une étamine aux pollens orange, d’un couloir aux fenêtres déguisées, d’une lettre ou d’un mot , d’une phrase ou d’un manuscrit, d’un coffret de carton ou d’un coffre de béton.

Jamais loin de ce moment

De celui qui bruisse de douceur, qui gémit dans l’étonnement du velours, qui anoblit la vie dans son creuset d’amour.

Mais

Que vont nous dire ou nous crier nos mémoires ?

Sont-elles à ce jour libérées du froid qui crochetait les quatre coins d’une chambre, du temps, dont la chute dans un océan sans répit, a porté aussi entre ses bras la sombre musique de l’attente , après qu’il a connu la majesté du silence accueilli ?

En quelle glaise se sont-elles posées ?

Pouvons-nous les dérober à leurs moules, les poser sur un chevet étoilé, les ériger neuves encore, encore plus vierges qu’au premier frisson partagé ?

Que nous feront-elles vivre lorsque nous marcherons encore vers la minute…

La rose dans son soliflore a laissé échapper à l’instant deux pétales…

Son cœur est plein et rond….

Peut être est ce dans la chute silencieuse de ces deux pétales qu’est la réponse…"

*

Nathalie BARDOU

Juillet 2014

***

 Ce texte, il faut le lire comme on boirait un alcool rare, on humerait une fragrance subtile, on caresserait l'onctueux d'une peau. Et, surtout, ne jamais se laisser aller à l'ultime erreur qui consisterait à en connaître les ingrédients, la règle d'assemblage, l'architectonique en structurant le corps. Car il ne s'agit nullement d'un corps ordinaire dont on pourrait s'emparer, fût-ce pour la plus somptueuse des noces. Car, ici, il s'agit d'un corps subtil, d'une pure évanescence, d'une essence ne pouvant, ni ne voulant dire son nom. Jamais le poème n'a à dire son nom, à proférer le mystère par lequel il apparaît. Il ne peut que demeurer dans cette frange incompressible qui le fait s'élever dans un soi jouissif et y demeurer. Le poème est un déploiement de corolle inconscient de son surgissement au plein jour. Sa parution au monde étant fondement en même temps que finalité. Le poème décline son harmonie, pétale après pétale, dans la rosée de l'aube, y compris en l'absence de l'homme. Ce qui veut dire hors de toute conscience qui pourrait le viser et en déduire le mécanisme de son exister, en assembler les fragments constitutifs, en dresser les conditions d'apparition. Le poème vit de lui-même, comme le chant de la source, le pépiement de l'oiseau, les lames de vent dans l'aire libre du ciel. Le nuage, on l'explique, par quantité de métamorphoses physiques, la convection, l'évaporation, la condensation, la sustentation dans une masse gazeuse attendant de se donner en pluie, en brume. (En songe si l'on est poète). Mais, ce même nuage, sa beauté, son inclination à nous faire rêver, son invite à produire de l'imaginaire, ceci qui, toujours, demeure insaisissable, ne s'affilie jamais à une démonstration. Le nuage, dans sa pure vibrance esthétique, est simplement nuage, enclos en lui-même, se confondant avec l'autarcie qui le porte au-devant de nos yeux étonnés. Nuage incliné vers le miroir de son propre narcissisme. Le nuage ne se déduit pas d'autre chose qui lui serait extérieur, ou bien plus haut dans la hiérarchie des valeurs, ce qui aurait pour conséquence de le faire apparaître comme simple hypostase d'un ordre supérieur. Tout comme la rose d'Angelus Silesius, le nuage, le poème sont, avant tout, nuage, poème et c'est à nous, regardeurs du monde, de nous en saisir avec le regard opportun. Car, ici, rien ne sert de disserter, de tirer des plans sur la comète, d'élaborer de brillantes thèses, de se livrer à une exégèse savante de ce qui pourrait s'y dissimuler dans les profondeurs d'une pensée. Non une pensée, non de possibles prémices à une connaissance, non une théorie littéraire se traduisant par la production d'habiles ruses intellectuelles. Dans le poème, bien plutôt que de se confier à cette hérétique "raison raisonnante" (laissons ceci aux sciences exactes), apprêtons-nous, dans la plus évidente des sérénités qui soit à vibrer au rythme des mots, à éprouver la pulpe de leur chair, à jouir du vent du langage qui est parce qu'il est. Sans doute faut-il dépasser, d'emblée, le risque de prendre la formule "qui est parce qu'il est" pour une fantaisie, une simple tautologie avouant son échec à en dire plus. Mais, devant la pure beauté, par exemple "La Joconde" (peinte ou bien femme de chair), y a-t-il place pour la raison et ses infinies ratiocinations ? Y a-t-il prétexte à questionner, à déduire, à inférer, à s'en remettre à la rigueur d'une logique ? Non, nous sentons bien qu'à demeurer dans cette posture formelle, nous tombons hors du poème, dans sa métrique, dans ce qu'il ne saurait être, à savoir une variable numérique, le point de jonction de coordonnées spatiales ou temporelles. Abordant le poème, c'est de nous-mêmes, d'abord dont il s'agit, de notre liberté afin que de cette aire ouverte le poème puisse s'élancer et frémir. Comme la feuille dans la brise, l'oiseau dans la pliure du vent, l'amant dans l'amour de l'aimée. L'essence du poème est la passion, jamais la raison. Car, alors, comment pourrions-nous faire nôtre et demeurer en joie, lisant le merveilleux sonnet des voyelles de Rimbaud, si n'intervenait cette sublime alchimie personnelle entrant en résonance avec l'auteur des "Illuminations" ? Bien sûr, on peut toujours gloser à l'infini sur le chromatisme des voyelles, le symbolisme qui leur est associé, la relation des lettres avec l'alphabet grec, sur les associations lexicales, les rapprochements phonétiques, sur les allitérations, les diérèses, les rimes léonines et que sais-je encore, l'on n'aura, ce faisant, qu'approché le poème sur sa face externe, l'on ne se sera livré qu'à une lecture exotérique, à une étonnante danse de Saint Guy, telles ces mouches "Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" à défaut d'en percevoir "l'attirante répulsion". Bien évidemment, ici, l'oxymore est volontaire, voulant indiquer la vive tension, la dialectique aride, lesquelles se présentent toujours dès l'instant où une poésie dresse à notre encontre la figure de l'hermétisme. Aimantation à deux pôles, attrait et répulsion mêlés, alors que, tentant de percer l'opercule, l'opacité règne toujours qui nous fait désespérer de nous saisir de l'ambiguë ambroisie que le poète porte à nos yeux et dont, en définitive, il ne nous dit rien, nous laissant sur le rivage d'une cruelle incompréhension.

 Mais là est bien le problème, cherchant à saisir conceptuellement cela qui s'annonce, nous demeurons à la périphérie, nous évoluons sur ce cercle centrifuge qui nous éloigne du centre géométrique à partir duquel entrer dans la vision alchimique. L'on aura compris qu'une visée géométrisante du poème, sa mise en équation, loin de nous l'offrir, ne parvient qu'à le dépouiller de son limbe, ne laissant dans sa feuille que de bien étiques nervures. Ne lisons pas Rimbaud, Lautréamont, Baudelaire comme on le ferait de textes sacrés inféodés à une lecture de la lettre, à une saisie au plus près de cela qui serait supposé s'y révéler en tant que seule vérité. Il y a autant de poèmes que de lecteurs d'un même poème. Lisant "Voyelles" et c'est de notre propre subjectivité dont il est question. Lecture plurielle parce qu'ésotérique, "illuminée", féconde. Pour pénétrer ce poème, il faut devenir derviche tourneur et danser infiniment, faire de ses sensations cette infinie corolle blanche nous portant au seuil d'un vertige. Là seulement les choses s'ouvrent, consentent à nous parler du cœur même de leur intimité. L'être-de-la- poésie est cette vibration que ne perçoivent ceux qui se "font voyants".

 "Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences."

Lettre de Rimbaud à Paul Demeny - 15 mai 1871

 Seul le génie de Rimbaud pouvait énoncer cette voyance par laquelle le poète s'annonce, par laquelle le lecteur s'inscrit dans ce rythme immémorial du langage, bien antérieur à tout positionnement de l'homme. Le poème, en tant que dire essentiel, résonne au ciel du monde avec la force de la pure lumière. Or, jamais on ne l'accueille, la lumière, sans que l'œil cligne, que l'âme vacille, que le corps ne se dissolve dans une manière de confondante transe. Les derviches sont proches qui virevoltent sur leur arc incandescent ! Avec le poème il faut l'osmose, la fusion, le couple infiniment soudé d'une dyade. Lisant "Voyelles", nécessairement, il nous faut devenir voyelles, passer du noir au bleu et visiter le rouge; il nous faut être mouche et "golfes d'ombre", "frissons d'ombelles", "vibrements divins", "strideurs étranges", il nous faut être nous-mêmes dans la vérité du poème, c'est-à-dire assumer de vivre sans séparation, sans différence, dans la "pâte des choses" pour utiliser la rhétorique sartrienne. Pâte contre pâte, tout comme, dans l'acte d'amour, chair contre chair dans cette union sacrée qui nous emporte au-delà de nous-mêmes. Seul cet emportement, cet arrachement à notre propre socle témoigne de la vérité avec laquelle nous avons confié notre destin à cela même qui nous dépasse et, nous dépassant, se nomme altérité. Notre propre unité est à ce prix, de l'association de ce que nous sommes dans l'événement d'exister avec l'évènement qui vient nous combler et nous porte à notre plénitude. L'amour, le poème disent le même, l'atteinte d'un possible absolu le temps d'une immersion, le temps d'une brève finitude. Toujours nous sommes en attente de cela !

"jamais loin"

 Encore, il nous faut revenir à ce texte, le prendre entre nos dents, comme nous le ferions d'une grenade et faire juter entre nos lèvres sont goût acide en même temps que sucré. Alors cela descend dans le tube de la gorge, alors cela fait ses minces irisations dans le corridor des poumons, cela dilate le cœur, parle à notre sexe la langue du désir, alors cela infuse dans le pilier de nos jambes cette sève qui fait son bruissement d'insecte, cela recroqueville nos orteils comme la corne du rhinocéros, cela fait sa petite musique de nuit, celle qui coule tout au long de nos rêves. Alors nous sommes oiseaux dans la courbure du vent, poissons dans le flux de la vague, taupes noires glissant dans leurs tubes de glaise, colibris au vol stationnaire et vibrations de lumière, lézards au goitre de bronze, caméléons au chant polyphonique, alors nous sommes ceux, celles qui attendent le poème, veulent boire sa douce ambroisie. Les mots du poème sont un vent qui glisse sur la falaise de nos fronts, une vague inondant nos visages, une fontaine faisant couler son eau que nos lèvres cueillent dans la fraîcheur du jour. Le Poète dit "ce qui pourrait trembler d'insignifiance" et c'est nous qui tremblons dans la signifiance de ce qui nous est amené dans la clarté. Le poète dit "l'œil doré" et la pupille s'éclaire et la mydriase a lieu qui fait ses flammes blanches dans l'aire dévastée de la conscience. Mais dévastée dans l'expérience de la joie. Mais joyeuse dans la découverte de soi. Car c'est bien le point focal de ce que nous sommes, l'être, qui s'ouvre et conquiert son propre déploiement. L'être n'est que ceci, pure disposition à s'accroître vers la transcendance et à y demeurer. Sans souci des collines couchées sous la pluie d’herbes, sans inquiétude du cliquetis des songes, sans angoisse qui tirerait vers les ornières du monde. L'être est pur poème de soi dans les contrées infinies de l'espace. L'être est reconduction vers l'absolu des extases temporelles et éternité trouvant son site. Le Poète dit " Il Nous faut l’attention" et nous sommes dans l'attention de cela qui va survenir, va se produire et nous reconduire à notre propre genèse. Renaissance de soi, de celui, celle qui, dissimulés sous la cendre des nécessités avancent dans le chemin du jour avec le dos courbé et l'âme étroite. Il y aurait danger à continuer, à poursuivre dans cet égarement, à demeurer sourds aux paroles de l'origine. Ces paroles fondamentales nous disant la beauté et la totalité de toutes choses. La phusis ou l'être en sa première apparition, cette Nature des anciens Grecs, ce rayonnement de l'arbre, de la source, de la montagne au sein même de ce qui se présente à nous. L'alètheia ou premier surgissement de la vérité en tant que dévoilement de tout ce qui s'occulte. "La nature aime à se cacher", disait Héraclite. Mais aussi la Moïra conduisant notre destin, forgeant notre histoire. Le logos, cette sublime raison portant l’homme à la cimaise du monde, mais aussi le logos en tant que parole, chant premier, ouverture du poème en son incroyable dispensation. " Il Nous faut l’attention" à ceci qui nous illumine et nous porte au-delà de nous car, sans le jaillissement de l’eau, sans la vérité qui en est la condition de possibilité dans la transparence, sans le destin qui l’inscrit dans notre histoire en même temps que dans l’Histoire des hommes, sans le langage qui porte la source au fleuve, le fleuve à l’estuaire, l’estuaire à la mer, sans cette sublime attention à tout ce qui entre en présence, se révèle à notre conscience, alors la terre serait dévastée, notre propre argile se fissurerait et nous ne serions même plus assurés de notre être, de son accomplissement parmi la multitude.

" Que vont nous dire ou nous crier nos mémoires ? " 

si notre être est dispersé aux quatre vents de la déraison, si le présent s’effiloche, si le futur n’est que cette tache incolore sur notre cristallin, si le passé n’a plus d’attache, de racine à enfouir dans le limon ténébreux qui, un jour, nous anima ? Que fournir à la mémoire si les nutriments qui la font exister - la rencontre, l’événement, l’amour, le dialogue, la belle âme, la belle œuvre, le beau corps, le bien, les belles images, les sublimes métaphores -, si les sucs nourriciers la désertent. Rien ne se construit à partir du néant, sinon le néant lui-même, cette manière d’absolu. Tout se construit à partir du silence, cette parole blanche, cette neige immaculée. Dites un mot, un seul, par exemple "chambre" et vous avez troué le silence, vous avez jeté dans l’eau du langage ce caillou qui va faire ses ondes concentriques à l’infini. Dites " chambre " et, en même temps, vous aurez la maison, le paysage qui l’accueille, la colline qui se dresse à l’horizon, les arbres qui l’habitent, le ciel infini, la courbe du soleil, le temps qui passe. Dites " chambre "et vous aurez Van Gogh à Arles, Xavier de Maistre "sous le quarante-cinquième degré de latitude", Tommaso Campanella dans la geôle napolitaine du Castel Nuovo, Casanova à Venise, Roquentin à Bouville, etc … Disant un seul mot que vous aurez enlevé au silence et se sera animé ce qu’il faut simplement nommer "monde ". C’est cela la magie. Il n’y a rien, puis il y a quelque chose, puis il y a la totalité de l’étant qui apparaît et se décline en mille tours de Babel. Dites :

"Que vont nous dire

ou nous crier nos mémoires ?

Sont-elles à ce jour libérées

du froid qui crochetait

les quatre coins d’une chambre,

du temps,

dont la chute dans un océan sans répit,

a porté aussi entre ses bras

la sombre musique de l’attente,

après qu’il a connu

la majesté

du silence accueilli ?"

et vous aurez créé un poème. Et comment peut-on en être assuré ? Mais simplement parce qu’il y a vérité. Parce que le temps de la poésie, pour le poète, en un instant et un lieu singuliers, incommunicables, non-reproductibles, avait reçu telle empreinte du langage et non telle autre. Parce qu’il y avait urgence à dire, dans cette forme-ci et non dans une autre qui eût paru étrange, cette réalité-langage voulant éprouver l’événement en train de surgir. Toute la difficulté pour le lecteur, la lectrice, s’emparant de la poésie, consiste à la lire du-dedans d’elle-même, à savoir dans l’esquisse particulière qui l’anima et la remit au poète avec l’évidence d’une forme à commettre. Ici se détermine, avec ampleur, cette dimension du langage à laquelle le poète s’affilie à défaut d’en être l’origine. Si tout poète regarde les choses avec des yeux de cristal et nous en délivre la pure lumière, il ne le fait qu’en accord avec le langage, sous son autorité. Le langage est la précellence qui habite le monde, le poète son serviteur, le lecteur celui qui reçoit le don et l’accompagne jusqu’à l’éclosion du sens. Comme la fleur ouvre sa corolle et disperse, aux yeux sincères, la plénitude qui l’habite comme une ultime faveur. Il ne saurait y avoir de plus grande beauté. Lisant un poème, lisant ce poème, c’est ceci qu’il faut y déceler : la beauté qui rayonne et qui, rayonnant, ramène tout à elle dans le même mouvement qui la porte à sa propre parution. Nous ne pouvons lire qu’à être immergés dans ce flux dont le poète est le corps consentant - car c’est le corps en son entier qui écrit, comme l’on danse, comme l’on mime, comme l’on aime - donc lire à disparaître dans la vague qui déferle et déplie son écume dans une sorte d’ivresse. Lire le poème c’est le " poser sur un chevet étoilé ", là, au milieu du firmament avec la seule nuit qui en assure la garde, elle qui prête son sein à l’ombre grosse, à la dilatation du songe, à l’arcature de l’imaginaire, à la puissance vacante de l’inconscient, à toute cette démesure qui habite le poète jusqu’à la douleur et trouve sa résolution dans l’incroyable parturition, l’immense délivrance par laquelle les mots s’installent dans l’évidence d’être. Heureuse. Autant de temps nous n’aurons pas compris cette souffrance qui précède la mise en mots, autant de temps nous demeurerons hermétiques aux battements de la poésie, à la nécessaire turgescence qui l’anime, forant la paroi du réel de son dard incandescent. Jamais poème ne saurait être compris au sens ordinaire de le prendre en soi avec la signification dont il est porteur. Un poème n’a pas de sens et, pourtant, il les possède tous. Pour la simple raison que, chaque lecteur qui le féconde à l’aune de son intuition et de son imaginaire, agrandit l’orbe de son déploiement. C’est à cette infinie polysémie qu’il faut se disposer avec la poésie de façon à ce qu’elle ne s’immole pas dans les ornières des énoncés mondains. Il y a encore beaucoup à faire pour parvenir à ce "frisson partagé " que sont les mots portés à leur plénitude. Ne frissonnent que ceux, celles qui, en leur intime, ont accepté de n’être "Jamais loin du vertige ". Tout poète est un funambule. Tout lecteur véritable aussi. Tendons le fil au-dessus de l’abîme et marchons. Il n’y a pas de plus beau péril !

Le dernier mot à Rimbaud :

"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides

Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges :

- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -"

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15 mars 2020 7 15 /03 /mars /2020 10:34
SOLI.

                     Solistes.

         Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

 

 

 

   Cela vient de loin.

 

   Cela vient de loin. Cela chante de loin. Comme une plainte, le bruit d’un ruisseau dont on aurait oublié la source, qui coulerait dans la nuit de la terre avant de surgir au plein jour. C’est une boule de lumière, un feu à peine assourdi, l’image d’une plénitude, une goutte claire suspendue en plein ciel. Ça a la complétude de la sphère, sa brillance, son retrait par rapport à l’aigu, au tranchant. Ça a à voir avec le lisse, la perfection du mercure lorsqu’il fait son lac aux délicieux contours. Cela parle d’une voix si douce, sans gutturales, sans fricatives, sans arêtes, seulement des liquides, des intonations océaniques, des ellipses de galets dans la teinte silencieuse de l’aube, des chuintements dans la fuite longue du temps. Cela appelle. Cela convoque. Cela brille à la manière d’une incantation. Cela demande le ravissement et le cercle immédiat de la félicité. Cela part de soi et revient à soi dans un même mouvement de simplicité. On dirait le jeu continu de la clepsydre, son égouttement de larmes dans la conque régulière des secondes. On dirait l’à peine bruissement du sable dans le goulot de verre qui compte le cliquetis discret, le passage inaperçu de l’instant dans l’instant qui vient, qui part. On dirait le souffle de l’homme dans l’anche de roseau avec la naissance d’une pliure d’existence et l’infinie spirale du monde. Il n’y aurait jamais de césure, de coupure par laquelle suspendre le cycle heureux de l’harmonie. Comme le vol d’écume de l’oiseau dans le ciel sans différence, comme la chute sans fin au-dessus de la boule bleue de la mer. Comme la lactescence de la Lune parmi le point fixe des constellations glacées. L’image d’une éternité.

 

   Mais nous voici chaos.

 

   Mais voici que quelque chose a remué dans l’ordonnancement des choses. Mais voici que l’immense glacier que l’on croyait indestructible vient de se désagréger. Blocs blancs bleus dérivant dans l’immensité. Angles vifs, dards de givre, hallebardes grises qui fendent les flots de leur étrave pareille à l’entaille d’un coutre dans la confiante argile. Voilà ! On était cette fière architecture de glace aux lignes parfaites, ce palais rutilant, cette forteresse aux mille barbacanes. Octaèdre ou bien icosaèdre aux faces imprenables. Genres d’Annapurna dont aucun explorateur n’oserait jamais tutoyer la face autrement qu’à la mesure de son regard. Mais nous voici chaos, brisure, dispersion et l’horizon n’est plus qu’une géométrie illisible, une réalité archipélagique, un éparpillement sans fin et ce ne sont que bris de verre, vifs éclats, tessons brisés dans la multitude de l’être.

 

   Cela fourmille en nous.

 

   Toute présence à soi est nécessairement post-traumatique puisque notre unité originelle a volé en éclats. Nous ne naissons au monde qu’à la force aliénante des forceps. Nous en sentons encore l’entaille mortifère dans la structure même de nos tissus, dans le bouillonnement de nos rivières de sang, dans les pelotes révulsées de nos nerfs, dans la pierre informe de notre plexus, dans les boulets usés de nos genoux. Cela fourmille en nous. Cela exulte. Cela demande le lien primitif par lequel nous étions un territoire uni, non une diaspora agitant à tous les vents les lambeaux de mémoire déchirée qui nous habite aujourd’hui.

 

   Dans le feu de la glande pinéale.

 

   C’est quelque part, près de l’amande du sexe avec son flamboiement désirant ou bien dans le tapis serré de la dure-mère ou bien encore dans le feu de la glande pinéale. Peu importe le lieu. Cela existe avec force et menace de s’éployer au plein jour. Comme une tristesse trop longtemps contenue, une liqueur séminale impatiente de trouver son exutoire, une idée ferrugineuse qui voudrait se dire dans le temps même de sa révélation. Tout ceci qui fermente et bouillonne veut dire la nécessité urgente de trouver un écho à la désespérance, de découvrir le miroir où ressourcer sa propre image, entendre l’écho au gré duquel nous sortirons de cette geôle de chair afin de trouver une chair siamoise, des bras qui enlacent, des yeux qui façonnent et restituent notre splendeur ancienne. Cette unité qui, un jour, nous fit esquisse unique, singulière, reconnue puis, soudain, nous déserta pour nous laisser en SOLO, prêchant dans le désert avec les bras en croix, la nuque vide à force de scruter le ciel d’où pouvait venir la puissance salvatrice du dieu, mais rien ne vint que le réel abrupt avec sa rigueur hivernale et son souffle acide.

   Nous n’avions même plus de pleurs pour humecter nos yeux infertiles ! Nous n’avions même plus de place pour faire s’agiter la moindre once de bonheur disponible. Cela serrait aux entournures, cela coiffait nos circonvolutions du chaperon de la fauconnerie. Nos yeux étaient de plomb durci avec les lanières de cuir qui pressaient et l’on se débattait intérieurement afin de pouvoir au moins scruter le vaste horizon, balayer les avenues du ciel d’où pouvait venir celle qui, peut-être, serait notre libératrice, l’onde qui nous réunirait au sein de notre ancienne demeure, le flux qui nous ramènerait sur le rivage paisible qui, un jour, fut notre havre de paix, le port où calfater nos douleurs, réduire nos peines, enduire de bitume les crevasses qui avaient fait leur chemin obséquieux, mortifère.

 

   Soliste en sa chorégraphie muette.

 

   Soliste, il faut la regarder dans la perspective du fragment en voie de reconstitution. Elle n’est arrivée à sa propre existence qu’au travers d’une unité retrouvée. Unité : assemblage de deux SOLI en leur exception. La Perruche Bleue postée sur son bras est le naturel prolongement de qui elle est, à savoir une parole correspondant à une autre parole. Langage contre langage dans le plus exact sublime qui soit. Parfois, lorsque le temps vire au gris, que la mélancolie menace de bourgeonner, Soliste se livre à quelques vocalises, genre de babil d’enfant aussi innocent que spontané. On dirait, à s’y tromper, la voix de la Perruche en train de jaboter. Genre de bruit de gorge, de doux gazouillis tel qu’il pourrait être émis par quelque Gavroche aussi goguenard que discret. Bavardages à bas bruit, vocalisations qui, parfois, montent et descendent dans la gamme des émotions, signifient et implorent, demandent et répondent. Toute une mimique verbale, toute une gestuelle qui trace dans l’invisibilité de l’air les volutes de la joie. Combien alors il est heureux d’entendre son propre pépiement dans le concert assourdissant du monde. Une manière de confluer avec son silence, d’y imprimer la lettre d’une présence, d’y graver le halo d’une communication.

 

   Perruche en sa voix humaine.

 

   Perruche Bleue, dans son cercle de lumière blanche, s’adresse à qui la reçoit dans le naturel et la simplicité. Pure station de soi dans l’attente d’être reconnue. L’ébruitement de l’Oiseau se fait voix, se fait confidence, se fait murmure plein d’une reconnaissante allégresse. Être Perruche sur le bras ganté de gris, c’est recevoir sa signification de cet accueil. Alors on s’immisce dans la posture humaine, on en imite la cambrure, on en teste l’inégalable beauté, on en approche le rare, on en éprouve la courbure de soie. Car dans ce rapprochement de l’Oiseau et de la Jeune Femme il y a comme un fil invisible, un lien qui attache deux vies en les tissant de voix, ce chiffre irremplaçable de l’essence de l’être.

   La voix est la plus belle signature de l’humain. Jamais un registre ne se confond avec un autre. Jamais une tessiture ne se superpose à celle qui voudrait l’imiter. Jamais un timbre ne trouve sa gémellité. La voix est le pilier autour duquel s’édifie la chair, telle une concrétion de l’âme. Cristallisation du spirituel dans une forme qui le représente et le pose en tant qu’esquisse la plus approchante d’une sensibilité, d’une sensualité, du déploiement des fibres secrètes d’une intériorité. Ecoutez la voix lorsqu’elle implore, souffre, pleure, exulte, prie, harangue, séduit, se passionne. Toute la gamme des fils qui font le tissu de la vie, en tressent le chatoiement, parfois jusqu’à la déchirure.

   Le colloque singulier qui s’anime de Soliste à Perruche bleue, de Perruche bleue à Soliste, rien de moins que la grande marée polyphonique du monde, de ses peuples bariolés, métissés jusqu’au vertige. Pas de plus bel horizon afin de retrouver son chez soi originel, s’abreuver à la source qui nous porta sur les fonts de l’exister. Notre venue parmi la multitude des hommes : un cri qui n’en finit de résonner d’un bout à l’autre de la Terre. Jamais un langage ne s’éteint, Celui, Celle qui l’ont proférée fussent-ils cendres envolées par le vent. Le langage n’est rien de matériel, sinon les quelques ondulations sonores, les quelques vibrations qui font leurs ondes concentriques telle la pierre qui écarte l’eau et la parcourt de ses vagues circulaires. Cependant ne plus entendre les sons ne signe en rien la disparition de la conscience qui les a émis. Les discours s’empilent comme les signes sur les trames usées d’antiques palimpsestes, les paroles se sédimentent dans les profondeurs du temps, les voix se superposent sur les milliers de rainures des disques de matière noire.

   

   Rien ne s’efface.

 

   Cependant rien ne s’efface de ce qui a eu lieu. Pensez donc à une Personne disparue. Remémorez-vous des épisodes de sa vie, des rencontres, des agapes entre amis, de tristes rencontres aussi bien. Cette voix ancienne, vous l’entendez faire ses remous au fond de vous. Vous en êtes ému. Peut-être allez-vous pleurer l’instant d’après ? N’est-ce pas là une preuve irréfutable que jamais parole ne s’éteint, jamais conscience ne se dissout dans les sautes et les voltes du temps ? La voix est inépuisable, inimitable, intarissable. Tous vocables en « able », désinence qui affirme l’immortalité comme mode d’être le plus probable. Ainsi la voix jamais ne devient périssable pour la simple raison que, dissociée par nature des affects du corps (voix identique à elle-même depuis la naissance jusqu’à la mort), elle gagne le caractère de cela même qui s’exonère des lois du temps, pareille aux chiffres lapidaires gravés sur les chapiteaux qui abritent les dieux dans le temple grec, identique aux bandelettes sacrées qui enveloppent la dépouille du Pharaon dans sa navigation solaire, semblable aux papyrus royaux qui portent l’empreinte du sacré, comparable aux signes cunéiformes qui font des tablettes sumériennes le support d’un temps au-delà du temps.

   Voix, chant de l’Oiseau, mélodie intérieure de Soliste, seuls liens qui agrègent les territoires épars, seuls média qui fondent en une seule et unique harmonie les teintes du divers, les gradations du multiple, la Voix qui jamais ne varie, toujours se perpétue, se présentifie comme témoin ineffable de l’être. Un indépassable qui s’abreuve à son propre incommensurable, la marque insigne de l’inaltérable ; l’être en son rayonnement.

 

 

 

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15 mars 2020 7 15 /03 /mars /2020 10:25
Floriane

Barbara Kroll

 

***

 

 

   « Floriane », quel étrange nom, n’est-ce pas en ces contrées d’habitudes natives, en ces lieux où rien ne bouge que le tremblement des feuilles, les coulées d’air dans les rues désertes. Non, ne cherchez nullement, vous ne me connaissez pas. D’ailleurs comment le pourriez-vous au regard de cette absence que je suis aux yeux du monde, parfois à mes propres yeux. Je crois bien que je suis en fuite de moi-même, que je ne supporte ni mon image dans le miroir ni les conciliabules étroits en vis-à-vis avec ceux qui voudraient me cerner mais qui n’y parviennent jamais. Croient-ils me saisir, ces naïfs, que déjà je suis loin, au large d’eux, abrité de leur regard inquisiteur, soustrait à leur récurrente curiosité. Mon imaginaire est là qui me sauve de bien des déboires.

   Je ne suis donc pas connu de vous mais, de vous, je porte plus qu’une empreinte en moi, laquelle serait vite effacée au gré du temps qui passe. De vous, c’est la brûlure que je retiens, celle de votre regard que je n’ai jamais croisé et c’est pour ceci qu’il enfonce sa vrille au plein de ma chair, qu’il attise mon esprit toujours éruptif, une lave, un jet de soufre au plus haut du ciel. Vos yeux, pour moi, demeurent un mystère, aussi fulgurent-ils, aussi enflamment-ils mon esprit qui, jamais, ne connaît de repos. De vous, seul ce nom de Floriane qui fait ses boucles, jette ses anneaux dans l’espace, ils reviennent à moi et je les saisis dans la conque de mes mains tel le don le plus précieux qui m’ait été un jour octroyé.

   Voyez-vous combien il est rassurant de nommer quelqu’un, une Inconnue telle que vous, de lui attribuer un lieu sur cette Terre où la rejoindre, fût-ce en rêve. Tout le long du jour, écrivant ou lisant ou buvant une absinthe - ô son vert aquatique, sa touffeur de profonde alcôve, son goût de péché -, je susurre dans l’arc de mes lèvres, dans l’interstice blanc des dents, comme on le ferait dégustant un mets délicat, je chante donc en sourdine votre bel attribut, ainsi « Floriane », puis détachant une à une les syllabes « Flo-Ria-Ne », accentuant les consonnes initiales afin que, de leur énergie, naisse quelque chose comme un vertige, parfois une simple épellation, chaque lettre isolée de la précédente ou de la suivante, mille petits coups de gong reçus par mon cœur, mille percussions hérissant la toile de ma peau.

   Mais, Floriane, savez-vous au moins que vous m’appartenez, malgré l’infinie distance qui nous sépare, que nul emplissement ne comblera, savez-vous que vous êtes à moi bien mieux que l’Amante à son Amant ? En quelque sorte, plus que mon double, ma réverbération, mon simple écho, vous êtes une partie de qui je suis, indissolublement liée, votre sentiment de juste liberté se rebellât-il, manière de doublure, de seconde peau, vous respirez en moi, souffrez en moi, vous enthousiasmez en moi et il s’en faudrait de peu que nos deux natures n’en fassent plus qu’une en un genre de merveilleuse métamorphose dont ni vous, ne pourriez revenir, ni moi l’annuler, ma motivation fût-elle grande, ma volonté farouche.

   Mais que je vous rassure, Floriane, cette fusion de deux en un nous dépasse comme un acte transcendant s’exhausse bien au-dessus de celui qui en a favorisé l’apparition. Croyez-vous vraiment que l’Artiste ait créé, LUI-MEME, cette oeuvre sublime qui le toise de haut et menacerait de le réduire à sa merci si le soudain désir se manifestait en elle de commettre un geste définitif. Certes l’Artiste a prêté son bras, a mis en branle son intelligence, a œuvré longuement, patiemment afin qu’une forme voie le jour et rayonne ainsi à l’infini du temps, à l’infini de l’espace.

   Tout Artiste est un médiateur, un passant, un prête-nom. L’Artiste n’est que l’exécutant de l’Art, sa main, son œil, son geste. C’est seulement en ceci qu’il peut y avoir transcendance car il faut toujours recevoir de plus haut ce qui nous est adressé telle une faveur, un don des dieux, un éclair qui ne brille, une foudre qui ne tonne qu’à être les correspondants d’un mystérieux « Être », laissons-le en son anonymat, dans sa belle indétermination qui est peut-être, d’une façon purement logique, la totalité du réel trouvant en un foyer singulier, un lieu de pure félicité,  la possibilité de son effectuation.

   Mais je ne veux point m’égarer, Floriane, ne point me perdre dans des divagations de songe-creux. Je veux simplement vous avoir en moi comme j’ai mon souffle, ma sueur, mes larmes, mes rires, mes sautes d’humeur, mes cataractes de joie, mes effusions les plus soudaines et les plus vives. Il est nécessaire que vous m’apparteniez sans essai de diversion, sans que la moindre esquive ne traverse votre belle tête. Devenez-donc cet être sans épaisseur, ce pur joyau de transparence, cette vibration de cristal ou de diapason s’animant dans la cathédrale de glace d’un lointain et boréal iceberg.

   Oui, je crois que vous commencez à sentir là où, exactement, ma plus verticale inclination veut vous amener : à être moi plus que je ne puis l’être moi-même. En quelque sorte à procéder à mon « egocide », à vous laisser glisser dans la faille de mon Moi, tel le spéléologue s’enfonçant dans les lèvres grasses de la terre, gagnant, mètre par mètre, au gré de ses reptations, la crypte d’amour dont il est en quête, devenant en sa sourde avancée cette matrice dont il ne veut plus être que la forme indistincte, manière de chrysalide invaginée dans le luxe de son cocon. Oui, Floriane, devenez cette chrysalide, le cocon de mon désir vous est entièrement acquis, il ne laissera nulle place à qui ne serait nullement vous.

   Disparaîtriez-vous au hasard des jours et des heures, les caprices de l’exister sont si confondants, si atterrants, et je crois bien que je serais au bord de l’abîme, mains crochetées au rebord de poussière, visant cet Enfer dantesque dont j’ai toujours eu la présence plaquée dans mon dos. L’avers de ma pièce de monnaie, face brillante qui sourit au monde des Vivants. Mon revers, figure d’ombre qui s’ouvre au chant lugubre des Morts. Où donc mon lieu, si ce n’est sur cette fragile tranche, sur cette étroite carnèle qui reflète, tout à la fois, le feu de l’adret, la nuit de l’ubac ? Le savez-vous, au moins Ma Floriane - oui, vous aves remarqué ma possession subite de vous, cette emprise qui, peut-être, ne vous lâchera plus, pas plus qu’elle ne se distraira de moi -, nous ne sommes que cet étrange clignotement entre deux réalités également aporétiques. Trop de lumière, pas de lumière, c’est toujours l’aveuglement qui résulte des deux principes opposés, ce qui veut tout naturellement dire que, d’avance et pour la suite des temps, nous sommes condamnés, Floriane.

   Alors nous ne serons nullement de trop, deux-en-un pour faire face à cette vérité qui nous étreint, que nul ne veut voir, qui nous donne l’illusion d’être debout alors que nous ne sommes que des gisants couchés dans la nuit d’une crypte. Oui, la nuit d’une crypte. Non, ne me quittez pas Floriane, sinon, amputé de vous, comment donc pourrais-je ne pas vaciller, ne pas m’éteindre dans le crépuscule qui point et hésite ? « Floriane, Flo-Ria-Ne, Flo-Ria, Flo… », voici que je demeure sans voix à la limite du précipice. Que ne sautez-vous avec moi, Floriane. Ah, oui, j’oubliais, c’est bien étrange ces bords du rêve qui se rapprochent. Le cube blanc de la chambre étrécit soudain. Y aura-t-il suffisamment de place pour deux, pour Moi, pour vous Floriane, ma Douce-Folie ? Pour deux ? De la place !

  

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14 mars 2020 6 14 /03 /mars /2020 16:56
Vers où ? (2° Partie)

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

Nous voyons cet oiseau

qui trace sa route en un fin sillage

à peine perceptible.

Sait-il au moins où il va,

lui l’intrépide, lui le décidé ?

Sa belle flèche gris-blanc fore l’espace,

les ailes sont amplement ouvertes

dans l’attitude de la course,

son bec est pointé sur un avenir

qui se lit, loin là-bas,

dans la claire résille de brume.

L’oiseau, là, l’oiseau de mer libre de lui,

se questionne-t-il au moins

sur sa présence entre ciel et eau,

sur sa destination,

sur ce qui l’attend après ce vol

puis encore après cet autre.

Un vol s’emboîte dans l’autre,

un acte en appelle un autre,

tout se fond en abîme

 dans l’illisible pente du jour.

 Ce vol hauturier,

 cette avancée à l’aveugle

dans les mailles serrées du futur

tracent-elles la voie d’un bonheur

ou bien ce vol n’est-il que la forme propitiatoire

qui attend la décision d’un dieu,

la permission de poursuivre cette course ailée,

de tenir encore le plus longtemps qu’il est possible

dans les plis d’air, de ne point chuter

(nous, les Hommes disons « finitude »,

l’oiseau que dit-il, a-t-il au moins

un lumignon de pensée

 ou a-t-il la lourdeur de la pierre,

le mutique enfermement ?),

de ne point sombrer là,

sur cette plage où passent

les éternels Rêveurs,

ils ne voient même pas

la fragile boule de plumes,

sans vie,

que recouvrira, bientôt,

une frange d’écume,

 linceul souple mais définitif,

linceul qui biffe un vol et le remet

aux profondes oubliettes de la mémoire.

 

Tout est toujours en fuite de soi,

il faut le répéter

à la manière d’une antienne,

en faire une joyeuse comptine

dans les cours d’école,

en tresser les cuivrés harmoniques

dans les fêtes où s’assemblent les hommes,

en dire l’urgence auprès de ceux qui,

 dormant debout, ne risquent que de chuter de plus haut,

tel l’inconscient Icare qui avait voulu tutoyer l’empyrée,

 le soleil y resplendit qui est sans pitié aucune,

sa tâche est de brûler jusqu’à l’extinction,

une éternité pour nous,

une seconde pour lui qui vit

à la mesure de l’infini cosmos.

 

Vers où l’oiseau, sans doute

 une mouette au corps fluet,

vers où, elle qui paraît ne voir

ni les rides légères de l’eau,

ni les traits de fusain des vagues sur le rivage,

 ni le rivage bordé d’écume où, bientôt,

 déferlera le monde sans souci des enfants

 aux visages de lumière,

des adultes aux faces contemplatives,

des vieillards aux figures sillonnées

des belles nervures de l’exister.

Tous ces Flâneurs qu’apercevront-ils

qui ne sera nullement eux ?

Chacun est occupé de soi,

c’est bien là la marque la plus apparente

de notre condition et son propre regard,

avant de le confier au monde,

on le destine à Soi en priorité,

lui attachant seulement après coup,

 telle esquisse au loin,

telle déambulation près de soi,

telle rencontre d’un Quidam

occupé à fouler le sol,

à y laisser les belles empreintes

de ses pas.

Vers où regarder

qui ne soit jeu purement gratuit ?

Vers où ?

Au-dedans de soi,

dans ce bastion de peau si léger

qu’un simple coup de vent

pourrait le faire se confondre

avec le premier nuage venu ?

Vers où ?

En direction de l’Autre

qui me met nécessairement en question,

au simple motif que j’en partage l’événement,

vers le vaste monde qui déborde mes yeux

 et dissimule toujours quantités d’esquisses

dont jamais je ne pourrai rendre compte ?

J’aurais tant voulu en archiver

la totalité des présences

dans le cercle fermé

de mon propre moi !

 

Vers où ce silence éternel

qui est réponse

à notre obsessionnelle question ?

Vers où ?

Quelqu’un enfin levé

au plus haut de sa conscience,

hissé au sommet de sa lucidité,

 atteint du don de définitive clairvoyance,

quelqu’un donc de haute destinée

me dira-t-il qui je suis,

si je suis vraiment,

vers où me conduit mon vol terrestre,

hautement terrestre ?

Que ne puisse-t-il connaître

de plus hautes altitudes !

Y a-t-il, là-haut,

en dehors du regard pointilleux

des hommes,

des champs d’édelweiss

à la blanche parure,

des ailes d’anges saupoudrées

d’un talc onctueux,

des neiges éternelles,

des sources

où étancher ma soif ?

Où le vol ?

Où ?

 

 

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14 mars 2020 6 14 /03 /mars /2020 16:49
Vers où ?  (1° Partie)

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

Vers où le vol de cet oiseau

dans le ciel de cendre ?

Vers quel inconnu dont jamais

nous ne déplierons la mutique bogue ?

Vers où le passage du temps,

cette semence si légère

qui poudre nos doigts

du délicieux vertige d’être ?

Vers où ce chemineau,

son visage est buriné de fatigue,

son chien le suit comme son ombre ?

Vers où la mince silhouette

 de cette femme entrevue

à la terrasse d’un café,

la blanche corolle de sa jupe,

le filet de fumée montant

de sa longue cigarette ?

 

Vers où tout ceci

qui ne profère son nom

qu’à mi-voix,

glissement d’air

 sous l’aile des nuages ?

Vers où l’éternelle fuite de la galaxie,

vers où ses milliers d’étoiles,

vers où ses luxuriantes planètes,

vers où les mystérieuses comètes,

leurs cheveux les suivent

pareilles à des nuées de feu

dans la nuit qui s’ouvre

et accueille en son sein

les Pauvres, les Egarés,

 les Amoureux aussi ?

Vers où la coulée du ruisseau,

son chant de mousse et d’écume,

vers où toute cette eau

qui est le chant du monde ?

Vers où ?

 

Mille fois il faut poser

cette question,

mille fois la savourer

car la poser est vivre,

 car la poser est exister.

Nous, les Questionnants,

 nous les hommes occupés de notre Destin,

nous les chercheurs d’or et de pépites,

 combien nous serions en peine de nous

 si toute interrogation cessait

qui nous laisserait sur les rivages

inhospitaliers de l’ennui !

Vers où notre langage ?

Tout au long des heures

nous parlons, devisons, nous étonnons.

Les mots, sur notre langue,

font leurs beaux emmêlements,

ils sont des sortes de dons

 que nous faisons aux autres,

à commencer par nous,

à seulement faire entendre notre voix,

ses inflexions, ses atermoiements,

ses soubresauts, ses brusques voltes-faces.

 

Vers où le massif compact de notre chair ?

Nous la sentons tressaillir

à l’approche de l’Aimée,

se lever face aux bourrasques de vent,

s’amenuiser dans l’air froid de la grotte,

se hérisser de fins picots

 sous l’amicale rencontre des œuvres d’art,

se plier sous les assauts de la douleur.

Vers où tout ce tumulte

en nous,

en dehors de nous ?

 La vie est mobile,

infiniment mobile,

elle est ici et déjà là

alors que nous n’avons

 nullement pu suivre

 son cours si rapide,

si diablement inventif.

 

Nous posons la question du « vers où ? »,

mais n’en faisons curieusement pas

 le site d’une exploration de l’espace.

Pourtant « vers » indique bien une direction.

Pourtant « où » indique bien un lieu.

Pourtant nous sommes des êtres qui s’espacient

à la mesure de nos propres corps,

de nos voyages, de nos sourdes pérégrinations

tout autour de la boule de la Terre.

Oui, mais l’étrange « vers où ? »

est bien davantage l’expression

d’une saisie du temps en son essence fluide,

 en sa nature qui jamais n’a de cesse

de déployer son être

en avant de soi, toujours au-delà

de cette ligne d’horizon,

bien au-delà de ce projet,

bien au-delà de toute saisie imaginaire.

Et c’est pour sa charge de mystère

que le temps nous fascine

et nous oblige à questionner sans fin.

Le temps est en nous,

nous sommes en lui,

notre chemin ne résulte que

 de cette communauté,

 de cette osmose.

 

Le temps en nous

et nous sommes vivants,

le temps hors de nous

et nous sommes morts.

Et plus rien ne fait signe

que la voix de silence du néant.

Vers où porter notre vue

qui ne soit ni un désert, ni une aire glacée,

ni la débâcle de quelque fleuve nordique

charriant tout le poids des choses

depuis longtemps décidées ?

Vers où regarder afin d’apercevoir

la table fixe d’un dolmen,

l’index d’un menhir pointé

vers les promesses du ciel,

l’arête sûre et fixe de la montagne,

vers où, à quoi amarrer notre vue

 de façon que ce sable fin

arrête enfin de glisser sous nos pieds,

nous déportant de nous,

nous ôtant jusqu’à notre propre forme,

vers où ?

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13 mars 2020 5 13 /03 /mars /2020 11:47
Belle d’une autre époque.

« Bistro » - 1909.

Edward Hopper.

Source : Ciné-club de Caen.

Un train de nuit, c’est toujours un mystère, un genre de voyage à l’aveugle avec, parfois, des illuminations aussi brèves qu’intenses. Vous étiez montée à Limoges, dans cette gare néoclassique des Bénédictins, art nouveau tardif en même temps qu’Art déco, comme si votre étrange vêture voulait consoner avec une époque révolue. C’était tout de même assez étonnant cette coiffe d’antan, cette vaste robe noire dans les plis de laquelle vous vous perdiez. Quant à votre façon de vous exprimer, elle était affectée et dénotait un grand souci de vous dissimuler derrière une rhétorique d’apparat. Vous êtes entrée dans un compartiment contigu au mien. Sous la lumière violette du plafonnier vous figuriez à la manière d’une ancienne courtisane partant rejoindre son amant. Etiez-vous l’épouse d’un notable qu’il ne fallait pas éclabousser à l’aune de quelque scandale ?

C’est aux environs de Vierzon, parmi les étangs solognots et la théorie des bouleaux blancs que vous êtes sortie dans le couloir. J’y étais depuis un moment, fumant rêveusement face au charmant paysage sylvestre. Je vous observais à la dérobée, espérant malgré tout lier conversation. Cependant je dus renoncer au fait d’entendre votre voix bien longtemps. Me souciant de la destination de votre voyage, je n’obtins que quelques réponses elliptiques, que de rares mots sibyllins lâchés du bout des lèvres. A l’évidence vous étiez d’un autre monde et ne souhaitiez nullement vous laisser distraire par un quidam. Les hasards de la rencontre étaient-ils, sans doute, trop prosaïques à vos yeux. Je m’étonnais de vous voir fumer, aspirant de longues bouffées, rejetant vers le ciel du train des volutes bien ordinaires. N’étiez-vous pas, simplement, une « femme du peuple » en goguette, une cabotine qui souhaitait briller au-dessus de son habituelle condition ?

Arrivés à Paris au petit matin, je vous perdis bientôt au milieu des remous des passagers et des bruits qui couraient sur les voies, parmi les aiguillages. Bientôt, pris par le rythme de la ville, je ne pensai plus à vous. Vous étiez simplement cette image surranée échappée d’un magazine de mode, image qui, bientôt, ne serait plus qu’une cendre perdue dans le gris des jours. J’étais descendu dans un hôtel de l’Île Saint-Louis, à quelques pas des boîtes vertes des bouquinistes, bien décidé à trouver ce que je cherchais : quelques photographies de la Belle Epoque qui devaient nourrir l’imaginaire de mon prochain roman. Levé tôt, le lendemain, je flânai un instant le long du Quai d’Anjou dans une lumière aussi belle qu’irréelle. J’aimais Paris d’un amour exigeant. J’aimais l’Île d’un amour passionné. La voir, la longer suffisaient à mon ravissement. Arrivé au milieu du quai, à la hauteur du Pont Marie, deux inconnus à la terrasse d’un bistro consommaient une boisson. Une femme vêtue de noir dont l’habit austère contrastait avec la tenue plus légère, colorée, d’un tout jeune homme, était en grande conversation avec son interlocuteur. C’est dans un angle mort de la vision, avant de franchir le pont derrière lequel se dressaient, agités par un vent léger, les quatre chandelles de peupliers que je pris conscience de l’étrange tableau qui avait surgi devant mes yeux. C’était bien vous, l’étrange passagère du train de nuit, dans ce face à face qui ne pouvait être qu’amoureux. Un gigolo, une sorte de passager clandestin dans l’existence d’une bourgeoise de province. Avec le recul je comprenais mieux maintenant la réserve que vous affichiez. Sans doute aviez-vous peur d’être démasquée. Telle une aristocrate vénitienne à qui l’on aurait ôté son masque lors d’un carnaval galant. Je traversai le Pont Marie bien attristé de voir que les mœurs partaient à vau-l’eau. Bientôt les bouquinistes, bientôt leurs magiques boîtes vertes. J’avais besoin de cela, me plonger dans l’imaginaire et n’en ressortir qu’à la lumière d’une métamorphose.

Le bouquiniste était un vieil homme dont le visage heureux et ouvert était enchâssé derrière les cercles de minuscules lunettes. Il me faisait penser à la physionomie du très illustre Littré, mais dans une version plus joviale, moins portée à l’introspection. Je l’entretins bientôt du but de ma visite et me retrouvais avec une dizaine de magazines contemporains de la Belle Epoque : « Le Petit Echo de la Mode » ; « L’Illustrateur des Dames » ; « la Citoyenne » ; « Le Petit Journal ». Je m’assis sur un banc, étalai les revues et les feuilletai sur-le-champ. C’est dans un ancien numéro de « Vogue » que je découvris, au trait de pinceau près, la vision de celle que vous aviez été il y a un instant, installée face à votre supposé galant. La reproduction était de qualité moyenne mais j’y reconnaissais tous les détails de votre mode ancienne, les ombres portées sur le quai, les flèches des arbres dans l’eau claire du ciel. Sous la reproduction, la simple mention : « Bistro ». Edward Hopper - 1909. Décidemment, je tenais le sujet de mon prochain livre. Mais à quel prix ? Je repassai la Seine en sens inverse. Bientôt le Quai d’Anjou aux belles pierres couleur d’argile. Il n’y avait plus trace du Bistro et, bien évidemment, les silhouettes qui en longeaient la façade avaient fondu comme au sortir d’un mauvais rêve. La perspective de la rue se noyait dans un fin brouillard. Je suis rentré à l’hôtel. Le lendemain, dans le train à destination du Sud je ne me lassais pas de découvrir les images d’un temps qui ne semblait jamais avoir existé. Bientôt nous dépassions le campanile de la gare de Limoges-Bénédictins. L’ombre en gagnait l’architecture, la détourant à la manière d’une robe nocturne aux plis généreux. Bientôt les lacs du limousin, le vert adouci de l’herbe, les taches couleur de thé des vaches limousines. Je fermai les yeux sur le paysage si doux, empreint d’une belle nostalgie. Nous vivions une belle époque. Assurément, une très belle époque !

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12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 10:38
Formes en relation

                                            « Corde à nœuds »                       « Socle et Plaque »

 

Marcel Dupertuis

 

***

 

 

  (Note :  L’œuvre, ici située à gauche, a déjà fait l’objet d’un précédent article intitulé « Pure gratuité du don ». Ce que nous souhaiterions aborder maintenant, c’est un genre de dialogue à établir entre deux formes de nature proche, d’en faire surgir identités et différences. Nul ne s’étonnera que notre thèse confirme ou infirme celles initialement établies, pour la simple raison que le contexte d’énonciation se donnera selon une perspective toute différente que celle qui avait cours lors d’une autre méditation. Car il en est ainsi d’un essai de penser, qu’il lui faut nécessairement se vêtir des atours du caméléon afin que de nouvelles perspectives s’ouvrant, un domaine caché puisse se révéler selon quelques unes de ses esquisses signifiantes. Pour la commodité de l’exposé et répondant à la logique habituelle de la représentation, nous avons nommé ces œuvres « Corde à nœuds » ; « Socle et Plaque », dans un souci de pure appréhension visuelle immédiate.)

 

*

 

   Analyse successive des deux figures.

 

   « Corde à nœuds » - Ce qui est en premier lieu remarquable, c’est la simplicité de sa forme, son « évidence naturelle » pourrions-nous dire s’il s’agissait effectivement d’une production de la Nature. Elle vient immédiatement à nous dans la confiance, elle est dépouillée de tout artifice qui en obèrerait la présence. Avec elle, nous sommes de plain-pied. Non seulement nous n’avons nulle énigme à résoudre mais c’est nous qui avons visage d’énigme à l’aune du regard qu’elle pourrait porter si, d’aventure, elle se donnait comme une chose vivante douée de conscience. Elle est si unitairement visible qu’elle en devient transparente, manière de sublime chorégraphie autour de ce vide qui en soutient l’être. Elle ne convoque nul abri où se dissimuler, elle se livre dans l’éclat même de sa propre nudité. Affirmant ceci, nous ne faisons qu’énoncer cette vérité dont elle est tissée, dont elle rayonne à la façon dont une icône peut diffuser à partir de son cadre éclatant, lumineux, débordant de spiritualité. « Corde à nœuds », est-ce le fait d’un pur hasard ?, dessine dans l’espace ce beau signe de l’infini, ce signe de la libre circulation, ce signe du retour sur soi qui semble constituer le motif de son propre ressourcement.

   Ce qui est tout à fait remarquable, c’est l’autonomie de cette forme, sa présence plénière, la juste mesure dont son être semble avoir reçu le don sans que rien n’en puisse altérer l’exacte manifestation. C’est bien un sentiment de paix et de complétude qui vient à nous dans la tâche heureuse de notre contemplation. Imaginez seulement son luxueux dépliement dans la salle blanche, immense, d’un musée, avec la douce pluie d’une lumière zénithale, avec un éclairage ponctuel qui l’isolerait de tout ce qui, alentour, voudrait en atténuer la force d’aimantation. Vous auriez alors accès, chose rare parmi toutes, à la confidence de son essence. Entre vous et l’œuvre, dans la cathédrale de silence, dans la blancheur native, rien d’autre n’aurait lieu que la confluence de deux essences, celle de « corde à nœuds » (sa « cordéité »), la vôtre (cet irremplaçable Dasein), en ce lieu unique du flamboiement de la convergence, de l’union.  

   Une essence féconde l’autre, une essence s’espacie du contenu de l’autre, une essence se temporalise de la dimension inouïe de la rencontre. Pour cette raison d’une soudaine et souveraine fusion, il ne peut y avoir que deux êtres en présence, le vôtre qui regarde, celui de l’œuvre qui est regardée. Toute autre réalité qui viendrait ici s’interposer au sein de la dyade en exténuerait le sens. La solitude de soi face à la solitude de l’œuvre : la seule topique qui puisse se donner comme la justesse d’une vision.

   Toute idée de foule ou bien même de rassemblement, de mouvements, de paroles serait une offense faite à l’œuvre, un amoindrissement de son essence, une atteinte à ce que la chose en soi a de précieux, qu’elle ne peut délivrer qu’au regard d’une pure compréhension de qui elle est. Or ceci ne peut avoir lieu que dans la réciprocité d’une réelle et inentamée donation. Je te donne ce que tu m’adresses et que tu dois recevoir en retour. Ce qui est rare : le mouvement unique d’une altérité à deux faces, lesquelles s’oubliant, l’une se connaissant par l’autre, nulle place ne subsiste pour le doute, pour l’espace fondateur de partage et de trouble. Comme deux yeux confondus dans la rainure d’une seule vision.

   Observons maintenant les forces qui structurent la belle architecture de « Corde à nœuds ».  Certes il y a des élévations, des retraits, certes il y a variation de la forme, mais si légère, si infinitésimale que ce mouvement est purement interne, une sorte de mince tellurisme, de bulle presque inapparente faisant se dilater une eau lourde au large d’une lagune. Ce que nous voulons dire, c’est que son mouvement est de pure autonomie, qu’il ne déploie nullement sa puissance de quelque altérité qui en aurait influencé le comportement. Autoposition qui tire d’elle-même son énergie, ses mouvances, ses fluctuations. La demeure de son être est son contour dans lequel se meut ce néant qui en nervure l’apparition. Il y a comme un jeu d’écho entre être et néant, vide et plein, ombre et lumière, fondement et élévation. Et c’est ceci, cette fugue à mi-mots qui la délivre de toute dette à la matière, qui nous libère tout autant des charges lourdes qui encombrent notre esprit et en corsètent l’entendement. Il faut la libre circulation entre les êtres afin que, portés au seuil de leur propre génie, quelque chose s’accomplisse de l’ordre d’une grâce. « Grâce », l’autre nom de l’Art.

 

   « Socle et Plaque » - Y a-t-il coalescence des formes ou bien sont-elles si distantes l’une de l’autre que nulle analogie ne pourrait les réunir en un identique endroit ? Si l’on se place sur le plan strictement formel des apparences, alors, certes, ce qui apparaît n’est pas de facture strictement identique. D’abord le schéma apparitionnel de la seconde œuvre est plus complexe, volontairement plus labyrinthique, faisant signe vers un possible emmêlement, une profusion, alors que son vis-à-vis se dépouillait de tout ce qui aurait pu en alourdir le visage. Si « corde à nœuds » se donnait tel l’aérien, le célestiel, voici que « Socle » fait signe en direction du terrestre, du terrien, enfin une manière de poétique du sol qui ne tire son être que de son enracinement dans le concret, la glaise, la densité limoneuse de l’exister.

   Entre les deux œuvres, et ceci de façon la plus apparente qui soit, des tensions existent qui, en première instance, semblent initier une polémique entre essence et existence. Deux autres motivations, deux autres contraintes, symboliquement affiliées à une incontournable réalité, le socle qui est fondation, la plaque qui sépare, clive les trajets de la forme, tout ceci attache, du moins visuellement ce bronze à des prédicats sensibles qui paraissent les conditions mêmes de son apparition. Pour autant, cette belle figuration plastique renonce-t-elle à sa prétention à être une essence ? Pour la saisir, en d’autres termes, avons-nous besoin de la mettre en relation avec autre chose que sa présence ? Ce socle gris, cette plaque rouge-orangé constituent-ils les déterminations qui la justifient et l’expliquent en raison, au gré d’un enchaînement de causes et de conséquences, ces qualités non essentielles et permutables lui barrent-ils l’accès à la lumière du musée, comme si l’œuvre était un simple objet décoratif, une chose parmi les choses contingentes, un artifice qui trouverait sa place plutôt sur le poli d’une commode et demeurerait donc dans l’enceinte d’une dépendance, d’une sourde ustensilité ?

   Volontairement le propos demeure à la surface des choses, comme si une forme plutôt qu’une autre, une simple corde opposée à cette même corde assortie de valeurs adjectivales supplémentaires, ce socle, cette plaque, changeaient en profondeur la nature de ce qui nous est donné à voir et à comprendre. Non, il n’y a nulle hiérarchie dans les formes et toute forme, dès l’instant où elle est suffisamment exigeante pour correspondre aux motifs de l’art, parvient à l’extrémité même de son être. De la même façon toute œuvre est équivalente à telle autre. Il n’y a pas de « grande œuvre » et de « petite œuvre » (sinon il y aurait Grand Art et petit art), de telles assertions sont marquées au sceau de l’utilitaire, fonctionnent en termes de valeurs, autrement dit dans un vocable d’économie et d’échanges, ce que l’Art ne saurait admettre lui qui est, selon le mot du philosophe, « mise en œuvre de la vérité. » Oui, l’œuvre d’art n’est que ceci, vérité totale qui ne peut que rencontrer la nôtre. Une fausseté ne saurait dialoguer avec une vérité, il y a, dans cette idée l’inavouable trace d’un échange contre nature.

    Si nous avons rapproché ces deux œuvres dont le coefficient de vérité n’est plus à démontrer : justesse des formes, valeur esthétique éminente, harmonie, singularité, parole simple et immédiate, donation sans retrait, alors ceci ne pouvait avoir lieu qu’au regard d’une spéculation, une œuvre éclairant l’autre, une œuvre communiquant sa propre essence, l’offrant à l’autre, comme deux beautés se font face sans qu’il ne soit aucunement besoin de les expliquer, de les fonder en raison. Bien évidemment ici se montre, en filigrane, le problème insoluble du goût. Le bon goût de l’un étant le mauvais goût de l’autre. Mais ceci est un problème trop complexe qui ne pourrait trouver sa place dans ce rapide article. Si notre appréciation d’une œuvre, si le juge de paix n’est ni notre entendement, ni notre rationalité, ni nos connaissances, qu’en est-il alors de notre décision de dire telle œuvre belle, telle autre insignifiante ? Sans doute pouvons-nous avancer que notre sensibilité, notre intuition sont les deux fondements au gré desquels saisir une œuvre et la faire sienne en tant qu’œuvre d’art.

   Cette digression ne nous empêchera nullement de nous mettre à la tâche afin de montrer ce qui chemine dans cette mise en perspective qui, pour ne demeurer pur jeu gratuit, nécessite qu’une explication soit donnée, puisqu’aussi bien se mettre en quête de l’être des choses n’est rien moins que se disposer à en recevoir le SENS, ce mot simple qui, sans doute, contient l’entièreté des autres. Expliquons : A l’intérieur de la seconde œuvre analysée, « Socle » fonde « Corde », « Plaque » est le tremplin à partir duquel « Corde » peut trouver à s’accomplir, à rayonner de soi, à conquérir un espace de jeu qui soit celui d’une chose éclairée à même son cœur vivant. En réalité, rien ne se distrait de la scène de sa « représentation », tout, d’emblée y est contenu à titre de signifiant. De signifiant indispensable car l’on ne saurait retrancher, par une opération de l’esprit, un élément de la figuration sans que s’ensuive un déséquilibre et, partant, une hypostase de la forme, une réduction au sens quasiment d’élément qui se priverait de plusieurs de ses entités constitutives au risque de se perdre et de n’être plus forme mais divers éparpillé parmi le désordre du monde.

   Cette permanence, cette nécessité de présence à parts égales de « Corde », « Socle », « Plaque » trace le schème de sa composition unitaire, en même temps qu’elle assure le cadre de sa propre liberté.  Cette œuvre, si l’on croit à l’authenticité du geste donateur de forme qui l’a portée au jour, cette œuvre donc ne pouvait faire phénomène qu’à la mesure de cette juste triade, en « cet ordre assemblée », en cette subtile topologie qui la fait tenir debout contre vents et marées, lui fait faire l’épreuve de la vérité. Comment alors l’expliquer autrement que par une pirouette intellectuelle, sinon par une pure décision de sa propre subjectivité ou bien par un geste de singulier caprice qui consiste à décréter cette œuvre belle, donc vraie, donc appelée par l’Art lui-même à témoigner de son être ? Ceci nous renvoie à l’énoncé performatif faisant de sa propre parole un actant qui ne saurait être contredit par quelque fait que ce soit : « Je déclare cette œuvre belle » et celle-ci, l’œuvre, est, de facto, belle et remise à la cimaise de l’Art. Certes et partant du principe d’une subjectivité qui se veut souveraine, toute appréciation, quand bien même elle serait contraire, est logiquement tout aussi recevable. Mais rien ne servirait d’argumenter au-delà, sauf à choisir la voie des Sophistes.

  

   D’une œuvre l’autre.

 

   « Formes en relation » ne trouve donc sa justification qu’à manier quelque concept et essayer de mettre de l’ordre dans ce divers qui vient au-devant de nous avec son étrange coefficient d’énigme. Si nous nous questionnons prioritairement en termes canoniques « d’essence » et « d’existence », ne sachant plus lesquels peuvent s’appliquer de préférence à telle réalité plutôt qu’à telle autre, c’est bien au motif que notre jugement ordinaire  est trop tiré en direction de l’étant (ce socle-ci, cette plaque-là, cette corde encore), que nous sommes abusés par sa massive présence, que nous lui attribuons toujours en priorité une valeur fondatrice, originaire, comme si l’étant-donné en sa fulguration nous enjoignait de ne considérer que les apparitions multiples et variées, les apparences, les métamorphoses à portée de nos yeux, de nos mains, au détriment des significations que l’être nous adresse (être, signification = le même), mais sur le mode du voilement/dévoilement, car ce que nous voyons n’est que la buée de ce qui, au profond des choses, nous délivre son secret, mais dans la discrétion, si ce n’est dans le silence ou la quasi-mutité.

   Car l’être a cette retenue fondamentale, cette réserve qui fait aussi bien sa fragilité que sa puissance illimitée. L’erreur, ici, serait de substantiver cet être, de lui attribuer une Majuscule, d’en produire une icône devant laquelle nous ne pourrions que faire révérence, nous agenouiller et prier. L’être est simplement et hautement verbal, comme dans la phrase « le soleil est brillant », la copule dit le sujet que le prédicat délimite, cerne et porte à sa réalité, fait signe vers un état de soleil, son être-possible, en quelque sorte, son être-charnellement incarné, son être-visible. Grande beauté de l’être qui donne sens aux choses, car comment autrement les connaître si elles étaient dépourvues de cette constance que le « est » fait apparaître, illumine de l’énergie vitale dont il déborde, qui magnifie le tout du monde. Se déferait-on de cette copule, y compris à sa seule hauteur langagière « soleil brille » et quelque chose serait ôté à l’homme de cette souple et inimitable articulation, passage, transitivité qui sont ce qui fonde le discernement en sa plus profonde motivation.

   « Motivation » en sa signification originaire de « se mouvoir », se mouvoir qui n’est autre que la vie se faisant, que le temps passant au travers de la chair des choses, les ouvrant à la force-même de leur destin. Enonçant cette simple phrase : « le soleil est brillant », nous sentons bien cette flexion sur le « est », cette douce insistance, cette onctuosité, comme un instant suspendu, mais un instant illimité qui demande d’autres présences, d’autres actualisations de l’être, d’autres manifestations, la levée d’autres phénomènes. Nous les hommes, nous les porteurs du merveilleux Dasein avons à être, éminemment, constamment, et en ceci l’Art peut nous aider, lui qui porte haut la parole de la beauté, l’incessante recherche de ce qui, parmi le multiple peut en être extrait comme l’esquisse la plus précise, la plus heureuse qui puisse nous rencontrer en assumant notre pleine et entière harmonie. Car nous ne pouvons réellement exister qu’à titre de cosmos, non dans l’état du continuel chaos, de la sourde provenance inexpliquée, du doute qui vibrionne à l’entour et obscurcit nos yeux, de l’absurde partout présent, du sombre nihilisme qui sape les fondements mêmes de l’humain.

    Comprendre une chose en sa dimension la plus intime, en sa pliure la plus exacte, c’est porter à la lumière la trame de sa signifiance sans laquelle le monde serait un illisible manuscrit et, souvent, l’est-il par nature. Nulle compétition entre l’être et l’étant, nulle rixe au terme de laquelle se distingueraient un vainqueur et un vaincu. L’être est toujours l’être de l’étant. L’étant porte toujours la trace de l’être. Or c’est bien parce qu’il y a de l’étant et de l’étant profus, polymorphe, envahissant, inextricable parfois en sa luxuriance, que nous questionnons en direction de l’être. Pour le Dasein que nous sommes, nous les hommes, être est, avant tout, être qui questionne et, questionnant, veut éprouver la certitude de quelque réponse vraie.

   Il ne dépend que de nous, de notre exigence, de notre conscience intentionnelle que l’œuvre d’art ne soit un étant comme les autres, affecté de la même obscurité, mais aussi que cet étant, éclairé de l’intérieur, se révèle telle cette route lumineuse qui nous appellera afin de témoigner de la beauté. Nul doute que la position éminente et transcendante de l’Art ne le désigne comme celui dont le privilège est de faire apparaître cette mystérieuse différence ontologique qui, d’un côté place l’être, de l’autre l’étant, et singulièrement l’être-de-l’œuvre, de l’autre l’étant intramondain, ce qu’est en première approximation tout subjectile, bloc de pierre, coulée de fonte, toile de lin, feuille de Vergé, tous supports que nous avons à féconder à l’aune de notre regard qui ne peut qu’être patience et persévérance.

   Prestiges, clartés dans la longue nuit des événements, « Corde », « Socle », « Plaque » n’attendent que la rosée du jour, la levée de l’aube dans le froid qui étreint et transit les hommes. Toujours l’aube se lève !  Toujours suit l’aurore aux mille couleurs. « La Forme a existé, existe et existera de tout temps. » Tel était l’un des leitmotive de notre précédent article sur « Corde à nœuds » de Marcel Dupertuis. Très insuffisante appellation qui ne laisse guère place qu’à la face qui vient à nous alors que nous voudrions sonder, l’inconnue, celle qui nous fait réellement hommes à simplement interroger. Oui, interroger !

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11 mars 2020 3 11 /03 /mars /2020 21:44
Lumière rouge.

Photographie : Nadège Costa.

Tous droits réservés.

Qu’était donc cette persistance, là, dans l’étreinte de la chambre, cette éminence avec son feu assourdi, sa braise éteinte ? Qu’était donc cet éclat fiché dans la pliure des chairs avec impossibilité de l’en déloger ? C’était survenu à la manière de l’étoile filante, da la queue de comète. Une soudaine illumination puis le règne des ténèbres et l’immense solitude que jamais rien n’habiterait. Que rien ne résoudrait, si ce n’est une persistante mutité. Au dehors la nuit coulait avec son chant de glaise noire et la lune glissait sur l’eau pâle des étangs. Et les forêts, le frémissement des bouleaux, leurs troncs argentés pareils à la fuite du temps.

Quelque part, il devait bien y avoir une clairière bordée d’arbres sombres, contours de votre supposée vêture. Une plage de clarté, votre cou en forme de presqu’île. Une anse, pointe avancée de la conscience ou bien ovale parfait d’un visage qui se dissimulait dans la presque apparition de cette étrangère que vous étiez. Et que vous demeureriez quand bien même j’aurais écrit un poème vous intimant de paraître au grand jour.

Et le surgissement rubescent de vos lèvres et cet arc de Cupidon appelant à la simple folie. De ne point vous voir et de vous imaginer seulement, habitant un corps doué de passion. Douleur de ne pas dessiner vos yeux, fût-ce dans l’effleurement de l’estampe. Cependant, demeurez là où vous êtes, dans cet orbe d’apparition que cerne la brume du doute. Ainsi vous êtes belle à n’être pas approchée. Ainsi vous êtes énigmatique à vous dissimuler dans les mailles de l’irrésolution. Il ne saurait y avoir d’œuvre plus accomplie. Oui, d’œuvre plus accomplie !

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Published by Blanc Seing - dans Microcosmos

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